« Les méthodes qu’Israël et ses colons utilisent contre les Palestiniens à l’origine du monstre »

  • Amira Hass : « Les méthodes qu’Israël et ses colons utilisent contre les Palestiniens à l’origine du monstre »
  • Nimrod Flaschenberg : L’économie israélienne était le joyau de la couronne de Netanyahou. L’affrontement interne l’ébranle
  • Orly Noy : Les manifestants israéliens veulent-ils vraiment la démocratie ?

« Les méthodes qu’Israël et ses colons utilisent contre les Palestiniens
à l’origine du monstre
 »

Bien que la Knesset ait adopté lundi soir, 20 mars 2023 [après une première lecture le 13 mars], un amendement à la Loi sur le Désengagement [opéré en 2005] autorisant les Israéliens [1] à retourner dans quatre colonies de Cisjordanie précédemment démantelées – Kadim, Ganim, Sa-Nur et Homesh –, ces dernières n’avaient jamais été retirées de la liste des colonies existantes sur le site en hébreu du Conseil des colonies [Yesha, selon l’acronyme en hébreu : il s’agit du Conseil des municipalités des colonies de la Cisjordanie et, antérieurement, de Gaza].

La liste du site de Yesha comprend également toutes les colonies de la bande de Gaza qui ont été démantelées lors du désengagement de 2005. Il est pour l’instant difficile (en insistant sur « pour l’instant ») de voir les représentants de la Judée et de la Samarie à la Knesset – les députés hyperactifs du parti du Sionisme religieux et leurs émules du Likoud – forcer Israël et Tsahal de ramener les Juifs dans la bande de Gaza, qui manque d’eau et de terres.

Mais il est facile d’imaginer des organismes de colonisation quasi privés et semi-officiels comme Amana [mouvement pour la colonisation, fondé en 1976 par le Gush Emunim], Nachala [mouvement visant à établir des colonies formées de « jeunes couples » dans « l’Israël historique », « biblique »] et le Conseil régional de Shomron financer la résidence d’Israéliens dans les quatre sites du nord de la Cisjordanie. Une telle installation nécessite des mobil-homes et des tentes, de l’eau, des générateurs, des soldats comme vigiles qui n’hésiteront pas à tirer, blesser ou tuer des manifestants palestiniens, des juges militaires pour envoyer les manifestants palestiniens en prison, des entrepreneurs pour réparer les routes d’accès, des membres de la Knesset pour visiter ces colonies, y danser et mettre en place des bureaux fictifs de parlementaires.

Tout cela était à la disposition des colons avant même l’adoption de l’amendement; et tout cela le sera désormais dix fois plus.

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A première vue, le récent amendement montre la détermination exceptionnelle du mouvement des colons, qui a contourné toutes les lois et tous les accords diplomatiques pour occuper le cœur de la plupart des Israéliens. Un moment très festif – c’est ainsi que la ministre des Missions nationales, Orit Strock, qui détient également le portefeuille des colonies – a décrit l’amendement adopté par la Knesset lors de l’émission matinale de la radio Reshet Bet, alors que son interlocutrice peinait à réfréner son discours enthousiaste sur la Terre d’Israël et la justesse des propos du ministre des Finances Bezalel Smotrich (qui a déclaré « qu’il n’y a pas de peuple palestinien »).

Mais en fait, l’adoption de l’amendement reflète la montée du monstre contre son créateur. Israël n’est pas seulement un Etat qui construit des colonies, mais une entreprise de colonisation, un projet colonial doté d’une Knesset et d’un Etat.

Le coup d’Etat actuel contre le système de gouvernement israélien se déroule, sous nos yeux, à la vitesse de l’éclair, avec les mêmes méthodes qui ont permis le processus de colonisation : planification en secret, mensonge sans sourciller, tromperie financière, déformation des faits, altération des lois, violation du droit international, attitude tolérante à l’égard de la violence des colons par la police, par l’armée, les procureurs et des tribunaux, violation de la poignée d’arrêts de la Haute Cour de justice concernant une infime partie des terres palestiniennes qui ont été volées. Et en tête de liste ? Un refus de prendre en compte les opinions et les besoins de la majorité en excluant les Palestiniens de toute considération. C’est le racisme pur auquel nous nous sommes habitués, sous le prétexte de calculs statistiques justes.

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Prenons l’exemple de Homesh parmi tant d’autres. En 1978, un arrêté militaire a permis la saisie des terres agricoles appartenant aux habitants des deux villages palestiniens de Burka et Silat al-Dhahr. Un avant-poste militaire y a été établi qui, plus tard, en avril 1980, s’est transformé en une collectivité civile: Homesh.

Le site web de Kerem Navot, un groupe à but non lucratif qui enquête et documente la politique israélienne de vol de terres, montre un document militaire interne datant de ce mois et concernant la nouvelle colonie. Le document explique : « L’objectif est de communautariser l’avant-poste [militaire], tout en évitant autant que possible d’en rendre compte, aussi bien aux habitants qu’aux médias ».

L’ordre de confiscation n’a pas été annulé immédiatement après le désengagement, mais seulement après une bataille juridique menée par les propriétaires légitimes du terrain. Mais les colons, avec l’aide de l’Etat, de l’armée (IDF) et de la police, ont empêché les Palestiniens de retourner sur leurs terres en recourant à diverses méthodes violentes. Tout est là: un manque de reconnaissance des droits et des besoins des Palestiniens, le dénigrement du droit international, des stratagèmes pour se soustraire à la loi, un manque de respect pour la Haute Cour de Justice et une complaisance à l’égard de la violence juive.

Depuis plus de 50 ans, l’Etat d’Israël utilise les colonies pour empêcher la création d’un Etat palestinien dans la zone conquise en 1967. Il a brisé l’espace et créé des enclaves déconnectées de l’autonomie palestinienne affaiblie, avec un accès limité à la terre et à l’eau.

Il s’est toujours agi d’un véritable ballet : l’Etat légifère, planifie, vole les terres palestiniennes et s’installe. Les colons font quelques pas plus loin, outrepassant ostensiblement le plan officiel, et se plaignent de leurs difficultés. L’Etat pardonne, approuve rétroactivement, prends de nouvelles mesures tandis que les colons élaborent les leurs, volent davantage de terres palestiniennes et se plaignent de leurs propres manques. L’Etat a pitié d’eux, approuve et ainsi de suite.

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La ferveur religieuse et nationale n’explique pas à elle seule le phénomène. Le ballet/tango que le gouvernement et ses institutions dansent avec les colons a construit leur énorme pouvoir politique. Il a été renforcé par des subventions, des avantages et des promesses de progrès socio-économique aux colons « idéologiques » et « non idéologiques » – Haredim [ultra-orthodoxe], Haredim sionistes et colons non religieux.

En outre, l’indifférence générale des Israéliens à l’égard de ce qui se passe au-delà de la ligne verte, ainsi que le soutien des pays occidentaux à Israël, malgré leur opposition officielle aux colonies, ont joué un rôle crucial dans le renforcement de la mainmise des colons sur le pouvoir.

Le désengagement unilatéral organisé Ariel Sharon [Premier ministre de mars 2001 à janvier 2006] en 2005 était fondé sur une analyse coûts-avantages militaire et économique : trop de troupes étaient nécessaires pour protéger les colonies de la bande de Gaza et les colonies isolées du nord de la Cisjordanie. Le plan de désengagement était en fait conforme à l’agenda israélien, depuis 1991 (en violation des accords d’Oslo), qui consistait à séparer les Palestiniens les uns des autres depuis 1991, en séparant effectivement la population de la bande de Gaza de celle de la Cisjordanie. Il s’agit là du principal moyen pour faire échouer la création d’un Etat palestinien.

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Certains ont cru naïvement que le désengagement était le précurseur d’autres retraits. Si tel avait été le cas, Israël aurait unilatéralement modifié la classification illogique et artificielle des sites de colonisation démantelés, les faisant passer de la zone C, sous contrôle sécuritaire et administratif israélien total, à la zone A ou B, sous autorité civile et administrative palestinienne.

En outre, Israël n’aurait pas empêché l’Autorité palestinienne (aussi docile et soumise que l’espéraient ses avocats israéliens) d’utiliser ces terres dans la région de Jénine (publiques ou privées, peu importe), pour établir des villages de villégiature, rénover la mosquée de Sa-Nur et protéger les agriculteurs.

Au moment où tous les gouvernements israéliens, depuis Ariel Sharon, ont agi de la sorte, ils ont indiqué aux colons qu’ils pouvaient continuer à utiliser leurs machinations bien pourvues pour exiger à nouveau la propriété de terres volées. Par conséquent, l’amendement à la loi sur le désengagement a été mis en œuvre, dans une large mesure, bien avant qu’il ne soit officiellement proposé.

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Vous recherchez l’Etat profond ? On le rencontre bien vivant dans l’Organisation sioniste mondiale, le Fonds national juif, le Conseil de Judée et de Samarie, les conseils locaux des colonies et les institutions de droite financées par des millionnaires et des milliardaires juifs américains. Il est également présent au sein de l’Autorité foncière israélienne, ainsi que dans la Coordination des activités gouvernementales dans les territoires liée au ministère de la Défense et de l’Administration civile, et de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs comme du bureau du procureur de l’Etat qui a légalisé tous les vols.

Les factions les plus puissantes de l’Etat profond ont conçu les « réformes juridiques » du gouvernement [actuellement mises en œuvre par le nouveau gouvernement] pour perpétuer la domination des colons de droite, marginaliser et soumettre davantage les Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte, et imposer un plan qui épouvante de larges secteurs de la société juive israélienne.

Les méthodes qu’Israël et les colons ont employées avec succès contre les Palestiniens sont maintenant utilisées pour fragiliser une grande partie de la société juive israélienne.

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Ce qui fait problème, c’est que les [militaires] réservistes qui annoncent qu’ils refuseront de servir [sous ce nouveau gouvernement] – ainsi les salarié·e·s du secteur de la haute technologie qui protestent – soutiennent depuis des années la politique de vol des terres, fondée sur une distorsion du droit et de la justice. La grande majorité des universitaires, des juristes, des enseignant·e·s, des économistes et des journalistes ne se sont pas prononcés en grand nombre contre le régime dystopique qu’Israël a instauré au-delà de la ligne verte. Ils ne font pas le lien avec le coup d’Etat imminent contre lequel ils protestent aujourd’hui. En outre, les principaux dirigeants de l’opposition à la Knesset ont continué à soutenir les lois contre les Palestiniens, même s’ils s’opposent avec véhémence au gouvernement actuel.

L’esprit de l’amendement à la loi sur le Désengagement a précédé le blitz législatif [sur le statut de la Cour suprême et de son rôle de contrôle judiciaire ainsi que de sa capacité à se prononcer sur les lois approuvées par la Knesset]. Or, l’amendement est une partie inséparable de ce blitz. Car le coup d’Etat contre le système de gouvernement israélien est la récompense incongrue mais attendue que l’entreprise de colonisation – qui dispose d’une Knesset – accorde à l’Etat d’Israël et à sa société pour des années de « tango serré » joue contre joue. 

[1] Selon The Times of Israël, en date du 14 mars 2023, l’introduction à l’amendement adopté souligne qu’« il n’y a plus aucune justification au fait d’empêcher les Israéliens d’entrer et de rester dans les territoires évacués du nord de la Samarie et il est proposé, en conséquence, d’établir clairement que ces sections [de la loi sur le Désengagement] ne s’appliqueront plus aux territoires évacués ». Le texte « utilise le nom biblique pour désigner le nord de la Cisjordanie ». (Réd. A l’Encontre)

Amira Hass
Article publié dans Haaretz en date du 22 mars 2023 ; traduction par la rédaction de A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/israel-les-methodes-quisrael-et-ses-colons-utilisent-contre-les-palestiniens-a-lorigine-du-monstre.html

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L’économie israélienne était le joyau de la couronne de Netanyahou. L’affrontement interne l’ébranle

La combinaison jusqu’ici réussie du néolibéralisme et de l’apartheid en Israël se heurte finalement à un mur intérieur. Après des mois de protestations et de pressions économiques, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a annoncé lundi 27 mars qu’il interrompait temporairement la prochaine phase de sa réforme judiciaire. Cette annonce est intervenue une nuit après que des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans la rue à travers le pays, à la suite du limogeage par Netanyahou du ministre de la Défense Yoav Gallant, et après une action conjointe des grandes entreprises et de la Histadrout, le plus grand syndicat israélien [lié de facto à l’Etat] – qui avait hésité à se joindre à la protestation contre la réforme judiciaire – lundi matin.

Cette crise est l’aboutissement de plusieurs mois de guerre économique menée par de larges pans de la société israélienne, et notamment ses élites, contre le gouvernement. Cet affrontement interne révèle une faiblesse surprenante dans l’économie israélienne, par ailleurs en plein essor et axée sur la technologie. La question qui se pose maintenant est la suivante : cette faiblesse pourrait-elle également signaler une possibilité dans la lutte contre l’occupation et l’apartheid ?

Pendant toutes les années où il a été Premier ministre d’Israël, la plus grande réussite de Benyamin Netanyahou a été de faire en sorte que l’occupation semble indolore, ou du moins sans coût pour les Israéliens. Sous son règne, l’économie israélienne a connu un véritable boom, en grande partie grâce à son secteur high-tech florissant. L’Etat a amélioré et élargi ses relations diplomatiques, ouvrant de nouveaux marchés pour l’exportation de logiciels et la cybersécurité, développant des liens de sécurité avec des partenaires régionaux et rendant sa technologie militaire indispensable à de nombreux pays dans le monde.

Le modèle économique israélien depuis le début des années 2000 a été caractérisé par l’historien économique Arie Krampf comme un néolibéralisme isolationniste [The Israeli Path to Neoliberalism. The State, Continuity and Change, Routledge, 2018]. C’est le projet de Netanyahou : une économie orientée vers l’exportation qui est censée construire une résilience géopolitique grâce à une stratégie de commerce diversifié, un faible ratio dette/PIB et d’importantes réserves de devises étrangères. Ce modèle exige également une déréglementation agressive et des coupes dans les dépenses sociales, ce qui a conduit à des inégalités stupéfiantes et à une aggravation de la pauvreté [The Times of Israël, le 23 décembre 2021, titrait « Plus de 2,5 millions d’Israéliens vivent dans la pauvreté, dont 1,1 million d’enfants »]. Le système de protection sociale s’est effondré, mais les investissements étrangers ont augmenté; les nouvelles richesses d’Israël n’ont pas été réparties équitablement, mais l’élite économique s’en est satisfaite.

Grâce à ce modèle, Israël a pu diversifier ses risques et ses intérêts économiques dans le monde entier et réduire quelque peu sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Les relations de Netanyahou avec des dirigeants mondiaux tels que Vladimir Poutine et Narendra Modi étaient fondées non seulement sur son penchant pour des nationalistes agressifs partageant les mêmes idées, mais aussi sur une stratégie visant à rééquilibrer la position d’Israël dans la sphère mondiale et à en faire un partenaire commercial et militaire apprécié.

Si la campagne internationale pour la libération de la Palestine a eu un impact sur l’opinion publique mondiale, elle n’a pas été en mesure de remettre véritablement en question ce modèle économique. Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) n’a pas réussi à faire prendre conscience au gouvernement et à la population d’Israël du coût économique et diplomatique du maintien et du renforcement de l’occupation, mais il est devenu un catalyseur pour la délégitimation des voix pro-palestiniennes par des organisations de la hasbara bien financées [hasbara, terme utilisé pour décrire les relations publiques et la diplomatie d’Israël; le terme lui-même signifie littéralement explication].

L’Autorité palestinienne, pour sa part, n’a pas encouragé de mesures économiques contre Israël en raison de la dépendance de la Cisjordanie à l’égard de l’économie israélienne et de l’étouffement de l’occupation militaire israélienne. Ainsi, alors que les gouvernements israéliens s’orientent vers la droite depuis des décennies, renforçant l’occupation et consolidant un régime d’apartheid, l’Etat ne subit aucun préjudice économique et sa position diplomatique ne fait que se renforcer.

Ironiquement, ce que la campagne BDS n’a pas réussi à faire jusqu’à présent est maintenant mis en œuvre par les Israéliens juifs : les élites qui se radicalisent rapidement dans leur lutte contre la tentative de révision juridique [statut de la Cour suprême] engagée par le gouvernement israélien. Les répercussions économiques inévitables de cette révision menacent le modèle néolibéral isolationniste, qui repose depuis longtemps sur une forte industrie d’exportation et sur l’impunité internationale. Netanyahou a réussi à protéger l’économie israélienne contre les pressions extérieures, mais même lui n’est pas en mesure de faire face aux conflits internes actuels.

De réels dangers
Mardi dernier, Shira Greenberg, économiste en chef du ministère israélien des Finances [depuis juin 2019], a publié un rapport suggérant que si la réforme juridique est adoptée dans son intégralité, le PIB d’Israël pourrait diminuer de 270 milliards de NIS (new Israeli Shekel) au cours des cinq prochaines années. D’autres estimations de fonctionnaires du même ministère, présentées au ministre des Finances Bezalel Smotrich en début de semaine, suggéraient une perte annuelle de 100 milliards de NIS. Bezalel Smotrich a tenté de brouiller les pistes en affirmant que des perspectives et des risques avaient été présentés lors de la réunion, mais des sources au sein du ministère l’ont contredit, déclarant à Calcalist [quotidien et site internet d’affaires] : « Il n’est pas clair de quelles perspectives le ministre parle. Les participants à la réunion s’accordaient à dire que ces initiatives pourraient nuire gravement à l’économie israélienne. »

Depuis des mois, les institutions financières internationales tirent la sonnette d’alarme au sujet de la réforme proposée. L’agence de notation Moody’s a averti que la réforme pourrait empêcher la notation de crédit d’Israël de se renforcer, indiquant que les changements prévus « pourraient également poser des risques à plus long terme pour les perspectives économiques d’Israël, en particulier les entrées de capitaux dans l’important secteur de la haute technologie ». The Economist, première publication économique mondiale et baromètre des positions de l’élite économique mondiale, a récemment publié un article principal intitulé : « Bibi va-t-il briser Israël ? » Un consensus international émerge sur le fait que le nouveau gouvernement pourrait modifier de manière significative la trajectoire du capitalisme israélien.

L’hypothèse sous-jacente du ministère israélien des Finances, de Moody’s et de The Economist est que les Etats non démocratiques sont mauvais pour les affaires. Il s’agit toutefois d’un mythe libéral: de nombreux pays non démocratiques sont d’énormes centres de business. Les meilleurs exemples sont les nouveaux alliés d’Israël dans le Golfe; à bien des égards, l’autoritarisme peut servir le capitalisme.

D’ailleurs, Israël lui-même ne peut actuellement être défini comme une démocratie puisqu’il maintient des millions de personnes sous contrôle militaire tout en leur refusant les droits fondamentaux. Mais les investisseurs n’ont jamais montré qu’ils avaient un réel problème avec l’occupation. Le ralentissement économique attendu ne sera donc pas une simple réaction au rétrécissement de l’espace démocratique en Israël, mais plutôt le résultat d’une profonde lutte sociale interne à Israël qui projette le risque économique aux yeux des observateurs extérieurs.

La dynamique de panique de ces derniers mois est une prophétie qui se réalise d’elle-même. De nombreux membres de l’élite israélienne sont en position de combat, et le secteur de la haute technologie est en tête de liste. Les salarié·e·s de la technologie, qu’il s’agisse de cadres, d’employés ou y compris d’investisseurs, sont profondément impliqués dans les manifestations contre le gouvernement. Ils parlent de la fin de la démocratie israélienne et sont prêts à tout pour arrêter les plans du gouvernement.

Dans le même temps, ils couvrent leurs risques personnels en envisageant des destinations de migration ou en plaçant leur argent à l’étranger. Des rapports récents font état d’un exode des entreprises de haute technologie vers la Grèce, Chypre ou l’Albanie, où 80 entreprises israéliennes de haute technologie ont tenu une réunion la semaine dernière afin d’examiner un éventuel déménagement. De riches employés de la haute technologie achètent des propriétés au Portugal, craignant que la réforme n’aboutisse. Ces préparatifs internes envoient au système financier interna.tional le message que la crise est réelle et qu’Israël n’est pas une valeur sûre

Les investisseurs capitalistes n’ont pas nécessairement besoin de démocratie. Ils ont besoin de stabilité et de prévisibilité – des éléments qui, en Israël, sont actuellement très rares.

C’est aussi l’occupation
Le projet de réforme juridique s’inscrit dans le cadre d’une évolution plus large vers une domination de l’extrême droite dans la politique israélienne. Cette réforme vise notamment à légaliser l’annexion de la Cisjordanie et à permettre la poursuite de la persécution des citoyens palestiniens et des militants de gauche israéliens. Une stratégie politique plus calculée de la part du gouvernement de Netanyahou aurait consisté à calmer autant que possible la question palestinienne tout en faisant avancer le projet juridique. En dissociant les questions de démocratie israélienne « interne » de la question palestinienne, il aurait peut-être été plus facile de contrer le mouvement de protestation et la pression internationale.

Mais les membres de la coalition de Benyamin Netanyahou refusent de dissocier ces questions : ils indiquent clairement que leur principale préoccupation dans l’avancement de la réforme est de punir plus brutalement les Palestiniens, déplorant que la Cour suprême rende trop difficile la démolition de maisons ou l’expulsion de Palestiniens. La rhétorique raciste prononcée chaque jour par les ministres du gouvernement, l’intensification de la violence d’Etat en Cisjordanie, qui a tué quelque 80 Palestiniens depuis le début de l’année, et le pogrom des colons à Huwara [voir l’article publié sur ce site le 6 mars http://alencontre.org/moyenorient/israel-palestine], dont les ministres du gouvernement ont fait l’éloge, montrent qu’il s’agit d’un gouvernement de fanatiques, déterminé à mettre la région à feu et à sang. Ceci, à son tour, diminue la réputation de Netanyahou en tant que leader néolibéral efficace et efficace en termes d’affaires. Il ne contrôle pas la situation et les forces déstabilisatrices sur tous les fronts – économique, social et militaire [des milliers de réservistes affirment qu’ils ne serviront pas, y compris 200 pilotes ont donné leur démission temporaire] – semblent inarrêtables.

Il semble que les protestations internes et la pression internationale aient réussi à geler, ne serait-ce que temporairement, la dynamique législative portant sur la réforme judiciaire. Cependant, selon de nombreux analystes économiques, une grande partie du mal est déjà faite. L’instabilité des derniers mois et l’extrémisme du gouvernement ont déjà fait fuir de nombreux investisseurs et rendu l’économie israélienne risquée. Même si la réforme est interrompue, Israël est en passe de connaître un ralentissement économique important.

Dans la pratique, nous assistons à la rupture de l’alliance hégémonique entre le néolibéralisme à la Netanyahou et le capital israélien. Pendant des années, le projet de néolibéralisme isolationniste de Netanyahou a été basé sur le fait qu’Israël était un trop bon investissement pour être négligé. La puissance économique et stratégique d’Israël était censée contrer le consensus international contre les colonies et en faveur d’une solution à deux Etats. Le capital mondial qui a permis à l’économie israélienne de prospérer était donc un élément central de la lutte diplomatique contre la cause palestinienne – et pendant longtemps, il y est parvenu.

Si l’économie devait connaître une grave récession, cela pourrait avoir des répercussions sur l’apartheid israélien. Si le chaos social et économique s’installe, nous pourrions bien voir apparaître les premières fissures dans l’impunité d’Israël sur la scène mondiale.

Nimrod Flaschenberg
Nimrod Flaschenberg est un ancien conseiller parlementaire du parti Hadash [alliance parlementaire de gauche radicale israélienne juive et musulmane, le Parti communiste étant la structure la plus importante]. Il étudie aujourd’hui l’histoire à Berlin.
Article publié par le site israélien +972, le 27 mars 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/leconomie-israelienne-etait-le-joyau-de-la-couronne-de-netanyahou-laffrontement-interne-lebranle.html

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Les manifestants israéliens veulent-ils vraiment la démocratie ?

Le véritable test de cette vague de protestations aura lieu une fois la victoire acquise : les foules rentreront-elles chez elles ou pousseront-elles à un changement radical ?

Après 13 semaines de manifestations publiques enflammées et sans précédent, la nuit de dimanche à lundi et la matinée de lundi ont apporté des développements historiques : non seulement une escalade continue des manifestations elles-mêmes, mais aussi l’annonce d’une grève générale par le puissant syndicat israélien, des grèves supplémentaires dans les universités du pays et des fermetures d’ambassades israéliennes dans le monde entier. Ces scènes, associées à l’annonce potentielle par le Premier ministre Benjamin Netanyahu qu’il mettait en pause son coup d’État judiciaire, ont conféré aux manifestations de lundi – en particulier celles qui se sont déroulées devant la Knesset à Jérusalem – une atmosphère différente : moins de peur et de rage, et davantage un rare sentiment d’accomplissement. Et ce, à juste titre.

Le fait que les manifestations puissent réussir à suspendre le coup d’État judiciaire, voire à l’empêcher complètement, est un moment crucial pour la société civile israélienne. Le fait de savoir qu’un public aussi large se révolte à juste titre contre la menace qui pèse sur ses droits renforce considérablement l’idée même de démocratie.

D’un autre côté, il est difficile d’ignorer l’impression de déjà-vu qui accompagne ces manifestations. Il y a moins de deux ans, tout un camp politique a célébré la chute du gouvernement Netanyahou, après des semaines de protestations qui ont duré presque aussi longtemps que la vague de manifestations actuelle. À l’époque également, les protestations étaient unies par le fait qu’elles étaient contre quelque chose – le régime Netanyahu – et non pour quelque chose. À l’époque, comme aujourd’hui, les manifestants estimaient que le caractère même de l’État était en jeu.

Mais le point le plus critique de tous est la compréhension par les manifestants du terme « démocratie » – une idée autour de laquelle ils se sont si intensément mobilisés. Tant dans les manifestations dites de Balfour que dans les manifestations actuelles contre le coup d’État judiciaire, la démocratie était une revendication centrale ; seul un groupe limité, bien que persistant, de manifestants anti-occupation a cherché à souligner les liens entre la violation des droits des Palestiniens dans les territoires occupés et la capacité d’Israël à maintenir un régime démocratique.

Lors des manifestations de Balfour, Oren Ziv de +972 s’est entretenu avec une série de manifestants qui ont juré que le renversement du régime de Netanyahou ne serait qu’un début. Après cela, disaient-ils, ils s’attaqueraient aux autres maux de la société et apporteraient la justice dans les domaines où elle fait défaut. Même une fois Netanyahou parti, ils ne s’arrêteraient pas, disaient-ils. Mais ils se sont arrêtés. 

Grâce aux efforts des manifestants anti-occupation lors des manifestations de Balfour, un nombre significatif de personnes ont été exposées pour la première fois aux injustices de l’occupation et ont commencé à s’intéresser à la question ; certaines d’entre elles sont même devenues des activistes engagés qui assistent aux manifestations et continuent d’accompagner les bergers palestiniens en Cisjordanie occupée jusqu’à aujourd’hui. Mais dans l’ensemble, après l’éviction de Netanyahou, les foules qui étaient descendues dans la rue sont rentrées chez elles et ont accueilli le « gouvernement du changement », formé peu après, avec un profond sentiment de soulagement.

Parce que ces manifestations, dès le départ, se sont unies autour de l’idée de se débarrasser de Netanyahou et n’ont pas réussi à définir l’alternative qu’elles souhaitaient, le fait que cette coalition hybride réunisse des opposants vétérans à l’occupation, tels que Mossi Raz et Gaby Lasky, et des faucons d’extrême droite comme Naftali Bennett et Avigdor Liberman, a été perçu comme une victoire. Ce même gouvernement, qui a supervisé le doublement du taux de démolition de maisons à Jérusalem-Est occupée et qui a été responsable de l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens de Cisjordanie depuis près de vingt ans, s’est finalement sacrifié sur l’autel de la préservation du régime d’apartheid dans les territoires occupés.

Il ne s’agit pas ici de saluer les centaines de milliers de manifestants qui sont descendus dans la rue au cours des derniers mois, ni de remettre en question l’importance du mouvement de protestation. Il s’agit de rappeler à ces manifestants que la réalité israélienne exige un changement fondamental qui va bien au-delà de la simple prévention du coup d’État judiciaire, aussi diabolique soit-il. En fait, ce gouvernement prévoit d’adopter des lois et des politiques qui nuiront aux groupes les plus vulnérables : extension de l’autorité des tribunaux rabbiniques, coupes sombres dans les logements publics, poursuite de la privatisation du système éducatif, suppression de la Société de radiodiffusion publique, et bien d’autres encore. Nous ne pouvons pas détourner le regard lorsque ces mesures seront adoptées.

Mais le changement dont nous avons besoin va au-delà des projets ignobles de ce gouvernement. Le mouvement de protestation a apporté avec lui l’occasion d’avoir une conversation sur les axiomes les plus fondamentaux sur lesquels la société israélienne a été fondée et qui continuent à l’animer plus de sept décennies plus tard. Même si Netanyahou annonce qu’il gèle temporairement le coup d’État judiciaire – et même s’il va jusqu’à l’annuler complètement – notre examen de conscience ne fera que commencer, et les questions auxquelles nous devrons répondre seront profondes.

Si nous ne comprenons pas comment nous en sommes arrivés là, nous nous condamnons à nous retrouver à l’avenir dans une situation identique à celle qui a suivi les manifestations de Balfour. Si nous ne nous demandons pas honnêtement où se trouvaient les citoyens palestiniens lors des manifestations de masse ou quel a été le rôle du langage nationaliste et militariste dans la protestation – qui a peut-être été un succès sur le plan tactique, mais qui a creusé davantage le fossé entre les citoyens palestiniens et juifs – nous ne parviendrons pas à formuler une véritable démocratie qui doit inclure tous les citoyens.

Si nous continuons à nous concentrer uniquement sur les aspects procéduraux de la démocratie, tels que la composition des commissions de la Knesset, ou la demande d’établissement d’une constitution tout en ignorant le contenu d’un tel document – tel que l’égalité réelle, la liberté et la justice – nous nous retrouverons une fois de plus avec une coquille vide et mince de la démocratie. Si nous refusons de comprendre en ce moment même que la démocratie ne peut, par définition, coexister avec un régime d’occupation, d’apartheid et de suprématie, non seulement nous nous retrouverons inévitablement à lutter à nouveau contre une dictature, mais la prochaine fois, cette dictature sera bien plus violente et désinhibée.

Orly Noy, le 27 mars 2023
Cet article a été publié en hébreu sur Local Call.Orly Noy est rédactrice à Local Call, activiste politique et traductrice de poésie et de prose en farsi. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem et militante au sein du parti politique Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité en tant que Mizrahi, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant à l’intérieur d’une immigrante perpétuelle, et du dialogue constant entre elles.
Trad. A.S pour l’Agence Média Palestine 
Source : +972mag
https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/03/28/les-manifestants-israeliens-veulent-ils-vraiment-la-democratie/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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2 réflexions sur « « Les méthodes qu’Israël et ses colons utilisent contre les Palestiniens à l’origine du monstre » »

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