La communauté ukrainienne LGBTQIA+ en uniforme est en colère. Le ministre ukrainien de la Défense ne soutient pas le projet de loi n°9103 sur les « partenariats » de couple de même sexe. Oleksiy Reznikov a déclaré que le projet de loi est contraire à la Constitution. Le ministère de la défense a également exprimé son mécontentement à l’égard de l’article 14 du projet de loi, qui propose d’accorder aux commandants (chefs) des militaires « le droit de rédiger et de certifier l’acte d’enregistrement d’un partenariat enregistré dans les cas où l’un ou les deux partenaires enregistrés sont militaires ». Le syndicat des militaires LGBT Військові ЛГБТ a dénoncé ces déclarations. Selon l’association de défenses des droits des LGBTQIA+ «les forces armées et la garde nationale, où environ 1 million de personnes servent actuellement, pourraient avoir de 50 à 100 000 personnes appartenant à la communauté LGBTQIA+ ». Pour Viktor Pylypenko, responsable du syndicat ? « les Ukrainien·nes sont prêt·es pour le mariage gay … les sondages indiquent que 82% des Ukrainien·nes soutiennent la participation de la communauté LGBTQIA+ à la lutte contre l’agression russe, et 64% pensent que la communauté devrait avoir les mêmes droits que les autres citoyen·nes. Tout d’abord, au mariage ».
En 2022, dans son rapport annuel, le centre LGBTQIA+ Nash svit [Notre monde) indiquait que 16 cas de violations des droits de membres de la communauté LGBTQIA+ par des militaires des Forces armées ainsi que par des formations paramilitaires, ont été documentés. Dans 15 de ces cas, il s’agissait de violations commises par des militaires et, dans un cas, les agresseurs étaient des représentants de la garde municipale. D’autres agressions ont été probablement commises mais n’ont pas été recensées notamment en raison du silence que se sont imposé les victimes. On estime que 10% des adultes LGBTQIA+ ont été enrôlés ou se sont portés volontaires dans l’armée après le début de l’invasion à grande échelle de la Russie.
L’association des militaires et vétérans LGBTQIA+ a été fondée en 2018 par Viktor Pylypenko, un vétéran ouvertement gay qui a combattu dans les rangs du Bataillon Donbass. Il a fait son coming out pendant l’exposition d’Anton Shebetko «Nous étions ici». Actuellement, Військові ЛГБТ compterait plus de 300 soldats ouvertement LGBTQIA+. Son objectif est d’obtenir l’égalité des droits avec les autres citoyen·nes ukrainien·nes. En 2018, elle a défilé à la Marche des Fiertés, organisée par Kyiv Pride1.
Dans sa déclaration de fondation, Військові ЛГБТ s’est fixé les objectifs suivants :
Notre association défend les valeurs proclamées par lа Révolution de la Dignité (EuroMaïdan). Notre objectif est de faire en sorte que la communauté LGBTQIA+ ait les mêmes droits que tout·e citoyen·e ukrainien·ne, entre autres le droit au mariage, le droit à fonder une famille et le droit à la non-discrimination. En plus de faire respecter nos droits, nous exigeons l’édification d’une société inclusive et égalitaire, incluant les minorités et les groupes de citoyen·nes respectueux·euses des lois de l’Ukraine. C’est grâce à la lutte pour l’égalité que notre société deviendra plus humaine, inclusive, surmontera les préjugés et se rapprochera des idéaux d’une Ukraine européenne libre. Nous avons participé à la révolution sur le Maïdan et nous combattons l’occupant russe et ses partisans depuis le début des troubles dans le Donbass en 2014, comme beaucoup d’autres citoyen·es ukrainien·nes. Dès lors, pourquoi devrions-nous demeurer des citoyen·es de seconde zone ?
Une exposition à Kyiv
En novembre 2022 s’est tenue à Kyiv l’exposition de photos « LGBTQIA+ pour la défense de l’Ukraine ». Pour Olena Globa, organisatrice de l’exposition, de tels événements devraient avoir lieu afin d’augmenter la visibilité des militaires appartenant à la communauté, ainsi que pour lutter contre les stéréotypes : « En général, l’idée de photographier nos guerrier·es LGBTIQ+ est venue à mon fils. Lui-même est gay, vit en Amérique, mais était à une époque un militant LGBTQIA+ bien connu en Ukraine. Il a dû partir parce qu’il est ouvertement gay. Il a prononcé un discours même à la Verkhovna Rada [parlement]. De ce fait, il a reçu de nombreuses menaces, il a même été attaqué dans la rue par de « courageux » combattants qui défendaient les valeurs dites traditionnelles ». « Nos enfants LGBTQIA+ se battent maintenant. Leur orientation sexuelle ne les empêche pas de défendre leur patrie sur un pied d’égalité avec leurs compatriotes hétérosexuels. Et pourquoi, partageant tous les fardeaux pour leur patrie, ne peuvent-ils partager des droits égaux ? Pourquoi débattons-nous encore de voter ou non pour le mariage homosexuels ? Ces gens risquent maintenant leur vie et ils croient en Ukraine. Nous, les parents, qui sommes pour la plupart hétérosexuels, avons tous des droits, mais pas nos enfants. C’est très triste » ajoute Olena.
Patrick Le Tréhondat, 25 avril 2023
1 Voir « La Kharkiv Pride » Soutien à l’Ukraine résistante n° 12.
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Entre les lignes entre les mots 
La propagande russe répand un nouveau mensonge sur le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme : [traduction de la capture d’écran prise par le syndicat] : «Les forces armées ukrainiennes ont envoyé des sodomites de combat au front Selon des informations opérationnelles, une unité LGBT des Forces armées ukrainiennes est arrivée pour participer aux hostilités. Ils sont commandés par Viktor Pilipenko [responsable du syndicat]. La brigade gay est composée d’une cinquantaine de personnes. En plus de relations personnelles particulières, ils ont leurs propres attributs : des chevrons et une décoration de leur uniforme », a diffusé la chaîne Donbass Decides.»
Le syndicat des LGBTQIA+ en uniforme dénonce ces propos et a déclaré « Nous tenons à vous rappeler que le terme « bataillons gays dans les forces armées de l’Ukraine » est un mythe russe. Le personnel militaire LGBTIQ+ est constitué de soldats individuels servant dans différentes unités, qui ne sont pas réunis en un seul bataillon sur la base de leur orientation sexuelle. »
Le 5 avril, le Conseil régional de Lviv a accueilli un débat sur le thème « Protection des valeurs chrétiennes. Le projet de loi n° 9103 est un crime contre la sécurité nationale » [projet de loi sur le partenariat de couple de même sexe] à l’initiative du groupe « Pour les valeurs chrétiennes ». Des membres du conseil régional, des membres du clergé et divers représentants de l' »intelligentsia » ont assisté au débat public. Des activistes du syndicat étudiant Action directe étaient également présents pour présenter un point de vue opposé à celui qui prévalait dans la discussion. Mais ils n’ont pas pu s’exprimer.
Ce débat avait pour objectif de discréditer le projet de loi 9103, à consolider les opinions chrétiennes conservatrices et à consolider les forces homophobes réactionnaires, et c’est exactement ce qui s’est produit au cours de la discussion.
Le député du parti nationaliste conservateur « Svoboda » [extrême droite] Pankevich Oleg Igorevich a été hostile aux militants syndicaux, en leur donnant des coups de pied et en les menaçant. Le débat public était présidé par sa sœur, députée du même parti, Iryna Sekh. Lorsque les étudiants d’Action directe ont commenté la violation des règles de la discussion en les empêchant de parler, M. Oleh a répondu : « Ceux qui n’ont pas participé à la prière devraient s’asseoir et garder la tête baissée aujourd’hui ».
Outre les militants d’Action directe, des représentants d’autres secteurs progressistes de la société civile ont assisté à l’audience. On pouvait espérer que le militaire qui était venu parler pour défendre le mariage civil homosexuel et le projet de loi n° 9103 ne serait pas ignoré. Un des participants lui a demandé « Avez-vous revêtu l’uniforme uniquement pour le plaisir de la beauté ? ». Le directeur du programme Éthique, politique, économie de l’Université catholique ukrainienne, Yuriy Pidlisnyi, a expliqué d’un point de vue philosophique pourquoi la famille hétérosexuelle est la base des relations de marché et pourquoi le projet de loi 9103, en détruisant la famille, tente également de saper l’économie nationale. Pour le syndicat Action directe « Cet événement, qui s’est déroulé dans des locaux et avec des équipements achetés avec l’argent des contribuables ukrainiens, témoigne non seulement de l’attitude profondément homophobe et réactionnaire des « représentants » du peuple, c’est-à-dire de nos représentants. Ce phénomène social est une réaction à la crise sociale causée par le sous-financement des structures publiques et le fondamentalisme du marché des gouvernements qui ont travaillé dans l’intérêt des oligarques pendant 30 ans. En raison des coupes dans l’éducation, l’analphabétisme et une vision pseudo-scientifique du monde empêchent les gens de comprendre les causes des crises sociales. C’est pourquoi nous avons besoin d’une éducation de qualité, accessible et égalitaire qui prenne en compte les intérêts et les opinions des étudiants, et pas seulement l’administration de l’université. Une telle éducation est intrinsèquement anticapitaliste, inclusive et démocratique, et la lutte pour cette éducation commence par un syndicat étudiant indépendant. »