Poutine : de victoire en victoire jusqu’à la catastrophe finale !

« Grandeurs passées et pleurer en les racontant ». Ce vers de Solomos [1] (résume et reflète parfaitement le sentiment laissé – tant aux ennemis qu’aux amis – par le défilé du 9 mai de cette année sur la Place Rouge de Moscou en présence de M. Poutine et d’autres éminences de son régime. Pourquoi ? Mais, parce que ce qui a distingué le défilé de cette année, c’est sa pauvreté désespérante par rapport au défilé de l’année dernière et à tous les « défilés grandioses » du 9 mai des deux dernières décennies !

En effet, alors que par le passé les dirigeants étrangers et autres officiels assistant au défilé se pressaient sur la tribune, cette année ils étaient comptés sur les doigts d’une main, et en plus ils impressionnaient avec leur air morose. L’isolement international de la Russie de M. Poutine était plus que manifeste, car étaient absents non seulement les représentants de certains pays voisins autrefois « neutres » que M. Poutine a poussé dans les bras d’un l’OTAN revigoré par ses soins, à la grande consternation des anti-impérialistes du monde entier. Mais, était aussi absent la plupart des dirigeants des anciennes républiques soviétiques d’Eurasie, jusqu’il y a peu aux ordres de Moscou.

Mais la pauvreté de la tribune d’honneur des dignitaires étrangers n’était rien comparée à la pauvreté du défilé du 9 mai lui-même. Au lieu des centaines de chars et autres véhicules blindés et non blindés des années précédentes, il n’y avait cette année qu’un seul vieux char, probablement sorti d’un musée militaire ! Et au lieu des dizaines de missiles de toutes sortes, cette année, seulement deux missiles nucléaires. Et, bien sûr, pas d’avions et beaucoup moins de fantassins, tandis que le célèbre défilé du « régiment des immortels »a été « annulé pour des « raisons de sécurité », sans doute pour éviter l’intrusion de personnes qui brandiraient non pas des photos de leurs ancêtres morts pendant la Seconde Guerre mondiale, mais de leurs parents morts dans l’« opération militaire spéciale » en cours de M. Poutine en Ukraine. Et tout cela sur la Place Rouge de Moscou où le défilé a eu quand même lieu, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, et plus précisément dans 9 régions (oblasts) de la Fédération de Russie, où – pour la première fois ! – aucun défilé n’a eu lieu, toujours pour les fameuses… « raisons de sécurité »…

Bien entendu, les causes de cette pauvreté sans précédent du défilé du 9 mai de cette année n’ont pas échappé à l’attention des médias internationaux : « l’opération militaire spéciale » de M. Poutine contre l’Ukraine tourne à tous égards si mal pour lui et son régime que la pauvreté du défilé du 9 mai de cette année en est le miroir, le témoin irréfutable et, en même temps, la conséquence directe de son échec. Ainsi, les chars et autres systèmes d’armes ne sont pas apparus cette année sur la Place Rouge parce tout simplement ils n’existaient et n’étaient pas disponibles, car ils se trouvent soit en Ukraine et ne peuvent pas en être retirés, soit ils n’existent plus car ils ont été détruits par les Ukrainiens. En d’autres termes, la pauvreté du défilé de cette année est extrêmement éloquente et significative car elle reflète fidèlement la crise profonde et la « pauvreté » actuelle de l’armée et de l’arsenal russes !

Ainsi, mieux que les « analyses » fantaisistes de la situation et des intentions des belligérants, auxquelles nous ont habitués les commentateurs plus ou moins poutinisants de la guerre russo-ukrainienne, ce sont les événements eux-mêmes et le déroulement des opérations de guerre qui permettent de voir clair et de tirer des conclusions utiles. Comme le fait indéniable que l’initiale « promenade de santé » militaire prévue par le Kremlin pour « dénazifier » l’Ukraine a non seulement échoué lamentablement mais a laissé place à une guerre (défensive) de positions, cependant interrompue par deux succès majeurs des Ukrainiens : d’abord, l’éjection de l’armée russe de Kharkiv et de ses environs, puis la reprise de Kherson, la seule capitale régionale dont les envahisseurs russes avaient réussi à s’emparer [2]. Et ensuite, le fait tout aussi indéniable que la très médiatisée « contre-offensive russe » dans le Donbass, qui a été lancée au début de 2023, fait du surplace et n’a rien réussi, alors que dans le même temps le siège de la ville de Bakhmout, devenu un objectif militaire (et politique) de choix du Kremlin, s’éternise désespérément après 9-10 mois (!) d’efforts infructueux, qui ont conduit à une boucherie sans précédent, dont les principales victimes sont les mercenaires de l’armée privée Wagner, dont le propriétaire (oligarque et ancien détenu) Evgeny Prigojine a recruté principalement dans les prisons russes.

Tous ces faits sont indéniables, tout comme il est indéniable que la « privatisation de la guerre », bien qu’elle soit apparue pour la première fois aux États-Unis avec l’organisation mercenaire Blackwater, n’a pris nulle part ailleurs dans le monde les dimensions – qualitatives et quantitatives – qu’elle a prises dans la Russie de M. Poutine. Et ce pour deux raisons : parce qu’en Russie, il ne s’agit plus seulement du fameux Wagner de Prigozhin, mais aussi d’au moins 6-7 autres « armées » privées opérant en Ukraine ou ailleurs, plus ou moins dépendantes et téléguidées par le Kremlin, l’état-major de l’armée, certains gouverneurs régionaux ou quelques oligarques ! Et parce que, contrairement à ce qui peut se passer aux Etats-Unis et dans d’autres pays, ces armées privées russes ne se limitent pas à leurs « tâches » militaires mais font aussi de la politique à l’extérieur (par exemple en Afrique et au Moyen-Orient) et à l’intérieur même de la Russie, où commencent à se constituer diverses « seigneuries » qui concurrencent de fait le pouvoir central !

C’est ainsi qu’on voit dernièrement M. Prigojine élever de plus en plus la voix pour dénoncer – ou plutôt insulter grossièrement – des piliers de l’État russe et du régime poutinien, comme le ministre de la défense, le chef des armées et nombre de ses généraux d’état-major, allant même jusqu’à les accuser de haute trahison et à proposer leur exécution ! Et comme si tout cela ne suffisait pas, M. Prigozhin ouvre des bureaux de son nouveau – et déjà influent – parti politique un peu partout en Russie, pour confirmer qu’en plus de ses activités entrepreneuriales et militaires, il a aussi de grandes ambitions politiques. En d’autres termes, toutes ces armées privées, et en particulier la Wagner de M. Prigojine, constituent un véritable ..État dans l’État, déstabilisant et fragmentant la Fédération de Russie et affaiblissant désespérément ses forces armées qu’elles concurrencent, voire qu’elles remplacent ! Conclusion : ne serait-ce que pour cette raison, la Russie de M. Poutine est condamnée non seulement à ne pas l’emporter sur le champ de bataille, mais aussi à entrer – malheureusement – dans un processus extrêmement dangereux qui mène progressivement à la désintégration peut être violente du pays !…

***

Tout au long de l’année passée, tant de choses ont donc changé en Russie, mais une chose est restée la même, inchangée : la tradition qui veut que M. Poutine appelle « Russes » tous les morts de l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, afin que sa Russie d’aujourd’hui puisse usurper et ne pas partager avec les autres nations et nationalités de l’Union soviétique la lutte antifasciste et la grande victoire de l’URSS contre le Troisième Reich. Comme nous l’écrivions presque jour pour jour il y a un an : « quand Poutine et sa propagande grande-russe non seulement ignorent les sacrifices de tous ces peuples, nations et nationalités, mais vont jusqu’à confisquer leurs sacrifices et leurs morts en les attribuant à des… « Russes », nous n’avons plus une simple fraude, un simple mensonge, mais quelque chose de bien pire, un vrai sacrilège ! Et le pourquoi de ce sacrilège est manifeste. Ayant décrété qu’il n’y a pas de nation ukrainienne, Poutine ne peut évidemment pas admettre qu’il y a eu des millions d’Ukrainiens qui sont morts en combattant le Troisième Reich il y a 80 ans. Et plus encore, il lui est inconcevable d’accepter que les pertes humaines ukrainiennes aient été proportionnellement plus importantes que les pertes russes déjà effroyables. En fait, comme il s’obstine à déclarer que les Ukrainiens ne sont rien d’autre que des Russes « nazifiés », il finit – tout à fait « raisonnablement » dans sa déraison – par russifier aussi… leurs morts de la Seconde Guerre mondial » [3]. Et tout cela alors que « le pourcentage de Russes morts (12,7%) est inférieur au pourcentage moyen de toute l’Union soviétique (13,7%) ! Et pas seulement çaLe pourcentage de l’Ukraine est considérablement plus élevé (16,3%), ce qui la place en deuxième position en termes de pertes humaines, après la Biélorussie (25,3%), qui a payé le plus lourd tribut de sang ».[3]

Malheureusement, cette mystification sacrilège, qui sert des objectifs politiques tout à fait clairs, a été perpétuée cette année par la majorité des médias, tantôt de bonne foi, tantôt de mauvaise foi et à dessein. Notre conclusion n’est donc pas différente de celle de l’année dernière, lorsque nous écrivions que dans la Russie de Poutine « force est de constater que les fantômes du passé hantent le présent comme jamais auparavant, au moment où même le terrible tribut de sang payé par la population soviétique dans sa lutte antifasciste fait aujourd’hui l’objet d’une opération bien orchestrée de falsification de l’histoire. Juste pour servir les besoins propagandistes du pilleur de tombes sans scrupules qu’est M. Poutine ! ».Ce M. Poutine qui rêve des grandeurs impériales mais qui mène fatalement son pays et ses compatriotes à la catastrophe…

Notes
[1]
Dionisios Solomos (1798-1857), grand poète grec, originaire de Zante, auteur du long poème “l’hymne à la liberté”, dont est extrait le vers cité au tout début de l’article. L’hymne à la liberté mis en musique est devenu l’hymne national grec.
[2]
Voir aussi l’article « L’état désastreux de l’armée russe, reflet fidèle des tares du poutinisme agonisant » :
https://www.pressegauche.org/L-etat-desastreux-de-l-armee-russe-reflet-fidele-des-tares-du-poutinisme
[3] Voir l’article : « 
Pourquoi Poutine fait-il de tous les morts soviétiques de la Deuxième Guerre mondiale… des « Russes ? » :
https://blogs.mediapart.fr/yorgos-mitralias/blog/160522/pourquoi-poutine-fait-il-de-tous-les-morts-sovietiques-de-1941-1945-des-russes

Yorgos Mitralias 
Traduit du grec

Putin, di vittoria in vittoria fino alla catastrofe finale
https://refrattario.blogspot.com/2023/05/putin-di-vittoria-in-vittoria-fino-alla.html

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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