Du coté du polar (juillet 2023)

  • Chiara Montani : Le mystère de la fresque maudite
  • Tristan Mathieu : 1800, La main de sang
  • Ed Lacy : Traquenoir
  • James Lee Burke : Une cathédrale à soi

Polars historiques

Florence 1458
Piero della Francesca est une figure difficile à cerner, faute de détails biographiques avérés. Un appel pour en faire une figure fantomatique de détective, d’enquêteur dans cette Florence du milieu du 15e siècle habitée par le pouvoir de Cosimo de Médicis. Chiara Montani se l’approprie en même temps qu’elle nous propose une lecture de ses œuvres en mettant au premier plan une fresque, qualifiée de « maudite » parce qu’elle a provoqué en son temps l’ire de l’Inquisition. A partir de cette trame, elle développe un complot provenant du fin fond de la mémoire, raconté – c’est une force – par une donzelle démunie d’informations que Piero et son tuteur lui cachent. Lavinia raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle apprend de manière naïve permettant à l’autrice tous les renversements de situation pas toujours justifiés.

« Le mystère de la fresque maudite » nous fait entrer dans la Florence des Médicis et de l’Inquisition imbécile, équilibre des pouvoirs toujours remis en cause, toujours en bascule. Etat et Eglise ne parvenant pas à faire bon ménage. Elle décrit l’appareillage des tortures qui oblige forcément l’accusé à se déclarer coupable. Assez curieusement ces instruments de torture se retrouvent dans le roman de James Lee Burke, « Une cathédrale à soi ».

Une autrice à découvrir, comme le monde qu’elle décrit, l’architecture de Florence – elle est architecte de formation – et la manière de travailler comme l’art de Piero de la Francesca.

Chiara Montani : Le mystère de la fresque maudite, traduit de l’Italien par Joseph Antoine, 10/18


Paris, 1800
Tristan Mathieu
est, paraît-il, le pseudonyme d’un jeune historien. Il faut dire que le Paris de 1800, Bonaparte en qui perçait Napoléon, pour paraphraser Victor Hugo, est en Italie déjà habitué à la conquête. La Révolution a perdu de son charme. Les corrupteurs et corrompus occupent le devant de la scène à commencer par Joséphine de Beauharnais épouse du Premier Consul. La rumeur prend soudain de la consistance. Bonaparte serait mort. L’auteur décrit la panique qui s’empare des institution, chacun.e voulant prendre la place du défunt pour continuer ses affaires à commencer par le frère du futur Empereur. Talleyrand et Fouché vont s’unir pour prendre le pouvoir face à cette disparition. Les descriptions de ces deux protagonistes sont l’un des coups de maître de ce roman, « La main de sang ». L’autre se trouve dans la création de deux personnages dépendants de Talleyrand. L’un qui a fuit la France au moment de la Terreur, Armand de Calvimont, l’autre Julie, descendante d’une ci-devant, pupille de Talleyrand qui se sert d’eux sans vergogne.

Tristan Mathieu a su recréer l’ambiance du temps. De temps à autre, il donne l’impression de réaliser un reportage dans la manière de décrire les événements.
Une réussite.

Tristan Mathieu : 1800, La main de sang, 10/18


Noir c’est noir
Un auteur disparu, Ed Lacy

Leonard Zinberg (1911-1968) a publié sous son nom quatre romans et plusieurs nouvelles. Juif marié à une Noire et père adoptif d’une enfant Noir, il allait aggraver son cas en devenant Communiste et en faisant de son entourage les personnages principaux de ses romans. Il allait bien sur être rattrapé par le maccarthysme, « la chasse aux sorcières » des années d’après la seconde guerre mondiale qui allait se traduire par une profonde remise en cause des libertés démocratiques. On voit que la rhétorique de Trump a quelques antécédents. Blacklisté, comme beaucoup d’autres, Leonard ne devra son salut d’écrivain qu’aux romans noirs, sous le nom notamment de Ed Lacy.

Toutes ces informations sont extraites de la préface de Roger Martin qui permet de faire connaissance avec l’auteur, sacrifié – il n’est pas le seul – sur l’autel de la série noire dirigée par Marcel Duhamel qui cherchait à vendre pour assurer la survie de la collection tout en respectant le format des 120 pages, sacrifiant souvent les réflexions politiques des personnages comme la psychologie des personnages.

La traduction nouvelle de Rager Martin, qui s’appuie tout de même sur les précédentes, fait découvrir au lecteur français un des auteurs du polar tout en dessinant le portrait de cette Amérique raciste et anti communiste. Ed Lacy construit un « privé » africain-américain en butte au rejet mais aussi au paternalisme de la bien pensante bourgeoisie qui ne s’aperçoit pas du racisme qu’elle transporte, dégoulinant de bonnes intentions. Un privé qui s’appelle Toussaint Marcus Moore ne pouvait qu’être le coupable tout trouvé d’un meurtre dont les racines remontent loin, du côté de Bingston dans l’Ohio où la population américaine vit dans ses quartiers.

Le titre trouvé par Roger Martin, qu’il explique, « Traquenoir », synthétise à la fois la traque, le complot et la désignation du Noir comme le responsable de tous les maux de la société américaine. A découvrir de toute urgence.

Ed Lacy : Traquenoir, traduit et préfacé par Roger Martin, 10/18


Robicheaux au milieu de nul part

James Lee Burke aime les fantômes. Ils arrivent à être plus vrais que les vivant.e.s souvent proches des morts. En Louisiane, le vaudou reste présent et sait invoquer les morts-vivants. « Une cathédrale à soi » est une peinture quasi intemporelle – jamais n’apparaît une date pour se repérer dans le temps – du Bayou et des errances de Dave Robicheaux associé à Cletus, l’ami de toujours, réceptacle de toutes les violences, de toutes les violences face aux néo-nazis en train de peupler les Etats-Unis bien après la chasse aux sorcières, comme si le maccarthysme avait marqué de son empreinte terrifiante la terre comme les villes américaines.

L’intrigue vient, comme souvent, de Shakespeare, de Roméo et Juliette qui prend l’apparence d’un couple de jeunes gens, Isolde Balangie et Johnny Shondell issus comme il se doit de deux familles de gangsters ennemis, qui ont fait fortune dans le trafic d’esclaves pour l’origine de leurs fortunes.

Un bourreau venant du fond des âges, 1600 en l’occurrence, veut se faire pardonner tous ses sévices – il était aux côtés de Mussolini – pour retrouver la paix de son cercueil et cesser d’encombrer les humains dans leur lutte pour le mal. Shondell semble être une incarnation de Trump ou l’inverse, on ne sait plus. Le fil se casse de temps en temps mais l’auteur sait d’un seul coup retrouver la grâce ou le malheur de son histoire.

Le brouillard du bayou sait cacher tous les trésors, toutes les turpitudes tout en dévoilant aux esprits fous les réalités enfouies au fin fond de nos cerveaux. « Les morts s’accrochent aux vivants » avait écrit Javier Cercas, James Lee Burke en fait une nouvelle démonstration.

Pourtant rien n’est jamais définitif surtout l’amour des jeunes gens mêmes s’ils savent chanter notre nostalgie, nos souvenirs.

James Lee Burke : Une cathédrale à soi, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Noir

Nicolas Béniès

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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