Iran entretien avec Frieda Afary [en deux parties]

Démêler l’écheveau de l’histoire iranienne avec Frieda Afary : droits des femmes, contradictions de classe, fondamentalisme islamique et erreurs des forces de gauche

Frieda Afary est une militante féministe socialiste irano-américaine, traductrice et écrivain. Elle est bibliothécaire à Los Angeles. En 2022, son livre « Socialist Feminism : A New Approach » a été publié par Pluto Press. Dans cet ouvrage, elle évalue de manière critique diverses articulations du féminisme socialiste et explique pourquoi il est nécessaire pour lutter contre la montée mondiale de l’autoritarisme et du fascisme. Frieda suit de près les événements en Iran et a organisé de nombreuses discussions et publications pour soutenir le soulèvement féministe et anti-autoritaire dans le pays. Elle a également organisé des événements de solidarité et des publications pour s’opposer à l’invasion russe en Ukraine et promouvoir la cause de la résistance ukrainienne.

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Dans la première partie de cet entretien, elle donne une explication historique et structurelle détaillée de la manière dont les fondamentalistes islamiques sont arrivés au pouvoir en Iran, y compris une évaluation critique du rôle que les gauchistes iraniens ont joué dans ce processus en se concentrant exclusivement sur l’opposition à l’impérialisme occidental. Dans la seconde partie de cet entretien Frieda parle du plus récent soulèvement féministe et anti-autoritaire dans le pays, ainsi que de l’invasion russe de l’Ukraine et des défis pour les mouvements progressistes mondiaux.

Il y a eu ces photos de l’Iran du début des années 60 et 70, circulant dans les médias sociaux, montrant des femmes dans les universités, sur leur lieu de travail et dans la rue, la tête non couverte et dans des tenues modernes. Le contraste avec la situation en Iran, établie après la révolution islamique, est frappant et ces photos sont présentées pour saisir ce contraste. Dans quelle mesure ces femmes émancipées reflétaient-elles la situation réelle des femmes dans les années 60 et au début des années 70 en Iran ?

Dans la première moitié du 20e siècle, nous avons assisté à l’émergence de la modernisation en Iran, mais à l’exception de la révolution constitutionnelle de courte durée de 1906-1911, il s’agissait d’une modernisation par le haut, basée sur l’autoritarisme. À partir des années 1920, le nouveau roi d’Iran, Reza Pahlavi, s’est considéré comme la version iranienne d’Atatürk. Il y a eu quelques ouvertures dans le domaine de l’éducation, y compris dans celui de l’éducation des femmes. Il a également imposé le retrait obligatoire du hijab. Des policiers se déplaçaient et obligeaient les femmes à retirer leur hijab. Pahlavi voulait que les femmes aient l’air modernes, et il ne voulait pas que l’Iran ait l’air rétrograde face à l’Occident. Il y a eu une industrialisation capitaliste d’État. L’Iran a été partiellement occupé par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale parce que le roi avait des sympathies nazies. Les Alliés l’ont exilé et ont placé son fils, Mohammad Reza Pahlavi, au pouvoir.

Il y a eu quelques ouvertures politiques dans les années 1940. L’URSS a également exercé une grande influence sur l’esprit des intellectuels à cette époque. Staline a malheureusement eu un impact considérable sur les intellectuels iraniens. Il doit être reconnu comme ayant une idéologie horrible et un système autoritaire basé sur le capitalisme d’État et la domination. Mais en Iran, Staline avait des partisans en raison de son opposition au capitalisme occidental, et de très nombreux intellectuels sont devenus staliniens.

Dans les années 1950, le Premier ministre iranien Mohammad Mosaddegh a nationalisé l’industrie pétrolière. Il souhaitait également la modernisation, mais il critiquait le système monarchique. En 1953, il est renversé par un coup d’État soutenu par les États-Unis. Le coup d’État a également été soutenu localement par les fondamentalistes islamiques qui s’opposaient à tout effort visant à créer des droits civils et des libertés pour les femmes, ainsi qu’à certains efforts de modernisation. Sans le soutien des fondamentalistes islamiques, le coup d’État contre Mosaddegh n’aurait pas réussi.

Le Shah, Mohammad Reza Pahlavi, est revenu et Mosaddegh a été assigné à résidence à l’intérieur du pays pour le reste de sa vie. Après le coup d’État de 1953, nous avons assisté à la poursuite de la modernisation par le haut, mais sans les ouvertures politiques qui existaient dans les années 1940. L’Iran s’est inscrit dans la vague de croissance économique que le monde a connue après la Seconde Guerre mondiale. En ce qui concerne les femmes, les militant·es des droits de la femme faisaient pression pour obtenir certains droits fondamentaux en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’héritage.

Au début des années 70, l’Iran s’est doté d’une modeste loi sur la protection de la famille qui accordait aux femmes certains droits en matière de divorce et de garde des enfants. Les fondamentalistes islamiques y étaient très opposés. En général, cependant, les libertés politiques fondamentales étaient réprimées. Les livres étaient interdits et il y avait des prisonnier·es politiques : Les jeunes étaient envoyés en prison pour avoir lu des livres interdits ou pour avoir organisé une réunion ou une discussion qui s’opposait à la monarchie. En ce qui concerne le hijab, les autorités n’ont pas imposé le retrait du hijab. Vous aviez le droit de porter le hijab ou non, et vous n’étiez pas arrêtée pour l’un ou l’autre motif. Les femmes pouvaient travailler, aller à l’école ou à l’université.

Au même moment, un autre changement social important s’est produit dans le pays : l’administration du Shah a imposé un programme très modeste de réforme agraire. Les fondamentalistes islamiques étaient opposés à la réforme agraire, même si elle était modeste, et ils s’opposaient à tout changement donnant des droits aux femmes.

Cet effort de réforme agraire n’a pas abouti à l’attribution de terres aux paysans. Mais ce qui s’est passé, c’est que les paysans ont été chassés de leurs terres et sont venus dans les villes, où ils sont devenus des ouvriers du bâtiment et des travailleurs manuels. Ils ont également été victimes de la propagande des fondamentalistes islamiques. Les paysans arrivaient dans les villes, après avoir perdu tout ce qu’ils avaient sur la terre dans le système féodal, et étaient exposés à la propagande des fondamentalistes islamiques et voyaient les différences de classe, devaient vivre dans des bidonvilles, sans aucun droit. Cette division des classes, le fait que les paysans arrivaient dans les villes et se retrouvaient sans abri, et toutes ces contradictions entre la modernisation forcée venue d’en haut et la situation réelle sur le terrain, tout cela a créé les conditions de la révolution. Ces conditions ont également permis aux fondamentalistes islamiques d’avoir une audience de masse. Les fondamentalistes islamiques disaient qu’ils étaient contre la monarchie et qu’ils étaient contre ce type de modernisation – donner trop de droits aux femmes. Ils étaient contre le mélange de personnes issues de différentes minorités religieuses. Ils étaient résolument opposés à la minorité religieuse bahaïe en Iran et très antisémites.

Lorsque la révolution contre la monarchie a commencé en 1978-1979, nous avions la jeunesse étudiante, qui suivait principalement le stalinisme ou le maoïsme, et nous avions les fondamentalistes islamiques qui faisaient appel aux masses, appelaient aux valeurs islamiques et en même temps à la justice sociale. Ils s’appuyaient sur le fait qu’il y avait une grande inégalité entre les classes en Iran. Lorsque les grèves se sont généralisées et que la révolution a renversé la monarchie, les fondamentalistes islamiques ont pu prendre le dessus, à la fois parce qu’ils disposaient d’une force de masse, mais aussi parce que les intellectuel·les, influencé·es par le stalinisme et le maoïsme, ne pensaient qu’à s’opposer à l’impérialisme américain. La plupart des intellectuel·les de gauche et nationalistes pensaient pouvoir conclure une alliance avec les fondamentalistes religieux pour se débarrasser du roi et prendre le pouvoir.

Pour revenir à votre question sur les photos de femmes à l’allure moderne de la fin des années 1960 et des années 1970, à cette époque, certaines femmes sortaient avec les tenues modernes que vous avez vues sur ces photos, principalement en milieu urbain et dans les classes moyennes ou supérieures. Toutefois, certaines femmes de la classe ouvrière, si elles le souhaitaient et si leur famille les laissait faire, sortaient sans hijab. Il y avait aussi beaucoup de contradictions aux différents niveaux de la société. Sur cette question, et sur plusieurs autres, je recommande vivement le livre « Sexual politics in modern Iran », écrit par Janet Afary, ma sœur. Elle décrit en détail le processus de modernisation et toutes les contradictions qu’il recèle.

Comment s’est déroulée la résistance des femmes après la révolution iranienne de 1979 et pourquoi a-t-elle échoué ? Y a-t-il eu des luttes aux étapes suivantes ? Peut-on déceler les racines du soulèvement actuel dans les paysages antérieurs à la révolution et dans les premières luttes postrévolutionnaires ?

Après que la révolution a renversé la monarchie Pahlavi en février 1979, l’un des premiers signes de la contre-révolution a été l’ordre donné par l’ayatollah Khomeini aux femmes de porter le hijab dans les bureaux du gouvernement. Une très importante manifestation de femmes a eu lieu le 8 mars 1979. Il s’agissait de femmes qui avaient participé à la révolution, et beaucoup d’entre elles étaient des femmes de gauche, qui scandaient : « Nous n’avons pas fait la révolution » : « Nous n’avons pas fait la révolution pour revenir en arrière ». Elles ont compris que cet ordre de porter le hijab était le signe de bien d’autres choses encore plus graves à venir. Une petite partie de la gauche iranienne a d’abord soutenu ces femmes, et il y a même eu quelques hommes de gauche qui sont venus à leur manifestation et ont protégé les femmes contre les attaques des fondamentalistes islamiques. Mais même cette petite partie de la gauche qui soutenait les manifestations des femmes leur a dit après quelques jours : « Vous savez, vous devriez arrêter cela parce que cela détourne vraiment l’attention de l’objectif principal de la lutte, qui est de combattre l’impérialisme américain ». Ce fut un véritable échec lorsque l’on a dit à ces femmes de rentrer chez elles et qu’elles n’ont pas reçu le soutien dont elles avaient besoin. Le dernier mouvement « Femme, vie, liberté » se présente comme le continuateur des efforts de ces femmes. Elles sont fières des femmes qui se sont manifestées à l’époque et qui ont protesté contre le hijab obligatoire.

Que s’est-il passé alors ? Il y a eu l’agression des femmes et l’agression des droits de la minorité kurde, qui réclamait l’autodétermination. De nombreux Kurdes ont été exécuté·es. À la fin du mois de mars 1979, un référendum a été organisé pour déterminer si les gens voulaient ou non une République islamique. La majorité a voté « oui ». Les fondamentalistes islamiques bénéficiaient d’un très large soutien de masse, de sorte que même si ce référendum a été quelque peu frauduleux, il ne l’a pas été entièrement, malheureusement. Même certains activistes de gauche ont voté « oui » à ce référendum. Ils considéraient qu’il s’agissait d’un effort pour lutter contre l’impérialisme américain. Et c’était vraiment insensé.

En outre, en décembre 1979, certains partisans de l’ayatollah Khomeini se sont emparés de l’ambassade des États-Unis en Iran et ont utilisé cette action comme un symbole de l’anti-impérialisme et une arme pour faire taire toute opposition progressiste aux fondamentalistes islamiques. De nombreux membres de la gauche iranienne ont acclamé la prise de contrôle de l’ambassade et l’ont qualifiée d’acte anti-impérialiste.

À ce stade, l’opposition déployait encore quelques efforts, mais elle faisait l’objet d’attaques de plus en plus virulentes. Les journaux critiques sont fermés et il devient de plus en plus difficile de tenir des réunions dans les universités. À la fin du mois de juin 1981, le gouvernement a utilisé l’explosion d’une bombe organisée par les Mojahedeen Khalq, au siège du Parti républicain islamique d’Iran, le 28 juin 1981, comme prétexte pour lancer une répression sanglante contre toute opposition. Les Mojahedeen Khalq étaient des disciples d’Ali Shariati, un penseur islamique décédé qui avait tenté de combiner l’islam et certains aspects du socialisme étatique. Le gouvernement a profité de l’explosion de cette bombe pour réprimer la gauche.

La guerre Iran-Irak a commencé en septembre 1980. L’Irak de Saddam Hussein a attaqué l’Iran à l’automne 1980 et l’Iran a profité de cette occasion pour promouvoir cette mentalité : « Nous sommes en guerre, nous sommes attaqués, nous devons donc tous nous rassembler autour de la République islamique et n’accepter aucune opposition, et si nous critiquons le gouvernement, nous aiderons l’ennemi irakien ». Au moins un demi-million de personnes ont été tuées des deux côtés pendant la guerre et des millions ont été blessées. Au printemps 1981, l’Irak était prêt à mettre fin à la guerre, mais Khomeini et le gouvernement iranien n’ont pas accepté. Ils ont insisté pour que la guerre se poursuive pendant huit ans afin de promouvoir le fondamentalisme religieux et de détourner l’attention de la contre-révolution interne en Iran. La guerre n’a pris fin qu’en août 1988, lorsque l’Iran était complètement ruiné, et Khomeini a finalement accepté un cessez-le-feu.

Tous ces éléments ont contribué à consolider la contre-révolution. Que s’est-il passé alors que la guerre se terminait ? Au cours de l’été 1988, il y a eu une nouvelle vague d’exécutions de prisonniers politiques : militants de gauche et moudjahidines, y compris des femmes. L’ayatollah Khomeini a ordonné ces exécutions, qu’Amnesty International estime à 5 000.

Après la fin de la guerre, certaines femmes se sont efforcées de se réunir pour discuter chez elles. Je parle de femmes politiques, de femmes qui avaient survécu aux assauts de la contre-révolution, de femmes qui avaient survécu à la guerre. Qu’en est-il des droits des femmes en général ? D’une part, la République islamique a réprimé les droits des femmes et les a obligées à porter le hijab. D’autre part, après la guerre, l’État a utilisé une partie des revenus de l’industrie pétrolière pour construire des infrastructures, notamment des universités. La République islamique a autorisé les femmes à fréquenter les universités, à condition qu’elles portent le hijab et qu’elles se soumettent à toutes les restrictions du système éducatif. C’était un moyen pour les femmes de sortir de chez elles, et les femmes qui, auparavant, n’avaient pas été autorisées à poursuivre leurs études en raison de leurs familles traditionnelles, ont pu aller à l’université. Comme il s’agissait d’universités islamiques, les familles avaient le sentiment que leurs valeurs n’étaient pas menacées.

Comment le paysage actuel des luttes en Iran a-t-il été créé par les précédentes protestations politiques et socio-économiques des années 2000 ? Quel était le contexte local et mondial de ces luttes ?

Tout ce dont j’ai parlé précédemment a conduit à une situation dans laquelle, dans les années 2000, nous avions plus d’étudiantes que d’étudiants à l’université. Au début des années 2010, 60% des étudiants universitaires étaient des femmes. C’était un résultat inattendu de l’islamisation. Par ailleurs, si la République islamique a retiré aux femmes les droits dont elles jouissaient sous la monarchie, elle a accordé certains droits aux femmes qui étaient prêtes à suivre l’islamisme et à promouvoir son idéologie et son système d’organisation. Les femmes étaient des citoyennes de seconde zone et elles devaient se couvrir, mais en même temps, si une femme suivait le système, celui-ci lui facilitait la vie. Il lui permettait de travailler, de promouvoir le travail organisationnel islamiste.

De nombreux enfants et petits-enfants de ces femmes se sont aujourd’hui retournés contre la République islamique et font partie du mouvement « Femme, vie, liberté ». De nombreuses femmes sont allées à l’université, sont plus ouvertes sur le monde et ont accès à l’internet. L’Iran est devenu plus alphabétisé après la révolution, du simple fait que ces universités et ces écoles ont été construites et que davantage de personnes ont été alphabétisées. Outre l’accès à l’internet, le développement des traductions a constitué une autre évolution très importante. Pour la gauche, celle qui a survécu, l’une des façons de contribuer était de traduire des textes de l’anglais, de l’allemand et du français. Des textes philosophiques, politiques et féministes étaient traduits. Certains étaient publiés de manière partiellement censurée, d’autres dans la clandestinité. J’ai moi-même participé à la co-traduction de quatre livres de philosophie sociale et politique, dont les œuvres de Raya Dunayevskaya, philosophe marxiste-humaniste d’origine ukrainienne. Ces livres ont été traduits en collaboration avec des collègues en Iran. Il s’agit de développements contradictoires : D’un côté, des agressions contre les femmes, de l’autre, des développements inattendus qui, d’une certaine manière, ont ouvert des portes aux femmes. Et c’est sur cela que les femmes s’appuient aujourd’hui.

Nous avons eu la campagne « Un million de signatures » en 2006-2007. Les militantes essayaient de recueillir un million de signatures pour mettre fin aux lois discriminatoires à l’encontre des femmes et pour exiger le respect des droits fondamentaux. Des droits tels que le divorce, la garde des enfants, le droit de voyager et de travailler. Cette campagne a été interrompue par le gouvernement et a contraint certaines de ses organisatrices à l’exil. Ensuite, nous avons eu le Mouvement vert, qui était un mouvement réformiste protestant contre l’élection présidentielle frauduleuse de 2009. Cette élection frauduleuse a porté au pouvoir un homme populiste et fondamentaliste religieux nommé Mahmoud Ahmadinejad. Le Mouvement vert était un mouvement de masse. Il était essentiellement urbain, mais il comptait des millions de partisan·es. Il a été écrasé et les personnes qui ont remporté les élections en 2009 ont été assignées à résidence.

En 2017, un soulèvement de masse a eu lieu contre le gouvernement. Pour la première fois depuis 1979, les manifestations de masse n’étaient pas seulement urbaines, mais aussi rurales. La participation de la classe ouvrière a été très forte et les manifestant·es ont exigé non seulement des réformes, mais aussi le renversement du régime. Elles et ils ont également demandé la fin des interventions impérialistes de l’Iran dans la région : Liban, Irak et Syrie. Elles et ils ont demandé la fin de la République islamique. C’était une nouvelle étape. Au même moment, nous avons eu le mouvement des femmes qui se déplaçaient, se mettaient sur des poteaux électriques, enlevaient leur hijab et se prenaient en photo. Le jour où une femme a enlevé son hijab sur un poteau électrique de l’avenue de la Révolution à Téhéran, c’était la veille du début du soulèvement de 2017.

En 2019, un autre soulèvement de masse a eu lieu, réclamant à nouveau la fin de la République islamique et de ses interventions impérialistes. En 2017 et 2019, les revendications ne portaient plus sur des réformes, mais sur le renversement de la République. Le soulèvement de 2019 a également été écrasé. Dans chaque cas, des milliers de personnes ont été arrêtées, beaucoup ont été tuées, beaucoup ont disparu, beaucoup sont encore en prison.

Le dernier soulèvement en date est bien sûr le mouvement « Femme, vie, liberté », qui a vu le jour en septembre 2022, alors que le gouvernement avait commencé à intensifier ses attaques contre les femmes qui portaient le hijab de manière lâche. Mahsa Zhina Amini, une jeune femme kurde en visite à Téhéran, a été arrêtée parce qu’elle ne portait pas son hijab « correctement ». Elle a été violemment battue en garde à vue et est décédée à l’hôpital. Elle n’est pas la seule à avoir été arrêtée et battue, voire à être décédée, pour n’avoir pas porté son hijab « correctement », mais elle est devenue un symbole du mouvement.

Frieda Afary interviewée par Oksana Dutchak
https://commons.com.ua/en/intervyu-z-fridoyu-afari-pro-prava-zhinok-v-irani/
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La rébellion iranienne, le rôle de la Russie et la responsabilité des intellectuels. Entretien avec Frieda Afary

Dans cette partie de l’entretien, la socialiste et féministe irano-américaine, traductrice et écrivaine Frieda Afary parle du plus récent soulèvement féministe et anti-autoritaire dans le pays, ainsi que de l’invasion russe de l’Ukraine et des défis pour les mouvements progressistes mondiaux.
Dans la première partie de cet entretien, publiée précédemment, Frieda donne une explication historique et structurelle détaillée de la manière dont les fondamentalistes islamiques sont arrivés au pouvoir en Iran, y compris une évaluation critique du rôle que les forces de gauche iraniennes ont joué dans ce processus en se concentrant exclusivement sur l’opposition à l’impérialisme occidental.

Quelle est la relation entre les revendications féministes, politiques et socio-économiques dans la dernière vague de protestations ?

Il y a beaucoup de colère non seulement parmi les femmes contre le hijab obligatoire, mais aussi de la part de la grande majorité de la population dans son ensemble qui ne pense plus que le hijab devrait être obligatoire. Les gens sont également en colère à cause de la crise économique et de la famine à laquelle ils sont confrontés, car ils ne sont pas en mesure de fournir à leurs familles suffisamment de nourriture, de vêtements, de logements et de soins de santé. Les minorités nationales telles que les Kurdes, les Arabes et les Baloutches font l’objet d’une discrimination de la part de l’État. Mahsa Amini était une femme kurde et elle est devenue le symbole de l’insatisfaction et de la souffrance des femmes en Iran depuis plus de 40 ans. En 2022, des manifestations ont eu lieu à Téhéran, au Kurdistan et dans tout le pays pour protester contre le hijab imposé. Les gens ne demandaient pas seulement la fin du hijab obligatoire. Ils demandaient également la fin de la République islamique, la fin de la brutalité de l’État et de la police, la fin des arrestations, la fin de la violence sexiste, de la répression et de la tyrannie.

Les personnes qui participent à ce mouvement actuel sont très jeunes. La majorité des manifestants du mouvement « Femme, vie, liberté » ont entre 15 et 19 ans. Il s’agit de lycéen·es, d’étudiant·es et de nombreux jeunes hommes et femmes au chômage. C’est un facteur très important : ce sont des jeunes. L’autre facteur très important est qu’il s’agit de jeunes qui sont connecté·es au monde par l’intermédiaire d’Internet et qui ont certaines attentes quant à leur avenir qui ne sont pas satisfaites.

Les manifestations les plus récentes ne concernaient pas seulement les droits des femmes et la lutte contre la dictature conservatrice, mais soulevaient également la question des droits des minorités ethniques. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Mahsa Zhina Amini était kurde, ce qui souligne le fait que les Kurdes sont une minorité nationale dont les droits ont été bafoués. Les minorités nationales en Iran comprennent également les Arabes dans le sud du pays et les Baloutches dans le sud-est de l’Iran, à la frontière avec le Pakistan. Il y a aussi les Turkmènes et les Azéris. De toutes les minorités nationales que j’ai mentionnées, les Azéris sont mieux intégrés dans le système. Il y a eu un certain nombre d’Azéris très influents dans l’histoire iranienne et au sein de la République islamique. En ce qui concerne les minorités nationales, des droits très fondamentaux leur ont été refusés, comme le droit d’utiliser leur langue comme langue d’enseignement et comme langue de l’administration, le droit de contrôler les ressources dans les régions où elles vivent – comment elles sont utilisées, quel est l’impact sur l’environnement, qu’advient-il des bénéfices. Telles sont les principales revendications – elles veulent le respect de leur culture, le droit de parler leur langue, le droit de contrôler leurs ressources et le droit de ne pas faire l’objet de discriminations. Elles ne demandent pas la séparation, mais elles veulent un système fédéraliste qui permettrait un certain niveau d’autonomie dans leurs régions.

L’un des problèmes soulevés contre l’autonomie est que la région où vivent la plupart des Kurdes, dans le nord-ouest, compte également beaucoup d’Azéris, et qu’il y a eu des conflits entre les Kurdes et les Azéris. Par exemple, on dit qu’en cas de fédéralisme, comment gérer le conflit entre les Kurdes et les Azéris ? Mais je pense que les Kurdes et les Azéris ont fait valoir que ces questions pouvaient être résolues, parce que le principal problème est qu’iels veulent être respecté·es, qu’iels veulent que leurs langues soient développées et qu’iels veulent un contrôle équitable des ressources.

Quelle est l’importance de l’élément nationaliste (kurde, sunnite/baloutche) dans les manifestations de 2022-2023 ? La résistance de la société ukrainienne a souvent été rejetée par certains représentants de la gauche mondiale comme contenant de nombreux éléments de droite et conservateurs. Existe-t-il de tels éléments dans la résistance iranienne ?

Il existe différentes tendances au sein des partis kurdes iraniens, dont certains ont formé des alliances avec d’autres puissances de la région. Toutefois, l’élément progressiste et le désir d’un système fédéraliste viable en Iran sont très forts chez les Kurdes iranien·es. Les éléments conservateurs et misogynes au sein de la direction baloutche ont été fortement critiqués par l’organisation féministe baloutche, Dasgoharan. Il existe également des éléments nationalistes conservateurs au sein de la population azérie et arabe. Toutefois, la majorité des minorités nationales iraniennes ne sont pas intéressées par le séparatisme.

Le nationalisme persan est très fort en Iran. Par exemple, Reza Pahlavi, le fils du roi déchu Mohammad Reza Pahlavi, a tenté de créer une alliance et de se présenter comme l’alternative pour accéder au pouvoir. Il a pu obtenir le soutien de Shirin Ebadi, la féministe iranienne qui a reçu le prix Nobel en 2004. Il a également reçu le soutien d’un leader kurde qui représente l’un des partis politiques kurdes, et d’un activiste bien connu de l’organisation des familles des personnes tuées dans l’avion ukrainien abattu par la République islamique en 2020. Cependant, il semble que l’alliance de Reza Pahlavi se désagrège en raison de ses pratiques autoritaires.

Nous avons également le nationalisme iranien des intellectuel·les iranien·nes qui ne sont pas monarchistes, mais qui veulent un Iran unifié. Iels sont très attachés à la promotion de la culture/langue persane et s’opposent à l’idée de promouvoir différentes langues. Iles affirment que cela conduira au séparatisme. Iels constituent un élément très fort de la société iranienne, qu’il ne faut pas négliger.

Ensuite, il y a bien sûr la République islamique elle-même, qui a la capacité de se débarrasser de son aspect fondamentaliste religieux et de devenir un État autoritaire laïque comme le régime d’Assad en Syrie. C’est une autre possibilité, qui serait également très basée sur le nationalisme perse/chiite. Ce sont toutes des possibilités très dangereuses.

Ces éléments nationalistes dans la société et les manifestations iraniennes ont-ils une influence sur la solidarité des mouvements féministes et de gauche dans le monde ? Y a-t-il des gens dans d’autres pays qui disent qu’ils ne peuvent pas soutenir les manifestations en Iran parce qu’il y a des nationalistes dans le mouvement iranien ?

C’est une très bonne question. Heureusement, les militant·es iranien·es font beaucoup d’efforts pour se concentrer sur le fait qu’iels sont contre l’impérialisme occidental, pour les droits du travail et pour les droits des femmes. C’est pourquoi cet élément de nationalisme de droite, même s’il est présent et très dangereux, n’est toujours pas utilisé par la gauche occidentale pour dénigrer le mouvement iranien en ce moment.

Quelles sont, selon vous, les principales menaces qui pèsent actuellement sur le mouvement progressiste en Iran ? Y a-t-il des menaces à l’intérieur de la dynamique du mouvement ?

Je pense que les menaces extérieures sont certainement énormes   le gouvernement lui-même et sa machine répressive qui est très puissante, et qui reçoit le soutien de la Russie et de la Chine. Poutine a même proposé d’envoyer des troupes en Iran peu après l’apparition du mouvement « Femme, vie, liberté » à l’automne 2022. Et je me demande si la Chine va envoyer des troupes en Iran pour défendre le gouvernement ? La Russie enverra-t-elle des troupes en Iran à un moment ou à un autre ? C’est une préoccupation majeure, sans parler de la puissance militaire du régime lui-même.

Sur le plan intérieur, je pense que le nationalisme iranien des monarchistes et des nationalistes laïques constitue une menace. Je dirais même que les nationalistes laïques sont encore plus menaçants que les monarchistes.

S’il n’y a pas de reconnaissance des droits des minorités nationales, pas de système alternatif qui prenne en compte les droits de toustes et en particulier des femmes et les préoccupations environnementales au sein de chaque identité nationale, il pourrait y avoir des combats entre les différentes régions du pays.

Quel est le programme positif de la résistance iranienne ? Quels sont les points négociés et quel est le cours de son développement en général ?

J’ai essayé de résumer la vision positive qui a été exposée par les militantes féministes iraniennes au cours des derniers mois dans mon article « This International Women’s Day, Iranian Feminists Are at the Front Lines » (Cette journée internationale de la femme, les féministes iraniennes sont en première ligne). Cet article s’appuie sur la Déclaration des revendications minimales des syndicats iraniens indépendants et des organisations de la société civile. Cette déclaration a été publiée le 14 février et a été approuvée par les principaux groupes progressistes, syndicaux, de défense des droits des femmes et de certaines minorités nationales du pays. La déclaration dit ceci :

« Les manifestations fondamentales qui ont éclaté aujourd’hui, organisées par les femmes, les étudiant·es·des universités et des lycées, les enseignant·es, les travailleurs et les travailleuses, les personnes en quête de justice, les artistes, les homosexuel·les, les écrivain·es et la majorité du peuple opprimé d’Iran, lieu après lieu, du Kurdistan aux provinces du Sistan et du Baloutchistan, ont attiré un niveau de soutien international sans précédent. Ces manifestations s’opposent à la misogynie, à la discrimination fondée sur le sexe, à l’insécurité économique permanente, à l’asservissement de la main-d’œuvre, à la pauvreté, à la misère, à l’oppression de classe et à l’oppression fondée sur la nationalité et la religion. Il s’agit d’une révolution contre toute forme de dictature religieuse ou laïque qui nous a été imposée, à nous, la majorité du peuple iranien, au cours du siècle dernier ».

Ce texte appelle à « la déclaration immédiate de l’égalité complète des droits des femmes et des hommes dans tous les domaines politiques, économiques, sociaux, culturels et familiaux. L’abrogation inconditionnelle de toutes les lois discriminatoires à l’encontre des identités et orientations sexuelles et de genre. La reconnaissance de la communauté arc-en-ciel « LGBTQ+ ». La dépénalisation de toutes les identités et orientations sexuelles. L’adhésion inconditionnelle aux droits des femmes à contrôler leur propre corps et leur avenir et la prévention de l’application du contrôle patriarcal ».

Par la suite, un groupe de militantes iraniennes des droits des femmes en Iran, dont la plupart avaient également participé à la rédaction de la déclaration précédente, a publié une déclaration à l’occasion de la Journée internationale de la femme, dans laquelle elles soulignent que la discrimination fondée sur le sexe est enracinée dans la poursuite du patriarcat capitaliste. Elles ont également confirmé un grand nombre des demandes formulées dans la déclaration des revendications minimales et affirment que le mouvement actuel est allé au-delà de la simple demande au gouvernement. Elles contestent toutes les institutions du pouvoir, qu’il s’agisse de la République islamique ou de la monarchie. Elles recherchent également des changements radicaux et structurels, notamment le droit de choisir sa tenue vestimentaire, un salaire décent, des droits complets en matière de reproduction et d’avortement, une éducation et des soins de santé gratuits, ainsi que la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.

Sur la base de ces déclarations, je dirais que si ce mouvement réussit avec ces militant·es à sa tête, il peut être extraordinaire. Mais le problème est que les personnes et les organisations qui ont publié ces déclarations n’ont pas précisé par quels moyens cela se produira. Je suis sûr qu’elles y travaillent en ce moment même en Iran, parce qu’elles doivent le faire dans la clandestinité et que nous n’en connaissons pas tous les détails. Mais il est clair que cela ne peut se faire que si les activistes iranien·es tendent activement la main à la solidarité avec les pays où l’Iran intervient militairement et politiquement. Il s’agit de l’Ukraine, de la Syrie, du Liban, de l’Irak, du Yémen et de l’Afghanistan. La dirigeante féministe iranienne Nasrin Sotoudeh a publié une déclaration de solidarité avec les Ukrainiens en mars 2022, juste après que la Russie a lancé son invasion à grande échelle.

Ces revendications semblent constituer un grand pas en avant pour la société iranienne. Dans quelle mesure sont-elles soutenues en masse, même au sein de cette mobilisation de masse, qui était assez désordonnée et très diverse ? Dans quelle mesure la déclaration sur les droits des LGBTIQ+ est-elle soutenue par le grand public ou au moins par les partisan·es du mouvement ?

Je pense qu’il y a une plus grande ouverture d’esprit, surtout parmi la jeune génération. Mais je ne sais pas dans quelle mesure la société dans son ensemble soutiendrait des droits légaux pour la communauté LGBTIQ+. Mais je pense que le fait que certaines organisations syndicales aient approuvé la déclaration est très important, et certaines des organisations signataires représentent des couches très profondes de la société. On m’a dit que le syndicat des travailleurs du bus n’avait d’abord pas accepté de soutenir la déclaration en février, mais qu’il avait changé d’avis quelques mois plus tard. C’est un très bon signe ! Ceux qui ont signé la déclaration du 14 février 2023 ne sont pas qu’une bande d’intellectuel·les. La société iranienne est vraiment en train de vivre des transformations majeures au niveau de la base, ce qui est très inspirant. Nous verrons bien. Je suis pleine d’espoir, mais je suis aussi très prudente.

Le régime fondamentaliste islamique et son oppression des femmes ont souvent été présentés comme quelque chose d’« orientaliste », de « religieux » et de « non moderne », par opposition aux sociétés « occidentales », « laïques » et « modernes » présumées progressistes. Quel est le rôle politique de cette dichotomie et comment les mouvements progressistes doivent-ils la surmonter ?

Ce qui se passe en Occident avec l’attaque contre les droits des femmes et les droits à la reproduction et à l’avortement montre vraiment qu’on ne peut pas dire que l’Occident s’occupe des droits des femmes et que l’Orient s’occupe de l’oppression des femmes. Nous assistons à un niveau incroyable de régression en matière de droits des femmes en Occident même. N’oublions pas non plus qu’en août 2021, l’impérialisme américain a conclu un accord avec les talibans après 20 ans d’occupation de l’Afghanistan, et leur a rendu le pouvoir, ce qui montre à quel point le gouvernement américain se soucie peu des droits des femmes.

Aujourd’hui, ce sont les femmes iraniennes qui mènent la cause du féminisme, tandis que la plupart des féministes américaines se contentent d’appeler à voter pour les démocrates et à modifier la composition des assemblées législatives des États, une réponse défensive qui est nécessaire dans l’immédiat pour maintenir les droits dont nous disposons, mais qui est totalement insuffisante et n’aborde pas la relation entre le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Les féministes noires aux États-Unis sont les plus tournées vers l’avenir. Elles ont créé le mouvement pour la justice reproductive qui réclame non seulement le droit de choisir, mais aussi le droit à une existence digne, ce qui inclut les soins de santé, l’éducation et le logement. Les féministes noires des États-Unis font également partie des responsables et des penseuses du mouvement abolitionniste des prisons.

Au lieu de parler de la dichotomie entre l’Ouest et l’Est, nous devons parler de l’assaut contre les progrès en matière de genre à l’échelle mondiale, qui est l’une des caractéristiques de l’autoritarisme capitaliste du 21e siècle.

Avec les récentes attaques directes contre les droits des femmes dans de nombreuses régions du monde, cette dichotomie civilisationnelle pourrait être remise en question et se transformer en un continuum d’oppressions, causées par des facteurs connexes. Pensez-vous que les racines de ces niveaux et systèmes d’oppression très différents sont liées ? Ou existe-t-il des facteurs distincts, enracinés dans la religion (soit islamique ou chrétienne, soit juive ou hindoue), qui contribuent aux systèmes les plus oppressifs ?

Je dirais les deux : Nous souffrons de systèmes d’oppression apparentés – capitalisme, patriarcat, racisme – et nous avons également des facteurs distinctifs dans chaque pays, liés à la religion et à la culture, ainsi qu’à l’évolution historique, qui font que nous ressentons ces symptômes d’oppression apparentés parfois de manière différente.

Ces dernières années, nous avons assisté à des soulèvements contre l’autoritarisme, avec des femmes en première ligne ou très activement impliquées, que ce soit en Iran ou en Ukraine, au Myanmar ou au Soudan, ou encore dans le cadre du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis. Nous avons assisté à la montée en puissance du mouvement MeToo, qui s’attaque aux violences sexuelles. Ce mouvement a montré que même dans un capitalisme avancé, les femmes les plus prospères ne sont pas à l’abri des violences sexuelles. Pourtant, l’effort d’organisation du mouvement MeToo n’est pas allé au-delà de la dénonciation d’individus ou de la prise en charge de survivantes individuelles. Je pense que si le mouvement MeToo veut relever ce défi, il doit s’attaquer aux viols de masse en Ukraine, aux massacres de femmes par les talibans en Afghanistan ou aux viols de masse des femmes au Soudan. C’est vraiment là que le mouvement MeToo devrait se situer. Sinon, nous restons au niveau des cas individuels.

Dans les pays du Sud, la Russie est souvent perçue à travers le prisme du soutien de l’URSS aux mouvements anticoloniaux. Il est souvent ignoré ou dévalorisé que la Russie n’est pas l’URSS, que l’Ukraine faisait également partie de l’URSS et qu’il existe une différence radicale entre l’URSS et la Russie de Poutine. L’impérialisme russe et soviétique est souvent ignoré. Au début du XXe siècle, la Grande-Bretagne et l’empire russe se sont partagé l’Iran en fonction de leurs sphères d’influence. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’URSS et la Grande-Bretagne ont occupé l’Iran et l’URSS a essayé d’obtenir des concessions pétrolières après la guerre. Comment cette histoire est-elle rappelée et reflétée dans l’Iran d’aujourd’hui ? Comment l’URSS et la Russie sont-elles perçues par la société en général et par les mouvements progressistes ?

La Russie n’est pas perçue avec bienveillance. Comme vous l’avez mentionné, au 19e siècle, nous avons eu les traités de Turkmenchaii et de Gulistan par lesquels la Russie s’est emparée de certaines des terres qui sont actuellement considérées comme le Caucase et l’Asie centrale et qui faisaient partie de l’Iran à l’époque. Ensuite, pendant la révolution constitutionnelle iranienne de 1906-11, la Russie a joué un rôle très contre-révolutionnaire : Elle a bombardé le Parlement iranien et exécuté certains des dirigeants qui représentaient le mouvement constitutionnel et voulaient mettre en place des réformes. Le parti Tudeh, soutenu par l’URSS, a eu un impact très fort sur les intellectuel·les iranien·es pendant de nombreuses années. De nombreux intellectuel·es iranien·es étaient favorables au stalinisme et, plus tard, au maoïsme.

Comme je l’ai mentionné précédemment, cet héritage stalinien a eu des conséquences terribles pour l’Iran car, pendant la révolution, la majorité des intellectuel·les de gauche affirmaient que l’ennemi principal était l’impérialisme américain et qu’il fallait donc être plus doux avec le fondamentalisme islamique. Bien sûr, nous avons vu ce que cela a donné. Le parti Tudeh a prôné le soutien aux islamistes jusqu’en 1983, date à laquelle leurs dirigeants ont été arrêtés et certains exécutés. La Russie vend des armes et des centrales nucléaires à l’Iran depuis une trentaine d’années. Même sous le Shah, il existait des relations. Toutefois, avec la République islamique, la Russie est devenue un allié majeur. L’Iran vend désormais des drones et des missiles à la Russie pour bombarder l’Ukraine et construit une usine de drones près de Moscou. Toutes ces questions font de la relation entre l’Iran et la Russie un sujet très important.

La majorité du public iranien voue une haine certaine à la Russie et à Poutine, et soutient les Ukrainiens.·e En ce qui concerne la gauche iranienne, malheureusement, beaucoup d’entre eux continuent à penser que la guerre en Ukraine a été déclenchée par l’OTAN et que si la lutte des Ukrainien·es pour l’autodétermination été soutenue, cela équivaudrait à défendre l’OTAN. Mais encore une fois, ce n’est pas un point de vue monolithique. Il y a quelques mois, trois membres de la gauche ont été interviewés par le rédacteur en chef du site web de gauche iranien Critique of Political Economy. L’un d’entre elles/eux, Kamran Matin, un intellectuel kurde, a fermement soutenu la lutte ukrainienne pour l’autodétermination et a complètement remis en question la thèse selon laquelle la guerre a été déclenchée par l’OTAN et que si nous soutenons l’Ukraine, cela équivaudrait à ne pas critiquer l’OTAN. Les deux autres, Saeed Rahnema et Yassamine Mather, avaient un point de vue différent.

Le soulèvement ukrainien de Maïdan en 2014 a été suivi par l’annexion de la Crimée par la Russie et par la guerre qui a commencé dans la partie orientale du pays, ainsi que par une politique néolibérale prédatrice promue par le nouveau gouvernement ukrainien. Cela a poussé certaines parties du mouvement de gauche dans l’espace post-soviétique à suivre l’idée que ce type de soulèvement populaire contre un régime autoritaire n’est pas bon et qu’il faut s’en tenir éloigné. Dans le cas de la Biélorussie, par exemple, lorsqu’il y a eu une grande manifestation à l’été 2020, une partie de la gauche post-soviétique a dit : nous ne pouvons pas soutenir cela parce que cela mènera au néolibéralisme et à la guerre. Y a-t-il quelque chose de similaire en ce qui concerne le printemps arabe ? Comment la gauche ou certaines sections de la gauche le reflètent-elles dans la région ? Existe-t-il un fantôme du printemps arabe ?

En Iran, ces dernières années, de nombreux intellectuels disaient : Oh, si nous lançons un mouvement et appelons à la fin de la République islamique au lieu de passer par des réformes, cela ne fera qu’entraîner des troubles et un autre Printemps arabe raté. Mais en fin de compte, les jeunes qui ont lancé le mouvement « Femme, vie, liberté » n’ont pas eu peur et ont dit « Non, nous voulons une révolution. Les réformes ne suffisent pas ». Je ne pense donc pas que l’expérience du Printemps arabe empêchera les gens de vouloir une transformation révolutionnaire. Mais ce qui me préoccupe, c’est que les intellectuel·les ne font pas vraiment leur travail. Il ne suffit pas d’écrire des livres et des articles. Nous devons parler du lien entre les idées libératrices et la forme et le contenu des organisations, ainsi que de la nécessité d’avoir des organisations dans lesquelles les gens apprennent à devenir des individu·es critiques. Pour moi, c’est la responsabilité la plus importante des intellectuels.

Que pensez-vous de la dynamique du mouvement progressiste, de gauche et féministe mondial au cours des dernières décennies et plus particulièrement aujourd’hui, face à des développements mondiaux extrêmement difficiles ?

Je suis assez inquiète. Après l’effondrement de l’Union soviétique, il y avait tant d’espoir de voir l’effondrement de la gauche stalinienne et maoïste et la montée d’une gauche sociale sérieuse et réfléchie à l’échelle mondiale. Dans certains endroits, des efforts importants ont été déployés, mais je pense que, dans l’ensemble, cela ne s’est pas produit. Ce n’est pas seulement que la gauche occidentale se concentre principalement sur la lutte contre l’impérialisme américain. Il semble aussi qu’en général, ceux qui font partie de la gauche ne peuvent pas rester indépendants de tous les pôles du capital. Ils sont aspirés par l’un ou l’autre de ces pôles.

Beaucoup de gens espéraient beaucoup du Printemps arabe, mais il s’est transformé en désastre, en partie à cause du sexisme interne et de la discrimination contre les minorités, et en partie à cause de la réduction de l’anticapitalisme à une simple opposition à Wall Street ou à la défense d’une forme de capitalisme d’État. Le printemps arabe s’est également effondré parce que le soulèvement syrien n’a pas reçu le soutien dont il avait besoin pour lutter contre le régime brutal d’Assad. Une fois de plus, ce discours sur « l’impérialisme anti-américain » a incité de nombreuses personnes de gauche à soutenir le régime d’Assad.

En ce qui concerne les femmes et le féminisme, je garde beaucoup d’espoir grâce aux soulèvements que nous avons vus émerger ces dernières années, notamment en Ukraine, en Iran, au Soudan et au Myanmar. Dans tous ces cas, les femmes sont activement impliquées et, dans certains cas, en première ligne. C’est vraiment significatif. Mais le féminisme n’est pas non plus à l’abri de l’attraction des pôles du capital. Dans mes écrits et mon activisme, j’essaie de rassembler les féministes qui veulent vraiment assumer la responsabilité des défis auxquels nous sommes confrontés, en essayant de faire le travail philosophique et organisationnel pour développer une alternative. Je dois avoir de l’espoir, car sinon, je ne vois pas comment nous pourrions arriver à quelque chose.

Frieda Afary interviewée par Oksana Dutchak
https://commons.com.ua/en/intervyu-z-fridoyu-afari-druga-chastina/
Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

De l’autrice :
Les syndicats iraniens dans les mobilisations
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/02/15/les-syndicats-iraniens-dans-les-mobilisations/
L’Iran manifeste contre le hijab obligatoire et la violence d’État
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/09/26/liran-manifeste-contre-le-hijab-obligatoire-et-la-violence-detat/
Avec Kevin Anderson : Femme, vie, liberté : les origines du soulèvement en Iran
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/12/12/femme-vie-liberte-les-origines-du-soulevement-en-iran/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Iran entretien avec Frieda Afary [en deux parties] »

  1. La militante Nasrin Sotoudeh arrêtée et “rouée de coups” lors des funérailles d’Armita Garawand
    Dimanche 29 octobre, les autorités iraniennes ont arrêté plusieurs militants des droits de l’homme, dont la célèbre avocate Nasrin Sotoudeh, lors des funérailles d’Armita Garawand. Cette jeune lycéenne est décédée des suites d’une chute dans le métro, imputée par les opposants au régime à une altercation avec la police des mœurs.
    https://www.courrierinternational.com/article/iran-la-militante-nasrin-sotoudeh-arretee-et-rouee-de-coups-lors-des-funerailles-d-armita-garawand

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