Comment le 7 octobre nous a toutes et tous changé·es – et ce qu’il signifie pour notre lutte

Il peut être difficile de reconnaître un moment historique lorsqu’on le vit, mais cette fois-ci, en Israël-Palestine, tout le monde a pu le constater. Voici ce que nous savons et ce que nous pouvons supposer un mois plus tard.

Un mois s’est écoulé depuis le 7 octobre. La vie de millions d’Israélien·nes et de Palestinien·nes a été bouleversée par les massacres commis par le Hamas en Israël ce jour-là, et par les massacres qu’Israël commet par la suite avec son assaut à grande échelle sur la bande de Gaza. Il est parfois difficile de reconnaître un moment historique lorsqu’on le vit, mais cette fois-ci, c’est clair : l’équilibre des forces a changé entre Israélien·nes et Palestinien·nes, et il changera le cours des événements à partir de maintenant.

Un mois après le début de la guerre, il est temps de faire le point sur ce que nous savons qu’il est arrivé aux Israélien·nes, aux Palestinien·nes et à la gauche dans ce pays – et de faire quelques évaluations prudentes sur ce qui va suivre.

Les massacres du Hamas en Israël
Notre vie, en tant qu’Israélien·nes, ne sera plus jamais la même après le 7 octobre. Les atrocités commises par le Hamas dans le sud d’Israël en ce terrible samedi ont fait couler tellement d’encre, et tant de théories du complot et de fausses nouvelles ont proliféré, qu’il n’est pas inutile de nous rappeler quelques faits élémentaires. Ces faits ont été corroborés par de multiples sources indépendantes et journalistes, y compris des membres de l’équipe de +972 et de Local Call.

Au cours d’une opération minutieuse et sans précédent, les militants du Hamas se sont échappés de la bande de Gaza assiégée, déjouant les plans de ce qui était considéré comme l’une des armées les plus puissantes et les plus sophistiquées de la région. Après avoir détruit des parties de la clôture entourant Gaza et lancé une attaque sur le point de passage d’Erez, des milliers de militants se sont emparés de bases militaires israéliennes, ont tué ou capturé des centaines de soldat·es, puis ont attaqué un festival de musique et occupé plusieurs kibboutzim et villes. Ils ont tué environ 1 300 personnes, dont une majorité de civil·es.

Le carnage a été brutal. Des centaines de fêtard·es non armé·es ont été tué·es, y compris des citoyen·nes palestinien·nes qui étaient présent·es en tant que secouristes, chauffeurs et travailleurs/travailleuses. Des familles entières ont été massacrées dans leurs maisons, certain·es survivant·es ayant assisté au meurtre de leurs parent·es ou de leurs enfants. Dans certaines communautés, jusqu’à un habitant·e sur quatre a été tué·e ou enlevé·e. Des travailleurs agricoles thaïlandais et népalais, ainsi que des aides-soignants philippins, ont également été pris pour cible, des militants du Hamas leur tirant dessus et, dans un cas au moins, lançant des grenades dans une cabane où ils se cachaient.

Environ 240 soldats et civil·es de tous âges, de 9 mois à plus de 80 ans, ont été enlevé·es à Gaza, et la plupart d’entre elles et eux y sont toujours détenu·es en tant qu’otages, sans lien avec le monde extérieur et sans que leurs familles aient la moindre idée de leur état. Pendant ce temps, le Hamas a continué à tirer sans discrimination des milliers de roquettes depuis Gaza en direction des villes israéliennes.

Ces crimes de guerre, même s’ils ne sont pas sans contexte, sont totalement injustifiables. Ils ont ébranlé nombre d’entre nous, y compris moi-même, jusqu’au plus profond de nous-mêmes. La fausse idée que les Israélien·nes peuvent vivre en sécurité alors que les Palestinien·nes sont régulièrement tué·es dans le cadre d’un système brutal d’occupation, de siège et d’apartheid – une idée que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a défendue et instillée en nous pendant ses longues années au pouvoir – s’est effondrée.

Ce sentiment a été exacerbé par les vents de la guerre régionale et les attaques du Hezbollah contre les soldats et les civil·es israélien·nes dans le nord d’Israël, auxquelles Israël a répondu par ses propres frappes d’artillerie et de drones au Liban, tuant des combattants et des civil·es. Ce front supplémentaire a aggravé notre peur existentielle et le sentiment que nous, Israélien·nes et Palestinien·nes, ne sommes que des pions dans des luttes régionales et mondiales plus vastes (et ce n’est pas la première fois).

L’effondrement de notre sentiment de sécurité est allé de pair avec la prise de conscience que l’État israélien tout entier n’est, en fait, rien de plus qu’un hologramme. L’armée, les services de secours, les services sociaux, etc. ont tous été dysfonctionnels. Les survivant·es israélien·nes, les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les familles des otages se sont retrouvés sans personne vers qui se tourner, ce qui a poussé la société civile à intervenir pour combler le vide là où le gouvernement aurait dû se trouver. Des années de corruption politique nous ont laissés avec une coquille vide d’un État, sans aucun leadership à proprement parler. Pour les Israéliens, quelle que soit la manière dont nous sortons vainqueurs de la guerre, nous voulons nous assurer que rien de tel que le 7 octobre ne puisse se reproduire.

Les massacres d’Israël à Gaza
Après avoir échoué sur tous les autres fronts, et avant même d’avoir repris le contrôle de toutes les zones occupées par le Hamas dans le sud du pays le 7 octobre, l’armée israélienne s’est immédiatement attelée à ce qu’elle sait faire de mieux : pilonner la bande de Gaza. Le chagrin, la douleur, le choc et la colère justifiés se sont traduits par un nouvel assaut militaire injustifiable et une campagne de punition collective contre les 2,3 millions de résident·es sans défense de la plus grande prison à ciel ouvert du monde – la pire que nous ayons jamais vue.

Parallèlement aux premières frappes aériennes, Israël a coupé toute la population palestinienne de Gaza de l’électricité, de l’eau et du carburant, transformant une crise humanitaire déjà existante en une véritable catastrophe. L’armée a ensuite ordonné l’évacuation de la moitié de la population – environ 1 million de personnes – du nord de la bande vers le sud, ainsi qu’une seconde évacuation de l’est vers l’ouest.

Les bombardements aériens incessants, tant dans le nord que dans le sud supposé « sûr », ont jusqu’à présent tué plus de 10 000 Palestinien·nes en un mois seulement, ce qui constitue de loin le taux de mortalité le plus élevé que ce conflit ait jamais connu. La plupart de ces victimes sont des civil·es, dont plus de 4 000 enfants. Des centaines de familles ont été décimées, y compris celles de deux ancien·es collaborateurs ou collaboratrices de +972, dont l’un·e a été tué·e et l’autre a survécu mais a perdu cinq membres de sa famille. L’un·e de nos collègues de « We Beyond the Fence », un projet visant à partager les histoires palestiniennes de Gaza avec les Israéliens·ne et le monde entier, a perdu 20 membres de sa famille.

C’est sans compter les centaines, voire les milliers de corps, morts ou vivants, enterrés sous les décombres, que personne ne peut même commencer à fouiller. Les habitant·es palestinien·nes décrivent la puanteur de la mort qui s’empare de ce qui reste de certains quartiers détruits. Alors que nous, Israélien·nes, disposons de sirènes de roquettes, d’intercepteurs Iron Dome et d’abris, les habitant·es de Gaza n’ont rien de tout cela et n’ont aucun moyen de se protéger contre la pluie de bombes déversées sur toutes les parties de l’enclave assiégée.

Selon les Nations unies, plus de 45% des maisons de la bande de Gaza ont été détruites ou gravement endommagées par les attaques israéliennes. Les hôpitaux sont à court de fournitures et les médecin·es se retrouvent à effectuer des procédures médicales critiques sans anesthésie et en n’utilisant que les lampes de poche de leur téléphone pour voir. Des centaines de milliers de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Depuis le début de l’invasion terrestre de l’armée, fin octobre, Israël impose parfois des coupures de téléphone et d’internet, empêchant les blessé·es d’appeler à l’aide, les gens de prendre des nouvelles de leurs proches, les ambulancier·es de localiser les blessé·es ou les journalistes de rendre compte de ce qui se passe sur le terrain.

Les gouvernements occidentaux ont jusqu’à présent donné carte blanche à Israël pour commettre ces atrocités, faisant preuve d’un double standard entre la valeur des vies israéliennes et celle des vies palestiniennes – ce qui est en partie ce qui nous a amenés à cette situation en premier lieu. Nous ne voyons aucun remords pour le rôle que ces acteurs ont joué en réduisant au silence et en mettant à l’écart les Palestinien·nes et leurs allié·es au fil des ans, et en fermant toutes les voies diplomatiques et non violentes pour leur libération – des boycotts, désinvestissements et sanctions (BDS) à l’appel au Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il intervienne.

Alors que les nouvelles et les images de la destruction et de la mort sont là pour le monde entier, le public israélien n’en voit et n’en pense pas grand-chose. Les médias israéliens dominants se concentrent exclusivement sur les massacres du 7 octobre, et pas du tout sur celles et ceux qui se déroulent actuellement en notre nom. Au lieu de cela, nous continuons à entendre des concours sans fin de rhétorique génocidaire, avec des commentateurs et des politiciens israéliens qui parlent d’ « aplatir » Gaza, de bombarder Gaza, de nettoyer ethniquement Gaza, de combattre des « animaux humains », et ainsi de suite.

La ligne la plus officielle est qu’Israël essaie « seulement » de renverser le Hamas. Mais nous savons par expérience qu’il n’y a pas de solution militaire à la menace que les Israélien·nes voient dans le Hamas, et que des décennies de tentatives israéliennes pour choisir un dirigeant palestinien « commode » ont toujours échoué. Le seul moyen d’empêcher les Palestinien·nes de se soulever contre leurs oppresseurs est qu’Israël mette fin à cette oppression et au déni de leurs droits. C’est la justice, la sécurité et un avenir décent pour nous toutes et tous, ou pour aucun·e d’entre nous.

Expulsions en Cisjordanie, persécutions en Israël
La guerre menée contre les Palestinien·nes ne se limite pas à Gaza. En Cisjordanie occupée, les colons, les soldats et un nombre croissant de milices mixtes – à tel point qu’il est impossible de les distinguer – ont considérablement intensifié leur campagne de nettoyage ethnique dans la zone C, les 60% du territoire occupé où se trouvent les colonies israéliennes et où l’armée exerce un contrôle total. Au moins 15 communautés palestiniennes ont été entièrement déracinées au cours du mois dernier, et plusieurs autres sont encore plus menacées, sans personne pour les défendre. Les colons et les représentants du gouvernement s’efforcent d’étendre le territoire directement contrôlé par les colonies, ce qui reviendrait à expulser encore plus de Palestinien·nes vivant dans ces zones.

Selon les Nations unies, au moins 155 Palestinien·nes ont été tué·es par des soldats ou des colons en Cisjordanie depuis le 7 octobre. Les agriculteurs sont empêchés de cueillir leurs olives à la saison annuelle, lorsqu’elles sont prêtes à être récoltées, et doivent parfois même regarder les colons voler leurs olives sous leurs yeux. L’armée israélienne a arrêté plus d’un millier de Palestinien·nes accusés d’avoir des liens avec le Hamas, et des milliers de travailleurs/ travailleuses palestinien·nes de Gaza, qui avaient des permis de travail en Israël ou en Cisjordanie, ont été placé·es dans des camps d’internement dans des conditions très difficiles avant d’être expulsé·es vers Gaza à la fin de la semaine dernière.

À l’intérieur d’Israël et de Jérusalem-Est occupée, les Palestinien·nes sont persécutés·e à la fois par les autorités et par l’opinion publique juive. Des centaines de citoyen·es palestinien·nes et quelques juifs /juives de gauche ont été arrêté·es ou détenu·es pendant de longues périodes, suspendu·es ou licencié·es, exclu·es des universités qu’elles et ils fréquentent en tant qu’étudiant·es ou professeur·es, et menacé·es de voir leur citoyenneté révoquée. Nombre de ces mesures ont été prises simplement en raison de messages postés sur les médias sociaux, même ceux qui sont tout à fait bénins, y compris des appels trilingues à l’arrêt de la guerre, des versets du Coran ou des témoignages de sympathie et de chagrin face au massacre d’enfants à Gaza.

À Jérusalem, la police israélienne arrête des Palestinien·nes au hasard dans la rue pour vérifier si leur fil d’actualité sur les médias sociaux n’est pas « incitatif ». La police a également annoncé qu’elle interdirait toute manifestation appelant à un cessez-le-feu – une règle qu’elle a jusqu’à présent appliquée presque exclusivement à l’encontre des citoyen·nes palestinien·nes et qui a été confirmée par la Haute Cour en réponse à une pétition. « Quiconque souhaite s’identifier à Gaza est le bienvenu. Je le ferai monter dans les bus qui s’y rendent actuellement », a déclaré le chef de la police israélienne, Kobi Shabtai.

Dans plusieurs villes israéliennes, les entreprises employant des citoyen·es palestinien·nes ont entièrement fermé leurs portes, ou ont demandé à ces travailleurs et travilleuses de ne pas se présenter au travail, ou ont placé des gardes spéciaux autour des sites de travail pour « protéger » la communauté juive environnante. De violentes foules d’extrême droite ont attaqué des étudiant·es arabes sur deux campus et des travailleurs et des travailleuses dans plusieurs entreprises, ainsi que le domicile du journaliste juif ultra-orthodoxe de gauche Israel Frey ; seuls quatre des centaines d’assaillants de ces différents incidents ont été arrêtés. Entre-temps, le ministre kahaniste de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a distribué des milliers de fusils d’assaut à des équipes de sécurité civile nouvellement constituées dans des dizaines de villes et de colonies, dont certaines sont dirigées par des extrémistes de droite connus.

Tout cela a créé un sentiment de peur sans précédent parmi les citoyen·es palestinien·nes d’Israël, dont beaucoup parlent maintenant de cette période comme du « nouveau régime militaire », en référence au système draconien qui leur a été imposé de 1948 à 1966. Beaucoup ont désactivé ou cessé d’utiliser leurs profils de médias sociaux, et beaucoup évitent tout simplement d’aller au travail ou de se promener dans les zones à majorité juive. En outre, certain·es citoyen·es palestinien·nes ont été tué·es lors de l’attaque du Hamas du 7 octobre ou lors des tirs de barrage de roquettes depuis Gaza qui ont suivi, tandis que d’autres sont toujours retenu·es en captivité par le Hamas à Gaza.

Il existe des initiatives vraiment inspirantes de citoyen·es juifs/juives et palestinien·nes qui travaillent ensemble, se protègent mutuellement, signent des pétitions communes ou se portent volontaires pour aider les victimes, mais il s’agit malheureusement de petits rayons de lumière dans une tempête par ailleurs bien sombre.

Une gauche brisée
Comme si tout ce qui se passe autour de nous n’était pas assez grave, nous assistons également à un moment douloureux pour la gauche en Israël-Palestine, ce qui conduit de nombreuses personnes autour de nous à se sentir encore plus désespérées et sans espoir. Comme l’a récemment écrit Noam Shuster sur +972, nous voyons les deux communautés nationales qui nous entourent se replier sur elles-mêmes, avec des récits des événements du mois dernier qui s’éloignent rapidement et une confiance mutuelle en déclin. Cela laisse très seul·es celles et ceux d’entre nous qui s’engagent en faveur d’espaces partagés, d’une résistance partagée et d’un avenir commun fondé sur l’égalité. Il s’agit, à bien des égards, d’un microcosme condensé des dissensions qui ont émergé au sein de la gauche au niveau mondial au cours du mois dernier.

De nombreux Israélien·nes juifs/juives qui se considèrent comme faisant partie de la gauche locale et mondiale, et qui sont de fervent·es opposant·es à l’occupation et des défenseur·es des droits des êtres humains et de l’égalité, ont été complètement choqué·es par la férocité de l’attaque du Hamas. Il n’a pas été facile d’admettre que tant de civil·es, dont beaucoup étaient des militant·es engagé·es contre le siège de Gaza et, plus généralement, contre l’apartheid israélien, aient été pris pour cible.

Le choc initial, compréhensible – que je partage également – a été intensifié par un sentiment de déception face à ce qu’ils ont ressenti comme un manque de solidarité de la part des dirigeant·es palestinien·nes, de leurs ami·es et de leurs collègues face à cette horreur. Des tendances plus larges et vraiment inquiétantes de déni ou de justification des massacres dans certains cercles palestiniens et dans la gauche mondiale ont conduit certains à commencer à exiger que leurs ami·es dénoncent le Hamas et prononcent leur engagement en faveur du droit des Juifs à vivre sur cette terre, comme preuve d’une solidarité et d’une alchimie mutuelles.

Dans le même temps, certain·es de ces Israélien·nes ont justifié l’attaque contre Gaza. Beaucoup reconnaissent qu’il n’y a pas de solution militaire à long terme et soulignent qu’iels ne veulent aucun mal aux civil·es palestinien·nes, mais insistent sur le fait qu’« il n’y a pas d’autre choix que de renverser ce régime ». Si certain·es continuent de rejeter les attaques des colons en Cisjordanie, elles et ils ne semblent pas préoccupé·es par la persécution des citoyen·es palestinien·nes, qui est justifiée par le même raisonnement à l’encontre d’anciens ami·es et allié·es.

Du côté palestinien, beaucoup optent pour le silence total, en grande partie par crainte que toute déclaration ne soit utilisée contre eux. Toute manifestation de tristesse à l’égard des massacres du 7 octobre est manipulée par les Israélien·nes pour justifier les horreurs qu’ils font subir à Gaza, et tout signe d’attention à l’égard des Gazaouis est interprété par une grande partie de la majorité juive, y compris par les employeurs et la police, comme une trahison et une collusion avec l’ennemi.

Parmi les Palestinien·nes qui osent faire des déclarations publiques, certain·es tentent de trouver un équilibre entre la reconnaissance du droit d’un peuple occupé à résister par la force et le fait de se concentrer sur des cibles étatiques ou militaires, justifiant ainsi la « première phase » de l’attaque du 7 octobre tout en rejetant les massacres de civil·es qui s’en sont suivis. D’autres cherchent à nier que les massacres ont eu lieu – par exemple, en se raccrochant à des théories du complot selon lesquelles l’armée israélienne aurait tué des civil·es en tentant de les secourir ou d’empêcher leur enlèvement (ce qui s’est peut-être produit dans certains cas, mais en bien moins grand nombre qu’on ne le laisse entendre) – ou les justifient en disant que la décolonisation est « désordonnée » et « laide » parce qu’elle renverse l’oppression brutale qu’elle combat à l’origine.

Les citoyen·es palestinien·nes d’Israël, pour leur part, regardent également certains dirigeants, collègues et amis·e juifs/juives de gauche avec beaucoup de déception. Qu’il s’agisse de l’absence de soutien à la population de Gaza confrontée aux crimes de guerre commis par notre gouvernement ou de l’absence de défense des personnes persécutées par un régime de plus en plus autoritaire, les citoyen·es palestinien·ne se sentent abandonné·es et trahi·es par de nombreux et nomlbreuses allié·es juifs /juives qui, il y a encore un mois, manifestaient avec véhémence dans les rues au nom de la « démocratie ».

Ces tendances se développent au sein de deux communautés en proie à un chagrin, une peur et une anxiété bien réels, qui s’appuient toutes deux sur des traumatismes collectifs passés – l’Holocauste et la Nakba – dont les souvenirs sont ravivés par la rhétorique génocidaire des dirigeants du Hamas et du gouvernement israélien et, dans le cas palestinien, par les expulsions effectives et les discussions sur les plans visant à accroître encore les déplacements de population. Il va sans dire qu’en se réfugiant dans la chaleur et la protection de son groupe national ou ethnique, chaque partie réaffirme involontairement les craintes et les déceptions de l’autre, créant ainsi une dynamique destructrice d’escalade de la méfiance et du désespoir.

Horizons à venir
Nous ne savons pas encore comment cette guerre va se terminer. Les dirigeants israéliens nous promettent une campagne « très longue » qui pourrait prendre « des mois » ou « des années ». Toutefois, compte tenu de l’évolution de l’opinion publique mondiale face au carnage et à la catastrophe humanitaire à Gaza, de la demande interne israélienne de libération des plus de 200 prisonniers détenu·es par le Hamas, de la méfiance à l’égard du gouvernement et de la tolérance limitée à l’égard du coût humain et économique de la guerre, je pense qu’il est plus probable que nous assistions à un cessez-le-feu d’ici quelques semaines.

Il est également impossible d’évaluer l’ampleur de la nouvelle ère qui s’ouvrira après cette guerre. Il est impossible de dire qui gouvernera Gaza – le Hamas, l’Autorité palestinienne, une force internationale ou Israël lui-même. L’ampleur des efforts de réhabilitation nécessaires à Gaza est inimaginable. Il faudra également reconstruire les communautés détruites ou évacuées dans le sud et le nord.

Je laisserai les discussions importantes sur les dirigeants et la lutte des Palestiniens, la dynamique régionale plus large et le rôle des puissances étrangères pour une analyse future, que nous publierons dans les semaines et les mois à venir sur +972. Pour l’instant, je souhaite me concentrer sur la question de la politique israélo-juive.

Deux changements me semblent très clairs à ce stade : la fin de l’ère Netanyahou et la fin de la domination du discours sur la « gestion des conflits » dans la société israélienne, laissant place à une discussion publique renouvelée sur l’avenir des relations judéo-arabes.

Netanyahou est fini. Je sais que cela a déjà été dit à maintes reprises et que ce dirigeant a fait preuve d’une incroyable capacité de survie, mais avec ce qui s’est passé au cours du mois dernier, nous avons dépassé ce stade. Tous les sondages effectués depuis le 7 octobre montrent que la grande majorité des Israélien·nes, y compris une majorité considérable au sein de son parti, le Likoud, estiment qu’il est responsable de la défaite militaire d’Israël face au Hamas et qu’il doit partir. Certains de ses allié·es dans les médias et au sein du gouvernement se retournent déjà contre lui, préparant le jour suivant.

C’est une raison supplémentaire pour laquelle Netanyahou est si dangereux en ce moment, car il croit – à juste titre, dans l’état actuel des choses – que tant que la guerre se poursuit, personne ne se préoccupera de la politique de remplacement d’un premier ministre. Il se peut qu’il découvre que même les Israélien·nes ont une limite et qu’avant ou après la fin de la guerre, d’une manière ou d’une autre, il sera évincé.

Mais ce qui est bien plus important que Netanyahou lui-même, c’est la doctrine Netanyahou, qui est devenue le quasi-consensus de la politique israélo-juive. Selon cette doctrine, Israël a battu les Palestinien·nes, elles et ils ne sont plus un problème à affronter, nous pouvons « gérer » le conflit à feu doux et nous devrions concentrer notre attention sur d’autres questions.

Tout au long de son règne quasi-continu depuis 2009, cette perception a gagné les cœurs et les esprits des Israélien·nes, et la question de « quoi faire avec les Palestinien·nes   – qui était la principale ligne de faille de la politique israélienne – a été presque entièrement retirée de l’ordre du jour, contribuant à l’orgueil démesuré qui a conduit l’armée à baisser sa garde autour de Gaza. Le mois dernier, le Hamas a décimé cette notion pour les années, voire les décennies à venir.

Lors des prochaines élections israéliennes, quelle que soit leur date, nous assisterons probablement à une réorganisation de la carte politique, avec la création potentielle de trois blocs distincts. Il est trop tôt pour dire quelle sera l’influence de chacun de ces camps, mais voici à quoi ils pourraient ressembler.

Le premier est bien sûr l’extrême droite, qui a déjà gagné du terrain depuis 2021 et qui tentera de capitaliser sur les événements récents. Mené par des personnalités comme Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, probablement rejoints par certains membres du Likoud, ce camp dira que, quelle que soit la façon dont cette guerre se terminera, elle n’était tout simplement pas suffisante. Israël, diront-ils, a besoin d’une solution définitive basée sur un nettoyage ethnique à grande échelle, car, à leurs yeux, toute la terre nous appartient et il n’y a pas de place pour que le peuple palestinien y reste en tant que collectif.

Une deuxième approche, probablement menée par Benny Gantz et Yair Lapid, sera probablement axée sur des mesures unilatérales, telles qu’un « second désengagement » de la Cisjordanie, le démantèlement des colonies à l’est de la barrière de séparation, l’annexion du reste, et la fortification des murs encerclant les Palestinien·nes en Cisjordanie et à Gaza avec plus de béton, plus de technologie et plus de soldats que jamais auparavant. Une partie de cette approche pourrait également inclure la stratégie de la « tonte de l’herbe » – essentiellement des campagnes militaires périodiques – afin d’empêcher les Palestinien·nes de développer des capacités armées significatives.

Le troisième camp sera probablement une reconfiguration des ancien·nes travaillistes, du Meretz et d’une partie de Yesh Atid, dans laquelle un rôle clé pourrait être joué par le nouveau héros du centre-gauche sioniste : l’ancien député du Meretz et général de l’armée Yair Golan, qui a passé la journée du 7 octobre comme commando bénévole, entrant et sortant des zones de combat avec son arme et sa voiture personnelle, sauvant les survivant·es sous les tirs. Ce camp proposera probablement un retour au paradigme de la séparation de deux États, par le biais de négociations avec l’OLP. Il pourrait également tenter de promouvoir un discours de coexistence à l’intérieur d’Israël, en encourageant différentes formes de partenariat entre Arabes et Juifs/Juives dans la vie civile.

Les deux derniers camps seront enhardis par les sentiments anti-colons qui se sont développés dans l’opinion publique israélienne, en particulier depuis que les manifestant·es anti-gouvernementaux ont commencé, à juste titre, à identifier le lien entre la réforme judiciaire de l’extrême droite et ses sources idéologiques dans le mouvement sioniste religieux dans les territoires occupés. Le rejet des pogroms de colons, comme celui de Huwara en février dernier, n’a fait qu’augmenter, et de nombreuses et nombreux Israélien·nes considèrent que les attaques actuelles des colons en Cisjordanie provoquent un troisième front dans la guerre.

En outre, le fait que l’armée israélienne ait redéployé des forces de la barrière de Gaza pour surveiller les colons extrémistes dans des avant-postes éloignés de Cisjordanie au cours des derniers mois, ce qui a peut-être ouvert la voie au succès de l’opération militaire du Hamas le 7 octobre, a renforcé la haine et le ressentiment à l’égard de ces colons. Cela dit, la haine des Israélien·nes à l’égard des Palestinien·nes est montée en flèche et la faible possibilité que les Israélien·nes acceptent la solution d’un État unique ou d’une confédération s’est encore réduite.

Vers l’inconnu
La période actuelle est sombre et éprouvante pour celles et ceux d’entre nous qui se sont engagé·es à s’opposer à l’apartheid et à promouvoir une solution fondée sur la justice et l’égalité pour toutes et tous. D’une part, les acquis durement gagnés au cours de décennies de lutte commune ont été effacés par les massacres du Hamas, et il sera difficile de les récupérer. Notre mouvement est en plein désarroi et le désespoir est omniprésent. Des milliers de vies ont été perdues, des milliers d’autres risquent encore de périr, et les traumatismes collectifs que nous portons s’intensifient de jour en jour.

D’un autre côté, une fois la guerre terminée, la société israélienne devra faire ses comptes, ce qui pourrait nous ouvrir de nouvelles opportunités à saisir. Une grande partie de ce pour quoi nous nous sommes battu·es deviendra de plus en plus pertinent, avec davantage de personnes localement et globalement désireuses de reconnaître que le système dans lequel nous vivons est injuste, insoutenable et n’offre à aucun·e d’entre nous une véritable sécurité. Nous devons redoubler d’efforts pour promouvoir un processus politique pacifique, avec pour objectif déclaré de mettre fin au siège et à l’occupation, de reconnaître le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes et de trouver des solutions créatives pour concrétiser ce droit.

Mais la nouvelle réalité exigera quelques réalignements. Parallèlement à notre engagement en faveur de la pleine réalisation des droits de toutes et tous les Palestinien·nes, notre mouvement progressiste et anti-apartheid devra être explicite quant aux droits collectifs des Juifs et Juives sur cette terre et veiller à ce que leur sécurité soit garantie quelle que soit la solution trouvée. Nous devrons nous attaquer au Hamas et à sa place dans cette nouvelle réalité, en veillant à ce qu’il ne puisse plus commettre de telles attaques contre les Israélien·nes, tout comme nous insistons sur la sécurité des Palestinien·nes et leur protection contre l’agression de l’armée israélienne et des colons. Sans cela, il sera impossible d’aller de l’avant.

D’ici là, il y a deux appels extrêmement urgents sur lesquels nous devons concentrer nos efforts : la libération des otages civil·es et l’instauration d’un cessez-le-feu immédiat. Maintenant.

Haggai Matar, 8 novembre 2023
Haggai Matar est un journaliste israélien primé et un activiste politique. Il est le directeur exécutif du magazine +972.
https://www.972mag.com/october-war-israelis-palestinians-historic/
Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

Cómo el 7 de octubre nos ha cambiado y qué revela para nuestra lucha
https://vientosur.info/como-el-7-de-octubre-nos-ha-cambiado-y-que-revela-para-nuestra-lucha/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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2 réflexions sur « Comment le 7 octobre nous a toutes et tous changé·es – et ce qu’il signifie pour notre lutte »

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