Arrêtez de tuer des enfants ! (nous avons besoin du journalisme)

Finalement, la guerre. Sous différentes formes. La guerre du patriarcat contre celles et ceux qui doivent lui rester subordonnés (les femmes et les enfants, et toutes celles et ceux qui menacent le dogme hétérosexuel), et la guerre du complexe militaro-industriel contre les peuples ou les pays qui doivent rester subordonnés aux intérêts des puissances du monde.

Hier soir sur la scène de l’Olympia, j’ai vu finalement deux faces d’un même mal, sur deux sujets différents (mais finalement pas tant que cela).

Le mépris, la résistance passive-agressive au changement, l’indifférence, le manque total d’empathie et d’humanité.

Finalement, la guerre. Sous différentes formes.

La guerre du patriarcat contre celles et ceux qui doivent lui rester subordonnés (les femmes et les enfants, et toutes celles et ceux qui menacent le dogme hétérosexuel), et la guerre du complexe militaro-industriel contre les peuples ou les pays qui doivent rester subordonnés aux intérêts des puissances du monde.

Une actrice qui dénonce des choses très graves, qui se déroulent non seulement au cinéma, mais dans toute la société, qui certes est ovationnée par la salle, mais qui ne reçoit finalement le soutien d’aucun homme.

Et puis une réalisatrice et un acteur qui dénoncent le massacre en cours à Gaza et, en parlant de Navalny, d’Assange…, rappellent à quel point un journalisme indépendant est nécessaire.

Et je vois des similitudes entre les hommes qui regardent leurs godasses quand Godrèche parle des abus sexuels et affectifs commis par des adultes sur des mineur-es, et « l’Occident » (je ne sais pas si cela existe, ce sera un raccourci) qui regarde ses godasses pendant que Netanyahu et sa bande de fanatiques religieux et fascistes vitrifient la Palestine, anéantissent un peuple et blessent Israël elle-même dans cet hubris.

Je vois des similitudes entre les enfants que tuent des adultes qui les agressent sexuellement, et les enfants gazaouis qui sont écrasés sous les bombes.

* * *

« Il était une fois le journalisme ».

On pourrait raconter cette histoire.

Elle pourrait faire le scénario d’un film, film qui pourrait aller aux Césars.

La différence entre le journalisme et les réseaux sociaux c’est, normalement, qu’au début de « la chaîne », il y a des êtres humains dont la profession (la formation) est d’informer, et que ces personnes sont (étaient ?) de préférence d’abord « sur le terrain ». Certain-es journalistes d’ailleurs ont payé (paient toujours : 70 journalistes tués à Gaza) du prix de leur vie cette mission d’intérêt général qui est d’informer.

Ils et elles informaient plus ou moins bien, de plus ou moins bonne foi, mais ce qu’ils et elles produisaient était produit dans un contexte globalement plus pluraliste, avec des sources de premier plan, informer était considéré comme une mission, un devoir, une activité de grande valeur dont il fallait défendre en soi la possibilité d’exister.

Je crois à la spécificité de la profession du journaliste (tout le monde ne peut pas s’improviser journaliste et n’importe-quel site ne peut pas se prétendre site d’information) et lorsqu’elle continue d’être exercée, je crois à son utilité majeure, à sa nécessité démocratique.

Je ne pense pas que le témoignage individuel suffise à faire l’information.

Je ne pense pas du tout que des individus isolés avec leur téléphone portable en main et quelques réseaux sociaux puissent totalement remplacer les journalistes ni l’information.  

Notamment parce-que l’information c’est du collectif (la rédaction), c’est du contradictoire, c’est a priori le désintéressement dans la collecte de l’information (on ne paie pas des informations même si on peut payer éventuellement certains intermédiaires comme les « fixeurs »), c’est la vérification de ce que l’on pense être un fait. Normalement, c’est aussi l’indépendance (ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ensuite au sein de sa rédaction on peut faire ce qu’on veut, il y a une ligne, elle est d’ailleurs souvent à connotation politique – et ce n’est pas grave, ce qu’il faut c’est le savoir – mais qu’au moins on doit pouvoir rapporter les informations que l’on veut) et une forme de déontologie.

* * *

Aujourd’hui, il y a une monstruosité qui se déroule (presque) chaque jour sous nos yeux.

Exactement comme ce que dénoncent les actrices au cinéma : sous nos yeux.

Des dizaines de milliers de personnes sont tuées depuis mi-octobre en Palestine. Essentiellement, des femmes et des enfants.

Pourquoi sont-elles tuées ? Je ne sais pas si la question a du sens. Mais il y a manifestement des discours différents en fonction de qui s’exprime (« punir les massacres du 7 octobre », « anéantir le Hamas », « récupérer la Palestine », « assurer la sécurité d’Israël », « récupérer les otages »…) et sans doute énormément de non-dits plus ou moins pensables (le racialisme, la géopolitique, la colonisation etc).

Mais aucune justification n’est la bonne, et tout est également insusceptible de justifier ce massacre quotidien.

Kaouther Ben Hania d’abord, puis Arieh Worthalter, tous les deux si beaux dans leurs habits de cérémonie, ont eu le courage de nous le rappeler à la fois humainement, poétiquement mais aussi brutalement : « c’est le premier massacre en live-screen ». « Il faut stopper le massacre ».

Je dis « presque sous nos yeux » parce qu’en réalité, ça n’est pas vrai et c’est bien une partie du problème.

Celleux qui portent un intérêt, qui ont les « bons réseaux sociaux » (pour différentes raisons) voient des choses (et d’une certaine manière), mais les autres ne voient pas car le journalisme est absent de Gaza, de Raffah, de Palestine.

Le journalisme est absent, la population n’est pas informée (une collection d’écrans individuels n’est pas l’information d’une population) et dans ce morcellement et cette charge individuelle qui pèse sur chacun-e, il y a le fractionnement de notre société en groupes qui ne se retrouveront plus et au fond, une atteinte très grave à la démocratie.

Mais surtout, chose qui devrait nous faire défaillir de rage et réagir d’indignation, le journalisme est en réalité interdit par le gouvernement israélien, qui a fini de parfaire cette sale manie du « journalisme embedded » (ce qui est en soi un oxymore – là où il n’y a plus d’indépendance, plus d’autonomie, il n’y a plus de journalisme).

Et c’est là que je veux en venir.

Avant même de savoir ce que je voudrais penser ou ressentir, j’aimerais pouvoir être informée.

Or, je ne peux pas l’être.

Car se contenter de ce que valide Israël n’est évidemment pas suffisant à ce que je considère nécessaire pour être informée en tant que citoyenne dans un pays comme la France. Je ne devrais pas avoir à chercher sur quels bons réseaux sociaux je peux avoir une bonne information pour être bien informée en tant que citoyenne.

Pour moi le drame et l’atteinte à la démocratie commencent là aussi.

Je ne peux d’abord pas être informée sur ce qu’il se passe réellement sur place et cela seul m’est insupportable.

Je ne le supporte plus, vraiment.

Savoir qu’il n’y a plus de journalistes à Gaza, en Palestine, plus personne pour contrer la machine de propagande de l’Etat israélien, cela me rend malade.

C’est comme si je devais accepter d’avancer dans la vie avec un masque sur les yeux et des bouchons dans les oreilles. Je ne veux pas.

Le journalisme a vraiment fait son travail sur les violences sexuelles, c’est la différence avec Gaza.

Que le Prince de Galles, William, futur roi d’Angleterre (pardon mais ce n’est pas « rien »), ait pris la parole il y a quelques jours pour dénoncer publiquement cette guerre, dire qu’il fallait mettre fin au massacre en cours à Gaza, est en soi un évènement politique important en Europe. La Grande-Bretagne, ce n’est pas rien. La vie politique de ce pays, c’est important pour nous en France. L’évènement est à double titre majeur. Alors qu’on titre sur le cancer du roi Charles à profusion, cette information-là est quasiment passée sous silence.

Pourquoi ?

J’aimerais aussi pouvoir lire ou entendre dans un média quotidien national un sujet sur le poids dans les guerres, dans l’industrie de l’armement, des entreprises israéliennes. Et sur l’information !

J’aimerais qu’un ou une journaliste fasse enfin le lien entre les positions géostratégiques, les guerres ici et là, la crise économique et les industries de l’armement. Ce n’est pas la peine d’être marxiste. Il suffirait de faire son travail.

J’aimerais un développement sur ce type d’information trouvée par hasard dans Les Echos fin 2023 : « Israël a finalisé jeudi le plus gros pactole d’armement de son histoire en Allemagne avec la signature d’un contrat de 3,5 milliards de dollars pour des batteries d’interception de missiles balistiques. Ce succès traduit la percée spectaculaire des exportations militaires israéliennes vers l’Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. » [1]

Car la guerre israélienne est aussi une guerre de prédation. Il faut des terres, des ressources, pour la machine à produire des armes et des logiciels.

* * *

Mais surtout, j’aimerais que l’on cesse de tuer des enfants.

Qu’on les tue en leur imposant des actes sexuels auxquels ils ne peuvent valablement consentir, qu’ils n’ont pas la maturité de traiter psychiquement, qu’ils n’ont pas la maturité de vivre physiquement. Ça n’est pas que le cinéma. Des millions de pédocriminels dont G. Matzneff a longtemps été le héraut se repaissent des corps des enfants de Thaïlande, des Philippines, du Maroc … et malheureusement de tant d’endroits dans le monde, et notamment en France. Plus ils sont vulnérables à cause des guerres, de la misère, des inégalités, des changements climatiques… plus le risque est grand pour eux ici et là.

Qu’on les tue en les écrabouillant sous des bombes, en tuant leurs parents, en détruisant leurs maisons à coup de drones, de chars, de missiles. Qu’on les tue en leur volant la possibilité même d’une identité. Qu’on les tue en anéantissant leur culture, le peuple auquel ils appartiennent. Qu’on les tue en les enfermant dans des camps qui sont souvent atroces et ensuite eux-mêmes bombardés.

Qu’on les tue en ne leur laissant comme alternative qu’une fuite payée des milliers de dollars, un exil sur un canot pneumatique, pour arriver, s’ils y arrivent sans être engloutis par les flots, dans des pays qui ne leur ressembleront pas et qui ne voudront pas d’eux, où ils seront des proies « puissance mille ».

Souvent je pense à ces enfants.

Petits, frêles, dans leur blouson, dans leur pyjama, un doudou serré contre leur cœur (car tous les enfants du monde ont des doudous), apeurés, leur cœur cognant à tout rompre dans leur poitrine, leurs oreilles bourdonnant d’angoisse, leur petite main cherchant celle de leur père, de leur sœur, leurs pleurs silencieux dans le noir. Perdus, désespérés, choqués à jamais…

« Parce que vous savez que cette solitude, c’est la mienne mais également celle de milliers dans notre société. » (J. Godrèche).

« Ce n’est pas parce-que les choses sont difficiles que nous n’osons pas mais parce que nous n’osons pas qu’elles le deviennent » (A. Worthalter).

« Arrêter de tuer des enfants devient une revendication radicale » (K. Ben Hania).

[1] https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/armement-contrat-historique-pour-israel-en-allemagne-1982750

Elodie Tuaillon Hibon
Avocate au Barreau de Paris
https://blogs.mediapart.fr/elodie-tuaillonhibon/blog/240224/arretez-de-tuer-des-enfants-nous-avons-besoin-du-journalisme

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture