Entre instrumentalisation et déni (+ autres textes)

  • Linda Kinstler : Entre instrumentalisation et déni – la façon dont Israël justifie la destruction de Gaza alimente une vague de contre-vérités
  • A l’appel du peuple palestinien, une campagne internationale exige l’exclusion d’Israël des J.O. 2024
  • Gilbert Achcar : « L’Iran s’est trouvé mis au pied du mur par l’attaque contre son consulat »
  • Gideon Levy : Opinion – Si l’Iran attaque Israël, ce sont les décideurs israéliens irresponsables qui sont à blâmer
  • Roser Garí Pérez : La solidarité avec la Palestine se renforce face à la répression étatique
  • Liens avec d’autres textes

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Entre instrumentalisation et déni – la façon dont Israël justifie la destruction de Gaza alimente une vague de contre-vérités

Depuis le 7 octobre, l’utilisation par Israël de données factuelles pour justifier la dévastation de la bande de Gaza a alimenté une vague de contre-vérités.

Début décembre, la société de production israélienne Yes Studios a sorti un nouveau film, #NOVA, qui retrace la façon dont des participant.e.s au festival de musique trance Supernova ont vécu les attentats du 7 octobre. Le documentaire, qui est visible sur YouTube en Israël mais n’a pas encore été diffusé à grande échelle, est presque entièrement composé de vidéos, d’enregistrements et de textos provenant de téléphones portables de festivaliers. Il commence par un message audio d’une survivante qui appelle son père alors qu’elle tente de s’éloigner de la fusillade. Il lui dit de raccrocher et de faire la morte. La séquence suivante est composée de fragments de vidéos des heures précédant l’attaque du Hamas : Les festivaliers attachent leurs bracelets, admirent leurs tenues dans le miroir, se trémoussent sur les rythmes trépidants d’un DJ. Dans l’obscurité, une jeune fille agite un drapeau sur lequel on peut lire « Universo Parallelo », univers parallèle, le thème de la rave. La foule est montrée en train de sauter de manière synchronisée, les néons balayant les visages, une paire de crânes numérisés en technicolor hochant la tête et chatoyant au dessus d’eux. Le film montre ensuite le moment, aux premières heures du 7 octobre, où la musique s’arrête. Un agent de sécurité s’approche du DJ et lui dit d’arrêter de jouer, que la fête est finie, alerte rouge, et ordonne à la foule de se disperser. Un jeune homme, encore tout excité par l’ambiance de la rave, semble presque danser au rythme des explosions qui claquent au-dessus de sa tête, en riant et en scandant : « bam bam, bam bam, bam bam » : « bam bam, bam bam bam ! » Alors que les tirs de roquettes se poursuivent, une femme se dit : « Vous êtes foutus – qui peut bien organiser une fête à Gaza ? ».

#NOVA est l’un des nombreux films documentaires qui relatent les meurtres et les enlèvements d’Israéliens par des combattants du Hamas et leurs complices le 7 octobre. Il a été précédé par Bearing Witness, un film composé d’images tirées des cameras portatives individuelles et des enregistrements de téléphones portables de militants du Hamas et diffusé par l’armée israélienne, qui a été montré aux parlements et aux assemblées législatives des États-Unis, du Canada et en Europe, et projeté dans des universités, des consulats israéliens, des synagogues et des musées juifs. Un autre documentaire relatant l’attaque de la rave, Supernova : le massacre au festival musical, a été diffusé fin décembre en Israël et a été retenu en vue d’une distribution internationale. Un autre film sur l’attaque du festival, coproduit par la BBC, est en cours de production.

Ces films sont des objets de mémoire qui sont également présentés par leurs auteurs comme des éléments de preuve essentiels. Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, le gouvernement israélien – alors en plein déploiement de sa campagne militaire d’anéantissement contre Gaza – a commencé à mettre en garde contre un phénomène nouveau et virulent de négation de l’ampleur ou de la véracité de ces attentats perpétrés contre des Israéliens. En utilisant le vocable de « déni », le gouvernement cherchait à rappeler le précédent du révisionnisme concernant l’Holocauste – un parallèle qu’il n’a pas tardé à rendre explicite. Avant la première projection officielle de Bearing Witness, le 23 octobre à Tel Aviv, un porte-parole du gouvernement israélien a présenté le film comme une initiative visant à contrer un « phénomène de négationnisme semblable à celui de l’Holocauste ». Cette aspiration caractérise toute la série de documentaires. Noam Pinchas, l’un des réalisateurs de Supernovaa déclaré à Haaretz : « J’espère vraiment qu’il prouvera que ces choses se sont réellement produites ». Dan Pe’er, le réalisateur de #NOVA, a déclaré au journal que « le monde a besoin de comprendre l’holocauste que nous avons enduré, attesté par de nombreuses personnes qui y étaient ».

Des théories du complot qui rejettent ou diminuent ces violences ont en effet circulé sur la toile depuis le mois d’octobre . En janvier, le Washington Post a rapporté qu’« un nombre de personnes réduit mais croissant nie les données factuelles concernant ces événements, diffusant une série de contre-vérités et de récits fallacieux qui minimisent la violence ou en contestent l’origine ». Parmi ces scénarios construits sur la dénégation, le plus important est l’affirmation selon laquelle le 7 octobre a été une attaque « sous fausse bannière », une tentative déguisée d’Israël, ou peut-être des États-Unis, de créer un prétexte pour commencer à bombarder la bande de Gaza. Cette conspiration a sans doute été alimentée par le fait que des soldats israéliens ont effectivement tué des civils israéliens ce jour-là et qu’Israël a déclaré qu’il n’enquêterait pas sur ces incidents tant qu’il n’aurait pas achevé sa guerre contre Gaza. Une dynamique similaire s’est mise en place autour des récits contradictoires relatifs aux violences sexistes commises le 7 octobre et après : il s’est trouvé des gens pour qualifier d’invention toute affirmation selon laquelle des Israéliennes auraient été violées au cours de l’attaque, bien que les Nations unies aient affirmé qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » que certains de ces rapports étaient crédibles.

L’existence de ces courants négationnistes peut être alarmante, mais ils ont été alimentés par une réalité troublante : la violence du 7 octobre – en particulier les signalements de violences sexuelles – a été instrumentalisée presque dès le moment où elle s’est produite pour justifier des représailles d’une ampleur bien plus grande. L’accusation de viol, souvent racialisée, a historiquement servi à déshumaniser l’accusé, ce qui s’accorde bien avec les déclarations des autorités israéliennes qui proclament qu’elles sont engagées dans une bataille existentielle pour leur survie contre, pour reprendre les termes du ministre de la défense Yoav Gallant, des « animaux humains ». C’est ce genre de roulement de tambour qui est repris par les grands médias qui prétendent que le Hamas a fait un usage systématique du viol comme « arme de guerre », et qui s’amplifie même face à l’absence flagrante de preuves pour étayer cette lourde affirmation. De nombreux rapports sont non seulement largement non vérifiés, mais également invérifiables, étant donné que de nombreux morts ont été enterrés avant que des examens médico-légaux ou des autopsies n’aient été pratiqués. Par ailleurs, des rapports crédibles faisant état de soldats israéliens ayant violé, humilié et menacé des femmes palestiniennes en détention ont également fait surface. Les enjeux liés à ces présentations sont si importants et les faits concrets si limités qu’il n’est pas étonnant que l’instrumentalisation des affirmations fondées sur des preuves ait alimenté une tendance contraire à la contre-vérité.

Dans de telles conditions, le statut même de la « preuve » est dangereusement ébranlé. Les discours du gouvernement israélien ont amplement contribué à affaiblir son autorité : le jour où s’est tenue l’audience de la Cour internationale de justice dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël sur les violations présumées par Israël de la Convention sur le génocide, le ministère israélien des Affaires étrangères a fait en sorte que #NOVA soit projeté juste devant le Palais de la Paix. Le message était clair : les véritables preuves, laissait-on ainsi entendre, n’étaient pas présentées à l’intérieur du tribunal, où le groupe d’avocats sud-africains soutenait qu’Israël commettait un génocide contre le peuple palestinien, mais plutôt à l’extérieur, sur la place publique, où les atrocités commises par le Hamas contre les Israéliens étaient diffusées pour que chacun.e puisse en prendre connaissance. Ainsi, même s’ils visent à contrer une forme de déni, les films font également partie d’un dispositif médiatique qui en amplifie une autre. Ils rassemblent des preuves filmiques et photographiques non seulement pour inciter leurs spectateurs à regarder, mais aussi pour les dissuader de regarder ce qui se passe juste en dehors du cadre.

Regarder ces films, ou cliquer sur les documents relatifs aux attaques du 7 octobre que le gouvernement israélien a compilés et mis en ligne, revient à se faire enrôler dans quelque chose qui s’apparente à ce que l’universitaire Maayan Ali appelle la « guerre juridique visuelle », dans laquelle « les acteurs militaires et les représentants de l’État brandissent des images probantes pour justifier le recours à la force militaire ». Si la guerre juridique – la mobilisation du droit comme arme de guerre – figure parmi les tactiques militaires les plus marquantes de notre époque, le concept de « guerre juridique visuelle » indique dans quelle mesure il est possible de faire circuler et de mobiliser des images « pour justifier (ou condamner) un large éventail d’opérations militaires », affirme M. Ali. Plus on rappellera aux gens les horreurs du 7 octobre, plus ils seront disposés à cautionner moralement des actes de guerre inadmissibles.

Ou alors, plus les gens refusent cette enrôlement, plus il est possible qu’ils rejettent les images qui visent à le réaliser, et ce même s’ils doivent pour cela rejeter ce que leurs propres yeux leur ont montré. La guerre juridique visuelle mobilise la malléabilité des preuves au service de la logique militaire : ce qu’Ali appelle une « lutte pour le sens » devient un autre champ de bataille, un terrain tourmenté où plane un brouillard informationnel. Plus le gouvernement israélien clame haut et fort son indignation face au déni tout en continuant à le pratiquer – en instrumentalisant les événements du 7 octobre pour à la fois justifier et masquer le massacre des Palestiniens – plus il contribue à la mise en question des crimes commis contre ses propres ressortissants. En restreignant de façon stricte le champ d’ouverture de la caméra, les films qui prétendent informer sont devenus moins des œuvres de témoignage que des plaidoyers en faveur de la guerre.

L’un des principaux objectifs de cette mobilisation israélienne autour de la mémoire du 7 octobre est de la faire fusionner avec la mémoire de l’Holocauste, ce qui, en fin de compte, est préjudiciable à ces deux événements. De ce point de vue, il semblerait que cette campagne ait déjà connu un succès terrifiant : après que j’ai regardé le film #NOVA sur YouTube, la plate-forme m’a proposé de passer à des témoignages de survivants israéliens des attentats qui avaient été filmés et mis en ligne par l’USC Shoah Foundation, l’une des plus grandes archives de témoignages de survivants de l’Holocauste. J’ai cliqué sur la vidéo d’une interview de Yarin Levin, un jeune vétéran des forces de défense israéliennes qui avait assisté au festival avec ses amis. Il a raconté à son interlocuteur que lui et des centaines d’autres personnes étaient tombés dans une embuscade, qu’ils ne savaient pas dans quelle direction fuir et qu’il n’avait jamais entendu autant de coups de feu de toute sa vie. Au-dessous de la vidéo, YouTube a ajouté un bandeau explicatif qui présente le « contexte » de ses propos : un encadré dans lequel figure la définition de l’« Holocauste » donnée par l’Encyclopedia Britannica, c’est-à-dire l’« assassinat systématique, appuyé par l’État », de six millions de Juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale. Sur ce panneau, le temps a subi un effondrement : ce dont Levin témoignait, c’est du moins ce que cela laissait entendre, ne se limitait pas aux meurtres de juifs israéliens de ce jour-là, mais englobait les meurtres de juifs commis pendant l’Holocauste et tous les meurtres de juifs perpétrés au cours de l’histoire. Il a à peine eu la possibilité de faire état de ce qu’il a vécu, il a été vite englouti et « contextualisé », inscrit dans une histoire faite de destructions qui se à reproduisent.

La prolifération des documents audiovisuels relatifs aux attentats s’inscrit également dans cette logique et rappelle celle des films documentaires consacrés à la Shoah. À Nuremberg, le film « Les camps de concentration nazis » a restitué les scènes auxquelles l’armée américaine s’est trouvée confrontée lors de la libération des camps. Ce fut le premier film à être projeté dans le cadre d’une procédure pénale. « Nous allons vous montrer ces camps de concentration sous forme de films », avait annoncé le procureur général Robert H. Jackson dans son allocution d’ouverture du procès. « Nos preuves seront écœurantes et vous direz que je vous ai privés de votre sommeil ». Le film prouve son authenticité, comme l’a affirmé le juriste Lawrence Douglas, car il montre non seulement les camps, mais aussi les généraux et les soldats américains qui les ont traversés saisis d’horreur, de sorte que le spectateur participe au « spectacle du témoignage de l’acte de témoigner ». (Aujourd’hui, alors que des photographies de spectateurs regardant Bearing Witness circulent en ligne, nous sommes tous devenus partie prenante de ce spectacle. La réaction la plus viscérale et la plus immédiate aux images du film peut être enrôlée dans ce projet multidimensionnel de guerre juridique visuelle, dans un soutien à la réponse militaire aux événements qu’elles décrivent).

Mais quel est l’objectif de cette mise en scène des témoignages ? Parmi les leçons que la longue histoire de la mémoire de l’Holocauste aurait dû nous enseigner, il y a le fait qu’aucune preuve n’est suffisante pour endiguer le déni. Malgré toutes les preuves du contraire, malgré tous les témoignages, toutes les photographies et tous les films qui ont été rassemblés avec tant de soin pour sauvegarder la mémoire des vies juives perdues, il y a toujours des gens qui trouvent que les archives sont insuffisantes, qui exigent des preuves supplémentaires et qui restent obstinément sceptiques après que ces preuves leur ont été fournies. Ceux dont l’histoire a été niée tentent de trouver une réponse en multipliant les témoignages, les expertises, les vérifications de faits, en adoptant le langage du négateur – un langage qui, si l’on veut pouvoir réfuter ses allégations, avec la volonté de défendre la vérité, requiert un certain degré d’empirisme. Le seul fait de s’efforcer de répondre au mensonge peut en légitimer les prémisses, en donnant du crédit à des questionnements qui autrement ne mériteraient pas d’être sérieusement pris en compte. Réfuter le mensonge selon lequel il n’y avait pas de chambres à gaz à Auschwitz, cela signifie le prendre au sérieux – en réalité, pour le mettre en pleine lumière – et c’est répéter et diffuser cette allégation.

Parmi les leçons que la longue histoire de la mémoire de l’Holocauste aurait dû nous enseigner, il y a le fait qu’aucune preuve n’est suffisante pour endiguer le déni.

Cette corrélation indissociable est ce que le critique littéraire Marc Nichanian a appelé la « catastrophe du survivant », qui est contraint de regarder ses meurtriers en face, encore et encore, et de prouver sa propre mort, ce qui le pousse vers un état de « folie pure et simple ». « Depuis le début, avant même le début, le meurtrier est là, face à moi, et il me dit : Prouve-le ! Prouve-le donc si tu le peux ! Et moi, cela fait 90 ans que je me lève et que je le prouve », écrit-il dans La perversion historiographique, son étude sur les prolongements négationnistes du génocide arménien. Mais même 90 ans de témoignages ne suffiront pas. « Même lorsque la totalité des témoignages, pour le monde entier, dit la vérité sur la vérité, il se trouve qu’il y a encore de la place pour le questionnement, parce qu’il y a encore de la place pour les interprétations », dit Nichanian. Même lorsque le monde entier dit la vérité sur la vérité, cela ne suffit pas.

Le peuple juif est depuis longtemps pris dans la boucle désastreuse et démente de la survivance. Il n’est donc peut-être pas surprenant que le gouvernement israélien ait renoncé aux témoignages comme moyen de « dire la vérité », mais qu’il s’en soit emparé pour en faire de la hasbara, qui signifie littéralement « explication », mais pratiquement « propagande ». Entretemps, l’offensive israélienne contre Gaza a encore davantage pris un autre peuple au piège dans cette position impossible qu’il a lui aussi été forcé de tenir depuis 1948. Nichanian nous rappelle que le génocide arménien ne s’est pas terminé avec les massacres de masse, mais qu’il s’est poursuivi avec la destruction des documents attestant des efforts déployés par la suite pour obliger les criminels à rendre compte de leurs actes. La volonté génocidaire, affirme-t-il, ne se limite pas à détruire des peuples entiers, elle détruit également leurs archives, c’est-à-dire les documents mêmes qui auraient pu constituer une preuve à la fois de leur existence et de leur destruction. « On exige des preuves là où il n’y a pas de tombes », écrit-il. Dans les années futures, ceux qui auront survécu aux atrocités commises contre le peuple palestinien à Gaza se lèveront encore et encore, face à un parterre qui leur demandera effrontément : « Prouvez-le ! ». Même les morts seront appelés à participer, forcés de travailler dans leurs tombes pour présenter les circonstances de leurs propres meurtres. Le président Joe Biden en a donné la douloureuse confirmation lorsqu’il a déclaré sans aucune justification, en octobre, qu’il n’avait « aucune confiance » dans le nombre de morts calculé par le ministère de la santé de Gaza, pourtant généralement reconnu comme fiable quoique 

En février, la Knesset israélienne a approuvé en première lecture un projet de loi qui ferait de la négation de ce qui s’est passé le 7 octobre, ou de la minimisation de l’ampleur des attaques, un délit passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Dans un nouvelle tentative d’interpolation du passé juif dans le présent, l’homme politique de droite Oded Forer, auteur du projet de loi, s’est inspiré de la loi israélienne de 1986 interdisant la négation de l’Holocauste, qui prévoit la même peine, et a fait remarquer que la façon dont on discutait du 7 octobre « commençait à ressembler à la négation de l’Holocauste ». « La campagne pour défendre la mémoire du 7 octobre doit être menée maintenant et les forces qui tentent de dissimuler le mal absolu que nous avons connu le 7 octobre ne doivent pas être autorisées à se faire entendre », a déclaré M. Forer sur X, le jour où le projet de loi a été présenté. « Nous ne pouvons pas exiger des nations du monde qu’elles interdisent la négation du massacre, à l’instar de l’interdiction de la négation de l’Holocauste, sans nous-mêmes en faire autant. À notre époque, où les fausses informations sont diffusées sous stéroïdes, nous devons commencer le combat dès maintenant. »

Bien qu’en première lecture, le projet de loi ait été approuvé à l’unanimité par 29 membres de la Knesset, il a rencontré une opposition au sein du gouvernement israélien. Le procureur général Gali Baharav Miara s’est prononcé contre au motif qu’il « soulève d’importantes difficultés juridiques » et pourrait rendre plus difficile la poursuite des auteurs des attentats du 7 octobre. « Il va de soi que le tableau des preuves relatives à la nature et à la portée des actes détestables n’est pas complet », a-t-elle déclaré dans un communiqué. Selon elle, une loi interdisant de nier les attentats pourrait entraver les efforts déployés par son bureau pour recueillir des preuves et enquêter. Tant que les procédures judiciaires visant à établir les faits survenus le 7 octobre sont en cours, il serait contre-productif, voire pratiquement impossible, d’engager simultanément des poursuites pénales à l’encontre des personnes qui nient la réalité des faits survenus le 7 octobre. Dans sa déclaration, Mme Miara a également souligné que les lois interdisant la négation des faits sont généralement adoptées des décennies après les crimes considérés, une fois qu’une « compréhension historique claire » des événements a été établie. « Il convient de noter que la loi interdisant la négation de l’Holocauste n’a été adoptée qu’en 1986, soit une quarantaine d’années après l’Holocauste du peuple juif », a-t-elle écrit. En d’autres termes : On ne peut pas poursuivre le négationnisme avant d’avoir établi ce qui est exactement nié.

L’échange entre Forer et Miara répète la confrontation bien connue entre le législateur et le juriste, tous deux habilités, en vertu de leur position, à déterminer les « faits » de l’histoire à leur manière. S’il fut un temps où « à l’historien seul revenait la tâche d’établir les faits, de produire les preuves et de restituer la vérité », comme l’écrivait il y a plus de vingt ans l’universitaire français Pierre Nora, « aujourd’hui, l’historien est loin d’être le seul à construire le passé ; c’est un rôle qu’il partage avec le juge, le témoin, les médias et le législateur ». L’historien recueille des preuves et élabore une narration rétrospective minutieuse ; le juriste se préoccupe de ce que le dossier juridique contiendra ; les témoins parlent de ce qu’ils ont vu et de ce à quoi ils ont survécu, sachant qu’aucun témoignage ne suffira ; les médias donnent leur propre version des faits. Pourtant, si chacun de ces protagonistes peut contribuer à la « fabrication » du passé, seul le législateur est habilité à imposer sa propre interprétation de l’histoire à ses concitoyens. Le législateur est le seul à pouvoir adopter des lois établissant ce qui s’est passé ou pas, en évitant totalement le domaine confus des éléments factuels et des preuves. Il peut agir avant que les faits n’aient été établis, il peut pour ainsi dire les devancer, en délimitant les contours acceptables du passé avant même qu’il ne soit passé.

Ne permettre les enquêtes qu’une fois la guerre « finie », c’est se réjouir de l’érosion que subit la vérité entre-temps, c’est encourager la « lutte pour le sens » qui ne cesse de détourner l’attention des actes d’anéantissement qui se déroulent hors-champ.

Forer est l’un des nombreux élus Israéliens qui fabriquent déjà l’histoire en protestant contre les activités de recensement des faits. Les enquêtes sur les défaillances en cascade qui ont conduit au 7 octobre, et qui se sont poursuivies après cette date, sont actuellement « mises en attente » jusqu’à la fin de la guerre, parce que le gouvernement prétend qu’elles interféreraient avec l’activité militaire. C’est une position commode pour le moment parce qu’elle promet une « fin » qui ne viendra peut-être pas, renvoyant à un moment imaginaire où un gouvernement israélien imaginaire – un gouvernement qui a renoncé à sa guerre de vengeance et a cessé son agression non seulement contre Gaza, mais aussi contre sa propre société civile – se demandera en quoi il a si mal fait les choses. C’est également commode parce que les preuves se corrodent avec le temps ; autoriser des enquêtes uniquement lorsque la guerre « se termine », c’est se réjouir de l’érosion de la vérité dans l’intervalle, c’est encourager la « lutte pour le sens » à continuer de détourner l’attention des actes d’anéantissement qui se déroulent hors champ.

Bien que le bureau de Miara enquête sur les attaques du 7 octobre et ait participé à des discussions sur ce que pourraient être les procédures judiciaires à l’encontre des auteurs présumés, il n’y a pas encore de consensus sur la forme qu’elles pourraient prendre. (Autre référence intentionnelle à l’Holocauste, le procès Eichmann est souvent cité comme modèle envisageable, notamment en raison de son caractère public et parce que les avocats commis d’office israéliens ont déclaré qu’ils ne défendraient pas les membres du Hamas. Lors du procès Eichmann, l’accusé était représenté par des avocats allemands). Ici aussi, la « fin » de la guerre est invoquée comme un horizon imaginaire au-delà duquel ces questions peuvent être résolues, et la procédure judiciaire considérée comme une forme de conclusion. Quelle que soit la forme que prendront les inévitables procès – pénaux ou militaires, publics ou à huis clos -, ils ne rendront qu’une justice partielle. Le juriste, comme le législateur, travaille avec des outils émoussés. Israël tentera d’obliger le Hamas à répondre de ses actes en vertu de ses lois, tandis que le droit international cherchera à son tour à contraindre Israël à répondre de ses propres crimes. Les deux instances se trouvent limitées de par leur conception même : la première mobilisera le droit pénal national à des fins de vengeance et de consolidation de la nation, tandis que la seconde peut uniquement évaluer un vaste champ de méfaits à travers la toute petite lorgnette de la qualification juridique – sans parler des questions fondamentales qui se posent quant à la capacité à faire appliquer une quelconque décision. Lorsque les efforts déployés ne répondent pas aux immenses attentes qu’ils suscitent, c’est à l’historien qu’il incombera de ramasser les restes et de passer au crible les éléments de preuve qui auront réussi à subsister.

Toute guerre est, d’une manière ou d’une autre, une guerre mémorielle. Celle d’Israël est déjà bien entamée : La déclaration de Forer selon laquelle « la mobilisation pour la mémoire du 7 octobre doit être conduite maintenant » est d’une honnêteté déroutante, car elle indique clairement qu’en ce moment, le gouvernement israélien n’est pas intéressé par la compréhension de ce qui s’est passé le 7 octobre, ni au cours des terribles mois qui ont suivi. En revanche, il cherche à promouvoir une « campagne pour la mémoire du 7 octobre », à transformer une catastrophe dont les contours factuels n’ont pas encore été définitivement établis en une campagne politique qui peut être utilisée aux fins de l’État israélien et de sa guerre de vengeance contre la bande de Gaza. La proposition de loi s’inscrit dans le cadre d’une « campagne pour la mémoire » qui cherche à mobiliser le pouvoir destructeur de la mémoire elle-même. « Revendiquer le droit à la mémoire, c’est, au fond, réclamer la justice », avait prévenu Nora il y a plus de vingt ans. « Au vu des effets produits, cependant, cela s’est souvent transformé en un appel au meurtre ».

Linda Kinstler 10 avril 2024
Linda Kinstler est doctorante en rhétorique à l’université de Berkeley et rédactrice pour Jewish Currents. Ses écrits ont été publiés dans The Guardian Long ReadThe New York Times Magazine1843 Magazine, etc.
Elle est l’auteur de 
Come to this Court and Cry.
Lindakinstleror de Come to this Court and Cry.
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70468

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A l’appel du peuple palestinien, une campagne internationale exige l’exclusion d’Israël des J.O. 2024

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Les Jeux Olympiques vont se dérouler du 26 juillet au 11 août, ils seront précédés par le traditionnel parcours de la flamme olympique qui traversera la France métropolitaine du 8 mai au 7 juin, puis du 18 juin au 26 juillet.

Pour cette campagne, dans laquelle nous avons une responsabilité particulière puisque les J.O. se déroulent sur notre territoire, BDS France et l’AFPS sont partenaires.

Une série d’actions est prévue, elles sont destinées à manifester notre exigence de l’exclusion d’Israël des J.O. et à informer la population pour qu’elle se joigne à cette exigence

Cette campagne connaîtra plusieurs temps forts auxquels les comités locaux de BDS France et les groupes locaux de l’AFPS sont invités à participer le plus activement possible ainsi que toutes les personnes de conscience.

Une journée nationale d’actions le mercredi 8 mai, jour de l’arrivée de la flamme en France, à Marseille :
Rassemblement devant les mairies ou tout autre lieu laissé à votre initiative. Cette journée nationale d’actions sera accompagnée par une campagne internationale sur les réseaux sociaux.

* Une journée internationale d’actions le dimanche 23 juin, la journée olympique, symbole du sport et de l’Olympisme :
Les modalités de cette action seront précisées ultérieurement, mais cette date est à noter, dès maintenant, dans l’agenda.

* Des actions organisées localement sur le parcours de la flamme, dans les villes traversées et dans les villes étapes :
Pour vous permettre de visualiser ce parcours et voir à quelle date la flamme passera près de chez vous, vous trouverez ici
https://olympics.com/fr/paris-2024/relais-de-la-flamme-olympique/parcours
un tableau détaillé résumant les villes traversées et les villes étape.

Pour préparer vos actions, il faut que vous sachiez que la totalité du parcours de la flamme sera encadré par un dispositif policier sans commune mesure avec celui que nous connaissons, par exemple, sur le Tour de France : chaque porteur de flamme sera encadré par 115 policiers et gendarmes et tout le parcours devrait être barriéré. Dans ces conditions, il apparaît illusoire d’envisager des actions spectaculaires avec déploiement de banderoles et drapeaux au plus près du passage de la flamme. De telles actions, vouées d’avance à l’échec, ne pourraient que faire courir des risques inutiles aux militantes et militants qui y participeraient. Dans la mesure où l’objectif est d’informer et de sensibiliser le plus grand nombre de personnes, nous préconisons plutôt des actions « décalées » par rapport au parcours de la flamme, par exemple, la veille du passage ou de l’arrivée de la flamme ou, le jour même, dans un lieu hors du parcours.

Un matériel spécifique a été réalisé.
Il est téléchargeable ici :
https://drive.proton.me/urls/K60Q0X6RT0#70xw4o78fxFP

Il comprend :

  1. tract en couleur recto-verso (avec carré modifiable en bas du verso permettant l’ajout des coordonnées locales)
  2. banderole
  3. affiche
  4. autocollant 
  5. visuels pour les réseaux sociaux.

Deux pétitions internationales à signer et à faire signer massivement :
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tinyurl.com/signeko (plus de 294 000 signatures)
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tinyurl.com/signdiem25 (plus de 96 000 signatures)

Le génocide n’a pas sa place aux @olympics

Rejoignez la campagne pour #BanIsrael des @jeuxolympiques #paris2024

https://www.bdsfrance.org/a-lappel-du-peuple-palestinien-une-campagne-internationale-exige-lexclusion-disrael-des-j-o-2024/

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L’Iran s’est trouvé mis au pied du mur par l’attaque
contre son consulat »

Le chercheur franco-libanais Gilbert Achcar, professeur à l’École des études orientales et africaines de l’université de Londres, revient sur l’attaque israélienne du 1er avril contre le consulat à Damas et analyse la réponse de la République islamique. Il examine également les effets de ce regain de tension sur les négociations en cours pour mettre fin à la guerre à Gaza.

Que cherchait Israël en frappant le consulat d’Iran à Damas ?
L’attaque israélienne continuait la longue série de frappes contre des objectifs iraniens en Syrie, inaugurée depuis une dizaine d’années lorsque l’Iran a commencé à s’implanter dans ce pays à la faveur de la guerre civile postérieure au soulèvement populaire de 2011. Toutefois, les autorités israéliennes ne pouvaient ignorer que la destruction du consulat, adjacent à l’ambassade d’Iran, constituait une escalade majeure, au-delà même de l’identité des victimes, dont un haut-gradé du corps des « gardiens de la révolution », le bras armé idéologique du régime iranien, et sept autres officiers.

Il me semble donc qu’il s’agissait d’une provocation délibérée visant à susciter une riposte iranienne et enclencher un engrenage pouvant mener à une action de grande envergure contre l’Iran. Il y a pour cela deux raisons principales, dont l’une est « triviale » et l’autre stratégique. La raison triviale est que la fuite en avant militaire est dans l’intérêt de Benyamin Netanyahou, dont on sait que l’état de guerre conditionne son maintien au pouvoir. Elle est aussi dans l’intérêt de l’ensemble du gouvernement israélien, confronté à une antipathie croissante dans les opinons publiques occidentales. Or, une confrontation avec l’Iran à l’image très négative est de nature à restaurer la solidarité occidentale avec Israël. Cela s’applique aussi à l’administration Biden, qui a pâti ces derniers temps de la dégradation de l’image de son allié israélien.

Quant à la raison stratégique, elle est évidente : depuis que Donald Trump a répudié en 2018 l’accord sur le nucléaire conclu en 2015 avec l’Iran, ce dernier a considérablement accéléré son activité d’enrichissement d’uranium au point qu’il est aujourd’hui estimé qu’il ne faudrait que quelques jours à Téhéran pour produire au moins trois bombes nucléaires. Si l’on y ajoute la capacité de l’Iran en matière de frappe à distance, dont on a vu la démonstration samedi dernier, on comprend aisément la hantise d’Israël de perdre son monopole régional de l’armement nucléaire, et partant sa capacité dissuasive. Certes, Israël possède un nombre considérable de têtes nucléaires, mais son territoire est beaucoup plus exigu que celui de l’Iran. Il est donc à craindre que l’attaque contre le consulat ait été conçue comme première salve d’une escalade militaire devant conduire à une attaque israélienne contre le potentiel nucléaire iranien.

Que peut-on lire dans la réplique iranienne ? 
On peut y lire un grand embarras. Téhéran s’est trouvé mis au pied du mur par l’attaque contre son consulat. Sa « crédibilité » dissuasive a été considérablement érodée au fil des ans par des promesses répétées de vengeance jamais tenues, du moins à un niveau significatif, comme après l’assassinat en Irak, ordonné par Trump en janvier 2020, du chef de la force Al-Qods des « gardiens de la révolution », Qassem Soleimani. Il y a eu aussi l’absence d’intervention directe dans la guerre menée par Israël à Gaza, contrairement aux exhortations du Hamas. L’Iran s’est contenté de faire intervenir ses alliés libanais et yéménites, de façon autolimitée dans le cas du Hezbollah libanais.

Téhéran se devait donc d’agir cette fois-ci afin de ne pas perdre complètement la face. En même temps, les dirigeants iraniens sont conscients du but de la provocation israélienne et craignent une attaque sur leur sol avant d’avoir réalisé un équilibre de la terreur en se dotant de l’arme nucléaire. C’est pourquoi ils ont opté pour une attaque massive en apparence, dont ils savaient qu’elle n’aurait pas grand impact. Attaquer l’État du monde le mieux doté en défense aérienne, aidé de surcroît par de puissants alliés, dont les États-Unis au premier chef, avec des drones et des missiles de croisière à 1500 kilomètres de distance, pour un parcours de plusieurs heures, c’est s’attendre à ce que très peu arrive à destination. Seuls quelques missiles balistiques ont pu passer à travers les mailles du filet de protection israélien.

Les sources iraniennes se sont empressées de déclarer l’affaire close en ce qui les concerne. C’est bien naïf. S’ils avaient attaqué une représentation diplomatique israélienne aux Emirats arabes unis ou au Bahreïn, par exemple, personne n’aurait pu sérieusement le leur reprocher. Mais en lançant des centaines d’engins sur le territoire même d’Israël, ils ont donné en plein dans le panneau, légitimant ainsi une attaque israélienne directe sur leur propre territoire. Il n’est pas très difficile de comprendre qu’ils ont à la fois fait la preuve du danger qu’ils représentent pour Israël, renforçant ainsi l’argument israélien pour une destruction préventive de leur potentiel, et démontré leur faiblesse stratégique face à un adversaire bien mieux doté qu’eux. C’est à mon sens une erreur qui pourrait s’avérer aussi monumentale que celle qu’a commise le Hamas en lançant l’opération du 7 octobre 2023.

Quelles sont les conséquences sur la guerre menée à Gaza et les négociations ?
Les négociations étaient déjà dans l’impasse avant tout cela. Là, les perspectives d’un accord deviennent fort minces, d’autant que la pression occidentale sur Israël va très probablement diminuer en intensité et que l’incertitude plane au sujet des otages. Israël a déjà détruit la plus grande partie de Gaza, la transformant en champ de tir et d’intervention ponctuelle pour ses forces armées. Il reste Rafah, qu’Israël se prépare à envahir après en avoir déplacé la population civile. Cela nécessite un effort bien moindre que l’offensive menée jusqu’en janvier dernier. Par ailleurs, la confrontation avec l’Iran ne nécessite pas un surcroît de mobilisation terrestre, sauf au nord pour parer à une éventuelle offensive du Hezbollah. Quant au potentiel israélien de frappe à distance, il reste entier puisque l’administration Biden veille à le maintenir à niveau par des livraisons continues d’armement, outre sa contribution directe à l’effort de guerre israélien.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey
https://www.humanite.fr/monde/etats-unis/gilbert-achcar-liran-sest-trouve-mis-au-pied-du-mur-par-lattaque-contre-son-consulat
https://blogs.mediapart.fr/gilbert-achcar/blog/140424/l-iran-s-est-trouve-mis-au-pied-du-mur-par-l-attaque-contre-son-consulat

Iran-Israele, attacco e contrattacco
https://andream94.wordpress.com/2024/04/15/iran-israele-attacco-e-contrattacco/

El ataque al consulado iraní pone a Irán entre la espada y la pared
https://vientosur.info/el-ataque-al-consulado-irani-pone-a-iran-entre-la-espada-y-la-pared/

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Opinion – Si l’Iran attaque Israël,
ce sont les décideurs israéliens irresponsables qui sont à blâmer

Le général Mohammad Reza Zahedi a été tué le 1er avril lors d’une frappe sur le consulat iranien à Damas. Deux semaines plus tard, Israël attend avec inquiétude ce qui va suivre. À en juger d’après la mise en garde des États-Unis, les frappes iraniennes sont déjà sur le point d’arriver, et elles pourraient même se produire dans les heures qui séparent la rédaction de ces lignes de leur publication.

Après quelques jours durant lesquels on a pu comme d’habitude s’émerveiller des stupéfiantes capacités d’assassinat ciblé qui ont été encore manifestées dans la capitale syrienne – l’excellence des forces de renseignement, la précision des armes -, le moment de payer le prix approche, et le coût risque cette fois d’être insupportablement lourd. En tout état de cause, il dépassera la véritable valeur de ce meurtre, qui était peut-être justifié mais qui, comme tous les assassinats ciblés d’Israël, était inutile, sans intérêt et, cette fois-ci, sans doute également dangereux.

Zahedi était un militaire ; son élimination, comme tous les assassinats ciblés d’Israël, visait à envoyer un message de dissuasion et à réduire les capacités militaires de l’autre camp – l’Iran, dans le cas présent. Y a-t-il ne serait-ce qu’un seul officier de l’armée israélienne dont l’assassinat affecterait de manière significative les capacités militaires d’Israël ? Il n’y en a pas et il n’y en aura jamais.

Pourquoi avons-nous toujours tendance à croire qu’au sein du Hamas, du Hezbollah ou de l’Iran il y a des officiers dont l’élimination améliorerait notre sécurité nationale ? Israël a tué Zahedi parce que l’occasion de le faire s’est présentée. Et lorsque ce genre d’occasion se présente, personne parmi les hauts gradés ne résiste jamais à la douce tentation de mener à bien une nouvelle mission brillante à la James Bond. Que se passera-t-il ensuite ?

Le fait que rien ne soit encore jamais arrivé auparavant suffit à nous rassurer. Nous n’avons jamais payé le prix de ces assassinats. Depuis plusieurs années, Israël n’a cessé de provoquer l’Iran, au Liban, en Syrie, mais aussi sur le sol iranien, et n’en a pas payé le prix. Il serait insensé de croire que la corde sur laquelle Israël tire ne se rompra pas. Il se pourrait que ce moment soit venu.

Même un analyste militaire aussi mesuré et sobre qu’Amos Harel a écrit vendredi dans Haaretz que l’assassinat de Zahedi et celui des membres de la famille d’Ismail Haniyeh à Gaza le 10 avril ont été perpétrés sans que les conséquences en aient été suffisamment prises en compte. M. Harel a affirmé que les responsables israéliens impliqués n’avaient manifestement pas du tout discuté des implications de ces actes. Il faut vraiment faire preuve d’une arrogance insensée pour penser que l’Iran ne réagira jamais à ces provocations.

« Quiconque se lance dans une aventure aussi dangereuse que l’assassinat d’un commandant de la Force Qods au Liban sans en avoir au préalable examiné les conséquences, est une personne dangereuse et irresponsable dont les actes nous coûteront cher à tous ». Harel affirme que les assassinats perpétrés à Damas l’ont été sous la pression des militaires. La direction politique, qui a approuvé l’opération – le Premier ministre Benjamin Netanyahou, pour être précis – porte toute la responsabilité et le poids de la faute en ce qui concerne ses retombées, bien entendu.

Il faut le dire haut et fort : si une guerre avec l’Iran devait être déclenchée cette semaine, ou si l’Iran devait lancer une attaque sérieuse contre Israël, la responsabilité en incomberait à ceux qui ont approuvé les assassinats perpétrés à Damas.

Il s’agit déjà du deuxième assassinat ciblé d’Iraniens depuis le début de la guerre à Gaza. Lorsque l’Iran est concerné, il n’est question n’est question ni de moralité ni de justice, mais uniquement de sagesse. Provoquer l’Iran en ce moment – alors que les forces de défense israéliennes peinent et souffrent à Gaza, que la frontière israélienne avec le Liban s’enflamme et que la Cisjordanie menace d’en faire autant – est un acte dangereux que nous ne pouvons pas ignorer.

C’était clair le jour de la frappe sur Damas, alors que les Israéliens se faisaient des clins d’œil et savouraient les informations. C’est encore plus clair aujourd’hui, à la veille d’une attaque iranienne. Il est difficile de croire que même après cela, Israël commencera à faire preuve de retenue et de raison : La contre-attaque israélienne interviendra immédiatement et ce sera parti pour une guerre avec l’ennemi le plus dangereux et le plus puissant qu’Israël ait jamais affronté.

Est-ce là ce que voulaient les grands cerveaux, ceux qui ont donné les ordres, ceux qui ont mis à exécution les assassinats de Damas ? Est-ce ce que nous, Israéliens, nous voulons ? Est-ce vraiment ce dont nous avons besoin là maintenant, une guerre avec l’Iran ?

Surtout, ne dites pas, une fois de plus, qu’il n’y avait pas le choix. Il y avait un choix : ne pas tuer. Même si c’était mérité, même si c’était permis et même si c’était possible. La personne qui a envoyé les assassins a fait courir à Israël le risque d’une guerre avec l’Iran.

Gideon Levy
Source : Haaretz. 14 avril 2024 12:45 IDT :
https://www.haaretz.com/opinion/2024-04-14/ty-article-opinion/.premium/if-iran-attacks-israel-the-blame-lies-on-israels-irresponsible-decision-makers/0000018e-d8bc-d548-abef-ffff6eaa0000
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70474

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La solidarité avec la Palestine se renforce
face à la répression étatique

Le 5 avril 2024, le matin même du vote négatif de l’Allemagne sur la résolution de l’ONU visant à cesser l’envoi d’armes à Israël, un groupe d’associations d’avocats berlinois a déposé une action en justice d’urgence contre l’État allemand pour sa complicité dans le génocide à Gaza en continuant à envoyer des armes à Israël après les mesures de précaution ordonnées par la Cour internationale de justice de La Haye. Les entités et associations European Legal Support Center (ELSC), Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD), Law for Palestine, réunies sous l’initiative Justice and Accountability for Palestine et en collaboration avec Forensis, veulent par cette action faire cesser immédiatement l’envoi d’armes à Israël par le gouvernement allemand.

Comme le montre le rapport présenté par Forensis, l’Allemagne a expédié des milliards d’armes à Israël au cours des 20 dernières années et, au cours des deux dernières années, a fourni à Israël 47% de ses armes conventionnelles, ce qui fait de l’Allemagne le deuxième fournisseur d’armes de l’État sioniste après les États-Unis.

Lors de la conférence de presse à Berlin, plusieurs médias internationaux étaient présents, mais un seul média allemand, Junge Welt, l’un des rares journaux critiques à l’égard d’Israël et des actions de son gouvernement, était présent. Lors de la série d’interviews, par appel vidéo, un journaliste de la chaîne publique ZDF a interrogé l’avocate Nadija Samour sur des questions telles que : « « u’en est-il du Hamas et du droit international », « Israël a-t-il le droit de se défendre ? »

Après six mois de génocide et de crimes de guerre, la presse allemande, publique et privée, suit les directives d’Israël et concentre l’attention sur le Hamas et le 7 octobre – donc sur la prétendue légitimité d’Israël à se défendre – et ne juge pas important de se tourner vers le dépôt d’une action en justice contre son gouvernement pour sa complicité dans le génocide actuel.

L’Allemagne est également poursuivie cette semaine devant la Cour internationale de justice de La Haye contre le Nicaragua pour avoir continué à exporter des armes vers Israël et cessé de financer l’UNRWA, à la suite des mesures provisoires ordonnées par la même Cour dans l’affaire de l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide éventuel. Le Nicaragua soutient que l’Allemagne, par ces actions, ne prévient pas le génocide, comme elle est tenue de le faire en tant que signataire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Ce procès n’a pas non plus bénéficié d’une grande couverture médiatique dans le pays.

Dans le même temps, les associations qui luttent pour le peuple palestinien dans ce pays, telles que le Comité national palestinien unifié (Vereinigtes Palästinensisches Nationalkomitee), les Voix juives pour la paix au Moyen-Orient (Judische Stimme), la Force ouvrière (Arbeiter : innenmacht), la Gauche révolutionnaire (Revolutionäre Linke), Diem 25 et BDS organisent le week-end du 12 au 14 avril le Congrès de la Palestine à Berlin, où ils mettront en accusation le gouvernement allemand pour sa complicité dans l’extermination et l’apartheid commis à l’encontre du peuple palestinien. Parmi les orateurs figurent des militants éminents de la cause palestinienne tels que Ghassan Abu Sittah, Noura Erakat et Yanis Varoufakis.

Ce congrès dans ce pays est attaqué par la classe politique et la majorité des médias, qui le décrivent comme « Les antisémites du monde entier veulent se rencontrer à Berlin ». Tandis que la classe politique cherche à imposer son interdiction, la presse allemande publie les noms, adresses et emplois de certains des orateurs, qui reçoivent à présent des menaces, et la police criminelle effectue des perquisitions et des saisies d’appareils électroniques aux domiciles de ces orateurs. Dans un geste sans précédent depuis 75 ans, la caisse d’épargne Sparkasse, où se trouve Judische Stimme, l’organisation qui a collecté les droits d’entrée au congrès, a bloqué le compte de l’ONG juive et a demandé une liste des noms et adresses de tous les membres. Au lieu d’un tollé populaire de la part de toutes les personnes et de tous les médias qui sont censés lutter contre l’antisémitisme dans ce pays, c’est le silence et donc l’acceptation qui ont prévalu.

Après le gel des fonds, un événement était prévu pour le vendredi 5 avril à Berlin afin de collecter des fonds pour le congrès, avec une table ronde sur la répression par l’État allemand de la solidarité avec la Palestine, mais le lieu où il devait se tenir, où des rassemblements politiques et artistiques ont souvent lieu, a reçu un appel de la police qui, invoquant des « problèmes de sécurité », a fortement suggéré que l’événement n’ait pas lieu. Ne jugeant pas opportun de faire leur travail et de protéger l’événement, ils ont choisi de faire pression pour l’annuler, ce qui a contraint les organisateurs et les employés du lieu à y renoncer. Cet événement aura lieu dimanche dans un centre entièrement privé et donc à l’abri de la répression (économique) de l’État.

Face à cette terrible situation, les organisateurs du Congrès palestinien ont lancé un appel international de soutien et appellent tous les groupes et individus du mouvement de solidarité palestinien à manifester le 14 avril devant les ambassades et consulats allemands pour montrer à l’Allemagne qu’elle est seule à soutenir le régime sioniste. Plus d’informations ici. Ils font également savoir que le congrès sera retransmis. Des informations sont disponibles sur le même site web.

Le gouvernement allemand et la majorité de la société allemande sont dénoncés pour leur défense inébranlable d’Israël. De plus en plus de voix critiques dans le monde entier prêtent attention aux événements graves qui se déroulent en Allemagne. Dimanche prochain, le 14 avril, des rassemblements auront lieu en divers endroits devant les bureaux diplomatiques allemands. Il est temps que la société espagnole, qui a fait preuve d’une grande solidarité avec la Palestine et qui descendra à nouveau dans la rue dimanche 21 contre le génocide à Gaza, se joigne à ces voix.

09/04/2024, Roser Garí Pérez
https://vientosur.info/la-solidaridad-con-palestina-se-refuerza-frente-a-la-represion-estatal/

Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Six mois de ce cruel cauchemar
La destruction de Gaza est-elle irrémédiable ? Nos ami·es essaieront-iels de repartir à zéro ailleurs ? Comment allons-nous nous habituer à vivre sans les lieux que nous aimons ?
https://www.972mag.com/six-months-cruel-nightmare-gaza-war/
Face à l’ampleur de la mort, nos stylos se sentent impuissants à Gaza
L’assaut d’Israël a fait de moi une réfugiée, une sœur endeuillée et une mère d’enfants affamés. Mes activités journalistiques sont devenues presque impossibles.
https://www.972mag.com/gaza-death-war-journalism/
Netanyahou n’est pas le seul à vouloir prolonger la guerre
Une large coalition de forces politiques, de l’extrême droite israélienne à la gauche sioniste, a des motivations différentes pour faire de la guerre la nouvelle normalité.
https://www.972mag.com/netanyahu-prolonging-war-new-normal/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Entre instrumentalisation et déni (+ autres textes) »

  1. Briefing demain : La guerre d’IA d’Israël et les transferts d’armes

    Au début du mois, une enquête de +972 Magazine/Local Call a révélé que l’armée israélienne utilise une machine d’IA appelée « Lavender » pour identifier des cibles humaines avec peu ou pas de surveillance, les bombardant intentionnellement dans leurs maisons avec des civils. La Maison Blanche a indiqué qu’elle examinait le contenu de l’enquête, et le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s’est déclaré « profondément troublé » par le rapport, ajoutant : « Aucune partie des décisions de vie ou de mort qui affectent des familles entières ne devrait être déléguée au froid calcul des algorithmes ». Les révélations de ce type alimentent les efforts mondiaux visant à mettre un terme aux transferts d’armes et à conditionner l’aide militaire apportée à Israël. La pression s’accentue en particulier sur les gouvernements américain et allemand, qui fourniraient environ 99 % des armes importées par Israël.

    Rejoignez cette réunion d’information demain, mercredi 17 avril, de 13h00 à 14h00 ET / 20h00 à 21h00 (heure de Jérusalem ) pour le prochain épisode de « In Context : Briefings sur Israël-Palestine », afin d’en savoir plus sur les développements susmentionnés et plus encore, en s’inscrivant ici.

    Les intervenants sont les suivants

    Amjad Iraqi, rédacteur en chef du magazine +972 et membre d’Al-Shabaka.

    Meron Rapoport, rédacteur en chef de Local Call, qui a supervisé l’enquête conjointe sur la machine d’intelligence artificielle « Lavender » d’Israël.

    Fadi Abu Shammalah, collaborateur de Just Vision et journaliste palestinien de Gaza.

    Annelle Sheline, ancienne responsable des affaires étrangères au Bureau des affaires du Proche-Orient au sein du Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail du département d’État américain. Elle a démissionné du département d’État il y a trois semaines pour protester contre la poursuite des livraisons d’armes à Israël par l’administration Biden.

    Gabriel Schubiner, ancien ingénieur logiciel chez Google Research et organisateur de la campagne « No Tech for Apartheid ».

    Julia Bacha, directrice créative et réalisatrice de Just Vision(BoycottBudrus)(modératrice).

    Les participants auront l’occasion de poser des questions au cours de la séance d’information virtuelle. Réservez votre place pour cette réunion d’information du 17 avril en répondant ici.

    Cet événement est sponsorisé par Just Vision+972 MagazineJewish Currents et l’Institute for Middle East Understanding (IMEU).

    Veuillez noter que cette réunion d’information sera enregistrée et se déroulera virtuellement. Un lien Zoom sera fourni lors de l’inscription.

    Nous espérons vous y voir !
    L’équipe du magazine +972
    Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

    —–

    Briefing tomorrow: Israel’s AI Warfare & Arms Transfers 

    Earlier this month, a +972 Magazine/Local Call investigation revealed that the Israeli military is using an AI machine called “Lavender” to identify human targets with little to no oversight, intentionally bombing them in their homes alongside civilians. The White House noted that it was examining the contents of the investigation, and UN Secretary-General António Guterres expressedthat he was “deeply troubled” by the report, adding “No part of life and death decisions which impact entire families should be delegated to the cold calculation of algorithms.” Revelations such as these are fueling global efforts to halt arms transfers and condition military aid to Israel, with pressure particularly mounting on the U.S. and German governments, which are estimated to supply around 99 percent of the arms imported by Israel.

    Join this briefing tomorrow, Wednesday, Apr. 17, 1:00-2:00 p.m. ET / 8:00-9:00 p.m. Jerusalem time for the next installment of “In Context: Briefings on Israel-Palestine,” to hear about the above developments and more by registering here.

    Speakers include: 

    Amjad Iraqi, senior editor at +972 Magazine and a policy member of Al-Shabaka.

    Meron Rapoport, Local Call editor who oversaw the joint investigation of Israel’s “Lavender” AI machine.

    Fadi Abu Shammalah, Just Vision outreach associate and Palestinian journalist from Gaza.

    Annelle Sheline, former foreign affairs officer at the Office of Near Eastern Affairs in the US Department of State’s Bureau of Democracy, Human Rights and Labor. Sheline resigned from the State Department three weeks ago in protest over the Biden administration’s continued supply of weapons to Israel. 

    Gabriel Schubiner, former software engineer at Google Research and a worker-organizer with the No Tech for Apartheid campaign.

    Julia Bacha, Just Vision’s creative director and filmmaker (BoycottBudrus)(Moderator).

    There will be an opportunity to ask questions during the virtual briefing. Save your spot for this Apr. 17 briefing by RSVPing here.

    This event is sponsored by Just Vision+972 MagazineJewish Currents the Institute for Middle East Understanding (IMEU).

    Kindly note that this briefing will be on-the-record and conducted virtually. A Zoom link will be provided upon registration.

    We hope to see you there!

    The +972 Magazine team

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