« Il est de notre devoir de parler de toutes les luttes »

Entretien avec le Collectif Golem, un groupe juif français de gauche qui lutte contre l’antisémitisme et l’extrême droite.

En novembre, 180 000 personnes ont défilé dans les rues de Paris contre l’antisémitisme. Les drapeaux français flottent au-dessus de la foule. Des hommes politiques de premier plan, en activité ou à la retraite, se tenaient en tête de la manifestation, et les organisateurs se vantaient de la marche comme d’une manifestation ordonnée de citoyenneté républicaine. Mais à la périphérie, une échauffourée a éclaté. Au mépris de la présence du Rassemblement national (extrême droite), un groupe de manifestant·es a scandé : « Le Pen, dégage ! Les Juifs et les Juives ne veulent pas de toi ici ! » La police les a repoussés avec des boucliers anti-émeutes et des membres de la Ligue de défense juive d’extrême droite les ont agressés, mais le groupe de manifestant·es perturbateurs, organisé par le tout nouveau Collectif Golem, est resté dans la foule, désireux de se faire voir et entendre.

Il s’agissait d’une scène exceptionnelle dans une communauté de plus en plus assiégée ces dernières années. La plus grande communauté juive d’Europe est aussi l’une des plus précaires. Les institutions bénéficient d’une protection policière régulière. Les tensions éclatent souvent dans les banlieues de Paris, où de nombreuses et nombreux musulman·es et juifs/juives ayant immigré d’Afrique du Nord en traversant la Méditerranée vivent à proximité les uns des autres. Dans les années 2010, des fusillades islamistes contre une école juive et un supermarché casher ont renforcé les craintes de violence antisémite. En réaction, la population juive française, historiquement de gauche, s’est rapprochée du centre et même de la droite fasciste, qui se présente comme une barrière à l’immigration musulmane. La situation s’est encore détériorée depuis le 7 octobre. Les violences physiques et les menaces à l’encontre des Juifs/Juives ont augmenté, et deux agressions à l’arme blanche ont eu lieu. Dans de nombreuses communautés, les Juifs et les Juives ont peur de sortir de chez elles et de chez eux et les Juifs et les Juives françaises ont émigré en Israël en nombre record.

Le Collectif Golem représente quelque chose de nouveau dans la politique française. Créé par des militants et des militantes juives au lendemain du 7 octobre, l’organisation a rassemblé un large éventail de juifs et juives de gauche dans la lutte contre l’antisémitisme et l’extrême droite. Elle s’oppose à l’islamophobie républicaine en s’impliquant activement dans le mouvement contre la nouvelle loi anti-immigration défendue par le président Emmanuel Macron. Le groupe est horizontaliste et indépendant des institutions communautaires héritées du passé.

En décembre, nous avons rencontré Lola Yaïche, membre du Collectif Golem, pour l’interroger sur la fondation du groupe et discuter de la situation de la gauche juive. Nous avons formulé les questions ensemble, et Ben a mené l’entretien en français et l’a traduit en anglais. L’entretien a été édité pour plus de clarté et de taille.

Elisha Arafel et Benjamin Wexler

*-*

Benjamin Wexler : Est-il plus difficile d’être un·e juif/juive de gauche en France depuis le 7 octobre ?

Lola Yaïche : Bien sûr. La beauté du Collectif Golem, c’est que nous voulons en faire une maison pour les juifs et les juives de gauche. Comme beaucoup ont pu en témoigner, le Golem rassemble une multitude. J’aime bien l’expression « deux juifs/juives, trois opinions ». Eh bien, au Golem, nous sommes pleins de Juifs et de Juives et pleins d’opinions. Nous avons des juifs et des juives qui sont proches du judaïsme religieusement ou culturellement. Nous avons des gens qui ne sont attachés à leur judaïté qu’à travers leur histoire et la mémoire de la Shoah. Il y a des Juifs et des Juives de toutes les classes sociales. Toutes et tous s’identifient à la gauche et se sentent profondément seul·es depuis le 7 octobre. Elles et ils sont dans des syndicats, des organisations féministes, des organisations écologistes, et iels ont le sentiment que leurs camarades ne les ont pas écouté·es et ont nié ou minimisé les actions du Hamas. Elles et ils voient dans le Golem un espace militant dans lequel ils et elles peuvent respirer.

Wexler : Qu’est-ce qui a inspiré la création du Collectif Golem ?

Yaïche : En novembre, il y a eu une marche nationale en réponse à la multiplication des actes antisémites depuis le 7 octobre. Le problème, c’est que les partis d’extrême droite, le Rassemblement national (ex-Front national) et Reconquête (parti d’extrême droite anti-immigration fondé par Éric Zemmour), étaient invités. En tant que juifs et juives, mais aussi en tant que militant·es antiracistes contre l’islamophobie et l’homophobie, nous voulions lutter contre l’antisémitisme mais aussi faire barrage à l’extrême droite. Le groupe a donc été créé dans l’urgence, en deux ou trois jours seulement, comme une sorte de cordon sanitaire.

Wexler : Quelles ont été les réactions lors de la marche ?

Yaïche : Il y a eu quelques confrontations avec la police. Nous avons été bloqué·es, mais un avocat que nous avions amené avec nous a fait en sorte que nous ne soyons pas totalement piégé·es. Certains marcheurs et certaines marcheuses se sont joint·es à nous. Une partie de la communauté était reconnaissante et nous a dit : « Nous n’étions pas à l’aise en venant à cette marche, mais vous avez pu agir contre l’extrême droite, pour dire qu’elle ne sera jamais notre alliée contre l’antisémitisme ». Mais il y a aussi eu de vives réactions. Certain·es considèrent l’extrême droite comme l’alliée des Juifs, et des groupes comme la Ligue de défense juive nous ont menacé·es très clairement. Une autre partie de la communauté s’est plainte que nous politisions l’événement – comme s’il n’avait pas déjà été politisé ! Nous leur avons dit que nous ne voulions pas que la lutte contre l’antisémitisme soit instrumentalisée à des fins islamophobes et anti-migrant·es.

Wexler : Y a-t-il eu des réactions de la part des institutions communautaires juives ?

Yaïche : Oui, mais la plupart du temps de manière confidentielle. Nous avons reçu un appel de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui nous a remercié·es en leur nom. J’ai eu des contacts avec l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), et une partie de l’Union a proposé à ses membres de rejoindre notre groupe. Des remerciements publics sont venus d’institutions juives déjà ancrées à gauche, comme les Juifs révolutionnaires (JJR) et le groupe juif queer Oraaj.

[Depuis cet entretien, le Collectif Golem, JJR et l’UEJF ont organisé une conférence sur l’antisémitisme, qui s’est tenue le 6 février dernier].

D’autres institutions nous ont dénoncés et n’ont pas voulu participer à la marche. Certain·es juifs/juives anticoloniaux autoproclamé·es nous ont dit que la marche soutenait la politique du [Premier ministre israélien Benjamin] Netanyahou et le silence de Macron sur la guerre à Gaza, alors qu’il s’agissait simplement d’une marche contre l’antisémitisme.

Wexler : Quelle a été la réaction de la gauche au sens large ?

Yaïche : Une grande partie de la gauche a participé à la marche – les écologistes, le Parti socialiste, le Parti communiste   mais La France Insoumise l’a rejetée. Le leader du parti, Jean-Luc Mélenchon, a fait plusieurs remarques qui pourraient être qualifiées d’antisémites – quand il a dit que Jésus avait été crucifié par son propre peuple, c’est-à-dire par des Juifs ; quand il a parlé de la finance et des Juifs ; quand il a suggéré un complot dans l’affaire Merah [une attaque de 2012 liée à Al-Qaïda contre une école juive française]. Il y a aussi le Nouveau parti anticapitaliste, qui a célébré publiquement les actes du Hamas comme une forme de résistance. Il est donc clair que la gauche est divisée et qu’une partie de la gauche flirte avec l’antisémitisme.

Wexler : Comme vous le savez certainement, il y a eu des slogans racistes et islamophobes lors de la marche contre l’antisémitisme. Un membre du Golem a dit à Joseph Andras que s’il avait été musulman, il se serait senti mal à l’aise en participant à ce rassemblement. Les marches contre l’invasion de Gaza par Israël ont également parfois comporté des slogans antisémites. Comment le Golem tente-t-il de construire la solidarité entre les Juifs/juives et leurs voisin·es musulman·es et arabes dans ces conditions ?

Yaïche : Le Golem dit que nous marchons sur deux jambes, la jambe juive et la jambe gauche. Aucune n’est plus importante que l’autre. Notre réflexion est basée sur une analyse intersectionnelle des luttes et sur la lutte contre toutes les formes de discrimination. Nous avons donc fait de l’affichage sur le silence de certaines féministes face aux informations selon lesquelles le Hamas aurait commis des violences sexuelles à l’encontre de femmes israéliennes. Mais nous avons aussi parlé des femmes palestiniennes. Nous pensons qu’il est de notre devoir de parler de toutes les luttes, et si le Golem était à la marche contre l’antisémitisme aujourd’hui, il sera à la marche contre l’islamophobie demain. Le Golem veut être la maison des juifs et des juives de gauche, mais aussi de leurs allié·es, y compris les musulman·es, les chrétien·es et les athées.

Wexler : Certain·es de vos organisateurs/organisatrices sont-iels impliquées dans des manifestations pro-palestiniennes ?

Yaïche : Certain·es le sont. D’autres n’y vont pas car cela peut leur faire du mal d’être confronté·es à des slogans antisémites minimisant les actes du Hamas. Nous avons nos opinions sur le Proche-Orient, mais notre acte fondateur est la lutte contre l’antisémitisme. Certain·es de nos membres sont sionistes, d’autres ne le sont pas, d’autres encore sont plus attaché·es à l’histoire du Bund [parti socialiste juif]. Nous nous basons sur les exigences du droit international : nous exigeons un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages. Nous voulons que l’extrême droite israélienne soit écartée et qu’Israël ait un autre interlocuteur que le Hamas. Mais il y a un million d’opinions au sein du Golem sur le sionisme, et d’ailleurs, qu’est-ce que le sionisme ? Les définitions ne manquent pas.

Wexler : Votre groupe défie une certaine tendance dans les communautés juives : pour des raisons de sécurité et de bienséance, les Juifs et les Juives d’aujourd’hui s’engagent rarement collectivement dans des troubles publics. Comment construisez-vous une culture de protestation perturbatrice en dépit de ces obstacles ?

Yaïche : C’est une question d’expérience. Nous sommes nombreuses et nombreux à avoir des antécédents différents en matière d’activisme. Je suis impliquée dans des groupes écologistes et je participe à la désobéissance civile écologiste. La désobéissance civile, l’affichage, les perturbations font partie de notre culture militante. Si ce n’est pas accepté par d’autres groupes juifs ou par la communauté juive, que pouvons-nous faire ? C’est notre jambe gauche qui nous donne notre culture militante.

Wexler : Le Golem a récemment participé à une marche contre l’antisémitisme à Bruxelles. Souhaitez-vous vous développer au-delà de Paris ?

Yaïche : Nous espérons vraiment nous développer dans d’autres villes européennes et nous essayons déjà de nous développer de manière plus homogène en France. Pour l’instant, nous sommes plutôt centré·es sur Paris, mais une branche du Collectif Golem a commencé à se réunir à Marseille, bien qu’ils n’aient pas encore fait d’actions ou de déclarations publiques, et il y a des discussions sur Toulouse. Nous souhaitons avant tout que le Golem reste un groupe d’action directe. Et c’est justement pour faire de l’action perturbatrice que nous avons besoin d’être ancré·es territorialement. Nous sommes donc très heureuses et heureux de fonctionner en Belgique, et nous espérons l’étendre le plus possible. Pourquoi pas un Golem à Montréal ?

Wexler : Les juif et les juivss françaises et américaines semblent connaître des tendances similaires ces derniers temps, mais il y a encore de grandes différences. Bien que l’on craigne une augmentation de la violence antisémite en Amérique du Nord, elle ne fait pas partie de la vie juive comme c’est le cas en France. Alors que la gauche juive américaine est indépendante et bien organisée, les principales institutions politiques juives sont plus conservatrices et moins démocratiques qu’en Europe, et même les sionistes progressistes sont moins enclins à s’engager avec la gauche. La marche contre l’antisémitisme à Washington a été marquée par une forte présence de l’extrême droite, mais la gauche juive n’a pas fait de démonstration de force contre elle, contrairement à ce qui s’est passé en France. Alors que nos situations politiques semblent converger, que devrions-nous apprendre les uns des autres ?

Yaïche : Vous pouvez essayer de faire émerger des voix juives de gauche qui ont tendance à être isolées, séparées et dispersées, et montrer que vous avez une culture militante, que la gauche donne les outils pour s’organiser en tant que juifs/juives et juifs/juives de gauche. Pourquoi, selon vous, n’y a-t-il pas eu de réaction organisée de la gauche contre l’extrême droite lors de la marche [à Washington] ?

Wexler : Je dirais qu’il y a deux forces en présence. D’une part, la communauté juive centrale est non seulement moins ouverte à la gauche, mais elle est aussi plus opposée à tout type de conversation. Comparons cela à la France, où il y a une véritable rencontre de points de vue parce que c’est une communauté plus petite et parce que l’expérience de l’antisémitisme est plus vive. C’est l’autre question, la réalité immédiate de l’antisémitisme. Dans le cas du Golem, cela pousse les Juifs et les Juives de gauche à agir. C’est un peu plus compliqué en Amérique du Nord. C’est un moment difficile, car d’une part, il y a tant de discours racistes et islamophobes déguisés en discours contre l’antisémitisme, et d’autre part, nous constatons que la gauche est de plus en plus antisémite et ne peut pas entendre quand les Juifs et les Juives disent que cela nous fait peur.

Yaïche : Compte tenu du fait que l’antisémitisme est très virulent en France, nous, les victimes de l’antisémitisme, nous nous identifions les un·es aux autres. Je pense que le succès du collectif vient du fait qu’il a été initié par dix ou quinze personnes qui se connaissaient déjà par le biais de l’organisation ou des médias sociaux. L’action a réussi parce que nous étions un petit groupe, nous avons pu nous identifier rapidement, et c’est ainsi que le Golem a été conçu.

Wexler : Et vous êtes combien aujourd’hui ?

Yaïche : Nous sommes environ 300, mais beaucoup demandent à nous rejoindre. Cela va donc augmenter, et de façon exponentielle, j’en suis certaine.

Elisha Arafel, tailleuse de pierres de métier, est active dans l’organisation au sein de sa communauté juive locale et en tant que membre des Socialistes Démocratiques d’Amérique et de IfNotNow. 

Benjamin Wexler est un étudiant en histoire de premier cycle basé à Montréal, au Québec, dont les recherches portent sur le nationalisme, la race et l’antisémitisme.

https://www.dissentmagazine.org/online_articles/its-our-duty-to-talk-about-all-struggles/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

 

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture