Les bonnes raisons de défendre l’idée que, non, l’Ukraine n’a pas perdu la guerre (+ texte d’Antoine Rabadan)

Extrait d’un article traduit de l’espagnol qui expose les raisons d’éviter de céder au défaitisme quant aux possibilités de l’Ukraine de défendre ses positions sur le front, en 2024, comme à celles de reprendre l’offensive en 2025.
Je précise que ce qui est écrit ci-dessous résume bien comment les États européens qui soutiennent l’Ukraine voient la situation actuelle sur le terrain même de la guerre, mais aussi les effets géopolitiques induits et ce qu’ils en déduisent pour organiser l’aide en armement et compenser ainsi le tarissement du côté des Américains. On notera le souci qui prévaut parmi ces soutiens d’éviter un catastrophisme, jugé largement infondé, quant à la capacité des Ukrainiens à contenir les assauts russes le temps que l’aide en armement leur parvienne et à envisager la relance d’une offensive en 2025. Histoire de ne pas laisser à Poutine le monopole de l’idée que le temps joue en sa faveur !
En bref, ce qui est écrit dans cet article ne correspond pas globalement à mon point de vue de gauche anticapitaliste, à l’exception de la nécessité affirmée que, d’une part, les Ukrainiens reçoivent les armements les meilleurs pour se défendre et reconquérir les territoires qui leur ont été volés et que, d’autre part, l’on ne doive en aucune façon céder au défaitisme diffusé – du type  «ils n’y arrivent pas par la seule logique militaire » – par les officines russes. C’est dit, poutinistes en goguette, passez votre chemin, car ici, si la caravane passe et les chiens aboient, il se pourrait bien que ceux-ci finissent au chenil de FB. À bon entendeur salut. Bonne lecture.
Antoine Rabadan

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Quelque chose est en train de changer en Europe. La Russie n’est pas la seule à réagir
La guerre est, dans une grande mesure, un processus d’action-réaction. L’adaptation de l’armée russe est une réponse aux avancées spectaculaires de l’Ukraine au début de l’invasion, notamment à l’effondrement du front russe de Kharkiv à l’été 2022. De même, les revers subis par l’Ukraine et la situation alarmante qui se crée autour du projet expansionniste de la Russie – comme en témoignent l’interview de Vladimir Poutine avec Tucker Carlson, et les commentaires d’autres dirigeants russes comme Dmitri Medvedev – et la possibilité qu’une victoire de Trump relègue l’OTAN à l’insignifiance, suscitent un réveil sans précédent chez les alliés de Kiev. Le Japon et la Corée du Sud, par exemple, ont multiplié leur aide à l’Ukraine de manière exponentielle en réaction à l’augmentation des livraisons de la Chine à la Russie, convaincus qu’une victoire russe rendra plus probable une future attaque chinoise contre Taïwan et une guerre régionale en Asie.

Mais c’est en Europe que cette secousse est la plus tangible. Depuis décembre, plusieurs dirigeants politiques et militaires du continent ont mis en garde contre la probabilité d’une future agression russe contre le territoire de l’OTAN dans un délai de trois à cinq ans, et sur la nécessité de mettre ce délai à profit pour préparer une force de dissuasion crédible. Selon un décompte non exhaustif établi par El Confidencial, ces propos ont été tenus par le chef des services de renseignement polonais, le chef d’état-major britannique Patrick Saunders, l’ancien commandant britannique de l’OTAN, le chef d’état-major néerlandais, le chef d’état-major roumain, le ministre allemand de la défense Boris Pistorius, la première ministre estonienne par intérim Kaja Kallas, ainsi que par les services de renseignement du Danemark, de l’Estonie et de la Norvège.

Il ne s’agit pas seulement d’un raisonnement selon lequel une Russie victorieuse en Ukraine maintiendrait ses appétits expansionnistes, mais de l’estimation par ces services que la réorganisation militaire et le réarmement dans lesquels le pays s’est déjà engagé vont bien au-delà de ce qui est nécessaire pour gagner la guerre actuelle. En ce sens, la coïncidence de ces déclarations dans le temps et sur le contenu même des messages émis est le résultat d’une sorte de convergence nouvelle d’informations entre les partenaires de l’OTAN. L’urgence est renforcée par la possibilité que l’Europe – pour qui la guerre en Ukraine est bien plus cruciale que pour les États- Unis, qui jouent leur propre jeu en Ukraine – doive affronter la Russie seule, sans le soutien ferme de la Maison Blanche.

Le dernier en date à rejoindre le chœur de ces déclarants a été le président français Emmanuel Macron, qui a convoqué le lundi 26 février une réunion d’urgence des dirigeants de l’UE et de l’OTAN à Paris pour discuter de la nécessité d’empêcher une victoire russe en Ukraine. M. Macron a bousculé l’échiquier en déclarant que « nous ne devrions pas exclure » l’envoi de troupes de l’OTAN sur le front ukrainien, une possibilité que d’autres dirigeants européens, comme l’Allemand Olaf Scholz, se sont empressés d’écarter. Mais M. Macron n’est pas seul : les présidents polonais et slovaque, la première ministre par intérim de l’Estonie et le chef d’état-major néerlandais ont insisté sur le fait que « toutes les options doivent être sur la table ».

L’alternative immédiate à l’envoi de troupes de l’OTAN est toutefois claire : l’augmentation massive des livraisons d’armes à l’Ukraine, afin d’empêcher la Russie de sortir renforcée de cette guerre. « Les déclarations de certains dirigeants européens qui commencent à évoquer la possibilité que la Russie attaque l’OTAN à moyen terme montrent qu’il y a de plus en plus d’urgence, mais cela ne se retrouve pas toujours dans l’opinion publique », note M. Lasheras. « La Russie ne négociera qu’en position de faiblesse. Plus elle est forte sur le champ de bataille et dans l’arène politique, moins il y a d’options de négociation. C’est pourquoi je vois aujourd’hui toujours moins de possibilités de négociation, car la crise au Congrès américain et les retards en Europe n’ont fait qu’alimenter la perception de Poutine qu’il n’a qu’à attendre», affirme cet expert.

La situation n’est pas aussi critique que vous le pensez
L’Ukraine souffre d’une grave pénurie de munitions. Selon une étude du Royal United Services Institute (RUSI) de Londres, l’armée ukrainienne ne peut tirer qu’environ 2000 obus d’artillerie par jour à l’heure actuelle, contre 3000 ou plus pendant la majeure partie de l’année 2022 ou environ 7000 pendant la contre-offensive de cet été. En revanche, la Russie tire 10 000 salves par jour. Mais comme l’ont souligné plusieurs experts militaires, cette diminution n’est pas si critique, car une stratégie défensive, telle que celle à laquelle l’Ukraine est contrainte, nécessite moins de puissance de feu qu’une stratégie offensive.

Selon l’expert militaire Michael O’Hanlon, de la Brookings Institution, une grande partie de ces obus d’artillerie étaient gaspillés lors de bombardements massifs, de sorte qu’« une réduction n’entraîne pas nécessairement de lourdes pertes. Elle réduit toutefois les chances de succès d’une future contre-offensive », une situation qui pourrait encore s’aggraver si ce problème d’approvisionnement n’est pas résolu.

Le problème c’est qu’il faut du temps pour amener la bureaucratie européenne à changer de cap et que les difficultés logistiques liées à l’acheminement de matériel de l’étranger vers les lignes de front sont bien plus importantes que la plupart des gens ne le pensent. La bonne nouvelle, c’est que ce processus est déjà en cours et que les résultats commenceront à se faire sentir au second semestre 2024. Dans l’im- médiat, la France a levé son veto à l’utilisation de fonds européens pour l’achat de munitions auprès de fournisseurs extérieurs au continent. De son côté, l’Ukraine base sa nouvelle stratégie sur l’endiguement des avancées russes dans l’espoir de lancer une nouvelle contre-offensive générale en 2025.

[L’auteur de l’article ne mentionne pas l’importance de la bataille dans les airs que l’Ukraine livre, avec succès, à la Russie, privant celle-ci de ses pleins moyens de détection radar aériens mais aussi terrestres. Ce qui a un impact certain sur les capacités de ses forces terrestres à opérer les repérages essentiels à ses manœuvres sur le front, mais aussi à bénéficier de renfort en militaires et d’approvisionnement en matériels permettant de compenser les énormes pertes subies sur ledit front : voir ici www.youtube.com/watch?v=H9jisMtQeMM – Note d’Antoine Rabadan]

Dans le même temps, de nombreux pays et acteurs opèrent déjà de leur propre chef, en dehors du cadre de l’UE. L’entreprise allemande Rheinmetal, spécialisée dans les munitions, travaille à l’établissement d’usines de matériel militaire sur le sol ukrainien, en coopération avec un partenaire local. Le Danemark a fait don de toute son artillerie à l’Ukraine. De nombreuses usines de munitions européennes, comme Sastamala en Finlande, ont quadruplé leur production. L’État français travaille avec ses industries de défense à réduire les délais de production de ses missiles antiaériens Mistral et de ses systèmes d’artillerie Caesar.

Fin janvier, l’OTAN a signé une série de contrats d’achat de munitions de 155 mm pour une valeur de 1,  milliard de dollars. Selon l’Agence européenne de défense, la capacité de production des pays européens dans ce calibre de munitions a augmenté de 40% depuis le début de la guerre et devrait atteindre 1,4 million de cartouches par an d’ici à la fin de 2024. Cela ne suffira peut-être pas à couvrir la disparition éventuelle de l’aide américaine, mais la tendance est claire.

M. O’Hanlon affirme également que les problèmes de recrutement de l’Ukraine ne sont pas aussi profonds qu’il y paraît. « L’armée ukrainienne n’est pas près de manquer de personnel », affirme-t-il dans une récente analyse publiée dans le Washington Post. « Quelque 100 000 soldats ukrainiens sont tués ou blessés chaque année. C’est un coût humain tragique. Mais l’armée compte environ 750 000 soldats, et quelque 200 000 jeunes hommes deviennent conscriptibles chaque année. Si l’Ukraine abaisse l’âge de la conscription de 27 à 25 ans, comme elle l’envisage, près de 400 000 soldats supplémentaires seraient éligibles à la conscription l’année prochaine», explique-t-il.

Les messages concernant l’effondrement imminent de l’armée ukrainienne en raison du manque de soutien occidental sont donc pour le moins exagérés. Bien sûr, la guerre est imprévisible et beaucoup de choses peuvent se produire dans les mois à venir. Parfois même le succès ou l’échec sur le champ de bataille n’est qu’une question de chance. Mais les perspectives pour Kyiv sont loin d’être aussi sombres qu’il y paraît. Le triomphalisme pro-ukrainien des premiers jours n’était probablement pas fondé face à un conflit aussi complexe et comportant autant de variables, mais il en va de même aujourd’hui, en sens inverse, pour le défaitisme. « Les données [du réel] peuvent aussi finir par s’imposer », estime M. Lasheras. « Du côté européen, la volonté d’y parvenir est là ».

Daniel Iriarte
Publié sur le site d’information et d’analyse El Confidencial

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La guerre à un tournant ?

C’est ce qui serait en train de se dessiner. Et cela parce que ce qui a fait la force de la Russie, à savoir les faiblesses cumulées, majorées à l’extrême par le conglomérat impérialiste trumpiste-poutiniste, dans l’approvisionnement occidental en armes de l’Ukraine, est en train de se retourner : sous l’égide suractif de la Tchéquie (et pas spécialement de la France !), ce sont en effet des milliers d’obus qui, acquis de divers pays et dans l’attente de l’arrivée de missiles de longue portée et d’avions de chasse, vont affluer dans le pays de la résistance populaire acharnée qu’est l’Ukraine.

Si l’on veut bien se rappeler que la perte d’Avdiivka n’a été possible que par le déséquilibre provoqué par ce que j’évoque ci-dessus, à savoir une sous-utilisation imposée aux Ukrainiens de l’artillerie et de la capacité à neutraliser la supériorité aérienne de l’ennemi assurant à distance le largage des dévastatrices bombes planantes, il est permis de penser que les choses ne vont plus se passer aussi bien pour les Russes. « Aussi bien », c’est-à-dire, au prix d’une boucherie sans nom de leur côté et, à un niveau moindre, mais c’est déjà beaucoup, pour un pays comme l’Ukraine qui n’a pas la vocation totalitaire et terroriste de l’ennemi à envoyer à la mort en masse, sans compter, ses soldats.

Ce tournant, dont il faut espérer qu’il aura bien lieu, permettrait de remettre en place les choses que la propagande poutinienne chamboule en permanence (grâce à « notre » capacité infinie à nous laisser mener en bateau) sur sa prétendue supériorité guerrière, par son triomphalisme niais cachant si mal ce ratio cruel et tragique du nombre exponentiel de ses morts rapporté aux petits km2 carrés « conquis ».

Cela pourrait permettre aussi de mettre au pied du mur toute cette bande d’irresponsables de gauche, relayant le défaitisme que cherche à infuser parmi nous la propagande poutinienne et appelant, comme le premier trumpo-poutinien venu, à sevrer l’Ukraine des fournitures d’armes pour, osent-iels dire, que s’ouvrent des négociations de paix dont le tyran russe n’a pourtant de cesse de clamer qu’elles ne pourraient avoir lieu qu’à ses conditions ! Et encore comprenons, ce que ces égaré·es ne veulent pas voir, que ledit tyran ne devrait bénéficier d’aucune crédibilité « pacifiste », ou même négociatrice à ses conditions, au constat pourtant clair que les visées russes sur plus de territoires ukrainiens sont toujours là, que ses manoeuvres dans la Transnistrie moldave s’accentuent pour dessiner une opération de déstabilisation Donbass 2 dont on devrait savoir qu’elle anticiperait un nouveau cycle de guerre si l’on se mettait tousTes à sauter comme un cabri en criant « la paix, la paix » !

L’esprit munichois, voilà ce qui surgit des fantômes du passé et frappe d’amnésie sur ce qu’il a permis dans les années 30-40, voilà la faiblesse (soyons gentils) de certain·es démocrates, de certain·es gauches et de certain·es pacifistes. Faiblesse, on ne le dira jamais assez, qui fait la force de cette autoproclamée grandissime puissance russe dont le David ukrainien fait la démonstration permanente, y compris dans la pire adversité, qu’elle est un nain politique, un nain « seulement » capable de tuer au quotidien dans son propre pays tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à de la démocratie comme, dans sa logique totalitaire, il est capable de massacrer les Ukrainien.ne.s en transformant ses propres troupes mobilisées pour mener à bien ces massacres en une stupéfiante chair à canon.

En somme, soutenons activement, pierre de touche d’un internationalisme conséquent, l’incontournable renforcement de l’autodéfense, armée et non-armée, ukrainienne afin qu’elle continue à déconstruire les mystifications d’une paix qui se gagnerait sans relever le défi armé des Etats bellicistes néofascistes. Lesquels sont irrévocablement immunisés contre une paix qui ne soit pas le cheval de Troie d’une relance de la guerre à outrance. Lesquels doivent, tout aussi irrévocablement, être neutralisés militairement pour qu’ils le soient politiquement. Condition nécessaire, quoique non suffisante, pour que se maintienne ou se retrouve l’horizon de l’émancipation des peuples, chère à leurs authentiques ami·es, que lesdits Etats néofascistes cherchent à éradiquer sans retour ! Condition nécessaire, quoique non suffisante enfin, pour qu’une victoire politico-militaire de l’Ukraine ouvre durablement les espaces de paix et de liberté afin que le légitime combat de la gauche contre le militarisme ne se retrouve pas grevé et parasité par un renoncement mortifère à soutenir « sans réserve » la première ligne d’autodéfense armée des peuples qu’aura été (et est contre vents et marées) la résistance ukrainienne !

Antoine Rabadan

Textes publiés dans Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 28)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/23/nous-ecrivons-depuis-lespagne/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-28_compressed.pdf

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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