L’écocide israélien à Gaza est un véritable crime de guerre (+ autres textes)

  • L’écocide israélien à Gaza est un véritable crime de guerre
  • Gideon Levy et Alex Levac : Alors que la guerre fait rage à Gaza, la Cisjordanie s’est métamorphosée
  • Ruwaida Kamal Amer : « Dans un hôpital de Gaza surchargé et surpeuplé, les Palestiniens tentent de faire face à la fête du Ramadan »
  • Voix des femmes palestiniennes
  • À propos de B’Tselem
  • Gideon Levy : La gauche israélienne n’a pas à faire la morale à B’Tselem
  • Michael Sfard : Il n’y a pas que la bande de Gaza qui a besoin d’être reconstruite – L’éthique israélienne aussi

L’écocide israélien à Gaza est un véritable crime de guerre

Le fait qu’Israël soit accusé de crimes de guerre n’est pas nouveau, et le régime a eu recours à des mesures illégales et inhumaines depuis le premier jour où il a commencé à s’emparer des terres palestiniennes. Pourtant, les dévastations observées dans des pans entiers de Gaza et le mépris croissant des dirigeants israéliens pour les condamnations internationales, ont mis la planète face à ce qui est incontestable : l’état sioniste se rend responsable de génocide et d’écocide

Une analyse satellite révélée au Guardian montre des fermes dévastées et près de la moitié des arbres du territoire rasés. Outre la pollution croissante de l’air et de l’eau, les experts affirment que l’assaut israélien sur les écosystèmes de Gaza a rendu la région invivable.

Dans un entrepôt délabré de Rafah, Soha Abu Diab vit avec ses trois jeunes filles et plus de 20 autres membres de sa famille. Ils n’ont pas d’eau courante, pas de carburant et sont entourés d’égouts qui se répandent et de déchets qui s’accumulent.

Comme le reste des habitants de Gaza, ils craignent que l’air qu’ils respirent soit chargé de polluants et que l’eau soit porteuse de maladies. Au-delà des rues de la ville s’étendent des vergers et des oliveraies rasés, ainsi que des terres agricoles détruites par les bombes et les bulldozers.

« Cette vie n’est pas une vie », déclare Abu Diab, qui a été déplacé de la ville de Gaza. « Il y a de la pollution partout – dans l’air, dans l’eau dans laquelle nous nous baignons, dans l’eau que nous buvons, dans la nourriture que nous mangeons, dans la région qui nous entoure ».

Pour sa famille et des milliers d’autres, le coût humain de l’invasion israélienne de Gaza, lancée après l’attaque du Hamas le 7 octobre, est aggravé par une crise environnementale.

L’étendue des dégâts à Gaza n’a pas encore été documentée, mais l’analyse des images satellite fournies au Guardian montre la destruction d’environ 38 à 48% de la couverture arborée et des terres agricoles.

Les oliveraies et les fermes ont été réduites à de la terre tassée ; le sol et les eaux souterraines ont été contaminés par des munitions et des toxines ; la mer étouffe sous les eaux usées et les déchets ; l’air est pollué par la fumée et les particules.

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A gauche : les destructions causées aux cultures arboricoles, et à droite,
les destructions causées aux cultures sous serre – Image : The Guardian

Les chercheurs et les organisations environnementales affirment que la destruction aura des effets dévastateurs sur les écosystèmes et la biodiversité de Gaza. L’ampleur et l’impact potentiel à long terme des dégâts ont conduit à demander qu’ils soient considérés comme un « écocide » et fassent l’objet d’une enquête sur un éventuel crime de guerre.

Il ne reste que de la terre
Des images satellite, des photos et des vidéos prises sur le terrain montrent à quel point les terres agricoles, les vergers et les oliveraies de Gaza ont été détruits par la guerre.

He Yin, professeur adjoint de géographie à la Kent State University aux États-Unis, qui a étudié les dommages causés aux terres agricoles en Syrie pendant la guerre civile de 2011, a analysé des images satellite montrant que jusqu’à 48% de la couverture arborée de Gaza avait été perdue ou endommagée entre le 7 octobre et le 21 mars.

Outre les destructions directes dues à l’assaut militaire, le manque de combustible a contraint les habitants de Gaza à couper des arbres partout où ils en trouvaient pour les brûler afin de cuisiner ou de se chauffer.

« Des vergers entiers ont disparu, il ne reste plus que de la terre, on ne voit plus rien », explique M. Yin.

Une analyse satellite indépendante réalisée par Forensic Architecture (FA), un groupe de recherche basé à Londres qui enquête sur la violence d’État, a abouti à des résultats similaires.

Avant le 7 octobre, les fermes et les vergers couvraient environ 170 km², soit 47% de la superficie totale de Gaza. À la fin du mois de février, la FA estimait, à partir de données satellitaires, que l’activité militaire israélienne avait détruit plus de 65 km², soit 38% de ces terres.

Outre les terres cultivées, plus de 7 500 serres constituaient un élément essentiel de l’infrastructure agricole du territoire.

Près d’un tiers d’entre elles ont été entièrement détruites, selon l’analyse de la FA, allant de 90% dans le nord de la bande de Gaza à environ 40 % autour de Khan Younis.

« Ce qui reste, c’est la dévastation 
Samaneh Moafi, directrice adjointe de la recherche à la FA, décrit la destruction comme systématique.

Les chercheurs ont utilisé l’imagerie satellite pour documenter un processus répété dans de nombreux endroits, explique-t-elle : après les dommages initiaux causés par les bombardements aériens, les troupes au sol sont arrivées et ont complètement démantelé les serres, tandis que les tracteurs, les chars et les véhicules ont déraciné les vergers et les champs de culture.

« Ce qui reste, c’est la dévastation », dit Moafi. « Une région qui n’est plus vivable. »

L’enquête de la FA a porté sur une ferme située à Rast Jabalia, près de la frontière nord-est de Gaza, cultivée par la famille Abu Suffiyeh au cours de la dernière décennie. Cette famille a depuis été déplacée vers le sud. Leur ferme a été détruite et les vergers entièrement déracinés, remplacés par des remblais militaires et une nouvelle route qui les traverse.

« Il n’y a presque plus rien de reconnaissable là-bas », dit un membre de la famille. « Il n’y a plus aucune trace de la terre que nous connaissions. Ils l’ont totalement effacée. »

« C’est maintenant la même chose qu’avant : le désert… Il n’y a plus un seul arbre. Aucune trace de vie antérieure. Si j’y allais, je ne pourrais plus rien reconnaître ».

Israël a indiqué qu’il pourrait tenter de rendre certaines de ses démolitions permanentes, certains responsables proposant la création d’une « zone tampon » le long de la clôture entre Gaza et Israël, où se trouve une grande partie des terres agricoles.

Certaines démolitions ont déjà fait place à des infrastructures militaires israéliennes. Les enquêteurs de sources ouvertes Bellingcat affirment qu’environ 1740 hectares de terres semblent avoir été déblayés dans la zone située au sud de la ville de Gaza, où une nouvelle route, appelée Route 749 par Israël, est apparue, traversant toute la largeur du territoire.

L’armée israélienne affirme que cette route est une « nécessité militaire » construite pour « établir un point d’appui opérationnel dans la région et permettre le passage de forces et d’équipements logistiques ».

Depuis le début de la guerre, Israël a largué des dizaines de milliers de bombes sur Gaza. Des analyses par satellite effectuées en janvier indiquent qu’entre 50 et 62 % de tous les bâtiments ont été endommagés ou détruits.

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Serres en 2022, avant la guerre –
Image : Forensic Architecture/Planet Labs PBC

En janvier 2024, le PNUE [UN Environment Programme] estimait que les bombardements avaient laissé 22,9 millions de tonnes de débris et de matières dangereuses, la plupart des décombres contenant des restes humains.

« Il s’agit d’une quantité extrêmement importante de débris, en particulier pour une zone aussi réduite », indique le rapport. « Les composants des débris et des décombres peuvent contenir des substances nocives telles que l’amiante, des métaux lourds, des contaminants d’incendie, des munitions non explosées et des produits chimiques dangereux. »

Des piles de déchets et de l’eau empoisonnée
Les alentours de l’entrepôt qu’Abu Diab loue avec sa famille sont un véritable champ de ruines. Les eaux usées s’écoulent d’une maison bombardée située à proximité et les déchets se sont accumulés, comme partout près de la ville méridionale de Rafah, qui accueille aujourd’hui la majeure partie de la population de Gaza.

« Les eaux usées et les déchets autour de la maison sont une véritable tragédie. Les chats et les chiens sont attirés par les immondices et les répandent dans les rues », explique-t-elle.

La poursuite du conflit et du siège a entraîné l’effondrement total de l’infrastructure civile déjà fragile de Gaza, notamment en ce qui concerne le ramassage des ordures, le traitement des eaux usées, l’approvisionnement en carburant et la gestion de l’eau.

Wim Zwijnenburg, qui étudie l’impact des conflits sur l’environnement pour l’organisation pacifiste néerlandaise PAX, déclare : « En général, la guerre fait tout s’effondrer. À Gaza, la population est exposée à des risques supplémentaires liés à la pollution, à la contamination des eaux souterraines. Il s’agit de la destruction de tout ce dont la population civile dépend ».

La municipalité de Gaza a dressé la liste des dommages causés aux infrastructures, notant que 70 000 tonnes de déchets solides s’étaient accumulées depuis le 7 octobre. 

L’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, qui collecte les déchets dans les camps, est dans l’incapacité de fonctionner. M. Zwijnenburg indique que la PAX a identifié au moins 60 décharges sauvages dans le centre et le sud de la bande de Gaza.

Ameer, un habitant de Rafah, explique que les gens sont dépassés par la pollution de l’air, car ils utilisent n’importe quel bois ou plastique pour faire du feu, les voitures roulent à l’huile de cuisson, sans oublier les fumées laissées par les bombardements eux-mêmes.

« L’odeur est épouvantable et la fumée qui s’échappe des voitures est insupportable – j’en ai été malade pendant des jours », déclare-t-il. « L’odeur de la poudre à canon et ces gaz horribles provenant des bombardements en cours nuisent gravement à la population et à l’environnement. »

Lorsqu’Israël a coupé l’approvisionnement en carburant de Gaza après le 7 octobre, les coupures d’électricité qui en ont résulté ont empêché le pompage des eaux usées vers les stations d’épuration, ce qui a entraîné le déversement de 100 000 mètres cubes d’eaux usées par jour dans la mer, selon le PNUE.

Un acte d’écocide
L’ampleur et l’impact à long terme des destructions ont suscité des appels en faveur d’une enquête pour possible crime de guerre et d’une qualification d’écocide, qui couvre les dommages causés à l’environnement par des actions délibérées ou par négligence.

En vertu du statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale, le fait de lancer intentionnellement une attaque excessive en sachant qu’elle causera des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel constitue un crime de guerre. 

Les conventions de Genève exigent que les parties belligérantes n’utilisent pas de méthodes de guerre qui causent « des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».

Saeed Bagheri, maître de conférences en droit international à l’université de Reading, estime que même s’il existe des désaccords sur la manière d’appliquer ces articles, il y a suffisamment de raisons pour enquêter sur les dommages causés à l’environnement de Gaza.

Abeer al-Butmeh, coordinateur du réseau des ONG environnementales palestiniennes, déclare : « L’occupation israélienne a complètement endommagé tous les éléments de la vie et tous les éléments environnementaux à Gaza – elle a complètement détruit l’agriculture et la faune. »

« Ce qui se passe est, sans aucun doute, un écocide », déclare-t-elle. « Cela endommage complètement l’environnement de Gaza à long terme, et pas seulement à court terme. »

« Le peuple palestinien a une relation très forte avec la terre – il est très lié à sa terre et aussi à la mer », dit-elle. « Les habitants de Gaza ne peuvent pas vivre sans pêche, sans agriculture. »

« La destruction des terres agricoles et des infrastructures à Gaza est un acte délibéré d’écocide. »

« Les fermes et les serres visées sont essentielles à la production alimentaire locale d’une population déjà soumise à un siège de plusieurs décennies. Les effets de cette destruction agricole systématique sont exacerbés par d’autres actes délibérés de privation de ressources essentielles à la survie des Palestiniens à Gaza. »

Kaamil Ahmed, Damien Gayle, Aseel Mousa
29 mars 2024 – The Guardian
Traduction : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/ecocide-israelien-gaza-veritable-crime-de-guerre/

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Alors que la guerre fait rage à Gaza,
la Cisjordanie s’est métamorphosée

Au cours des six derniers mois, la Cisjordanie occupée a connu une métamorphose. La guerre a éclaté dans la bande de Gaza, mais la « punition » infligée à la Cisjordanie pour les événements du 7 octobre n’a pas tardé. Il n’est pas nécessaire d’avoir l’œil particulièrement aiguisé pour remarquer la révolution sur le terrain. Il n’est pas nécessaire d’être particulièrement perspicace pour comprendre qu’Israël et les communautés de colons ont exploité le sombre cauchemar de la guerre pour modifier la situation en Cisjordanie: pour intensifier l’occupation, étendre les périmètres des colonies, supprimer les dernières limites dans les interactions avec la population palestinienne et les laisser se déchaîner, le tout loin des yeux du monde.

Il est impossible de surestimer la profondeur et l’ampleur des changements intervenus en Cisjordanie au cours de ces derniers mois. La plupart d’entre eux, sinon tous, sont probablement irréversibles. La combinaison d’une guerre menée contre les Palestiniens, bien qu’à distance de la Cisjordanie, d’un gouvernement extrémiste de droite radicale dans lequel les colons occupent des positions qui leur donnent un pouvoir décisif sur l’occupation, de la montée en puissance de milices de colons armées et en uniforme et de l’indifférence générale de l’opinion publique a conduit à une nouvelle situation. Dans ces circonstances, la vulnérabilité des Palestiniens ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Cet incendie considérable fait rage, mais le regard de tous est dirigé loin de là, vers les champs de la mort entre la ville de Gaza et Rafah. Pourtant, peut-être plus encore qu’à Gaza, les répercussions de la révolution qui se déroule en Cisjordanie ne se limiteront pas à ce territoire. Elles s’infiltreront profondément dans tous les coins d’Israël.

Certains changements sont immédiatement visibles pour quiconque se déplace en Cisjordanie, d’autres le sont moins. La Cisjordanie est fermée et assiégée. Pratiquement toutes les villes et tous les villages palestiniens ont certaines routes d’accès, voire plusieurs, qui ont été fermées. En effet, la plupart des portes d’entrée grillagées, omniprésentes dans ces localités, ont été verrouillées par les Forces de défense israéliennes dès le 8 octobre. Avec un tel système de portes et d’autres barrières, un verrouillage total de la Cisjordanie peut être mis en place en peu de temps. Résultat ? La vie est devenue intolérable pour trois millions de personnes. Ce n’est pas seulement le temps perdu dans les déplacements prolongés d’un endroit à l’autre; c’est aussi le fait que l’on ne sait jamais si l’on arrivera à destination suite aux attentes pénibles et aux indignités subies dans les points de contrôle (checkpoints).

Aux portes verrouillées se sont ajoutés des dizaines de barrages routiers ad hoc érigés par les soldats. Ils apparaissent et disparaissent soudainement. Lorsqu’ils sont en place, la circulation devient un cauchemar pour tout Palestinien qui s’y heurte. La Cisjordanie est revenue près d’un quart de siècle en arrière, à l’époque de la seconde Intifada, mais cette fois sans l’Intifada.

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Un ami dont le père, âgé de 105 ans, est décédé cette semaine – et qui vit dans un village près de Tul Karm – a dit à sa famille et à ses amis de ne pas s’embarrasser de la coutume de rendre une visite de condoléances, parce que la circulation à l’entrée et à la sortie de cette ville va du cauchemar à l’impossibilité en raison de l’abondance des points de contrôle locaux. Au lieu de cela, il s’est rendu à Ramallah pour une journée afin de recevoir des visiteurs.

Quelque 150 000 Palestiniens de Cisjordanie qui étaient légalement autorisés à travailler en Israël n’ont plus le droit de le faire depuis le 8 octobre. Les conséquences pour l’économie palestinienne (et israélienne) sont évidentes. De même, les conséquences de l’inactivité forcée de dizaines de milliers de personnes sont tout aussi claires et prévisibles. Une autre source de revenus pour de nombreux Palestiniens – la récolte des olives – a également été bloquée par la guerre. Les oliveraies jouxtant les colonies sont désormais totalement inaccessibles aux Palestiniens, même pas par le biais d’une « coordination » avec les autorités israéliennes, comme cela était possible les années précédentes. Résultat : environ un tiers de la récolte est resté sur les arbres à un moment où la plupart des autres revenus ont disparu.

Quel est le lien direct entre la récolte des olives en Cisjordanie et la guerre à Gaza ? Il n’y en a pas, mais la guerre a apparemment offert une grande opportunité aux colons et à leurs partenaires au sein du gouvernement. Une occasion que les colons de Cisjordanie n’attendaient que pour malmener des Palestiniens en toute impunité, leur rendre la vie intolérable, les déposséder et les humilier jusqu’à ce qu’ils s’enfuient ou soient chassés. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les colons semblaient particulièrement joyeux cette semaine, à l’occasion de la fête [23-24 mars] de Pourim ?

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L’un des phénomènes les plus graves concerne les autorités israéliennes qui empêchent les Palestiniens d’accéder à leurs terres et d’y travailler, parfois en prévision d’une expulsion. Dror Etkes, de l’organisation non gouvernementale Kerem Navot, qui surveille les politiques foncières d’Israël dans les territoires occupés, estime que les Palestiniens ont été privés d’au moins 100 000 dunams (25 000 acres, environ 101 km2) de pâturages et de terres agricoles depuis le 7 octobre – et il s’agit là d’une estimation précautionneuse, ajoute-t-il.

Dans le même temps, un transfert silencieux de population se poursuit, petit à petit mais systématiquement, en particulier pour les habitants les plus faibles – ceux des communautés pastorales, principalement – aux deux pôles de la Cisjordanie: la vallée du Jourdain au nord et les collines du sud de l’Hébron de l’autre côté. Dror Etkes, qui a une connaissance inégalée des colonies, note que les habitants de 24 communautés ont été expulsés ou forcés de quitter leurs maisons et leurs terres à cause de la terreur exercée par les colons depuis le 7 octobre. Tous les habitants de 18 d’entre elles ont fui, tandis que dans les six autres, seuls quelques habitants se sont sentis obligés de partir. Un transfert de population, bien que clandestin.

Il y a plusieurs mois, dans un article a fait état de l’une de ces enclaves abandonnées: Il était déchirant de voir les habitants emballer et charger leurs maigres biens dans quelques vieilles camionnettes, y compris leurs troupeaux, quittant, probablement pour toujours, la terre sur laquelle eux et leurs ancêtres sont nés, en direction d’un monde inconnu.

Un autre acte criminel a été révélé lorsque nous avons documenté la confiscation à leurs propriétaires de 700 moutons, confiscation effectuée par des colons-soldats sur ordre du Conseil régional de la vallée du Jourdain qui n’a techniquement aucune autorité coercitive sur les résidents palestiniens locaux. Le groupe de bergers misérables a été contraint de payer immédiatement 150 000 shekels (environ 41 000 dollars) pour récupérer son troupeau – une somme énorme qui est allée directement dans les coffres des colons. Quelques semaines plus tard, Hagar Shezaf, dans Haaretz, a rapporté que le conseiller juridique de l’administration civile – le bras local du gouvernement militaire israélien – a déclaré illégale l’action odieuse et méprisable des colons.

Le fait que des hordes de colons aient revêtu l’uniforme des FDI ne semble avoir fait qu’accroître leur violence. Au cours des derniers mois, les « escouades de sécurité d’urgence » créées à l’occasion de la guerre dans pratiquement toutes les colonies et tous les avant-postes, ainsi que la mobilisation de milliers de colons réservistes suite à un décret d’urgence, leur ont apparemment donné le droit d’intensifier leurs actes de violence contre les Palestiniens en tant que seigneurs de la terre, représentants ostensibles de la loi et de l’Etat. De nombreux Palestiniens ont décrit des incidents au cours desquels les colons ont déclenché de véritables pogroms, arrivant soudainement en uniforme dans des véhicules tout-terrain, semant la violence, faisant en sorte que les habitants se sentent encore plus impuissants. Il n’y a apparemment personne pour protéger les communautés pastorales, à l’exception d’une poignée de volontaires israéliens qui cherchent à obtenir justice.

Dror Etkes mentionne au moins 11 avant-postes [d’une colonie future] établis sans permis au cours des six derniers mois, dont deux sur des terres que les bergers palestiniens ont fuies ou dont ils ont été expulsés. Cette semaine, il en a découvert un autre. Le site d’information anti-occupation Local Call a rapporté que dix jours après avoir commencé à construire un avant-poste à proximité, les colons ont effrayé les habitants de l’une de ces communautés, qui ont fui en masse.

Un avant-poste de ce type n’est parfois rien de plus qu’une ferme – une cabane abritant quelques gangsters violents dont le seul but est de faire fuir les Palestiniens. Récemment, leur tâche a été rendue encore plus facile. Un rapport intérimaire établi par Dror Etkes, pour marquer six mois de guerre, fait état d’au moins dix routes, d’un certain nombre de vastes étendues de terre clôturées et même de barrages routiers, tous créés par les colons sans autorisation. De plus, le gouvernement israélien a déclaré terre d’Etat 2640 dunams près de la colonie urbaine de Ma’aleh Adumim, et 8160 dunams dans la ville d’Aqraba, près de Naplouse [1].

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Des centaines de Palestiniens, principalement des enfants et des adolescents, ont été tués, la plupart sans raison apparente. Les soldats déployés en Cisjordanie semblent avoir la gâchette plus facile qu’auparavant. Peut-être sont-ils envieux de leurs camarades de Gaza, qui sont apparemment autorisés à tuer des gens sans discernement ? Les habitants de Cisjordanie ont-ils envie de se comporter comme eux, de se venger des Palestiniens en tant que tels, à cause des horreurs du 7 octobre ? Les FDI et la police des frontières ferment-elles plus qu’avant les yeux sur les événements violents qui se déroulent en Cisjordanie ?

Les données que nous présentons ci-dessous parlent d’elles-mêmes. La main sur la gâchette est légère et les commandants des FDI ainsi que le public israélien sont apathiques. Mais quiconque pense que cette violence de masse apparemment autorisée et que les morts resteront à l’intérieur des frontières de la Cisjordanie risque de se tromper.

En ce qui concerne les cas d’assassinats, beaucoup semblent non provoqués et criminels. Le 8 octobre déjà, des soldats ont tué Yasser Kasba, 18 ans, qui, selon l’armée, avait lancé un cocktail Molotov – personne n’a été blessé et il n’a mis personne en danger – au point de contrôle de Qalandiyah, près de Jérusalem. La fusillade a été retransmise en direct par la chaîne états-unienne de télévision par satellite en langue arabe Alhurra. Kasba a reçu une balle dans le dos alors qu’il s’enfuyait.

Cet incident a ouvert les vannes. Au cours des deux mois suivants, 31 personnes ont été tuées dans la région de Ramallah, dont une mère de sept enfants, sous les yeux de son mari et de ses enfants ; 42 personnes ont été tuées dans la région de Tulkarem au cours des six premières semaines, dont un handicapé mental de 63 ans et un adolescent de 15 ans qui a reçu deux balles dans la tête. Jusqu’à la fin du mois de février, 396 personnes au total ont été tuées en Cisjordanie, dont 100 enfants et adolescents – la grande majorité par des soldats – selon des données soigneusement vérifiées recueillies par l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem. Plus de la moitié des mineurs, note B’Tselem, ont été tués dans des circonstances qui ne justifiaient pas l’utilisation d’armes létales.

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Les jeunes résidents de Cisjordanie commencent à rédiger des documents qui ressemblent à leurs dernières volontés. Nous en avons rapporté un le mois dernier – celui d’Abdel Rahman Hamad, presque 18 ans, dont le rêve était d’étudier la médecine (Haaretz, 17 février 2024). Il a laissé des instructions détaillées sur ce qu’il faudrait faire s’il était tué : « Ne me mettez pas dans le réfrigérateur de la morgue », a-t-il écrit. « Enterrez-moi immédiatement. Allongez-moi sur mon lit, couvrez-moi de couvertures et transportez-moi pour l’enterrement. Lorsque vous me descendrez dans la tombe, restez à mes côtés. Mais ne soyez pas triste. Ne vous souvenez que des beaux moments que vous avez de moi et ne vous lamentez pas sur mon sort. »

Il y a également eu d’autres incidents. Deux jeunes de nationalité américaine ont été tués en l’espace de quelques semaines. Le jeune qui a été renversé de son vélo par une jeep militaire et abattu à bout portant. Les soldats et les colons qui, probablement ensemble, ont tiré une dizaine de balles sur un véhicule transportant deux jeunes en excursion, tuant l’un d’entre eux. Les 32 balles qui ont percuté une voiture transportant une famille – au cours de la poursuite par les forces de sécurité d’un véhicule qui avait franchi un poste de contrôle sans s’arrêter – tuant une fillette de 5 ans, dont le corps n’a été remis à la famille que 10 jours plus tard.

Un missile a tué sept jeunes hommes, dont quatre frères, à l’extérieur de Jénine. Un autre missile, tiré sur le centre du camp de réfugiés de Nur Shams [gouvernorat de Tulkarem], a tué six personnes et en a blessé sept, qui se sont vu refuser un traitement médical pendant plus d’une heure. Deux jeunes ayant des besoins spéciaux ont également été touchés, dont l’un mortellement. Trois frères qui rentraient chez eux après avoir cueilli des akoub, plantes comestibles ressemblant à des chardons, du côté israélien de la barrière de séparation, ont été victimes d’une chasse à l’homme au cours de laquelle les soldats ont tué deux des frères, blessé le troisième, puis arrêté un quatrième qui est arrivé sur les lieux plus tard. Tout aussi choquant est l’incident du garçon de 10 ans qui a été abattu dans le pick-up de son père et qui est tombé dans les bras de son frère de 7 ans, mort.

Et un mot sur les arrestations massives, dont on ne connaît même pas l’ampleur exacte. Au cours des deux premiers mois de la guerre, 4 785 personnes ont été arrêtées en Cisjordanie, selon les Nations unies. L’une d’entre elles, Munther Amira, était un détenu administratif (incarcéré sans procès), dont l’histoire, marquée par la torture, les coups et les humiliations à la prison d’Ofer, le « Guantanamo » israélien, a été racontée ici la semaine dernière [voir sur ce site la traduction, le 23 mars, de cet article]. Même cette prison cruelle avait un aspect très différent avant que la guerre n’éclate à Gaza. 

[1] Le 22 mars, lors de la visite du secrétaire d’Etat Antony Blinken, le ministre des Finances Bezalel Smotrich annonçait cette importante saisie de terre – la plus ample depuis la dite paix d’Oslo de 1993 – et la qualifiait « d’une nouvelle mesure spectaculaire et importante pour la colonisation » juive en Cisjordanie. (Réd)

Gideon Levy et Alex Levac
Article publié par Haaretzle 30 mars 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/alors-que-la-guerre-fait-rage-a-gaza-la-cisjordanie-sest-metamorphosee.html

Mientras la guerra se libra en Gaza, Cisjordania se ha transformado
https://vientosur.info/mientras-la-guerra-se-libra-en-gaza-cisjordania-se-ha-transformado/

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« Dans un hôpital de Gaza surchargé et surpeuplé,
les Palestiniens tentent de faire face à la fête du Ramadan »

L’Hôpital européen situé près de Khan Younès déborde de milliers de Palestiniens déplacés et blessés par la guerre d’Israël contre la bande de Gaza. Elle entre maintenant dans son septième mois. Les couloirs de l’hôpital et la cour extérieure sont envahis par des tentes, la souffrance de la population étant ainsi visible à tous. Il n’y a pas de chiffres vérifiés sur le nombre exact de personnes présentes – l’hôpital estime qu’environ 30 000 personnes sont entassées sur les lieux – mais les familles s’affrontent manifestement à d’immenses difficultés pour satisfaire les besoins les plus élémentaires. L’hôpital n’est en effet pas équipé pour servir d’abri de fortune massif.

Malgré les horreurs de la guerre, les Palestiniens font de leur mieux pour célébrer le mois sacré du Ramadan, l’Aïd al-Fitr approchant dans deux semaines. Les familles et le personnel de l’hôpital ont installé des décorations et les ont distribuées aux enfants pour qu’ils ornent les tentes et les couloirs, dans l’espoir de créer une atmosphère de fête au milieu de leurs terribles conditions de vie.

« Malgré les blessures, les martyrs, la guerre et les destructions subies par nos enfants, nos femmes et nos personnes âgées, nous restons inébranlables et essayons de célébrer le mois du jeûne », a déclaré Jamal Al-Masry, 55 ans, qui a dû fuir sa maison dans le camp de réfugiés d’Al-Shati [au nord, près de la ville de Gaza] et trouver refuge à l’Hôpital européen.

Hala Ghaben, 53 ans, qui vient du quartier Sheikh Radwan de la ville de Gaza, a déclaré que son fils était initialement parti pour la ville de Rafah afin d’essayer de vendre des décorations du Ramadan pour obtenir un peu d’argent en vue d’acheter de la nourriture pour la famille. Cependant, « lorsqu’il a vu les enfants [regarder les décorations], il a décidé de ne pas les vendre, mais de les donner gratuitement pour les rendre heureux ».

Les efforts déployés pour apporter un peu de réconfort ont été extrêmement difficiles. De nombreux adultes de l’hôpital ont exprimé leur profond découragement à l’idée de vivre le Ramadan loin de leurs maisons – dont beaucoup sont maintenant détruites –, tout en étant séparés de nombreux membres de leurs familles, dont certains ont été tués ou gravement blessés au cours de la guerre. L’absence de nourriture et d’eau potable, ainsi que des mois de malnutrition et de faim généralisées, ont rendu cette période de jeûne encore plus difficile à supporter.

Pourtant, ici, de nombreux enfants, bien que leurs maisons et leurs vies antérieures leur manquent, ont été heureux de ne pas être privés de certaines réjouissances. Et tout le monde ici, jeunes et vieux, garde l’espoir que ce mois apportera enfin la fin de la terrible guerre [1].

« J’ai perdu mes rêves, ma maison, mon enfance »
« Le mois de Ramadan était la plus belle période de l’année », déplore Hala Ghaben. « Les réunions de famille, les tables pleines de nourriture et décorées pour l’Iftar [repas de coupure du jeûne]. Nous allions au centre commercial pour faire des achats, ou nous commandions de délicieux repas dans des restaurants que nous apportions au bord de la mer pour y rompre le jeûne. »

Aujourd’hui, cependant, de nombreux membres de la famille de Hala Ghaben ont été dispersés par la guerre et savent à peine où se trouvent les uns et les autres. « Les personnes déplacées qui nous entourent sont dans un état de grande tristesse et de détresse. Nous ne nous réunissons plus avec nos voisins et nos amis pour les prières de Tarawih [prière du soir pendant le Ramadan]. J’ai perdu ma cuisine, dans laquelle je passais plus de quatre heures à préparer les plats les plus délicieux. Maintenant, je suis dans une tente et je m’assois sur le sable. Je n’ai pas assez d’ustensiles de cuisine. Il n’y a que des conserves, car les prix sont devenus très élevés. »

Lorsque la guerre a commencé, Hala Ghaben se trouvait en Egypte pour un traitement médical pour son dos. Les communications avec ses enfants et petits-enfants à Gaza City ont été constamment interrompues, jusqu’à ce qu’ils finissent par fuir vers le sud, à Khan Younès, où Hala Ghaben les a retrouvés après être rentrée dans Gaza pendant la trêve d’une semaine à la fin du mois de novembre. Ils n’ont trouvé aucun endroit où s’abriter, à l’exception de l’Hôpital européen. Ils ont installé des tentes dans le jardin de l’hôpital.

« J’ai été choquée par la situation ici », a-t-elle déclaré. « Il n’y a pas d’eau, pas de nourriture, rien. Je ne peux pas aller aux toilettes à cause des longues files d’attente. Nous ne pouvons pas nous soulager comme des gens normaux. Nous sommes privés de tout. Malheureusement, beaucoup de personnes déplacées ici urinent sur elles-mêmes parce qu’il n’y a pas assez de toilettes dans l’hôpital. »

La plupart des tentes voisinant l’hôpital sont étriquées, souligne-t-elle, « pas assez pour que 10 personnes puissent y dormir. Je reste assise toute la journée à l’entrée de la tente, à regarder les visages des gens. Parfois, des gens passent en portant des martyrs [des morts]. Nous ne pouvons plus pleurer, car nos cœurs ont été détruits sous l’effet de la douleur. Nous ne nous sentons pas en sécurité. Chaque jour, nous entendons les bombardements et les obus des chars israéliens. De nombreux missiles sont largués près de l’hôpital, faisant jaillir le sable du sol comme un volcan. »

Hala Ghaben a conclu avec tristesse : « Ce que nous vivons, ce sont les pires moments de notre vie, alors que ce sont les plus belles journées de l’année… J’avais l’espoir de retourner chez moi, à Sheikh Radwan. Chaque jour, j’attends des nouvelles de négociations de cessez-le-feu réussies, parce que la vie sous une tente est impossible. »

Khalil Abu Hasaneen, le petit-fils de Hal Ghaben âgé de 13 ans, est accablé par les affres de la guerre. « J’ai tout perdu dans cette guerre: mes rêves, ma maison, mon enfance », dit-il. « Je passe mon temps à chercher de l’eau et à attendre de la nourriture, à observer les blessés et les martyrs. Nous avons quitté notre maison à cause des bombardements intenses et nous sommes allés chez mes grands-parents, puis à l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza. Mais lorsque nous avons vu les tracts de l’armée israélienne ordonnant à tout le monde de se diriger vers le sud, nous nous sommes réfugiés à l’Hôpital européen. »

« Je vis une vie d’humiliation, d’oppression et de persécution dans cet hôpital », poursuit Khalil. « Avant la guerre, nous mangions du poulet et buvions de l’eau fraîche. J’aimais étudier et me faire beaucoup d’amis. Mais cette guerre m’a fait manger des conserves et boire de l’eau salée, et elle a tué mes amis et mes proches. Nous voulons retourner à Gaza. Ma maison et ma vie là-bas me manquent. »

Lorsque je l’ai interrogé sur la célébration du mois sacré, Khalil m’a répondu : « Il n’y a pas d’atmosphère de Ramadan. La vie à l’hôpital est inexistante. Mais je dois supporter les difficultés. Je n’ai pas le choix. Nous étions habitués à différentes cérémonies familiales dans nos maisons; les décorations et les lanternes me manquent. Gaza pendant le Ramadan était magnifique, mais la guerre a tout détruit. »

Même s’il essaie de garder un esprit positif pour le Ramadan, Jamal Al-Masry, d’Al-Shati, ne peut échapper à la tristesse et à la peur qui ont envahi les habitants de Gaza. « En tant que père et grand-père, je ne peux pas subvenir aux besoins les plus élémentaires de ma famille, comme la nourriture et l’eau. Il n’y a pas d’endroit où se soulager à l’hôpital. La surpopulation est insupportable. Tous les visages sont tristes, sans espoir de vie alors que la guerre se poursuit. L’hôpital ne peut pas être un abri pour des milliers de personnes – il peut déjà difficilement fournir des services médicaux aux malades et aux blessés. »

Jamal Al-Masry se souvient avec émotion des cérémonies du Ramadan avant la guerre, notamment le Suhoor (petit-déjeuner avant le début du jeûne à l’aube), les achats de nourriture et de vêtements sur les marchés locaux, et les heures passées à chercher des sucreries et des boissons. Mais à l’hôpital, il faut faire beaucoup d’efforts pour sentir que c’est le Ramadan. « Nous devons nous habituer à ces conditions, même si elles sont très difficiles. Mais nous sommes un peuple qui aime la vie et qui souhaite le bonheur et la sécurité. Peut-être qu’il s’agira du mois qui mettra fin à cette guerre. »

« Je ne peux pas quitter mon travail, c’est une grande responsabilité »
Entre-temps, l’Hôpital européen s’est efforcé de mener à bien ses opérations les plus élémentaires, sans parler des milliers de personnes qui ont trouvé refuge dans ses locaux et son voisinage. La situation est d’autant plus difficile que la plupart des hôpitaux de Gaza, y compris l’hôpital Nasser situé à proximité, ont été contraints de fermer en raison des bombardements israéliens intensifs, des raids terrestres et du siège permanent qui a épuisé les ressources vitales, qu’il s’agisse des fournitures médicales ou de l’électricité [2].

« Nous travaillons jour et nuit pour traiter les patients », a déclaré le Dr Omar Khattab, un chirurgien pédiatrique de 37 ans originaire de Khan Younès. « La surpopulation ici affecte négativement la qualité et la rapidité de notre travail. Nous ne pouvons pas nous déplacer rapidement dans les couloirs à cause des gens et des tentes. Lorsque les patients sont traités et doivent quitter l’hôpital, ils refusent de partir parce que leur maison ou leur quartier est soit démoli, soit encore dangereux, et ils restent donc avec leur famille à l’hôpital ou près de l’hôpital. C’est leur seul lieu de refuge. »

Les effets de la guerre ont eu un impact sur Omar Khattab personnellement. « Comme je travaille de longues heures et que j’étais très inquiet pour ma femme et mes trois enfants, je leur ai demandé de se réfugier à l’hôpital, et maintenant nous dormons tous dans la chambre des médecins. Je ne peux pas quitter mon travail – j’estime qu’il s’agit d’une grande responsabilité. Beaucoup d’enfants blessés ici ont de multiples problèmes de santé. Certains enfants souffrent de malnutrition et de pollution [liée aux bombardements, entre autres]. Nous travaillons avec l’équipement le plus simple malgré le besoin désespéré de traitements supplémentaires et de suivi. Mais l’hôpital ne peut pas nous aider à cet égard. La zone de l’hôpital n’est pas non plus sûre, car nous entendons de temps en temps le bruit des obus de chars, en plus des missiles qui visent la zone. »

En ce qui concerne le Ramadan, il a déclaré : « Il est pénible de passer ce mois loin de nos familles. J’ai l’habitude de prendre l’Iftar avec mon père et ma mère. Malheureusement, ils ont été déplacés dans une tente à Rafah, et je ne peux pas quitter mon travail pour être avec eux. »

Le directeur de l’Hôpital européen, Yousef Al-Akkad, a lui aussi fait état des difficultés extrêmes qui pèsent sur l’hôpital, dernier grand établissement de santé en activité dans la région. La surcharge de patients a contraint le personnel à les placer dans des ailes de l’hôpital qui ne sont pas aménagées pour répondre à leurs besoins médicaux urgents, certains patients n’ayant d’autre choix que de s’allonger sur le sol en raison du manque de lits. « Nous manquons de fournitures médicales et de médicaments, tels que des anesthésiques, des antibiotiques, des inhibiteurs de la douleur et des médicaments pour la dialyse », a-t-il ajouté. « Nous ne fournissons que les soins de santé minimums. »

En plus de tout cela, Yousef Al-Akkad a noté une grave pénurie de nourriture, d’eau potable et d’électricité pour subvenir aux besoins des masses déplacées et des patients. Sans maison, les déplacés « considèrent l’hôpital comme plus sûr, même s’il n’y a pas d’endroit sûr dans la bande de Gaza ».

Le personnel de l’Hôpital européen, quant à lui, est extrêmement épuisé. «Nous sommes au sixième mois de la guerre. Les équipes de santé, les médecins, les infirmières et tout le personnel de santé sont tellement fatigués qu’il est impossible de maintenir le service comme il se doit », a expliqué Yousef  Al-Akkad. « Ils ont beaucoup de devoirs envers leurs familles. Certains d’entre eux sont installé à l’intérieur de l’hôpital, d’autres vivent dans des tentes à Al-Mawasi [une plaine côtière voisine qui sert maintenant de campement de masse], et ils doivent prendre des nouvelles de leurs familles. Cela les épuise physiquement et psychologiquement, et ils ont besoin de tout notre soutien. »

Compte tenu de tout cela, Yousef Al-Akkad a prévenu que l’hôpital «pourrait bientôt s’effondrer complètement». Des centaines de blessés ont terminé leur traitement et ont été priés de quitter l’hôpital, mais ils n’ont nulle part où aller. Nombre d’entre eux ne peuvent pas rester dans les tentes en raison de leur état de santé. Certains patients viennent du nord de la bande de Gaza et ne peuvent pas y retourner en raison de la présence de postes de contrôle de l’armée israélienne qui les empêchent de passer.

Yousef Al-Akkad ajoute que l’hôpital reste sous la menace constante d’incursions ou de siège israéliens, comme c’est le cas pour d’autres hôpitaux dans la bande de Gaza, ce qui pourrait l’obliger à fermer ses portes et à refuser les blessés, les malades et les personnes déplacées. « Mais nous espérons que cela n’arrivera pas », a-t-il prié.

[1] Le Washington Post du 29 mars 2024, au moment où une grande partie de la presse insiste sur l’abstention de l’ambassadrice des Etats-Unis lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU du 25 mars, écrit : « Ces derniers jours, l’administration Biden a discrètement autorisé le transfert de milliards de dollars de bombes et d’avions de combat à Israël, malgré les inquiétudes de Washington concernant une offensive militaire prévue dans le sud de Gaza, qui pourrait menacer la vie de centaines de milliers de civils palestiniens. Les nouveaux lots d’armes comprennent plus de 1800 bombes MK84 de 2000 livres [907 kg et non guidées] et 500 bombes MK82 de 500 livres, selon des responsables du Pentagone et du département d’Etat au fait de la question. Les bombes de 2000 livres ont été associées à des événements ayant fait de nombreuses victimes tout au long de la campagne militaire israélienne à Gaza. Ces responsables, comme d’autres, ont parlé au Washington Post sous le couvert de l’anonymat car les autorisations récentes n’ont pas été divulguées publiquement. »
L’auteur de cet article, John Hudson, avait éclairé les mécanismes de livraisons « non déclarées » dans un article traduit et publié sur ce site le 13 mars 2024. (Réd.)
[2] Francesca Albanese, rapporteure spéciale sur les territoires palestiniens occupés du Comité des droits de l’homme de l’ONU, dans son rapport du 25 mars 2024, précise au paragraphe 38, consacré aux attaques contre les hôpitaux de Gaza : « L’assaut d’Israël a décimé le système de santé déjà fragile de Gaza. Les hôpitaux, qui abritent également des Palestiniens déplacés, ont été submergés. En ciblant délibérément les hôpitaux, les attaques aériennes et terrestres les ont progressivement transformés en zones de mort. Les soldats israéliens ont occupé les hôpitaux, les encerclant avec des chars et des tireurs d’élite (drones). Au 12 février, seuls 11 des 36 hôpitaux et 17% des centres de soins de santé primaires fonctionnaient, partiellement seulement. Les soldats israéliens ont arrêté, maltraité et torturé le personnel médical, les patients et les personnes déplacées, et les ont forcés – même les bébés prématurés – à quitter les hôpitaux, provoquant dans certains cas la mort des bébés. Les médecins qui sont restés ont travaillé nuit et jour, prenant des «décisions impossibles» sur les patients à traiter en fonction de leurs chances de survie. » (Traduit de l’Advance unedited version – Réd.)

Ruwaida Kamal Amer, journaliste indépendante de Khan Younès.
Article publié par le site israélien 
+972 le 27 mars 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/gaza-temoignages-dans-un-hopital-de-gaza-surcharge-et-surpeuple-les-palestiniens-tentent-de-faire-face-a-la-fete-du-ramadan.html

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Voix des femmes palestiniennes

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À l’occasion de la Journée de la terre palestinienne, nous publions les dénonciations des femmes palestiniennes et nous faisons l’écho de leurs luttes pour la souveraineté et l’autodétermination.

Écouter la voix des femmes palestiniennes est une condition fondamentale pour comprendre les formes historiques et actuelles du génocide du peuple palestinien. Au-delà de dénoncer les plus de 30 000 Palestiniens assassinés par Israël – dont environ 25 000 femmes et enfants – depuis octobre 2023, les déclarations des femmes palestiniennes montrent que le génocide n’est pas qu’une question de chiffres, mais une politique articulée. Le génocide est une attaque contre les fondements de la vie : la terre, les corps, le travail quotidien de production et de reproduction de la vie du peuple palestinien.

Les femmes palestiniennes se battent, résistent chaque jour et affrontent la brutalité de l’impérialisme sur leurs corps et leurs territoires. Elles nous appellent à amplifier la lutte pour une Palestine libre, de la mer au Jourdain. Dans le cadre des 24 heures de solidarité féministe, une action appelée par la Marche mondiale des femmes le 30 mars, journée de la terre palestinienne, nous nous faisons l’écho de certaines voix palestiniennes partagées les 21 et 22 mars lors de séminaires organisés par les femmes de La Via Campesina et de la Marche mondiale des femmes.

La terre palestinienne
« En cette Journée de la Terre, tous les peuples du nord, du sud, de l’est et de l’ouest sont réunis pour défendre cette terre, qui a toujours été et sera toujours la Palestine. Nous sommes les dernières femmes qui vivent et souffrent de l’occupation qui dure depuis plus de 75 ans de génocide ». C’est ainsi que Maryam Abu Daqqa présente la mobilisation palestinienne en cette journée de la terre.

« Le lien entre la terre et les femmes est très fort. Nous, les femmes, sommes expulsées de nos terres, qui nourrissent nos familles, nos fils et nos filles. » Maryam Abu Daqqa

La réflexion de l’agricultrice Samah Abu Nimah nous rapproche encore plus de la réalité des femmes palestiniennes dans leur rapport à la terre. « L’occupation a imposé des restrictions à l’accès aux ressources, exigeant des produits importés qui sont devenus très chers. Il faut savoir que les femmes palestiniennes représentent 78% des personnes chargées du travail agricole. Elles participent aux processus de production tels que la plantation, la récolte et la commercialisation. Elles participent également à l’élevage des animaux et prennent soin d’eux, les nourrissant jusqu’à pouvoir extraire du lait, par exemple. Elles produisent des produits laitiers et d’autres produits d’origine animale ». 

L’accaparement des terres, une méthode violente d’occupation
Nariman Bajawwi, qui vit à Jénine, rappelle que « depuis 1948, quand ils ont commencé à confisquer nos terres et à faire venir des colons pour s’installer sur le territoire, les sionistes disent que c’est une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». La fausseté de cet argument est prouvée par les registres de titres fonciers au nom des femmes palestiniennes, remontant à 1858, publiés par Capire à l’occasion de la Journée de la terre palestinienne en 2022.

Dans un texte également publié en 2022, le camarade Khitam Saafin, alors emprisonnée, est catégorique sur la relation entre le sionisme et l’accaparement des terres. « En 1948, le mouvement sioniste, avec le soutien total des puissances coloniales, a détruit plus de 500 villages palestiniens et déplacé leurs habitants. Il est à l’origine du processus de déplacement de la majorité des Palestiniens de leurs villes et de leur remplacement par des colons sionistes. C’est ainsi qu’a été annoncée la création de l’État d’Israël sur ces terres ».

Elle a également fait état de la continuité de ce processus d’expulsion : « En 1967, à la faveur d’une nouvelle guerre coloniale, Israël est parvenu à occuper d’autres terres arabes : la péninsule du Sinaï, le plateau du Golan et certaines parties des terres libanaises. Et il continue encore aujourd’hui à mener des opérations de contrôle des terres en Cisjordanie, en établissant des colonies de peuplement par le biais de lois militaires. Cela fait partie de plans successifs, le dernier étant le plan d’annexion, annoncé par l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en 2020, qui vise à annexer 33% de la Cisjordanie à Israël ».

Maintenir les colonies existantes et en construire de nouvelles est la pratique colonisatrice d’Israël, explique Nariman. Qui plus est, « Le mur de l’apartheid, qui s’étend en Cisjordanie, a entraîné la confiscation et l’accaparement de nombreux territoires palestiniens. De nombreux villages ont été séparés par le mur. Les Israéliens gèrent et contrôlent ces villages. Les Palestiniens ne peuvent ni entrer ni sortir sans l’autorisation d’Israël. Les agriculteurs ne peuvent pas cultiver leurs terres, en particulier les oliviers, car ils n’y ont pas accès ». « La saison des olives est l’un des principaux piliers de la vie du peuple palestinien. Certaines familles travaillent toute l’année pour prendre soin de la terre et des oliviers, pour récolter et presser les fruits, produire de l’huile et la vendre afin de gagner un revenu pour elles-mêmes et leur vie quotidienne », explique Samah.

Nariman évalue l’impact des attaques militaires sur la production palestinienne : « L’occupation a détruit toutes les infrastructures et tous les services à Gaza.

« Il ne reste plus rien. Cette crise affectera le commerce, les agriculteurs, l’accès à l’eau douce et à l’eau salée ». Samah Abu Niman fait également état de l’augmentation des obstacles suite à l’intensification des attaques israéliennes : « Ils sont devenus plus que de simples obstacles, mais une interdiction totale de toute pratique liée à l’eau, à la terre ou même à l’élevage. De nombreux cas d’attaques d’agriculteurs ou de paysans sur leurs terres par des colons ont été relevés. La plupart des personnes touchées par ces attaques sont des femmes, qui ont reçu le plus de blessures. D’autres attaques contre des femmes ont été signalées dans de nombreux villages, villes et hameaux palestiniens ». 

Criminalisation, détentions et violations des droits humains
La jeune Palestinienne Ruba Assi a été arrêtée à deux reprises : une première fois alors qu’elle était étudiante à l’université, et une seconde fois en octobre 2023. Elle n’a retrouvé sa liberté qu’en février 2024. « La première fois, il y a eu une campagne contre les étudiants dans tout le pays. J’ai été arrêtée sans aucune charge, c’était purement administratif. Après le 7 octobre, tout a été très différent de la première fois », explique-t-elle.

« Aujourd’hui, la prison est une tombe encore plus grande. C’est un cimetière. Il n’y a pas d’humanité, pas de clémence. En ce moment, de nombreuses personnes sont en prison, celles que nous connaissons, mais il y en a beaucoup que nous ne pouvons pas identifier. » Ruba Assi

Les prisonnières de Gaza sont détenues au secret et n’ont pas le droit de parler à leur famille ou d’entendre parler du génocide. « Elles ne savaient pas si leurs fils et leurs filles étaient mort-es ». Elles avaient moins d’heures de visite, moins de temps dans la cour. Elles n’avaient qu’un jour pour sortir de leur cellule, prendre une douche, rester dans la cour. Il y avait une énorme pénurie de nourriture, de très mauvaise qualité. Il n’y a pas d’eau à l’intérieur de la prison. Nous devions boire l’eau rouillée du robinet. Tout cela accélère la mort des personnes emprisonnées », explique Ruba.

« Depuis le début de l’agression et du génocide, l’occupation a pris les femmes pour cible. » Raya Raduan

L’activiste Raya Raduan rapporte comment les femmes sont traitées dans les camps militaires : « Si elles refusent d’être fouillées ou contrôlées, elles peuvent être battues et les militaires les privent de tout droit, les menacent de viol, de harcèlement, d’insultes et, si ces femmes portent un hijab, la police le leur enlève. Bien sûr, il n’y a pas de vie privée.

Maintenir la vie à travers chaque jour de génocide
Le projet génocidaire israélien est total : assassinats massifs combinés à la destruction des infrastructures, de la culture et des conditions sanitaires, à la pénurie alimentaire et à la contamination de l’eau. Un peuple entier est soumis à une lutte pour la survie et à un deuil collectif et violent au milieu des ruines. Sammer Abu Safiya, qui vit à Gaza, nous fait part de ses réflexions : « La guerre a un effet négatif sur l’ensemble du peuple palestinien, en particulier sur les femmes. Environ 63 femmes sont tuées chaque jour et 37 femmes sont blessées chaque jour. De nombreux enfants perdent leur mère et la vie à laquelle ils étaient habitués. Selon les dernières statistiques, il y a environ 4 700 enfants orphelins. Plus de 50% des femmes déplacées ne peuvent pas tomber enceintes. De nombreuses femmes ont accouché pendant la guerre ».

« Les femmes ont également du mal à accéder aux produits d’hygiène et à la nourriture pour satisfaire leur faim. La situation est très difficile car personne ne peut accéder à sa propre terre et il n’y a pas de chaîne de production. Tout ce que nous recevons passe par l’aide humanitaire », poursuit Sammer.

« Personne n’a bénéficié de clémence. L’occupation n’a fait preuve d’aucune pitié. Il y a beaucoup de femmes enceintes qui ont dû allaiter leurs enfants ou les tenir dans leurs bras, parce que l’enfant ne pouvait même pas se retourner pendant six heures, car tout mouvement aléatoire pouvait entraîner le meurtre de la famille entière. » Sammer Abu Safiya

Raya Raduan, membre de l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes (UPWC, sigle en anglais), a également relaté la situation des femmes enceintes : « La situation dans les hôpitaux est terrible. Les femmes accouchent dans des abris. Les conditions de soins ne sont pas appropriées. Beaucoup de ces femmes ont perdu leur bébé. En l’absence d’un bon système de santé, certaines femmes ont eu recours à une ablation de l’ovaire afin de ne pas avoir d’enfants ».

Elle raconte la douleur de continuer à se battre malgré la violence et la perte de tant d’êtres chers. « Le fils d’une de nos collègues est mort de faim. Quand je parle des femmes palestiniennes, je ne sais pas quoi dire. Mais cela fait 75 ans qu’elles sont en première ligne. Depuis le début de l’agression, elles sont confrontées à la violence dans les rues et dans leurs maisons ».

Chargées de s’occuper de leurs familles et de leurs communautés, les femmes sont confrontées aux difficultés du déplacement forcé, cherchant toujours à maintenir la vie : « Les femmes doivent s’adapter, cuisiner pour les enfants, vivre leur vie, mais elles ne trouvent pas d’eau potable. Elles ne trouvent pas de salles de bains. Elles ne trouvent pas le gaz dont elles ont besoin pour cuisiner. Elles ne peuvent pas prendre de douche », dit Sammer.

La défense du peuple palestinien est une urgence mondiale
« Les femmes ne peuvent ni dormir ni se reposer. Nous sommes massacrées en tant que peuple », réaffirme Maryam, qui exalte la capacité de lutte et de résilience des femmes, qui devrait être reconnue dans le monde entier : « Notre lutte est continue jusqu’à ce que nous retrouvions notre dignité. Nous utiliserons toutes les formes et méthodes que nous jugerons utiles pour revendiquer nos droits en tant qu’êtres humains. Dans de nombreuses régions du monde, nous sommes considérés comme des terroristes, mais nous luttons contre l’impérialisme imposé depuis le traité Balfour. Les appels au cessez-le-feu sont très discrets. C’est une honte qu’au 21ème siècle, nous ayons ces nouvelles formes de racisme et de colonialisme ». Il y a quelques mois, Maryam a été persécutée en France et s’est vu refuser un visa. « Ils m’ont poursuivie, battue, traînée, expulsée, reconduite à la frontière. Voilà la France si démocratique, comme ils disent », a-t-elle déclaré. A l’époque, nous avions publié un rapport sur la criminalisation subie par Maryam, ainsi que des extraits d’un texte qu’elle avait écrit, « Le voyage de retour ». 

Pour Raya, il est nécessaire de rompre avec la logique de silenciation et de la désinformation qui prévaut dans les médias hégémoniques. « La seule chose dont nous pouvons discuter ici à propos des femmes, c’est le double standard de la communauté internationale. C’est la façon dont le monde gouverne et panique parce qu’il y a eu des plaintes pour viol le 7 octobre, mais aujourd’hui le monde ne fait rien. Les femmes palestiniennes sont menacées de mort ». Une fois de plus, le discours féministe a été instrumentalisé dans le Nord pour justifier l’impérialisme, en hiérarchisant la vie des femmes sur la base du racisme. Pour Maryam, « nous avons besoin que le féminisme forme un large front mondial qui prenne position contre cette situation et la dénonce au monde entier ».  Plus que jamais, le féminisme populaire se positionne fermement dans les rangs de l’anti-impérialisme, en construisant une solidarité totale avec la lutte du peuple palestinien pour la souveraineté et l’autodétermination, et pour un cessez-le-feu immédiat.

Ruba Odeh, de la Marche mondiale des femmes en Palestine, exprime une revendication qui doit être reprise dans le monde entier : « Nous exigeons la fin du génocide à Gaza et en Cisjordanie afin d’avancer vers la liberté et d’obtenir un État libre, avec notre propre capitale ». Selon elle, « une partie des luttes palestiniennes pour le droit à la souveraineté sur nos terres est menée par les femmes. Les sionistes essaient toujours de minimiser le pouvoir des Palestiniens et des Palestiniennes, en essayant de contrôler nos ressources en eau. Mais nous rendons visible la lutte des femmes palestiniennes, leur fermeté et leur résilience ».

Rédaction : Helena Zelic et Tica Moreno
Traduit du portugais par Gaëlle Scuiller
https://capiremov.org/fr/experiences/voix-des-femmes-palestiniennes/

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À propos de B’Tselem

B’Tselem – Le Centre d’Information israélien pour les Droits de l’Homme dans les territoires occupés œuvre pour un avenir dans lequel les droits de l’Homme, la liberté et l’égalité seront garantis à tous les peuples, palestiniens et juifs, vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Un tel avenir ne sera possible que lorsque l’occupation israélienne et le régime d’apartheid prendront fin. C’est à cet avenir que nous travaillons. B’Tselem (en hébreu, littéralement : à l’image de), le nom choisi pour l’organisation par feu Yossi Sarid, membre de la Knesset, est une allusion à la Genèse 1:27 : « Et Dieu créa l’homme à son image. Il les créa à l’image de Dieu ». Ce nom exprime l’édit moral universel et juif qui consiste à respecter et à défendre les droits de l’Homme de tous les peuples.

Depuis la création de B’Tselem en 1989, nous avons documenté, recherché et publié des statistiques, des témoignages, des séquences vidéo, des prises de position et des rapports sur les violations des droits de l’homme commises par Israël dans les territoires occupés. Le mandat initial que nous nous sommes donné se concentrait sur le régime d’occupation en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et dans la bande de Gaza. Toutefois, au fil des ans, il est apparu clairement que le concept de deux régimes parallèles opérant entre la mer Méditerranée et le Jourdain – une démocratie permanente à l’ouest de la ligne verte et une occupation militaire temporaire à l’est de cette ligne – n’est pas conforme à la réalité. L’ensemble de la zone contrôlée par Israël est régi par un seul régime d’apartheid, régissant la vie de toutes les personnes qui y vivent et fonctionnant selon un principe d’organisation : établir et perpétuer le contrôle d’un groupe de personnes – les Juifs – sur un autre – les Palestiniens – par le biais de lois, de pratiques et de la violence d’État.

En plus de 30 ans de travail, B’Tselem a acquis une place d’honneur dans la communauté locale et internationale des droits de l’Homme et a reçu plusieurs prix, notamment le prix Carter-Menil pour les droits de l’homme (1989, conjointement avec Al-Haq), le prix des droits de l’Homme de la Fondation danoise PL (2011, conjointement avec Al-Haq), le prix des droits de l’Homme de Stockholm (2014) et le prix des droits de l’Homme de la République française (2018, conjointement avec Al-Haq). Le projet vidéo de B’Tselem a également reçu plusieurs prix, notamment le British One World Media Award (2009) et l’Israeli Documentary Filmmakers Forum Award (2012).

B’Tselem est une organisation indépendante et non partisane. Elle est financée uniquement par des dons : des subventions de fondations européennes et nord-américaines qui soutiennent l’action en faveur des droits de l’homme dans le monde entier, et des contributions généreuses de particuliers en Israël et à l’étranger.

L’essence du régime d’apartheid en place entre le Jourdain et la mer Méditerranée est de promouvoir et de perpétuer la suprématie d’un groupe sur un autre. B’Tselem travaille à changer cette réalité, reconnaissant que c’est le seul moyen de réaliser un avenir dans lequel les droits de l’homme, la liberté et l’égalité sont garantis à tous les êtres humains vivant ici, Palestiniens et Juifs confondus.

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Traduit par Pierre Rousset avec DeepL pro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70345

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La gauche israélienne n’a pas à faire la morale à B’Tselem

Sans B’Tselem, nous en saurions beaucoup moins sur tout ce qui touche à l’occupation. Pour la plupart des Israéliens et des médias israéliens, cela ne changerait rien : ils refusent de savoir et d’informer, mais cela jouerait grandement sur l’image d’Israël et sa réputation morale. Lorsqu’on nous demande de trouver quelque chose de bien à dire à propos d’Israël, B’Tselem est une réponse de choix.

Le harcèlement de B’Tselem n’a pas commencé hier, mais maintenant la gauche et les défenseurs des droits de l’Homme y prennent part. [A les en croire] B’Tselem n’a pas respecté les règles : l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme n’a pas suffisamment condamné les événements du 7 octobre, suite à sa première dénonciation le 9 octobre.

Aujourd’hui, il est impossible de s’opposer à la guerre, d’être bouleversé par l’ampleur des exactions, d’être horrifié par le sort de Gaza, d’éprouver de la compassion pour ses habitants, sans commencer par condamner les crimes du Hamas.

Anat Kamm déclare (dans un article sur cette page) qu’Orly Noy et Yuli Novak, respectivement présidente et directeur exécutif de l’organisation, n’ont pas « accordé au massacre l’attention appropriée ». (Quand ils parlent de massacre, ils se réfèrent uniquement au 7 octobre), Kamm cite Novak, qui a présenté le massacre comme « un acte de résistance ou de rébellion contre le régime d’apartheid israélien », mais Eyal Hareuveni, chargé de recherche à B’Tselem, a déclaré que Novak avait clairement indiqué qu’il s’agissait d’un acte de résistance illégitime.

Effectivement, le massacre du 7 octobre était un acte illégitime et criminel de rébellion et de résistance contre une occupation et un régime d’apartheid qui n’est pas moins illégitime et criminel. Nous sommes encore loin d’une chasse aux sorcières maccarthyste contre B’Tselem. Non seulement B’Tselem reste une organisation légitime, mais la mobilisation pour préserver son existence devrait être renforcée aujourd’hui, en ces jours terribles de crimes de guerre, de violations du droit international et de droits de l’Homme foulés aux pieds.

Non, Anat Kamm, il n’y a pas lieu de choisir entre les droits de l’Homme et le nationalisme palestinien. Il est fort douteux que le massacre ait été perpétré au nom du nationalisme. La haine est alimentée principalement par l’occupation. S’il faut choisir, c’est entre un État juif et un État démocratique, car il n’est plus possible d’avoir les deux.

Ces deux combats, contre la guerre à Gaza et contre l’apartheid israélien, se mènent non pas au nom du nationalisme palestinien, mais plutôt au nom de la morale et du droit international. Je n’ai rien à voir avec le nationalisme palestinien, et B’Tselem non plus.

Non, Anat Kamm, les dirigeants de B’Tselem n’ont pas oublié que c’est une « organisation de défense des droits de l’Homme et non un mouvement pour la libération de Gaza », ainsi que vous l’avez écrit, et vous n’avez pas à « le leur rappeler ». Il est impossible de se présenter comme une organisation de défense des droits de l’Homme sans être un mouvement pour la libération de Gaza, car il n’y a pas de droits de l’Homme sans la libération de Gaza.

La libération de la bande de Gaza et de la Cisjordanie est un point clé ; il faut se battre pour cela, et c’est ce que fait B’Tselem – elle est l’une des dernières à le faire en Israël. La gauche devrait s’incliner avec admiration devant B’Tselem, et non lui faire la morale parce qu’il ne se conforme pas à la norme.

Je suis un « utilisateur fréquent » de B’Tselem. La plupart de mes propres enquêtes sur le terrain sont basées sur celles de ses équipes de chercheurs sur le terrain. Je ne me suis jamais rendu dans ses bureaux, mais presque chaque semaine, je pars en Cisjordanie accompagné par l’un des remarquables, fiables et professionnels enquêteurs et enquêtrices palestinien.es de l’organisation. Elles et eux, qui ont tout vu, pleurent parfois – surtout ces derniers temps. Elles et eux, qui ont tout vu, ne renoncent jamais à la vérité ; ils sondent et fouinent.

C’est peut-être la raison pour laquelle certains d’entre elles et eux ont mis en doute les rapports israéliens relatifs au 7 octobre. J’étais mal à l’aise. Mes discussions avec eux ont été âpres et j’en étais vraiment désolé, mais c’est ainsi lorsque vous êtes exposé pendant des décennies aux mensonges de l’occupation.

La semaine dernière, lorsque j’ai demandé à la directrice des relations internationales en fonction, Sarit Michaeli, de me fournir des données sur les Palestinien.es tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre, elle n’a pu me donner que des chiffres pour la période qui va jusqu’à la fin du mois de février. Ils n’ont pas encore entièrement terminé leurs investigations sur les meurtres du mois de mars. À l’étranger, et même dans les milieux militaires israéliens, B’Tselem est réputé pour sa rigueur ; c’est la raison pour laquelle les données de l’organisation sont considérées comme extrêmement fiables.

La polémique qui a éclaté au sein de la gauche à propos de B’Tselem masque des problèmes plus profonds. Cette gauche ne cesse de chercher à trouver des justifications à la guerre atroce et à son silence honteux à son sujet. Cette gauche veut aussi détourner l’attention des crimes de la guerre. B’Tselem ne lui donnera pas ce qu’elle veut.

Gideon Levy
Source : Haaretz. 31 mars 2024 12:17 am IDT :
https://www.haaretz.com/opinion/2024-03-31/ty-article/.premium/the-israeli-left-should-not-preach-morality-to-btselem/0000018e-90a2-d8cd-a9ce-97e646a30000
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70350

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Il n’y a pas que la bande de Gaza qui a besoin d’être reconstruite – L’éthique israélienne aussi

Les images de la bande de Gaza en ruines sont incolores. Il n’y a que des nuances de gris, un fouillis de béton démoli, déraciné, bombardé et pulvérisé.

Les seules images de Gaza en ruines que les médias israéliens osent publier, prises par des drones ou par des équipes de photographes entrés dans la bande de Gaza embarqués dans l’armée, ne montrent aucun être vivant. Pas d’enfants orphelins qui pleurent, pas de femmes qui cherchent désespérément des herbes sauvages à manger qui ont peut-être germé là où il y avait autrefois de l’asphalte, pas de personnes âgées condamnées à passer leurs dernières années dans des souffrances inimaginables, dans une pauvreté abjecte.

Les images qui nous sont renvoyées de Gaza nous rappellent Dresde, Varsovie et le site du World Trade Center après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 : la même esthétique de ruine totale, de fin du monde.

Le sionisme, comme tous les mouvements nationaux, est fondé sur le mythe, le pathos et l’ethos. Le sionisme a de nombreux mythes, dont le plus significatif est le mensonge de « la terre sans peuple à un peuple sans terre ».

Le double mythe de l’exil et d’un désir continuel d’un retour juif et d’une terre vide en friche attendant ses propriétaires, informe le sioniste sur le déplacement d’un peuple réfugié qui a transformé (et continue de transformer) un autre peuple en réfugiés.

Les mythes de l’exode et des Maccabées, de Pourim et de Massada – tout cela fait partie du mythe plus vaste qui raconte aux Juifs israéliens l’histoire de leur existence sur cette terre. Il s’agit d’un tissu narratif qui assigne au monde entier des intentions génocidaires contre les Juifs, partout et en tout temps. (« À chaque génération, certains se sont levés contre nous pour nous exterminer », nous dit la Haggadah de Pessah.)

Les idées glanées dans le mythe israélien exigent la force et une force juive impitoyable.

« Si quelqu’un vient pour te tuer, lève-toi tôt et tue-le d’abord. »

Le pathos sioniste resserre le mythe, recrutant le public pour faire des sacrifices, instillant la suspicion et réduisant le spectre des possibilités à un choix binaire : les tuer ou être tués nous-mêmes.

Un exemple classique de cela est l’éloge funèbre de Moshe Dayan (lui-même un personnage mythique) pour Ro’i Rothberg, qui a été assassiné près de Nahal Oz en 1956 : « Des millions de Juifs, exterminés sans terre à eux, nous regardent depuis les cendres de l’histoire d’Israël et nous ordonnent de nous installer et de donner naissance à une terre pour notre peuple », a-t-il déclaré.

Mais au-delà du sillon frontalier, l’océan de haine et de vengeance se lève, attendant avec impatience le jour où la paix obscurcira notre préparation, jusqu’au jour où nous écouterons les émissaires de l’hypocrisie malveillante, nous appelant à déposer les armes. Le mythe et le pathos sionistes suivent les traces de la description mélancolique des Israélites du prophète biblique Balaam, « le peuple habitera seul, et ne sera pas compté parmi les nations », dictant pour nous, Juifs israéliens un programme nationaliste, militariste et ethnocratique.

À l’opposé, l’ethos sioniste – l’ensemble des valeurs et la vision du monde à laquelle la société israélienne prête allégeance – prétend englober en son sein des valeurs complexes.

Juive, mais aussi « démocratique ». La puissance militaire, mais aussi la pureté des armes.

Une souveraineté indépendante qui ne tolère aucun diktat extérieur, mais qui soit aussi « fidèle aux principes de la Charte des Nations Unies » (comme annoncé dans la Déclaration d’indépendance).

Et, bien sûr, l’éthos sioniste aspire à la paix. Il s’y efforce tellement que la lutte pour la paix est notre deuxième prénom. Je pourrais écrire 10 gros volumes décrivant les énormes écarts entre l’ethos israélien et la réalité, mais tant que l’ethos est là et que la société ne jure que par lui, son pouvoir moral est à l’œuvre, et même s’il ne l’emporte pas, il sert toujours de contrepoids au vecteur dicté par le mythe et le pathos.

L’ère Netanyahou sera jugée par l’histoire comme l’ère où chaque dernière composante de l’ethos israélien a été pulvérisée. D’abord, les valeurs administratives et politiques : l’intégrité morale, l’indépendance de la justice, la liberté de parole, le respect de l’État de droit par ceux qui sont au pouvoir – tout cela a été déchiqueté dans les bureaux du Premier ministre et du président de la Knesset. Vous n’entendrez plus Benjamin Netanyahou et ses sbires parler au nom de ces valeurs.

Deuxièmement, la pureté des armes. J’ai peut-être raté quelque chose, mais il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai pas entendu parler de « l’armée la plus morale du monde ». Même les plus grands fans de l’armée israélienne ont du mal à répéter cette mantra avec un visage impassible ces jours-ci.

Une société qui détruit des villes et des villages, tuant 32 000 personnes (jusqu’à présent), pour la plupart des civils, est plongée jusqu’au cou dans l’incitation génocidaire. Sans réponse des autorités chargées de l’application de la loi, celles-ci transforment 1,5 million de personnes en réfugiés démunis, elles trafiquent (ouvertement !) leur faim et se contentent d’une réprimande du commandement à un officier qui, de sa propre initiative, a fait exploser une université – une telle société ne prétend plus adhérer à une notion de « pureté des armes ».

Sous le couvert d’une douleur et d’une rage justifiées face aux crimes horribles et impardonnables du Hamas, la droite a réussi à introduire une éthique alternative : « la force est le droit ». Mais l’exemple peut-être le plus flagrant de la pulvérisation des derniers vestiges de l’ethos israélien est le traitement accordé par le gouvernement israélien et ses partisans aux otages et à leurs familles.

Il est difficile de penser à un principe plus fondamental ou plus sacré pour une société que sa responsabilité envers son propre peuple en détresse. Nous avons tous grandi avec l’affirmation (tordue et exagérée, naturellement) selon laquelle « un homme tombe dans la rue à l’étranger et personne ne va vers lui, alors qu’en Israël tout le quartier viendra l’aider ».

La solidarité mutuelle est toujours importante, mais elle l’est doublement et triplement lorsque la détresse s’est abattue sur les citoyens en raison d’une terrible défaillance gouvernementale, résultat d’un abandon inconcevable de la part de ceux qui sont responsables de leur protection. Alors, quoi de plus bénéfique à la cohésion sociale que la rédemption des otages ? Le démantèlement de cette valeur est un dénouement du dernier fil qui rassemble les individus dans une société.

Il peut y avoir des situations où les otages ne peuvent pas être rachetés, et il peut y avoir des cas où le prix exigé pour leur libération crée un véritable dilemme. Mais dans notre cas, le prix n’est pas l’histoire, c’est l’alibi derrière lequel Netanyahou se cache, en abusant pour retarder un accord qui est très susceptible de briser le sien et sa coalition gouvernementale.

Et cet alibi est mis en pièces par le traitement criminel infligé aux familles des otages par le gouvernement et ses partisans, qui ont incité contre eux, les menaçant de ne pas trop critiquer le Premier ministre, les considérant comme des gêneurs, et les stigmatisant comme un groupe ayant des intérêts extérieurs au-delà de leur demande éminemment justifiable pour le retour immédiat de leurs proches.

À Bâle, en Suisse, Theodor Herzl a fondé l’État juif, et sur la place des Otages de Tel-Aviv, qui se vide lentement, il perd rapidement sa dernière valeur déclarée. Ainsi, l’aspect de Gaza en ruines n’est pas seulement une documentation de la réalité dans la bande de Gaza – c’est aussi une représentation adéquate de l’ethos de l’État d’Israël, une imagerie IRM terrifiante de notre âme idéaliste.

Il n’y a pas que Gaza qui a besoin d’être reconstruite, l’éthique israélienne aussi. Il faudra de nombreuses années pour les reconstruire tous les deux.

Michael Sfard
Haaretz, 30 mars 2024
L’auteur est avocat, expert en droit international, en guerre et en droits de l’homme.
https://www.haaretz.com/opinion/2024-03-31/ty-article-opinion/.premium/its-not-only-the-gaza-strip-that-needs-rebuilding-so-does-the-israeli-ethos/0000018e-90a4-d9a4-a7bf-dcfd7b000000
Communiqué par B. D.

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Orly Noy, figure israélienne des droits humains, fustige le crime et sa vengeance
Présidente de l’ONG israélienne B’Tselem, qui milite en faveur des droits humains en Palestine, Orly Noy conjugue trois impératifs : condamner le crime du Hamas, réprouver la vengeance voulue par le gouvernement israélien, contextualiser la situation.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article68216

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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