Israël n’a pas fourni de preuves établissant un lien entre des membres du personnel de l’UNRWA et le Hamas (et autres textes)

  • Le rapport Colonna révèle qu’Israël n’a pas fourni de preuves établissant un lien entre des membres du personnel de l’UNRWA et le Hamas
  • Gideon Levy, Alex Levac : Un Palestinien libéré d’une prison israélienne décrit les coups, les abus sexuels et la torture qu’il a subis
  • Mariam Farah : Les artistes palestiniens réprimés, alors qu’Israël « instrumentalise la peur et la célébrité »
  • Mahmoud Mushtaha : J’ai quitté Gaza. Mais je suis toujours prisonnier de la guerre
  • Sophia Goodfriend : Pourquoi le rôle de l’humain reste essentiel dans la guerre menée par Israël grâce à l’IA
  • Roser Garí Pérez : L’Allemagne est complice du génocide à Gaza, et elle le sait
  • Yorgos Mitralias : Le cœur de sa jeunesse bat à Gaza… et l’Amérique entre en crise !
  • Vicken Cheterian : Quand Netanyahou se souvient de l’« holocauste des Arméniens »
  • Naomi Klein : « Nous avons besoin d’un exode du sionisme »
  • Liens vers d’autres textes

Le rapport Colonna révèle qu’Israël
n’a pas fourni de preuves établissant
un lien entre des membres du personnel de l’UNRWA et le Hamas

Un rapport du 22 avril 2024 mené par l’ancienne ministre des Affaires Étrangères française, Catherine Colonna, affirme que les allégations d’Israël – accusant des membres du personnel de l’UNRWA d’être affiliés au Hamas et au Jihad Islamique Palestinien – ne sont pas fondées.

L’ancienne ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, estime dans un rapport du 22 avril ayant pour but d’évaluer la neutralité de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés Palestiniens, que le gouvernement israélien n’a pas étayé les allégations selon lesquelles des membres du personnel de l’Agence aurait des liens avec le Hamas ou le Jihad Islamique Palestinien. Ces accusations infondées d’Israël, régulières depuis plus d’une dizaine d’années, s’inscrivent dans un contexte de sabordage systématique de l’UNRWA et de toute tentative d’implémentation de structures pérennes d’aide aux Palestiniens de manière générale.

En effet, le rapport – commandé par l’ONU à la suite des accusations israéliennes – indique que l’UNRWA avait régulièrement fourni à Israël des listes de ses employés, et que le gouvernement israélien « n’a informé l’UNRWA d’aucune préoccupation concernant un employé de l’UNRWA sur la base de ces listes depuis 2011. » Le rapport ajoute que « les autorités israéliennes n’ont jusqu’à présent fourni aucune preuve à l’appui ni répondu aux lettres de l’UNRWA en mars, puis à nouveau en avril, demandant les noms et les preuves qui permettraient à l’UNRWA d’ouvrir une enquête ».

À la suite de ces accusations en janvier 2024, l’UNRWA a perdu une partie significative des aides qui lui étaient allouées, à cause du retrait de ses principaux donateurs : les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Japon, la Finlande, l’Australie et le Canada. L’Agence, vitale pour la population gazaouie sous blocus depuis des années, représente aujourd’hui le canal principal d’aide humanitaire pour les Palestiniens de Gaza victimes de l’attaque génocidaire israélienne depuis le 7 octobre. Le comité d’examen de la famine estimait le 20 mars dernier que « les chiffres concernant Gaza sont les pires jamais enregistrés, quel que soit le critère utilisé. » Il estime que 677 000 personnes, soit 32% de l’ensemble des habitants de Gaza, se trouvent aujourd’hui dans des conditions « catastrophiques » de malnutrition et que 41% d’entre eux se trouvent dans des conditions « d’urgence ». 

Malgré les appels des organisations des droits de l’Homme implorants les gouvernements à poursuivre – si ce n’est augmenter – les versements pour l’Agence des Nations Unies en ces temps d’urgence absolue, l’UNRWA est à bout de souffle et manque cruellement de moyens pour subvenir aux besoins vitaux des 2,3 millions de personnes à Gaza qui luttent pour trouver de l’eau, de la nourriture, un abri et des soins médicaux.

Le Commissaire Général de l’UNRWA, M. Philippe Lazzarini, a réagi à la publication du rapport de Mme Colonna sur son compte X (ex-Twitter), et déclare que « l’UNRWA s’engage à appliquer les valeurs et principes de l’ONU et mettra en œuvre les recommandations du rapport sans délai. Cela renforcera nos efforts et notre réponse à l’un des moments les plus difficiles de l’histoire du peuple palestinien. »

Louis Charbonneau, directeur du plaidoyer auprès des Nations Unies à Human Rights Watch, a déclaré : « Je ne pense pas que les conclusions du rapport Colonna soient particulièrement surprenantes. Les gouvernements qui ne l’ont pas encore fait devraient immédiatement rétablir le financement intégral de l’UNRWA, afin que l’Agence puisse apporter une aide aux civils désespérés. De nombreux Palestiniens sont confrontés à la famine en raison de l’utilisation par Israël de la famine comme arme de guerre ».

Le rapport de Mme Colonna précise également clairement que l’UNRWA est « indispensable » aux Palestiniens de toute la région : « L’examen a révélé que l’UNRWA a mis en place un nombre important de mécanismes et de procédures pour garantir le respect des principes humanitaires, en mettant l’accent sur le principe de neutralité, et qu’elle possède une approche plus développée de la neutralité que d’autres entités similaires des Nations Unies ou d’ONG ».

Après 200 jours de bombardements israéliens sur la bande de Gaza, Israël a assassiné plus de 34 151 Palestiniens depuis le 7 octobre et inflige au reste de la population un sort mortifère : la famine. Selon un rapport de l’UNICEF du 18 avril 2024, « entre le 15 février et le 15 mars 2024, 677 000 personnes étaient en phase 5, la situation d’insécurité alimentaire la plus grave sur le classement de l’IPC (classement évaluant l’insécurité alimentaire à travers le monde) ». Le rapport ajoute que « sans une intervention humanitaire urgente, la zone entière basculerait en situation de famine d’ici le mois de mai. »

Le 23 avril, au lendemain du dépôt du rapport au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, Catherine Colonna affirme que Guterres a « accepté l’intégralité des recommandations du rapport » et qu’il prévoit de « s’atteler à leur mise en oeuvre sans délai ».

Face à cette urgence, des pays européens s’étaient manifestés : l’Irlande avait donné 21 millions d’euros à l’UNRWA en février 2023, et l’Espagne 20 millions le mois suivant. 

Plusieurs pays donateurs, dont le Royaume-Uni, avaient affirmé attendre le verdict de l’examen commissionné par l’ONU avant de reprendre leur financement à l’Agence des Nations Unies. Suite à la publication dudit rapport, plusieurs personnalités politiques – dont la sénatrice française Raymonde Poncet Monge – et organisations internationales humanitaires, exhortent les gouvernements concernés à reprendre leur financement le plus rapidement possible afin de répondre à l’urgence de la situation à Gaza.

Le 24 avril, à la lumière du rapport de Mm  Colonna, l’Allemagne a annoncé reprendre son soutien financier à l’UNRWA dans les plus brefs délais.

Agence Média Palestine, le 24 avril 2024
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/04/24/le-rapport-colonna-revele-quisrael-na-pas-fourni-de-preuves-etablissant-un-lien-entre-des-membres-du-personnel-de-lunrwa-et-le-hamas/

******
Un Palestinien libéré d’une prison israélienne décrit les coups,
les abus sexuels et la torture qu’il a subis

Amer Abu Halil, un habitant de la Cisjordanie qui était actif au sein du Hamas et a été emprisonné sans procès, se souvient de la routine du temps de guerre qu’il a endurée dans la prison israélienne de Ketziot.

Il n’y a aucune ressemblance entre le jeune homme qui s’est assis avec nous cette semaine pendant des heures dans son jardin et la vidéo de sa sortie de prison la semaine dernière. Dans le clip, on voit le même jeune homme – barbu, mal coiffé, pâle et décharné – à peine capable de marcher ; maintenant, il est bien coiffé et porte une veste cramoisie avec un mouchoir à carreaux glissé dans sa poche. Pendant 192 jours, il a été contraint de porter les mêmes vêtements en prison, ce qui explique peut-être l’extrême élégance dont il fait preuve aujourd’hui.

Il n’y a pas non plus de ressemblance entre ce qu’il raconte dans une cascade de mots difficile à endiguer – des témoignages de plus en plus choquants, l’un après l’autre, étayés par des dates, des exemples physiques et des noms – et ce que nous savions jusqu’à présent de ce qui se passe dans les centres de détention israéliens depuis le début de la guerre. Depuis sa libération, lundi dernier, il n’a pas dormi la nuit de peur d’être à nouveau arrêté. Et voir un chien dans la rue le terrifie.

Le témoignage d’Amer Abu Halil, originaire de la ville de Dura, près d’Hébron, qui était actif au sein du Hamas, sur ce qui se passe dans la prison de Ketziot dans le Néguev, est encore plus choquant que le récit sinistre rapporté dans cette colonne il y a un mois, d’un autre prisonnier, Munther Amira, âgé de 53 ans, qui était incarcéré dans la prison d’Ofer. Amira a comparé sa prison à Guantanamo, Abu Halil appelle sa prison Abu Ghraib, évoquant l’installation tristement célèbre dans l’Irak de Saddam Hussein, utilisée ensuite par les Alliés après le renversement de Saddam.

Parmi les candidats aux sanctions américaines, l’administration pénitentiaire israélienne devrait être la prochaine sur la liste. C’est apparemment le domaine où tous les instincts sadiques du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, trouvent leur exutoire.

Lors de notre visite au domicile d’Abu Halil à Dura cette semaine, nous étions accompagnés par deux chercheurs de terrain de B’Tselem, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme : Manal al-Ja’bari et Basel al-Adrah. Abu Halil, âgé de 30 ans, est marié à Bushra, 27 ans, et est le père de Tawfiq, 8 mois, né alors que son père était en prison. Abu Halil l’a rencontré pour la première fois la semaine dernière, bien qu’il lui soit encore difficile, d’un point de vue émotionnel, de tenir l’enfant dans ses bras.

Abu Halil est diplômé en communication de l’Université Al-Quds à Abu Dis, adjacente à Jérusalem, où il était actif dans la branche Hamas de l’école, et il est un ancien porte-parole de la société palestinienne de communications cellulaires Jawwal.

Depuis sa première arrestation, en 2019, il a passé une période cumulée de 47 mois en prison israélienne, dont une grande partie en « détention administrative » – où le détenu n’est pas jugé. L’Autorité palestinienne a également voulu le placer en détention à un moment donné, mais il ne s’est pas présenté à l’interrogatoire. Comme certains de ses frères, Amer est actif au sein du Hamas, mais il n’est pas un » »haut responsable du Hamas », dit-il dans les quelques mots d’hébreu qu’il utilise en prison.

Les frères : Umar, 35 ans, vit au Qatar ; Imru, 27 ans, atteint d’un cancer, est incarcéré à la prison d’Ofer pour son activité au sein du Hamas et a passé sept ans en prison en Israël et 16 mois dans un établissement palestinien   Amar, 23 ans, est assis avec nous en robe blanche et kaffiyeh – imam de la mosquée de Dura, il espère bientôt occuper la même fonction dans une mosquée de Caroline du Nord, où il aimerait immigrer. Depuis 2013, tous les frères – Amer, Amar, Imru et Umar – ne se sont pas retrouvés pour un repas de fête. Il y avait toujours quelqu’un en détention.

Une fois, Amer Abu Halil a été convoqué à un interrogatoire par le service de sécurité Shin Bet, à la suite d’un appel à son père : L’agent du Shin Bet lui a demandé : « Pourquoi n’as-tu pas prié à la mosquée ces derniers temps ? » « Ton silence est suspect ». « Quand je suis tranquille, vous me soupçonnez, et quand je ne suis pas tranquille, c’est pareil », a-t-il répondu à son interrogateur. C’est ainsi qu’ils l’ont « assis », comme on dit.

Il est entré et sorti des salles d’interrogatoire jusqu’au 4 décembre 2022, date à laquelle son domicile a été perquisitionné en pleine nuit, où il a de nouveau été arrêté et placé en détention administrative sans procès. Cette fois-ci, il a été placé en détention administrative sans procès, pour une durée de quatre mois, qui a été prolongée à deux reprises, chaque fois pour quatre mois supplémentaires. Abu Halil devait être libéré en novembre 2023. Mais la guerre a éclaté et la prison a subi un changement radical. Les peines de tous les prisonniers du Hamas qui devaient être libérés – dont Abu Halil – ont été automatiquement et largement prolongées.

Au cours de sa dernière peine, il a travaillé comme cuisinier dans l’aile du Hamas de la prison. Le jeudi précédant l’éclatement de la guerre, il a envisagé de préparer des falafels pour les 60 détenus de l’aile, mais a décidé de les reporter au samedi. Le vendredi, il prononce le sermon de la prière de l’après-midi et parle d’espoir. Le samedi, il s’est réveillé à 6 heures du matin pour préparer les falafels. Les détenus n’étaient plus autorisés à préparer leur propre nourriture ou à prononcer des sermons. Peu de temps après, la chaîne 13 a diffusé des images de camionnettes du Hamas traversant Sderot, et un barrage de roquettes tirées depuis Gaza s’est abattu sur la zone de la prison, située au nord de Jérusalem, en Cisjordanie. Les prisonniers ont dit « Allahu akbar » – « Dieu est le plus grand » – en guise de bénédiction. Ils se sont cachés sous leur lit pour échapper aux roquettes ; pendant un moment, ils ont cru qu’Israël avait été conquis.

Vers midi, les gardiens de la prison sont arrivés et ont saisi tous les téléviseurs, radios et téléphones portables qui avaient été introduits clandestinement. Le lendemain matin, ils n’ont pas ouvert les portes des cellules. Les entraves, les coups et les mauvais traitements ont commencé le 9 octobre. Le 15 octobre, des forces importantes sont entrées dans la prison et ont confisqué tous les objets personnels qui se trouvaient dans les cellules, y compris les montres et même la bague qu’Abu Halil portait et qui avait appartenu à son défunt père. Cela a marqué le début de 192 jours pendant lesquels il n’a pas pu changer de vêtements. Sa cellule, qui devait accueillir cinq détenus, en comptait 20, puis 15 et, plus récemment, 10. La plupart d’entre eux dormaient à même le sol.

Le 26 octobre, d’importantes forces de l’unité Keter de l’administration pénitentiaire, une unité d’intervention tactique, accompagnées de chiens, dont l’un était déchaîné, ont fait irruption dans la prison. Les gardiens et les chiens se sont déchaînés, attaquant les détenus dont les cris ont plongé toute la prison dans la terreur, se souvient Abu Halil. Les murs ont rapidement été couverts du sang des détenus. « Vous êtes le Hamas, vous êtes ISIS, vous avez violé, assassiné, enlevé et maintenant votre heure est venue », a déclaré un gardien aux prisonniers. Les coups qui ont suivi ont été brutaux, les détenus étaient enchaînés.

Les coups deviennent quotidiens. De temps en temps, les gardiens exigeaient des prisonniers qu’ils embrassent un drapeau israélien et déclament « Am Yisrael Chai », « Le peuple d’Israël vit ». Ils leur ordonnaient également de maudire le prophète Mahomet. L’appel habituel à la prière dans les cellules a été interdit. Les prisonniers avaient peur de prononcer tout mot commençant par le son « h », de peur que les gardiens ne les soupçonnent d’avoir dit « Hamas ».

Le 29 octobre, l’approvisionnement en eau courante des cellules a été interrompu, sauf entre 14 heures et 15 heures 30. Chaque cellule n’avait droit qu’à une seule bouteille pour stocker de l’eau pendant toute une journée. Cette bouteille devait être partagée par 10 détenus, y compris pour les toilettes à l’intérieur de la cellule. Les portes des toilettes étaient arrachées par les gardiens ; les détenus se couvraient d’une couverture lorsqu’ils se soulageaient. Pour éviter une odeur nauséabonde dans la cellule, ils ont essayé de se contenir jusqu’à ce que de l’eau soit disponible. Pendant l’heure et demie où il y avait de l’eau courante, les prisonniers accordaient cinq minutes dans les toilettes à chaque codétenu. Sans produits de nettoyage, ils ont nettoyé les toilettes et le sol avec le peu de shampoing qu’on leur a donné, à mains nues. Il n’y avait pas du tout d’électricité. Le déjeuner se composait d’un petit pot de yaourt, de deux petites saucisses à moitié cuites et de sept tranches de pain. Le soir, ils recevaient un petit bol de riz. Parfois, les gardiens livraient la nourriture en la jetant par terre.

Le 29 octobre, les détenus de la cellule d’Abu Halil ont demandé une raclette pour laver le sol. La réponse à cette demande a été d’envoyer la terrifiante unité Keter dans leur cellule. Les gardiens ont ordonné : « Maintenant, vous serez comme des chiens ». Les mains des prisonniers ont été menottées dans le dos. Avant même d’être enchaînés, ils ont reçu l’ordre de ne se déplacer qu’avec le haut du corps penché en avant. Ils ont été conduits à la cuisine, où ils ont été déshabillés et forcés de s’allonger les uns sur les autres, formant une pile de dix prisonniers nus. Abu Halil était le dernier. Là, ils ont été frappés avec des gourdins et on leur a craché dessus.

Un garde a ensuite commencé à enfoncer des carottes dans l’anus d’Abu Halil et d’autres prisonniers. Aujourd’hui, assis chez lui et racontant son histoire, Abu Halil baisse le regard et le flot de paroles se ralentit. Il est gêné d’en parler. Ensuite, poursuit-il, des chiens se sont penchés sur eux et les ont attaqués. Ils ont ensuite été autorisés à mettre leurs sous-vêtements avant d’être ramenés dans leur cellule, où ils ont trouvé leurs vêtements jetés en tas.

Le haut-parleur de la pièce ne s’est pas tu une seconde, avec des imprécations du chef du Hamas Yahya Sinwar ou une balance au milieu de la nuit sur l’air de « Debout, bande de porcs » pour priver les prisonniers de sommeil. Les gardiens druzes maudissaient et injuriaient en arabe. Ils ont subi des contrôles avec un détecteur de métaux alors qu’ils étaient nus, et l’appareil a également été utilisé pour leur donner des coups sur les testicules. Lors d’un contrôle de sécurité le 2 novembre, on leur a fait chanter « Am Yisrael am hazak » (« Le peuple d’Israël est un peuple fort »), une variation sur un même thème. Des chiens ont uriné sur leurs minces matelas, laissant une odeur épouvantable. Un prisonnier, Othman Assi, originaire de Salfit, dans le centre de la Cisjordanie, a plaidé pour un traitement plus doux : « Je suis handicapé » : Les gardiens lui ont répondu : « Ici, personne n’est handicapé », mais ils ont accepté de lui retirer ses menottes.

Mais le pire est encore à venir.

Le 5 novembre. C’était un dimanche après-midi, se souvient-il. L’administration a décidé de déplacer les prisonniers du Hamas du bloc 5 au bloc 6. Les détenus des cellules 10, 11 et 12 ont reçu l’ordre de sortir, les mains liées dans le dos et la démarche habituelle, courbés. Cinq gardiens, dont Abu Halil donne les noms, les ont emmenés à la cuisine. Ils ont de nouveau été déshabillés. Cette fois, ils ont reçu des coups de pied dans les testicules. Les gardiens s’élançaient vers eux et leur donnaient des coups de pied, s’élançaient et leur donnaient des coups de pied, encore et encore. Une brutalité ininterrompue pendant 25 minutes. Les gardes proclamaient : « Nous sommes Bruce Lee ». Ils les ont secoués et poussés comme des balles d’un coin à l’autre de la pièce, puis les ont transférés dans leurs nouvelles cellules du bloc 6.

Les gardiens ont affirmé avoir entendu Abu Halil prononcer une prière au nom de Gaza. Dans la soirée, l’unité Keter est entrée dans sa cellule et a commencé à battre tout le monde, y compris Ibrahim al-Zir, 51 ans, de Bethléem, qui est toujours en prison. L’un de ses yeux a presque été arraché sous les coups. Les prisonniers ont ensuite été contraints de s’allonger sur le sol et les gardiens les ont piétinés. Abu Halil a perdu connaissance. Deux jours plus tard, une nouvelle série de coups lui a été assénée et il s’est à nouveau évanoui. Les gardiens lui ont dit : « C’est votre deuxième Nakba », en référence à la catastrophe vécue par les Palestiniens au moment de la création d’Israël. L’un des gardes a frappé Abu Halil à la tête avec un casque.

Entre le 15 et le 18 novembre, ils ont été battus trois fois par jour. Le 18 novembre, les gardes ont demandé lequel d’entre eux était du Hamas, et personne n’a répondu. Les coups n’ont pas tardé à pleuvoir. Ensuite, on leur a demandé : « Qui est Bassam ici ? » Là encore, personne n’a répondu, car aucun d’entre eux ne s’appelait Bassam – et l’unité Keter a de nouveau été appelée. Ils sont venus le soir même. Abu Halil raconte que cette fois-ci, il s’est évanoui avant d’être battu, de peur.

À la même époque, Tair Abu Asab, un prisonnier de 38 ans, est mort à la prison de Ketziot. On soupçonne qu’il a été battu à mort par des gardiens parce qu’il refusait de baisser la tête comme on le lui ordonnait. Dix-neuf gardiens, soupçonnés d’avoir attaqué Abu Asab, ont été placés en détention pour interrogatoire. Ils ont tous été relâchés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

En réponse à une demande de commentaire, un porte-parole de l’administration pénitentiaire a envoyé à Haaretz la déclaration suivante cette semaine :

« L’administration pénitentiaire est l’une des organisations de sécurité [d’Israël] et elle fonctionne conformément à la loi, sous le contrôle strict de nombreuses autorités de surveillance. Tous les prisonniers sont détenus conformément à la loi, avec une protection stricte de leurs droits fondamentaux et sous la supervision d’un personnel pénitentiaire professionnel et formé. »
« Nous ne connaissons pas les affirmations décrites [dans votre article] et, à notre connaissance, elles ne sont pas correctes. Néanmoins, chaque prisonnier et détenu a le droit de se plaindre via les canaux acceptés, et leurs réclamations seront examinées. L’organisation fonctionne selon une politique claire de tolérance zéro à l’égard de toute action qui viole les valeurs de l’administration pénitentiaire. »

« En ce qui concerne la mort du prisonnier, vous devriez contacter l’unité d’enquête sur les agents pénitentiaires. »

Gideon Levy, Alex Levac
Haaretz. Apr 28, 2024 12:05 am IDT:
https://www.haaretz.com/israel-news/twilight-zone/2024-04-28/ty-article-magazine/.premium/palestinian-released-from-israeli-prison-describes-beatings-sexual-abuse-and-torture/0000018f-15e9-d2e1-a7df-15efb6590000
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

******
Les artistes palestiniens réprimés,
alors qu’Israël « instrumentalise la peur et la célébrité »

Les menaces de mort, les arrestations et l’autocensure créent un environnement répressif pour les personnalités et les institutions culturelles palestiniennes en Israël.

La persécution a commencé presque immédiatement. Quelques jours après l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas et le début de l’assaut israélien sur Gaza, la célèbre chanteuse Dalal Abu Amneh, citoyenne palestinienne d’Israël, a été arrêtée pour un message publié sur les réseaux sociaux.

Elle a écrit « Il n’y a de vainqueur que Dieu », après que son équipe en charge de ses réseaux sociaux au Caire lui a demandé d’essayer de trouver les mots pour exprimer ce qu’elle ressentait. L’idée était que la violence du Hamas et les représailles israéliennes, inévitablement brutales, n’apporteraient rien de bon. Sans l’en avertir explicitement, son équipe en charge de ses réseaux sociaux a ajouté un drapeau palestinien au message, comme elle le fait habituellement pour tous ses messages. Mais lorsque celui-ci s’est répandu dans le paysage surchargé des réseaux sociaux après le 7 octobre, les menaces et le harcèlement à l’encontre d’Abu Amneh se sont rapidement multipliés.

La chanteuse folk, qui est également neuroscientifique, a contacté la police dans l’espoir qu’elle mette un terme aux menaces. Mais au poste de police, elle a appris qu’elle faisait l’objet d’une enquête pour cette publication. Elle a été arrêtée sur place et détenue dans une cellule pendant trois jours, les mains et les jambes menottées, avant d’être relâchée.

Pendant plus de deux mois après son arrestation, des manifestants se sont rassemblés quotidiennement devant le domicile d’Abu Amneh dans la ville d’Afula, à majorité juive, située dans le nord du pays – souvent menés par le maire, Avi Elkabetz – exigeant qu’elle et sa famille soient expulsées du pays. « Depuis le début de cette affaire, il y a eu 85 manifestations devant ma maison », a-t-elle déclaré à +972. « Ils essaient de nous intimider, mes enfants, mon mari et moi-même. Nous vivons une période très difficile. Mon mari a également été persécuté sur son lieu de travail et certains extrémistes ont même essayé d’envoyer des gens pour acheter notre maison à Afula. En me persécutant, ils cherchent à intimider tous les Palestiniens ».

Le 12 février, l’État a classé l’affaire contre Abu Amneh. « Les persécutions dont j’ai fait l’objet et mon arrestation étaient arbitraires, comme l’ont même reconnu certains juges », a-t-elle expliqué. « En fin de compte, le dossier a été classé parce que non seulement il n’y avait pas de preuves, mais aussi parce qu’il n’y avait même pas d’accusation. »

« Le traitement réservé par la police à Dalal Abu Amneh fait écho à son comportement à l’égard de toute personne ayant publié des messages de soutien à Gaza au début de la guerre », a déclaré Abeer Baker, l’avocat d’Abu Amneh, à +972. « Comme des dizaines d’autres personnes, Dalal a été confrontée à l’incitation à la haine à son égard sur les réseaux sociaux, suivie de plaintes contre elle de la part de groupes de droite qui se consacrent à l’information sur les Palestiniens. Mais compte tenu de son profil public, Dalal était une cible majeure. »

« La célébrité et l’influence de Mme Dalal constituaient un outil d’intimidation pratique », poursuit M. Baker. « En arrêtant une icône jouissant d’une grande popularité, les autorités envoient un message effrayant : personne n’est à l’abri. L’arrestation d’Abu Amneh montre comment les autorités utilisent la peur et la célébrité pour faire taire les voix palestiniennes ».

En effet, bien que les combats de la guerre actuelle soient concentrés à Gaza, ils ont déclenché une crise pour les citoyens palestiniens d’Israël – et les artistes en particulier ont été pris dans le collimateur. Leur liberté d’expression étant étouffée, les artistes palestiniens ont dû faire face aux attaques de l’État et de ses citoyens juifs israéliens sous la forme d’incitation à la haine, de discrimination, de poursuites judiciaires et de menaces physiques. Souvent, ces attaques résultent d’une simple expression de solidarité avec la population de Gaza ou d’une opposition pacifique à l’assaut brutal d’Israël.

« La force d’un artiste réside dans la protestation créative à travers son travail », a ajouté M. Baker. « Mais le climat de peur entraîne une autocensure sévère, qui conduit de nombreux artistes à perdre la capacité de canaliser leur impuissance dans la créativité, comme c’est souvent leur instinct. En étouffant les artistes, cette panique sape leur rôle essentiel dans la canalisation de l’action, de la solidarité et de la dissidence ».

La répression comme héritage
Les restrictions imposées par Israël à la culture et à l’art palestiniens sont bien antérieures à la guerre actuelle. Elles existaient déjà lors de la fondation de l’État et n’ont cessé de fluctuer depuis. Mais les mesures de répression prises depuis le 7 octobre sont si sévères que de nombreux critiques affirment que l’analogue le plus proche est l’époque du régime militaire israélien sur les citoyens palestiniens, qui a duré de 1948 à 1966.

« La peur n’est pas un phénomène instantané ; c’est quelque chose de profondément ancré, hérité de génération en génération », a déclaré Abeer Bishtawi, journaliste indépendant et dramaturge, à +972. « La phrase « Comment vivons-nous sous un régime militaire ? » est un sentiment très répandu parmi la population. Ce sentiment découle de l’absence perçue de lois et de limites claires, où la distinction entre les actions permises et interdites est devenue floue, favorisant un sentiment d’insécurité omniprésent qui imprègne tous les aspects de la vie. »

Ces dernières années, la répression a eu de graves répercussions sur les théâtres et les artistes qui ont affirmé leur identité palestinienne. En 2015, par exemple, le ministère israélien de la culture a gelé le financement d’Al-Midan, l’un des principaux théâtres de langue arabe de Haïfa. La controverse portait sur la production du théâtre « A Parallel Time », qui se concentre sur l’histoire du prisonnier palestinien Walid Daqqa, récemment décédé alors qu’il purgeait une peine de prison à vie pour son implication dans le meurtre d’un soldat israélien dans les années 1980.

Après une fermeture temporaire et un tollé général, le financement d’Al-Midan a été partiellement rétabli en 2016, bien qu’à un niveau inférieur, et le théâtre a rouvert ses portes avec l’espoir que les pressions politiques ne l’empêcheraient pas de faire entendre la voix de la culture et de l’identité palestiniennes. Mais la pression financière et politique continue l’a poussé à fermer définitivement ses portes deux ans plus tard.

Des pressions similaires ont eu un impact sur l’industrie cinématographique. En 2014, la réalisatrice palestinienne Suha Arraf a essuyé de vives critiques lorsqu’elle a enregistré son film, « Villa Touma », en tant que film « palestinien » à la Mostra de Venise. Le film avait été financé en grande partie par des organismes israéliens, notamment le Fonds israélien pour le cinéma, l’Administration des petites entreprises du ministère de l’économie et la Loterie nationale ; il avait également bénéficié d’investissements allemands. Mme Arraf a finalement été contrainte de restituer les fonds qu’elle avait reçus à l’État israélien.

Dans un article publié à l’époque, Mme Arraf a déclaré : « Les films appartiennent à ceux qui les créent. Ils n’appartiennent jamais aux fondations qui les ont financés et encore moins aux pays. Je définis mon film comme un film palestinien parce que je suis avant tout une Palestinienne et que son histoire est racontée de mon point de vue, qui est un point de vue palestinien ».

En 2021, la Cour suprême israélienne a confirmé l’interdiction de projeter le documentaire « Jenin, Jenin », qui explore le raid mené en 2002 par l’armée israélienne contre le camp de réfugiés palestiniens de cette ville de Cisjordanie et les crimes de guerre qu’elle a commis contre des civils palestiniens – des allégations niées par Israël. Le réalisateur du film, Mohammed Bakri, a été condamné à verser des dommages et intérêts pour le film, qui aurait déformé la vérité. Le film a été interdit peu après sa sortie en 2002, avant que la Cour suprême n’annule la décision. En 2021, l’interdiction a été rétablie à la suite d’une action en justice intentée par un soldat pour diffamation en raison d’affirmations fabriquées de toutes pièces.

Mme Arraf a déclaré à +972 qu’elle pensait que si la controverse sur son film avait eu lieu aujourd’hui, plutôt qu’il y a dix ans, elle serait probablement emprisonnée par les autorités israéliennes au lieu d’être simplement obligée de restituer le financement du film. « Nous vivons une période sombre », a-t-elle déclaré. « Les Palestiniens souffrent d’intimidations. La liberté de pensée et d’expression est prise en otage. La situation risque d’empirer. »

« L’objectif est de sévir contre les célébrités pour faire passer un message »
Mouna Hawa, une actrice palestinienne, a été confrontée à des réactions négatives quelques semaines après le 7 octobre après avoir exprimé son inquiétude sur son compte Instagram privé au sujet de la situation à Gaza, affirmant que les enfants de Gaza pourraient bientôt mourir de soif. Après sa publication, son ami et collègue lui a répondu en privé et l’a attaquée pour son prétendu soutien au Hamas, lui disant « Laissez-les libérer les otages d’abord. »

Dans cette correspondance privée, Hawa a suggéré que la couverture médiatique de l’attaque du 7 octobre contenait des informations erronées, comme l’affirmation infondée selon laquelle 40 bébés israéliens avaient été décapités par des militants du Hamas. Elle a indiqué que l’attentat aurait pu être une réponse à l’oppression, à l’occupation et à l’emprisonnement des Palestiniens. Son amie a dit à Hawa d’« aller à Gaza », après quoi Hawa l’a bloquée sur Instagram.

Bien que Hawa ait précisé dans une déclaration publique qu’elle s’opposait à ce que l’on blesse des innocents, quel que soit leur camp, son collègue a continué à l’attaquer publiquement dans la presse en sortant sa déclaration de son contexte. Son collègue a transmis la transcription de la conversation à divers médias avant qu’elle ne soit finalement publiée par le journal de droite Israel Hayom. D’autres collègues ont également attaqué Hawa, et la société de production de sa dernière série télévisée – ainsi que le service public de radiodiffusion israélien (Kan 11) où elle a été diffusée – ont déclaré qu’ils ne travailleraient plus avec Hawa.

La situation est rapidement devenue incontrôlable. Son numéro de téléphone a été divulgué en ligne et elle a reçu des appels téléphoniques menaçants pendant plus d’une semaine. Ses pages sur les réseaux sociaux ont été inondées de menaces de violence : viols et menaces de mort contre elle et sa famille. « J’étais terrifiée à l’idée de quitter ma maison », dit-elle.

Hawa n’a pas été surprise de recevoir un tel traitement. « Ce qui m’est arrivé est un exemple de quelque chose de plus grand et de plus profond », a-t-elle déclaré. « Il a suffi d’un seul message pour que mes collègues me jugent. En période de conflit, les idées racistes latentes à l’encontre des Palestiniens refont surface. Nous sommes depuis longtemps marginalisés, avec des stéréotypes décrivant les artistes arabes comme des terroristes ou comme étant en quelque sorte arriérés – ce qui est amplifié par des programmes comme ‘Fauda‘. »

« Les budgets consacrés à l’art arabe restent minimes, voire réduits à néant, bien que certains projets palestiniens indépendants cherchent à obtenir des financements étrangers pour bénéficier d’une plus grande liberté d’expression, mais même cette plateforme limitée pour nos voix risque de nous compromettre davantage », poursuit-elle. Mais Hawa n’est pas découragée : « Chaque défi nous obligera à découvrir une nouvelle voie ».

Parallèlement à l’expérience d’Hawa, l’actrice palestinienne Maisa Abd Elhadi a également été confrontée à de graves réactions et à des conséquences juridiques pour des commentaires faits sur les réseaux sociaux. Abd Elhadi a été arrêtée le 12 octobre et accusée d’incitation au terrorisme après avoir partagé deux posts Instagram qui, selon la police israélienne, exprimaient un soutien aux attaques du Hamas du 7 octobre.

Dans un premier message, l’actrice a partagé une photo de militants palestiniens franchissant la clôture entourant Gaza, qu’elle a légendée « Allons-y à la berlinoise », en référence à la chute du mur de Berlin. Dans un autre, elle a posté une photo de l’enlèvement d’une Israélienne de 85 ans, avec la légende « Cette dame vit l’aventure de sa vie ».

Après son arrestation, la police israélienne a photographié Abd Elhadi menottée sous un drapeau israélien, un acte critiqué par beaucoup comme étant délibérément humiliant. Plus inquiétant encore, le ministre israélien de l’intérieur, Moshe Arbel, aurait entamé une procédure visant à révoquer la citoyenneté israélienne d’Abd Elhadi, en demandant à l’Autorité de la population et de l’immigration de réexaminer l’affaire.

L’avocat d’Abd Elhadi, Muhammad Dahleh, a déclaré à +972 : « Il est clair qu’Abd Elhadi est persécutée. Même certains juges ont reconnu que ses publications n’étaient peut-être pas illégales, même si elles étaient dérangeantes ou manquaient de tact. Abd Elhadi est très éloignée des idées que la police prétend qu’elle a exprimées ».

Dahleh souligne que la célébrité d’Abd Elhadi fait d’elle une cible privilégiée et plus impactante : « Il est clair que l’objectif est de sévir contre les célébrités afin d’envoyer un message, puisqu’il a une grande résonance. Ce type d’actions contre les célébrités conduit à la répression et décourage toute forme de protestation. Il en résulte un effet paralysant : le découragement de la liberté d’expression en raison de l’intimidation, de la censure ou de la punition par les autorités ».

Un environnement précaire
Le climat politique de persécution juridique et sociale a eu un impact considérable sur la production culturelle palestinienne pendant la guerre de Gaza. L’autocensure est omniprésente dans la communauté des arts du spectacle, beaucoup préférant garder le silence plutôt que de déformer leur travail pour se conformer aux normes d’autrui.

Mahmoud Abo Arisheh, directeur du théâtre Saraya à Jaffa, a déclaré à +972 que le théâtre a mis en veilleuse son programme de spectacles réguliers pendant plusieurs mois après le début de la guerre. Au lieu de cela, il a organisé des activités non médiatisées, craignant que toute promotion publique ne provoque un tollé parmi le public ou les politiciens.

« La plupart des productions théâtrales qui avaient débuté avant la guerre ont été complètement interrompues », explique-t-il. « La fermeture du théâtre Al-Midan en 2021, par exemple, nous a rendus prudents quant à la mise en scène de pièces qui pourraient susciter des réactions négatives. »

Saraya a rouvert ses portes fin décembre 2023, produisant des pièces en langue arabe accessibles au grand public mais destinées principalement à la communauté locale de Jaffa. Les productions du théâtre abordent les questions politiques actuelles et le climat glacial qui affecte les citoyens palestiniens d’Israël, et ont inclus une performance de protestation du rappeur Tamer Nafar et plusieurs spectacles de stand-up de Nidal Badarneh.

Réfléchissant à son propre rôle dans le contexte de la crise actuelle, le théâtre a décidé d’organiser des ateliers utilisant le théâtre forum, une forme interactive de théâtre où le public joue le rôle de personnages opprimés afin d’explorer publiquement des alternatives et de stimuler l’activisme social. Les spectateurs ont fait salle comble lors des dernières représentations, apparemment désireux de s’unir et d’exprimer collectivement leur chagrin, leur colère et leur solidarité.

« Les théâtres dédiés à l’art et à la culture palestinienne et arabe opèrent dans un environnement précaire », a déclaré Ayman Nahas, directeur du théâtre Sard à Haïfa, à +972. « Toute tentative de fermeture ou de censure pourrait porter un coup sévère à ce secteur fragile. »

Ces institutions culturelles préservent et mettent en valeur l’identité palestinienne, les récits et la langue arabe, mais elles dépendent du financement et du soutien publics, ainsi que d’un climat politique favorable. Les théâtres ne peuvent pas facilement résister à des perturbations majeures telles que la fermeture ou la détresse financière.

« Tout désastre tel que des coupes budgétaires soudaines, des poursuites judiciaires, des restrictions ou des fermetures pourrait endommager irrémédiablement ces espaces artistiques importants mais vulnérables », a poursuivi M. Nahas. « Une fois perdues, ces plateformes culturelles et les histoires qu’elles racontent peuvent être impossibles à reconstruire. Sard sera confronté à de grands défis après la guerre, tout comme il l’était avant – des défis non seulement politiques, mais aussi économiques. »

« Malheureusement, il y aura parfois de l’autocensure politique, car nous avons décidé de rester, de relever les défis, de construire un théâtre et de créer du théâtre pour le public », a ajouté M. Nahas. « L’art fait partie du processus populaire   il doit revenir et il doit trouver un moyen de revenir. »

Reconstruire ce qui a été détruit
Face à tous ces défis, plusieurs questions importantes se posent : Quel est l’avenir de l’art palestinien ? Comment évoluera-t-il dans les années à venir ? Et quel sera le rôle des artistes ?

Arraf, directeur de la « Villa Touma », décrit les dernières années comme marquées par un « transfert culturel » : de nombreux artistes palestiniens ont quitté le pays pour pouvoir produire et créer plus librement. Ceux qui restent sont dans un état de deuil collectif, ce qui rend la production artistique difficile.

Samer Asakli, artiste palestinien et membre du groupe Darbet Shams, s’est installé à Berlin quelques semaines après le 7 octobre. Dans une interview accordée à +972, il explique : « Avant la guerre, je me sentais déjà pris au piège. D’un point de vue économique, la situation est compliquée pour les artistes palestiniens en Israël : même s’ils bénéficient d’un financement de l’État, ils doivent respecter des règles restrictives qui limitent la liberté d’expression. Et nos liens culturels naturels avec le monde arabe sont fortement restreints par le fait que nous y vivons en tant que citoyens palestiniens d’Israël. »

Asakli a déclaré qu’il était déjà en « mode survie » depuis quatre ans. Lorsque la guerre a commencé, la possibilité d’être arrêté pour avoir tenu et exprimé ses opinions – et le manque de liberté artistique – l’ont amené à conclure qu’il devait partir.

« Je me sentais frustré de voir ce qui se passait à Gaza et j’avais peur d’exprimer librement mes opinions et mes sentiments, car je risquais d’être persécuté ou emprisonné – voyez ce qui est arrivé à Dalal Abu Amneh », a-t-il déclaré. « J’ai reçu des menaces anonymes sur mes réseaux sociaux. À Berlin, je peux au moins entrer en contact avec la sphère culturelle arabe, et la ville vous accueille sur le plan artistique, ce qui est impossible là où j’étais auparavant. »

Ali Mawasi, poète et rédacteur en chef du magazine culturel Fusha, a déclaré à +972 que le ciblage des artistes et des intellectuels dans le pays et à l’étranger a créé un climat où les artistes et les institutions culturelles sont en état d’alerte. En l’absence de garanties, n’importe quel civil peut désormais se faire justice lui-même, ce qui accroît la portée et l’intensité de la répression de la liberté culturelle palestinienne. Le fait que des étudiants portent des armes sur le campus, par exemple, suscite la peur et a un effet dissuasif, décourageant la liberté d’expression et le militantisme parmi les étudiants.

« Dans cet environnement de silence, de répression et d’intimidation, toute œuvre d’art ordinaire devient un acte de protestation », a déclaré M. Mawasi. « La société doit d’abord se remettre du choc et de l’impuissance. Ensuite, elle pourra s’attaquer à l’impact des politiques de silenciation et mettre en place des mesures pour récupérer sa culture. » L’assaut permanent contre l’art et la culture palestiniens – sans parler de la violence à Gaza – a jusqu’à présent empêché le début de ce processus de réhabilitation.

Pourtant, selon Mawasi, le rôle des artistes dans ce processus de guérison est indispensable. Les artistes et les intellectuels doivent jouer un rôle actif, en promouvant la guérison collective par l’organisation et l’encouragement. « Nous devons renforcer l’immunité des artistes et des intellectuels en créant des projets, des cadres inclusifs et des voies leur permettant de produire, d’innover et de briser la barrière de la peur. »

Abu Amneh, pour sa part, continue d’utiliser son art comme moyen de résistance. « Les événements récents ont démontré sans équivoque la persécution permanente dont sont victimes les Palestiniens en Israël », a-t-elle déclaré. « On tente de défigurer la conscience collective palestinienne. Mais nous, les artistes, participons à sa construction et à son renforcement. »

« Les Palestiniens d’Israël ont joué un rôle pionnier dans la formation de cette conscience, en utilisant l’art comme moyen d’exprimer notre culture et d’affirmer notre identité », a-t-elle ajouté. « À travers l’art et la musique, j’ai essayé de reconstruire ce qui a été détruit par l’occupation. »

Mariam Farah, le 23 avril 2024
Mariam Farah est une journaliste palestinienne de Haïfa.
Source : +972
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/04/24/les-artistes-palestiniens-reprimes-alors-quisrael-instrumentalise-la-peur-et-la-celebrite/

******
J’ai quitté Gaza. Mais je suis toujours prisonnier de la guerre.

J’ai quitté ma famille à Shuja’iya, j’ai franchi un point de contrôle de l’armée israélienne et j’ai passé des semaines dans une tente à Rafah pour quitter la bande de Gaza. Cette décision me hante encore.

Un sentiment d’anxiété et de colère s’est insinué dans mon cœur lorsque j’ai quitté la bande de Gaza au début du mois. Aujourd’hui encore, ici au Caire, ma conscience me tiraille : comment ai-je pu laisser ma mère, mon père et mes frères et sœurs au milieu d’une telle souffrance ? Comment ai-je pu les laisser porter seuls le fardeau de la guerre, tandis que je fuyais pour me mettre à l’abri, en essayant de me sauver des éclats de la destruction ?

C’était une décision difficile à prendre, qui dépassait les limites de la douleur et du chagrin. Je ne laissais pas seulement un bout de terre derrière moi, mais mes racines, mon identité et mes proches. Mais à l’heure du choix, la nécessité de survivre l’a emporté sur tout le reste, même si cela signifiait perdre une partie de moi-même.

Je crains que ma décision ne devienne un fardeau permanent pour mon âme si un malheur venait à frapper ma famille pendant mon absence. Mais en regardant en arrière, je me trouve encore submergé par le besoin de me libérer, de me reconstruire et de soigner mes blessures psychologiques. Peut-être que mon voyage n’était pas seulement une tentative d’évasion, mais une tentative désespérée de réparer ce qui reste de moi, de sauver ce qui peut l’être ; ma dernière chance de construire une nouvelle vie loin des bruits de la guerre. Je savais que je ne pourrais pas aider ceux qui m’entourent si je ne pouvais pas d’abord m’aider moi-même.

La guerre d’Israël contre Gaza dure depuis plus de six mois, nous volant un peu plus nos vies chaque jour qui passe. Six mois de tueries, de faim, de peur, de déplacements et d’existences dans la rue. Six mois qui nous ont dépouillés de tout et ont détruit notre avenir. La guerre est épuisante mentalement et physiquement. C’est la pire chose qui soit. Une vie en guerre ne ressemble à aucune autre vie ; vous êtes intérieurement brisé, mais vous devez vous ressaisir, car ce n’est pas le moment de s’effondrer ou de se demander pourquoi tout cela arrive. Vous ne pouvez pas laisser la guerre gâcher les sacrifices et les efforts que vous avez consentis pendant des années pour construire votre avenir. Les responsabilités qui nous incombent sont énormes.

« Un membre de cette famille doit survivre après la guerre, afin que notre nom ne soit pas rayé du registre de la population », a déclaré mon père, en cachant ses larmes, lorsque je lui ai dit que j’envisageais de quitter Gaza. J’ai soudain regretté de n’avoir rien dit. Je me sentais tellement égoïste. Je n’ai pas pu terminer la conversation et je suis sorti marcher parmi les décombres du nord de Gaza. Mon cœur ne pouvait pas supporter d’entendre ma famille m’exhorter à partir et à me sauver.

Alors que je marchais dans les rues détruites de Shuja’iya, l’air était rempli de fumée provenant des feux que les gens avaient allumés pour cuisiner, en raison du manque de gaz. J’ai regardé les visages fatigués des gens, leurs vêtements sales et leurs longues barbes, en constatant que la guerre avait tout détruit en eux. J’ai entendu les cris des personnes qui faisaient la queue pour obtenir de l’eau.

Je n’arrivais pas à me débarrasser des voix dans ma tête : « Sors, Mahmoud. Cet endroit ne m’appartient plus. » Pourquoi dois-je me lever tôt tous les jours pour faire la queue pour de l’eau, au lieu de me rendre fièrement sur mon lieu de travail avec ma vieille voiture ? Je veux mener une vie décente, mais cette vie nous a été arrachée. Quelle que soit la dureté de la vie en dehors de Gaza, pour l’instant, elle est certainement meilleure qu’à Gaza. Au moins, à l’extérieur, je peux me sentir comme un être humain.

Des soldats qui exhibent leur puissance
Le 9 mars, alors que l’horloge sonnait 8 heures du matin, je me préparais à la longue marche du nord de la bande de Gaza vers le sud, afin de quitter la bande de Gaza par le point de passage de Rafah. L’obstacle imminent que représentait le passage des points de contrôle de l’armée israélienne pesait sur mon esprit. C’est le cœur lourd que j’ai fait mes adieux à ma famille, en me débattant avec les doutes qui persistaient quant à ma décision. Pourquoi s’embarquer dans ce voyage périlleux ? La réponse m’échappait, obscurcie par la sombre réalité qui s’offrait à moi, mais je me suis quand même mis en route.

La vue des drapeaux israéliens flottant au loin était inquiétante et me donnait un sentiment d’impuissance. À l’approche du point de contrôle militaire, où d’autres Palestiniens se rassemblaient également, une vague de peur et de colère a parcouru mes veines. Les images des atrocités commises par les soldats israéliens défilaient devant mes yeux. Les histoires que j’avais entendues, chuchotées à voix basse parmi mon peuple, remplissaient mon esprit d’effroi. Des histoires de violence et d’inhumanité insensées, de familles déchirées et de vies brisées par la main impitoyable de l’occupant.

La simple idée de passer devant ceux qui nous avaient infligé tant de souffrances me rongeait, la peur menaçant de me consumer tout entier. Pourtant, une sombre détermination brûlait en moi, me poussant à affronter les dangers qui nous attendaient. Car dans le nord, il n’y avait guère d’espoir à trouver dans les décombres de la guerre, seulement la menace omniprésente d’une mort et d’une destruction accrues à l’horizon.

En m’approchant des soldats et de leurs chars, j’ai brandi ma carte d’identité de la main droite et un drapeau blanc de la main gauche, en me tenant silencieusement debout et en priant pour un passage sûr. L’un des soldats a appelé : « Il n’y a que cinq personnes qui passent à la fois. Les autres doivent attendre qu’ils passent, puis cinq autres. Vous comprenez ? »

Lorsque mon tour est arrivé, le soldat m’a regardé fixement, alors que je me tenais seul, sans famille. Il a sorti une cigarette. Je sentais le poids de son regard sur moi, signe silencieux du pouvoir qu’il détenait sur mon destin. Aurait-il de la pitié ou déchaînerait-il sa brutalité, comme il l’avait fait pour tant d’autres auparavant ?

« Dites-moi votre nom complet », a ordonné le soldat, assis sur son char d’assaut. J’ai dit mon nom. Il a attendu un moment, puis m’a ordonné d’avancer et de ne pas me retourner. J’ai eu l’impression de vivre mon plus grand moment : j’avais survécu.

J’ai continué à marcher à pied pendant environ un kilomètre et demi. Le long de la route, j’ai observé un groupe de soldats israéliens qui riaient et mangeaient des chips. Une jeep militaire s’est approchée des Palestiniens qui tentaient de passer, puis a fait une embardée rapide pour les effrayer, montrant ainsi leur pouvoir sur leurs victimes.

Le poids de la Nakba
Après quatre heures de marche, j’ai enfin atteint la ville de Rafah. J’ai été accueilli par une dure réalité qui contrastait fortement avec les images que j’avais en tête. Contrairement aux assurances de l’armée israélienne concernant l’abondance de nourriture et la sécurité dans le sud, la vie ici était extrêmement difficile. J’ai été choqué de voir le paysage dominé par des dizaines de milliers de tentes abritant des personnes déplacées, qui s’étendaient loin à l’horizon. Chaque centimètre carré était surpeuplé, sans aucun répit ni espace personnel.

Les scènes de Rafah faisaient écho aux souvenirs douloureux de la Nakba de 1948, témoignage vivant des histoires transmises par mon grand-père. Le poids de l’histoire pesait sur moi, me rappelant que nous, Palestiniens, avons été forcés de souffrir au fil des générations.

Vivre à Rafah, c’est être immergé dans l’agitation constante d’une ville densément peuplée, qui abrite aujourd’hui plus de 1,5 million de personnes, toutes aux prises avec les dures réalités de leur existence. Chaque âme était engagée dans une compétition silencieuse pour la survie dans les limites étroites des abris de fortune, où avoir trois mètres d’espace autour de sa tente était un luxe que peu de gens pouvaient s’offrir.

J’ai campé à la limite de la frontière égyptienne. Chaque matin, les fils barbelés qui encerclaient la zone me rappelaient brutalement que j’étais déplacé ; j’avais l’impression de me réveiller dans une vaste prison. Les nuits étaient glaciales et la pluie ne faisait qu’exacerber des conditions de vie déjà désastreuses. Je luttais pour empêcher l’eau de pluie de s’infiltrer dans ma tente fragile, tandis que le soleil brûlant rendait la journée insupportable.

N’ayant aucun moyen de me procurer des vêtements supplémentaires et n’ayant nulle part où chercher du répit, ma situation devenait de plus en plus désastreuse. Même les abris collectifs étaient surpeuplés et je n’avais d’autre choix que de partager une tente minuscule avec un ami.

Les jours se sont étirés en semaines alors que j’attendais des nouvelles de mon départ autorisé, chaque moment passant étant chargé de peur et d’inconfort. Pendant 33 jours angoissants, je n’ai même pas pu prendre une douche pour rafraîchir mon corps épuisé. Au fur et à mesure que les jours s’écoulaient, mon anxiété augmentait, aggravée par la menace d’une invasion terrestre israélienne à Rafah. Enfin, j’ai pu franchir le point de passage.

Aujourd’hui, en Égypte, j’ai beau essayer de m’immerger dans ma nouvelle vie, les souvenirs de mon passé à Gaza restent à vif. Le spectre des six derniers mois de guerre me hante sans relâche, me rappelant la famille que j’ai laissée derrière moi pour affronter les périls de la guerre. La pensée de mes amis et des personnes qui me sont chères me fait ressentir une culpabilité paralysante. Je suis terrifiée chaque fois que j’apprends qu’un bombardement a eu lieu à Gaza. Je me précipite pour prendre des nouvelles de ma famille, mais elle ne peut pas toujours appeler à cause de la pénurie d’électricité, et j’attends parfois des heures, voire des jours, pour obtenir une réponse. Physiquement, j’ai survécu. Mais émotionnellement, je suis toujours prisonnier de la guerre.

Mahmoud Mushtaha, le 20 avril 2024
Mahmoud Mushtaha est un journaliste indépendant et un militant des droits de l’homme basé à Gaza.
Source : +972
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/04/22/jai-quitte-gaza-mais-je-suis-toujours-prisonnier-de-la-guerre/

******
Pourquoi le rôle de l’humain reste essentiel dans la guerre menée par Israël grâce à l’IA

Suite à la publication de l’article « Lavender » de +972, des experts en droit international et en intelligence artificielle expliquent comment les hauts gradés israéliens et les entreprises technologiques mondiales sont impliqués dans le massacre.

La destruction de Gaza par Israël engage une nouvelle ère de guerre. Des cratères engloutissent des complexes résidentiels, des rues entières sont réduites en ruines et des nuages de poussière masquent le soleil. L’armée israélienne a largué plus d’explosifs sur l’enclave de 200 km carrés que n’en contenaient les bombes atomiques qui ont décimé Hiroshima et Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale. L’ampleur et la densité des destructions rivalisent avec les épisodes de guerre urbaine les plus dévastateurs de l’histoire récente, du Blitz de Londres aux décennies de contre-insurrection au Vietnam.

Pourtant, contrairement à ces guerres du XXème siècle, l’assaut d’Israël sur Gaza est une campagne de massacre fondamentalement high-tech. Au début du mois, des enquêtes publiées dans +972 et Local Call ont révélé le rôle central de l’intelligence artificielle dans les tueries. Selon six officiers de renseignement israéliens, l’armée a utilisé une machine d’IA surnommée « Lavender » pour générer des dizaines de milliers de « cibles humaines » à assassiner au motif qu’elles feraient partie des branches armées du Hamas ou du Djihad islamique palestinien. Ces résultats ont ensuite été introduits dans un système de suivi automatisé connu sous le nom de « Where’s Daddy ? » (« Où est papa ? »), ce qui a permis à l’armée de tuer chaque personne à l’intérieur de son domicile, ainsi que toute sa famille et, souvent, un grand nombre de ses voisins.

Ces révélations font suite à une enquête antérieure menée par +972 et Local Call, qui a mis en lumière un autre système d’IA générateur de cibles appelé « Habsora » (« L’Évangile »). Alors que Lavendergénère des cibles humaines, Habsora marque des bâtiments et des structures qui auraient une fonction militaire. Un ancien officier de renseignement a déclaré à +972 que cette technologie permet à l’armée israélienne d’exploiter essentiellement une « usine d’assassinat de masse ».

La dernière enquête a fait des vagues dans la presse internationale, où les journalistes et internautes ont imaginé des scènes de systèmes d’armes alimentés par l’IA dépassant la puissance de leurs opérateurs humains et tuant sur un coup de tête. Cependant, des experts en droit international et en guerre de l’IA ont souligné à +972 que le carnage à Gaza est le résultat de décisions humaines concertées. Outre les hauts gradés des institutions militaires et politiques israéliennes, des pans entiers du secteur technologique civil mondial pourraient être impliqués dans le massacre.

Génération rapide, autorisation rapide
Avec un taux de mortalité quotidien à Gaza plus élevé que dans n’importe quelle autre guerre du XXIème siècle, il semble que les engagements visant à minimiser les pertes civiles dans les assassinats ciblés, pour autant qu’ils aient jamais existé, soient tout simplement passés à la trappe. Selon les sources, les responsables militaires israéliens ont considérablement réduit les critères utilisés pour déterminer quelles cibles pouvaient être tuées à leur domicile, tout en augmentant le seuil des victimes civiles autorisées dans chaque frappe – dans certains cas, ils ont autorisé le meurtre de centaines de civils pour tuer une seule cible militaire de haut rang. Comme l’a déclaré Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, dans les premiers jours de la guerre, l’accent a été mis sur « ce qui cause le maximum de dégâts ».

Pour être clair, Israël ne s’appuie pas sur des armes entièrement autonomes dans la guerre actuelle contre Gaza ; les unités de renseignement utilisent plutôt des systèmes de ciblage alimentés par l’IA pour classer les civils et les infrastructures civiles en fonction de leur probabilité d’être affiliés à des organisations militantes. Cela accélère et élargit rapidement le processus par lequel l’armée choisit qui tuer, générant plus de cibles en un jour que le personnel humain ne peut en produire en une année entière.

La création rapide de cibles entraîne la nécessité d’une autorisation rapide : les officiers de renseignement qui ont parlé à +972 ont admis qu’ils consacraient à peine 20 secondes pour approuver les frappes individuelles, bien qu’ils sachent que Lavender identifie mal les cibles – même selon ses propres critères laxistes – dans environ 10 pour cent des cas. Nombreux sont ceux qui se sont contentés de s’assurer que la personne qu’ils allaient tuer était un homme, transformant ainsi la majeure partie de Gaza en un piège mortel.

« Ce qui m’a frappé dans le rapport [+972], c’est le degré d’autonomie et de fiabilité que les forces armées ont accordé à cette technologie », a déclaré Alonso Gurmendi Dunkelberg, maître de conférences en relations internationales au King’s College de Londres, à +972. « Elle permet à l’armée d’approuver froidement le ciblage systématique d’une population civile. »

Ben Saul, professeur de droit international et rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, a déclaré que la dépendance excessive à l’égard de ces systèmes confère un vernis de rationalité à la dévastation qu’Israël a provoquée à Gaza. Les systèmes dits « intelligents » peuvent déterminer la cible, mais les bombardements sont effectués avec des munitions non guidées et imprécises, parce que l’armée ne veut pas gâcher des bombes coûteuses sur ce qu’un officier de renseignement a décrit comme des « cibles collatérales ».

« Israël a des avocats militaires, un système de justice militaire, des procédures opérationnelles et des règles d’engagement qui sont censées l’aider à respecter les droits de l’homme internationaux », a déclaré M. Saul. « Mais cette guerre est loin de respecter les règles humanitaires de base. »

Les Nations Unies, les groupes de défense des droits de l’homme et de nombreux gouvernements ont averti qu’Israël enfreignait continuellement le droit international en matière de droits de l’homme ainsi que les principales dispositions des conventions de Genève et de La Haye, dont il est signataire. Chacun de ces traités interdit l’assassinat systématique et délibéré de civils. Mais les juristes affirment que ces systèmes de haute technologie ont favorisé un mépris systémique du droit international au cours des six derniers mois et demi de guerre, durant lesquels Israël a tué plus de 34 000 Palestiniens, en a blessé plus de 76 000, et 11 000 autres sont toujours portés disparus.

Réduire les Palestiniens à des chiffres
Le fait que ces machines soient actionnées et exploitées par des personnes réelles a de graves implications pour les responsables militaires israéliens. Lavender et Where’s Daddy ? sont peut-être présentés comme des systèmes alimentés par l’IA, mais même les chefs militaires israéliens affirment qu’ils n’agissent pas de manière autonome : une chaîne de commandement concertée dicte la manière dont ces technologies sont mises en œuvre. Zach Campbell, chercheur principal en surveillance à Human Rights Watch, a déclaré à +972 : « Oui, cette technologie est problématique, mais il s’agit aussi de savoir comment ces systèmes sont utilisés. Et cette utilisation relève de décisions humaines. »

Les représentants du gouvernement israélien ont clairement exprimé leurs intentions après les terribles événements du 7 octobre. Dans les premiers jours de la guerre, le président israélien Isaac Herzog a proclamé qu’il n’y avait « pas de civils innocents à Gaza » et les ministres ont déclaré que la guerre était le début d’une nouvelle « Nakba » . D’autres hommes politiques ont appelé à « raser » toute la bande de Gaza. Des bombes de 900 kg ont détruit des quartiers entiers, des bulldozers ont rasé des écoles et des hôpitaux, et des pans entiers de la bande de Gaza ont été considérés comme des zones où régnaient le « permis de tuer ». Ces ordres s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés depuis des années pour transformer l’armée israélienne en ce que le sociologue Yagil Levy a récemment appelé « une armée génératrice de mort ».

« Le problème n’est pas l’IA », a déclaré à +972 Brian Merchant, un journaliste spécialisé dans la technologie qui enquête sur le développement effréné des systèmes d’IA. « Le problème, c’est ce que l’IA permet aux armées de faire. Elle fournit une justification pour être plus violent, pour être plus négligent, pour affirmer un programme qu’ils avaient déjà ou qu’ils cherchent un prétexte pour justifier. »

Mona Shtaya, chercheuse non résidente à l’Institut Tahrir pour la politique au Moyen-Orient, a déclaré que c’était le cas depuis longtemps en ce qui concerne la stratégie militaire israélienne vis-à-vis des Palestiniens ; Lavender n’est que la plus récente d’une longue liste d’armes alimentées par des algorithmes dans l’arsenal d’Israël.

Par exemple, les algorithmes de la police et les systèmes de reconnaissance faciale examinent des tonnes de données provenant de nombreuses sources, y compris les réseaux sociaux, les données des téléphones portables et les images de drones. Comme Lavender, ces systèmes utilisent les données pour attribuer aux Palestiniens une note de sécurité. Cette note peut alors déterminer qui doit être détenu à un point de contrôle à Hébron, arrêté à l’extérieur de la mosquée Al-Aqsa ou tué lors d’une attaque de drone à Gaza.

« Ces systèmes transforment les Palestiniens en données chiffrées », a déclaré M. Shtaya à +972. « Ils permettent aux autorités de nous évaluer, de nous déshumaniser, de ne pas penser au fait que nous sommes des personnes, mais de justifier notre mort sur la base d’une statistique. C’est la raison pour laquelle nous avons vu la violence augmenter depuis qu’Israël a commencé à s’appuyer sur ces systèmes ».

Selon M. Shtaya, les systèmes de ciblage alimentés par l’IA sont le résultat naturel de l’investissement effréné d’Israël dans la surveillance de masse. « C’est le cycle du développement technologique en Palestine. Chaque système est plus dangereux. »

Une chaîne d’approvisionnement algorithmique
L’utilisation abusive de l’IA peut être ancrée dans les politiques militaires, mais elle implique également de larges pans de l’industrie technologique civile.

Les systèmes de ciblage alimentés par l’IA reposent sur des masses de données de surveillance extraites et analysées par des start-ups privées, des conglomérats technologiques mondiaux et des techniciens militaires. Les techniciens des complexes de bureaux de la Silicon Valley conçoivent les bases de données Google Image que les troupes israéliennes utilisent pour détenir les civils fuyant les bombardements aériens. Les algorithmes de modération de contenu déterminés par les dirigeants de Meta à New York aident les systèmes de police à trier les civils en fonction de leur probabilité de rejoindre des groupes militants. Des sociétés de sécurité basées à Petah Tikvah transfèrent le contenu de téléphones portables à des techniciens militaires qui établissent des listes d’assassinats.

La dépendance d’Israël à l’égard des produits issus de la technologie civile pour mener à bien ses opérations meurtrières est en contradiction avec de nombreuses politiques et conditions d’utilisation émises par les entreprises avec lesquelles il collabore. Le mois dernier, le New York Times a révéléque l’armée israélienne utilisait une base de données Google Images pour identifier et trier les civils dans la bande de Gaza. Cheyne Anderson, ingénieur logiciel chez Google et membre du groupe No Tech for Apartheid, une coalition de travailleurs du secteur technologique opposés aux contrats avec l’armée israélienne, a déclaré à +972 qu’il s’agissait d’une grave utilisation abusive de la technologie de Google.

« Ces systèmes ne sont pas conçus pour être utilisés sur les champs de bataille du Moyen-Orient, où la vie ou la mort est en jeu ; ils sont entraînés à prendre des photos de famille », a expliqué M. Anderson. « Amener quelque chose comme cela dans une zone de guerre… Cela va directement à l’encontre de nos règles de confidentialité et de nos règles d’utilisation ». En effet, les règles de confidentialité de Google stipulent que les utilisateurs doivent donner leur « consentement explicite pour partager toute information personnelle sensible » avec des tiers. Dans le cadre de ses protocoles relatifs aux activités dangereuses et illégales, Google prévient que Google Photos ne peut être utilisé « pour promouvoir des activités, des biens, des services ou des informations qui causent un préjudice grave et immédiat à des personnes ».

Malgré des violations évidentes des règles établies, Google et d’autres conglomérats technologiques n’ont pas empêché l’armée israélienne d’utiliser leurs produits dans la guerre actuelle contre Gaza ou au cours des décennies de domination militaire d’Israël sur les territoires palestiniens occupés. Nombre de ces entreprises privées tirent profit de cet échange, car les civils palestiniens qui n’ont pas droit à une protection élémentaire de leur vie privée offrent une quantité illimitée de données qui permettent aux entreprises de surveillance d’affiner leurs produits. « Ces entreprises font partie d’une vaste chaîne d’approvisionnement algorithmique qui est au cœur de la guerre aujourd’hui », a déclaré Matt Mahmoudi, chercheur à Amnesty International, à +972. « Pourtant, elles n’ont pas agit. »

À mesure que la liste des abus israéliens à Gaza s’allonge, ces entreprises peuvent être légalement impliquées dans les violations systématiques du droit international par Israël. « Il s’agit d’une mise en garde pour toutes les entreprises », a déclaré M. Mahmoudi. « Non seulement elles violent le droit international des droits de l’homme, non seulement elles risquent de nuire à leur réputation, mais elles risquent aussi d’être reconnues coupables d’avoir aidé et encouragé quelque chose qui sera certainement classé comme un crime grave en temps voulu. »

Les accusations de crimes de guerre n’ont pas empêché les responsables militaires israéliens de promettre que l’effusion de sang permettra de réaliser des progrès sans précédent dans le domaine de la guerre assistée par ordinateur. Lors de la journée annuelle de l’IA organisée par l’université de Tel-Aviv en février, le général de brigade Yael Grossman, commandant de l’unité Lotem, a déclaré à un parterre de dirigeants civils et militaires de l’industrie technologique que l’armée continuait à mettre en place des systèmes d’avant-garde. « Les obstacles nous permettent de nous améliorer », a-t-elle déclaré. « Cela nous permet de nous développer beaucoup plus rapidement et d’être plus évolutifs avec les différentes solutions que nous fournissons sur le champ de bataille. »

De tels slogans ont toujours rallié les gouvernements occidentaux et les conglomérats technologiques aux prouesses militaires israéliennes. Mais aujourd’hui, le vent est peut-être en train de tourner. Les gouvernements occidentaux ont commencé à envisager de suspendre leurs ventes d’armes, et les employés de Google et d’autres grands conglomérats technologiques se révoltent contre les contrats passés par leurs employeurs avec l’armée israélienne. Face au mépris d’Israël pour les réglementations internationales, M. Shtaya estime que ce changement radical est peut-être le seul espoir de régner sur les systèmes d’armement émergents.

« Ce qui se passe en Palestine n’est pas limité à [l’armée israélienne] », a expliqué M. Shtaya. « L’utilisation abusive de ces systèmes est un problème mondial. »

Sophia Goodfriend, le 25 avril 2024
Sophia Goodfriendest doctorante en anthropologie à l’université de Duke et s’intéresse aux droits numériques et à la surveillance numérique en Israël et en Palestine.
Source : +972
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/04/26/pourquoi-le-role-de-lhumain-reste-essentiel-dans-la-guerre-menee-par-israel-grace-a-lia/

Campaña de asesinatos de alta tecnología: por qué la acción humana sigue siendo crucial en la guerra de Israel apoyada en la IA 
https://vientosur.info/campana-de-asesinatos-de-alta-tecnologia-por-que-la-accion-humana-sigue-siendo-crucial-en-la-guerra-de-israel-apoyada-en-la-ia/

******
L’Allemagne est complice du génocide à Gaza, et elle le sait

Les répercussions internationales de l’interdiction du Congrès palestinien, qui devait se tenir à Berlin du 12 au 14 avril 2024, ainsi que les rapports sur l’arrestation à l’aéroport et l’expulsion ultérieure du pays du chancelier de l’université de Glasgow, le Dr Ghasam Abu Sitta, et le bannissement de l’ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis de toute activité politique, présente ou via zoom, pour avoir participé au congrès, ont terni l’image de l’Allemagne en tant que pays démocratique ayant laissé derrière lui son passé nazi et ayant contenu de manière exemplaire l’arrivée de l’extrême droite grâce à un pacte entre les autres partis.

L’Allemagne, dans une fuite en avant, au lieu de revenir calmement à la raison et de faire marche arrière dans sa répression de la solidarité pro-palestinienne, a, dans la semaine qui a suivi l’interdiction du congrès, intensifié ses attaques contre les militant·es pro-palestinien·nes dans la rue, les institutions et les médias. Cette même semaine, la télévision publique ZDF a diffusé deux reportages dans lesquels elle désigne, par leur nom et prénom, photos, vidéos et comptes Instagram, des activistes palestiniens·ne bien connu·es à Berlin qu’elle associe, sans preuve, au terrorisme djihadiste. Depuis la diffusion de ces reportages en prime time, ces activistes ont reçu des dizaines de menaces de viol et de mort. Qu’une télévision publique allemande, confrontée au problème préoccupant d’une islamophobie largement répandue dans la société, et d’une extrême droite de plus en plus violente qui a déjà commis de multiples meurtres, désigne des activistes par leurs noms et prénoms, ne peut être compris que comme une escalade autoritaire, et un appel à l’externalisation à la société en général, et à l’extrême droite armée jusqu’aux dents en particulier, de la répression du mouvement anti-génocide à Gaza. Avec ces rapports xénophobes, ils semblent vouloir attiser le feu islamophobe et encourager la peur d’attaques terroristes commises par des citoyens allemands d’origine immigrée, non assimilés comme ils le prétendent, donnant ainsi carte blanche aux politiques d’expulsion proposées par l’actuel gouvernement de coalition prétendument modéré.

L’Allemagne ne veut tout simplement pas que sa complicité dans le génocide de Gaza soit discutée publiquement. Ni le gouvernement ni la société civile allemande blanche ne veulent reconnaître que l’Allemagne est une fois de plus activement impliquée dans un autre génocide. Bien que les sondages montrent que 50% de la société allemande trouve les actions d’Israël disproportionnées, les Allemand·es blanc·hes brillent par leur absence dans les manifestations et les actions contre le génocide. Les représentants du gouvernement allemand ont été les seuls à prendre immédiatement la défense d’Israël dans le procès pour génocide intenté par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice de La Haye, le jour même où l’on commémorait les victimes du premier génocide du XXe siècle commis par l’Allemagne contre les peuples Herero et Nama dans son ancienne colonie, la Namibie. C’est votre pays qui, un jour seulement après que la Cour a ordonné des mesures provisoires à l’encontre d’Israël pour la prévention du génocide, y compris la facilitation de l’entrée de l’aide humanitaire, a retiré l’aide humanitaire à l’UNWRA pour l’ensemble de la bande de Gaza, sans aucune preuve étayée. Le 5 avril 2024, le matin même où l’Allemagne a voté non à la résolution de l’ONU visant à cesser l’envoi d’armes à Israël, la deuxième des 3 différentes actions en justice intentées devant leurs propres tribunaux par des citoyens palestiniens-allemands contre des membres du gouvernement pour leur complicité dans le génocide a été rendue publique. C’est dans votre pays que plusieurs hommes politiques et journalistes sont poursuivis au civil par l’association Palästina Spricht pour incitation au génocide. Et c’est votre pays qui a dû se défendre devant la Cour internationale de justice de La Haye contre des accusations de complicité de génocide dans un procès intenté par le Nicaragua pour les faits décrits ci-dessus.

La question qui se pose maintenant est la suivante : si l’information qui a filtré il y a quelques jours, et qui est rapportée par la presse en Israël, selon laquelle la Cour pénale internationale de La Haye va émettre des mandats d’arrêt contre Nethanyahu et les membres de son cabinet pour crimes contre l’humanité, et si, comme c’est très probable, Israël devait être reconnu coupable de génocide par la Cour internationale de justice, que diront l’Allemagne et les Allemand·es ? Peut-être qu’elles et ils ne savaient pas ? Elles et Iis ont déjà utilisé cette excuse lors des génocides contre les Juifs et les Roms pendant la Seconde Guerre mondiale, et cette fois-ci, elle ne tient pas la route.

Roser Garí Pérez, 22 avril 2024
https://vientosur.info/alemania-es-complice-en-el-genocidio-de-gaza-y-lo-sabe/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

******
Le cœur de sa jeunesse bat à Gaza… et l’Amérique entre en crise !

Jour après jour, ou plutôt heure après heure, le mouvement étudiant de solidarité avec le peuple palestinien et d’opposition au soutien du gouvernement à Israël se propage comme une traînée de poudre dans les universités et les écoles des États-Unis d’Amérique. Et comme il se distingue pour sa radicalité, les médias américains multiplient les flash-back pour comparer le mouvement actuel à l’immense mouvement de la jeunesse contre la guerre du Vietnam dans les années 1960 et 1970 ! D’ailleurs, c’est un article du New York Times qui titre éloquemment… « Le fantôme du mouvement anti-guerre de 1968 est de retour »

En effet, aujourd’hui comme hier, ce mouvement est confronté à la même féroce répression et aux mêmes calomnies de la part des mêmes milieux politiques et économiques. Les arrestations de manifestants pacifiques se comptent par milliers et les menaces et ultimatums des autorités universitaires et autres de l’establishment politique américain pleuvent. Mais, comme à l’époque, le mouvement ne se laisse pas intimider et persiste : il défie les menaces et les ultimatums et continue de s’étendre une semaine après le début de sa phase actuelle, centrée sur l’université Columbia à New York. Comme le montre la carte empruntée à Al Jazeera, le mouvement d’occupations et autres manifestations pro-palestiniennes s’étendait le 25 avril à toutes les grandes universités « historiques » – Harvard, MIT, Princeton, Yale, Berkeley, Columbia, mais aussi aux universités et collèges de presque tout le pays, au nord comme au sud, à l’est comme à l’ouest !

2024-04-26_02-protests-us-college-campuses

Au-delà de son caractère massif et radical, une autre caractéristique clé du mouvement actuel est sa maturité politique. Il ne se limite pas à manifester sa solidarité avec les Palestiniens, son opposition à la politique américaine au Moyen-Orient et sa condamnation des politiques génocidaires d’Israël. Il va plus loin, en frappant l’adversaire tout-puissant là où cela lui fait le plus mal : dans son portefeuille et son arsenal. C’est pourquoi sa principale revendication est de mettre fin immédiatement et une fois pour toutes aux relations et transactions économiques de toute espèce des universités américaines avec Israël et avec les entreprises américaines qui soutiennent financièrement et militairement Israël, allant jusqu’à l’armer pour mener sa guerre génocidaire à Gaza !

Mais il ne faut pas croire que ce mouvement est confiné aux universités. Comme le montrent tous les sondages depuis 7-8 ans, c’est l’ensemble de la jeunesse américaine qui est majoritairement (environ 80% !) possédée par les mêmes sentiments de solidarité avec le peuple palestinien et de condamnation de l’apartheid de l’État israélien, qui caractérisent le mouvement étudiant. En d’autres termes, le mouvement étudiant actuel puise sa force dans l’immense réservoir qu’est la jeunesse américaine.

En réalité, cette jeunesse nord-américaine a commencé à se radicaliser en masse à l’occasion et pendant les première et deuxième campagne électorale du sénateur indépendant Bernie Sanders. Un Sanders qui semble aujourd’hui s’inspirer à son tour du mouvement de la jeunesse et qui semble retrouver sa combativité lorsque, ce juif, dénonce le « raciste réactionnaire » Netanyahou et les calomnies « antisémites » systématiquement répandues par ce génocidaire et bien d’autres, avec ses six thèses tranchantes dont voici un extrait : « Non, Monsieur Netanyahou. Ce n’est pas être antisémite ou pro-Hamas que de rappeler qu’en un peu plus de six mois, votre gouvernement extrémiste a tué 34 000 Palestiniens et en a blessé plus de 77 000 – dont 70% de femmes et d’enfants. »

Cependant, ces calomnies « antisémites », qui sont monnaie courante dans la bouche des pro-sionistes et autres partisans de droite et d’extrême droite de l’apartheid israélien partout dans le monde, ont récemment commencé à faire un flop aux États-Unis pour la simple raison suivante : Parce qu’au point de départ et à la tête des mobilisations de solidarité avec les Palestiniens et contre leur génocide par l’État d’Israël se trouvaient et se trouvent les organisations de jeunes juifs antisionistes telles que If Not Now et Jewish Voice for Peace. Alors quand les différentes autorités universitaires, secondées par les médias, les politiques et la police, justifient la répression des manifestations, allant même jusqu’à demander l’intervention de l’armée (!), avec l’« argument » qu’ils veulent protéger les étudiants juifs pacifiques des manifestants « antisémites », les manifestants juifs antisionistes répondent qu’en fait, les premières et principales victimes de la répression brutale, qui veut soi-disant protéger les étudiants juifs, sont justement… les jeunes étudiants juifs, car ils sont toujours en première ligne et participent plus massivement que n’importe quelle autre communauté au mouvement étudiant actuel !… [1]

Mais, comme en 1968, ce mouvement anti-guerre des jeunes ne se limite pas aux États-Unis et tend à s’étendre à d’autres pays et à d’autres continents. Il se développe déjà rapidement en Australie, et commence à trouver des imitateurs dans les universités européennes (France, Catalogne, Grande-Bretagne, Italie…) où pourtant sévit la répression « préventive » qui met en pièces ce qui nous reste de droits démocratiques fondamentaux. Toutefois, ses répercussions les plus significatives sur le plan politique se manifestent déjà… en Palestine. C’est de là, dans la bande de Gaza martyrisée, que vient le message de remerciement chargé d’émotion que les jeunes Palestiniens adressent aux étudiants américains mobilisés qui manifestent leur solidarité avec eux…

Ceci étant dit, en même temps que nous assistons à un soulèvement historique et si prometteur de la jeunesse américaine, nous sommes également témoins de la reprise rapide du mouvement syndical états-unien. Et ce n’est pas un hasard si, parmi les pancartes des étudiants mobilisés, on trouve de plus en plus d’analogues des syndicats, et tout d’abord du syndicat des travailleurs de l’automobile, l’UAW.

En effet, après les victoires historiques de ce syndicat (700 000 membres) sous sa nouvelle direction radicale et classiste en septembre dernier dans le Nord américain, nous avons eu ces jours-ci un nouveau succès au moins aussi historique : pour la première fois, il a rompu la tradition d’interdire – de fait et par la répression – toute syndicalisation des travailleurs dans le Sud américain, puisque 73% des travailleurs de l’usine Volkswagen de Chattanooga, Tennessee, ont défié les menaces et les chantages, et ont voté en faveur de la syndicalisation de leur usine par l’UAW. L’événement suivant, qui s’est produit les jours mêmes où le mouvement anti-guerre des jeunes atteignait son point culminant, est révélateur de cette reprise fulgurante : la réunion annuelle de Labour Notes, qui est le rassemblement classiste et plutôt d’extrême-gauche des responsables syndicaux et qui, traditionnellement, ne réunissait pas plus de quelques centaines de syndicalistes, a accueilli cette année dans une ambiance survoltée 4 700 responsables syndicaux, présidents de syndicats et autres « troublemakers » ( fauteurs de troubles ), comme ils aiment s’appeler eux-mêmes les militants de Labour Notes. Il est a noter qu’en clôturant les travaux, Shawn Fain, le nouveau président radical de l’UAW connu aussi pour sa solidarité active avec le peuple palestinien, a prononcé un discours très combatif, soulignant que « la classe ouvrière est l’arsenal de la démocratie et les travailleurs sont les libérateurs »

S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, ce qui est certain en revanche, c’est que le crime contre l’humanité commis à Gaza contre le peuple palestinien par Israël et ses complices, commence – enfin – à se retourner contre eux au cœur même de la superpuissance mondiale. Et qu’en outre, la multiplication des secousses pré-sismiques à la base de la société de cette superpuissance américaine, préfigurent le grand tremblement de terre à venir, quel que soit le résultat des élections de novembre prochain. D’autant plus qu’il sera précédé par le grand rendez-vous du mouvement étudiant – et pas seulement – devant et peut-être à l’intérieur de la Convention Démocrate qui, comme en 1968, se tiendra à la même date et encore à Chicago. A l’époque, il y avait environ 10-12 000 manifestants [2] qui ont fait face à la férocité de 15 000 policiers lourdement armés et déchaînés, hurlant « kill the commies » (tuez les cocos). Aujourd’hui, les étudiants mobilisés prévoient qu’ils seront au moins 30 000 devant et autour de la convention démocrate qui se tiendra du 18 au 2  août. Sans doute, la suite des événements s’annonce passionnante… surtout aux États-Unis d’Amérique !…

Notes
[1]
 Voir Jewish Voice for Peace, Statement on Columbia University’s discriminatory and repressive treatment of Jewish students (Déclaration sur le traitement discriminatoire et répressif des étudiants juifs par l’université de Columbia) :
https://www.jewishvoiceforpeace.org/2024/04/24/seder-campus/
[2] « Pour que les vieux se souviennent et les jeunes apprennent », voici un bref, mais génial, aperçu musical des événements historiques qui ont eu lieu lors de la Convention Démocrate de 1968 à Chicago :
https://www.youtube.com/watch?v=Pswvi3QN_tI

Yorgos Mitralias

******
Quand Netanyahou se souvient de l’« holocauste des Arméniens »

Le 9 mars, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a publié sur son compte de microblog le texte suivant, que l’on peut traduire ainsi : « Israël, qui adhère aux lois de la guerre, ne recevra pas de leçons de morale de la part d’Erdogan, qui soutient les meurtriers et les violeurs de l’organisation terroriste Hamas, nie l’holocauste arménien et massacre les Kurdes dans son propre pays. »

Le premier ministre israélien réagissait à un discours antérieur dans lequel le dirigeant turc l’avait comparé à Staline et à Hitler. Erdogan a accusé Netanyahou de commettre un génocide pur et simple contre la population palestinienne de Gaza.

La partie la plus curieuse du tweet de Netanyahou est sa référence à l’« Holocauste arménien ». Le 12 janvier 2024, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz, a publié un tweet similaire : « Le président de la Turquie @RTErdogan, originaire d’un pays dont le passé est marqué par le génocide arménien, se vante maintenant de cibler Israël avec des affirmations infondées. Nous nous souvenons des Arméniens, des Kurdes. Votre histoire parle d’elle-même… »

La chose curieuse est qu’Israël lui-même n’a pas reconnu le génocide arménien en tant que tel. L’establishment politique israélien a lutté pendant des décennies contre la reconnaissance du génocide arménien, pour deux raisons : pour préserver l’exceptionnalité de l’Holocauste des Juifs européens pendant la Seconde Guerre mondiale par l’Allemagne nazie, mais aussi en raison de l’alliance stratégique de longue date avec la Turquie.

L’historien Yair Auron, dans son livre The Banality of Denial, Israel and the Armenian Genocide (Routledge, 2003), comprend très bien le discours de cet officiel israélien lorsqu’il écrit : « Au fil des ans, j’ai été troublé par un sentiment de malaise oppressant et par la critique du comportement évasif, frôlant le déni, de divers gouvernements d’Israël à l’égard de la mémoire du génocide arménien. »

Israël n’est pas seulement un gouvernement négationniste en ce qui concerne le génocide des Arméniens. Il est également un participant actif dans les récentes guerres que l’Azerbaïdjan a lancées, avec l’aide de la Turquie, contre l’Arménie et les Arméniens du Haut-Karabakh. Israël a activement armé l’Azerbaïdjan avec des armes de haute technologie, permettant à l’Azerbaïdjan en 2020 de percer les défenses du Haut-Karabakh. Juste avant la « solution finale » azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh en septembre 2023, 92 vols cargo ont transporté des armes et des munitions des bases militaires israéliennes vers l’Azerbaïdjan. En juillet 2023, deux mois avant l’assaut, Yoav Gallant, ministre israélien de la Défense, s’est rendu en Azerbaïdjan pour faire l’éloge de la collaboration militaire entre les deux pays.

Israël a non seulement participé à la négation du génocide arménien dans le passé, mais a également pris une part active au nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh.

La prise de bec entre Israël et la Turquie a lieu alors que l’armée israélienne est accusée d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes génocidaires lors de sa guerre à Gaza. Israël, pays construit par les survivants de l’Holocauste, est aujourd’hui accusé par l’Afrique du Sud, devant la Cour internationale de justice des Nations unies, d’avoir commis un « génocide » à Gaza. Israël est accusé de ne pas respecter les « lois de la guerre », contrairement à ce que prétend Netanyahou.

Alors, que dit Netanyahou lorsqu’il se souvient de « l’holocauste arménien » ?

Il y a deux façons de se souvenir des atrocités du passé : l’une consiste à empêcher que des crimes se produisent à l’avenir. Le slogan « Plus jamais ça » est un premier pas vers la construction d’un ordre civilisé après les crimes de guerre et les destructions massives.

Mais Netanyahou n’adhère pas à ce slogan. Il adhère à un autre slogan : « Plus jamais ça pour nous ! ». La mémoire des atrocités passées justifie tous les crimes que les dirigeants israéliens décident de commettre. On se souvient des crimes contre l’humanité et des génocides passés pour justifier les crimes futurs, et non pour les empêcher de se produire.

Lorsque Netanyahou parle à Erdogan, il parle de pouvoir à pouvoir. Il dit : n’intervenez pas dans mes massacres contre les Palestiniens, comme je n’interviens pas dans votre génocide arménien, vos massacres kurdes et votre aide au nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh !

Le 24 avril est commémoré le 109e anniversaire du génocide arménien. Quelles leçons avons-nous tirées du premier génocide des temps modernes ? 

Vicken Cheterian
Article publié sur le site Agos le 18 avril 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/israel/quand-netanyahou-se-souvient-de-lholocauste-des-armeniens.html

******
« Nous avons besoin d’un exode du sionisme »

En cette Pâque, nous n’avons pas besoin ni ne voulons de la fausse idole du sionisme. Nous voulons nous libérer du projet qui commet un génocide en notre nom.

J’ai pensé à Moïse et à sa colère lorsqu’il descendit de la montagne pour trouver les Israélites adorant un veau d’or.

L’écoféministe en moi a toujours été inquiète face à cette histoire : quel genre de Dieu est jaloux des animaux ? Quel genre de Dieu veut s’approprier tout le caractère sacré de la Terre ?

« Pas comme les autres Pâques » : des centaines de manifestants juifs arrêtés après le Seder de protestation à New York

Mais il existe une manière moins littérale de comprendre cette histoire. Il s’agit de fausses idoles. De la tendance humaine à vénérer ce qui est profane et brillant, à regarder vers le petit et le matériel plutôt que vers le grand et le transcendant.

Ce que je veux vous dire ce soir, lors de ce Seder révolutionnaire et historique dans les rues, c’est qu’un trop grand nombre de notre peuple adore une fois de plus une fausse idole. Ils en sont ravis. Ivre de ça. Profané par cela.

Cette fausse idole s’appelle le sionisme.

Le sionisme est une fausse idole qui a pris l’idée de la terre promise et l’a transformée en acte de vente pour un ethno-État militariste.

C’est une fausse idole qui prend nos histoires bibliques les plus profondes de justice et d’émancipation de l’esclavage – l’histoire de la Pâque elle-même – et les transforme en armes brutales de vol de terres coloniales, en feuilles de route pour le nettoyage ethnique et le génocide.

C’est une fausse idole qui a pris l’idée transcendante de la terre promise – une métaphore de la libération humaine qui a traversé de multiples confessions aux quatre coins du monde – et a osé en faire un acte de vente pour un ethno-État militariste.

La version de libération du sionisme politique est elle-même profane. Dès le début, cela a nécessité l’expulsion massive des Palestiniens de leurs foyers et de leurs terres ancestrales dans la Nakba.

Depuis le début, elle est en guerre contre les rêves de libération. Lors d’un Seder, il convient de rappeler que cela inclut les rêves de libération et d’autodétermination du peuple égyptien. Cette fausse idole du sionisme assimile la sécurité israélienne à la dictature égyptienne et aux États clients.

Dès le début, cela a produit une vilaine forme de liberté qui considérait les enfants palestiniens non pas comme des êtres humains mais comme des menaces démographiques – tout comme le pharaon du Livre de l’Exode craignait la population croissante des Israélites et ordonnait donc la mort de leurs fils.

Le sionisme nous a amenés à notre moment actuel de cataclysme et il est temps que nous le disions clairement : il nous a toujours conduit là.

C’est une fausse idole qui a conduit beaucoup trop de nos concitoyens sur une voie profondément immorale et qui les amène désormais à justifier la destruction des commandements fondamentaux : tu ne tueras pas. Tu ne voleras. Tu ne convoiteras pas.

Nous, dans ces rues depuis des mois et des mois, sommes l’exode. L’exode du sionisme

C’est une fausse idole qui assimile la liberté juive aux bombes à fragmentation qui tuent et mutilent les enfants palestiniens.

Le sionisme est une fausse idole qui a trahi toutes les valeurs juives, y compris la valeur que nous accordons au questionnement – une pratique ancrée dans le Seder avec ses quatre questions posées par le plus jeune enfant.

Y compris l’amour que nous portons en tant que peuple aux textes et à l’éducation.

Aujourd’hui, cette fausse idole justifie le bombardement de toutes les universités de Gaza ; la destruction d’innombrables écoles, d’archives, d’imprimeries ; le meurtre de centaines d’universitaires, de journalistes, de poètes – c’est ce que les Palestiniens appellent le scolasticide, la destruction des moyens d’éducation.

Pendant ce temps, dans cette ville, les universités font appel à la police de New York et se barricadent contre la grave menace que représentent leurs propres étudiants qui osent leur poser des questions fondamentales, telles que : comment pouvez-vous prétendre croire en quoi que ce soit, et encore moins en nous, pendant que vous permettez, investissez et collaborez avec ce génocide ?

La fausse idole du sionisme a pu se développer sans contrôle pendant bien trop longtemps.

Alors ce soir on dit : ça s’arrête là.

Notre judaïsme ne peut pas être contenu par un ethno-État, car notre judaïsme est internationaliste par nature.

Notre judaïsme ne peut pas être protégé par l’armée déchaînée de cet État, car tout ce que fait l’armée, c’est semer le chagrin et récolter la haine – y compris contre nous en tant que Juifs.

Notre judaïsme n’est pas menacé par des personnes qui élèvent la voix en solidarité avec la Palestine, sans distinction de race, d’origine ethnique, de capacité physique, d’identité de genre et de génération.

Notre judaïsme est l’une de ces voix et sait que dans ce chœur résident à la fois notre sécurité et notre libération collective.

Notre judaïsme est le judaïsme du Seder de Pâque : le rassemblement en cérémonie pour partager de la nourriture et du vin avec des êtres chers et des étrangers, le rituel qui est intrinsèquement portable, suffisamment léger pour être porté sur notre dos, n’ayant besoin que les uns des autres : non des murs, pas de temple, pas de rabbin, un rôle pour chacun, même – surtout – pour le plus petit des enfants. Le Seder est une technologie de la diaspora s’il en est, conçue pour le deuil collectif, la contemplation, le questionnement, la mémoire et la renaissance de l’esprit révolutionnaire.

Alors regardez autour de vous. Voilà notre judaïsme. Alors que les eaux montent et que les forêts brûlent et que rien n’est sûr, nous prions sur l’autel de la solidarité et de l’entraide, quel qu’en soit le prix.

Nous n’avons pas besoin ni ne voulons de la fausse idole du sionisme. Nous voulons nous libérer du projet qui commet un génocide en notre nom. Se libérer d’une idéologie qui n’a pas d’autre plan de paix que celui de s’occuper des pétro-États théocratiques meurtriers d’à côté, tout en vendant au monde les technologies des assassinats robotisés.

Nous cherchons à libérer le judaïsme d’un ethno-État qui veut que les Juifs aient perpétuellement peur, qui veut que nos enfants aient peur, qui veut nous faire croire que le monde est contre nous afin que nous courions vers sa forteresse et sous son dôme de fer, ou à au moins maintenir les armes et les dons à flot.

C’est la fausse idole.

Et ce n’est pas seulement Netanyahu, c’est le monde qu’il a créé et qui l’a fait – c’est le sionisme.

Que sommes-nous ? Nous, dans ces rues depuis des mois et des mois, sommes l’exode. L’exode du sionisme.

Et aux Chuck Schumers [1] de ce monde, nous ne disons pas : « Laissez partir notre peuple ».

Nous disons : « Nous sommes déjà partis. Et vos enfants ? Ils sont avec nous maintenant. »

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Chuck_Schumer

Naomi Klein
Ceci est une transcription d’un discours prononcé lors du Seder d’urgence dans les rues de New York
Article original paru sur le site du journal The Guardian le 24 avril 2024
https://ujfp.org/naomi-klein-nous-avons-besoin-dun-exode-du-sionisme/

*-*

IMG-20240428-WA0006

Caitlin Johnstone : Dans cette dystopie, être opposé à un génocide est plus criminel que d’en commettre un
Si vous pensez que les massacres quotidiens de civils innocents sont normaux et acceptables, alors vous êtes aussi perturbé & aveugle que n’importe quel fou furieux de la ville. Sans doute même pire.
https://ssofidelis.substack.com/p/dans-cette-dystopie-etre-oppose-a
Julian Epp : Les manifestations sur les campus en faveur de Gaza se multiplient – et la répression aussi
Alors que les appels au désinvestissement se sont multipliés la semaine dernière, des étudiant·es racontent comment des dizaines d’universités américaines répriment les manifestations en faveur de la Palestine.
https://www.972mag.com/campus-protests-gaza-us-students/
Anat Matar :
En souvenir de Walid Daqqa, un prisonnier avec une « croyance hérétique en la vie ».
Walid et moi avons entretenu une correspondance politique, personnelle et philosophique pendant deux décennies. Même mort, il m’accompagne sur le chemin de la vérité.
https://www.972mag.com/israel-gaza-lavender-ai-human-agency/
Christina Hazboun : Les Arménien·es de Jérusalem se battent pour préserver leur héritage musical
Du rock palestinien au folk moderne, des générations de musicien·nes arméniens·e ont prospéré à Jérusalem. Mais les attaques israéliennes menacent l’avenir de la communauté.
https://www.972mag.com/walid-daqqa-palestinian-prisoner-letters/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture