Comme une parole donnée à l’espace commun

Le titre de cette note est extrait de la belle présentation de Geneviève Fraisse : « Le sort des femmes ».

4« La singularité de son écriture contribue à instaurer une pensée forte de l’émancipation des femmes : on peut, en effet y lire une double affirmation démocratique, celle du sujet autonome capable d’avoir une  »opinion » individuelle, et celle d’une catégorie,  »les femmes », objet de l’énoncé de cette opinion ». Geneviève Fraisse explique pourquoi, pour une femme, « avoir une opinion singulière dans l’espace public nouveau, espace démocratique, est subversif, appel d’une émancipation à venir. Et c’est simplement, à bien y regarder, accéder à l’autonomie de la raison et anticiper la décision citoyenne ». Elle poursuit sur la raison, la plaidoirie politique, « Crier, raconter, démontrer, telle est la tâche qu’elle se donne dans ce texte fondateur », l’exercice libre de la volonté intime, le défi de l’égalité, la parole d’une française qui « pourrait être une citoyenne », la liberté de penser, le « sort des femmes ».

« … la  »condition féminine » s’entend comme un état immobilisant, refermant sur une représentation figée et réductrice la vie des femmes. Finalement, la  »condition » qui voulait illustrer l’être au monde apparaît comme une substance sans histoire, sans passé et sans avenir. La belle formule du  »sort des femmes » appelle, par sa polysémie, à la vie du sujet et à l’action commune ».

Quelques extraits, choisis très subjectivement, de ce texte météore de 1801, de cette expression de la « raison ne s’autorisant toujours que d’elle-même » :

  • « Permettez que je vous dédie mon ouvrage, femmes pour qui seules j’écris. »

  • « mais une idée utile est rarement perdue ; elle tombe toujours dans quelques esprits féconds où elle fermente en silence et se développe tôt ou tard. »

  • « Femme sensible et raisonnable, je veux seulement payer à la société la dette que contracte envers elle chacun de ses membres et pour acquitter cette dette j’offre des idées utiles, puisqu’elles sont puisées dans l’amour du bien général et de l’humanité. »

  • « cette résistance, qu’on appelle caractère dans les hommes, est traitée d’opiniâtreté, de désobéissance, dans les femmes. »

  • « … si l’intérêt d’un sexe oppresseur l’emporte sur le cri de l’humanité, de la justice violés, je me rendrais du moins ce témoignage que j’ai plaidé leur cause… »

  • « … leur union fût pour l’un une source de tourments et d’esclavage, tandis que l’autre jouirait de son indépendance. »

  • « .. qu’on y ait érigé en principe que celui-là seul est digne de la liberté qui peut impunément la ravir à un autre »

  • « l’injustice et l’absurdité de juger du moral par le physique »

  • « Cependant, de deux choses l’une : ou ces individus sont de la même espèce, et alors ils doivent avoir les mêmes avantages ; ou ils différent tellement entre eux qu’aucune qualité ne leur est commune »

  • « … de cet examen, je tire la preuve de leur égalité naturelle, d’où dérive nécessairement l’égalité civile. »

  • « …on ne les a donc bannies de la société que par la loi du plus fort, qui toujours entraîne avec elle la violation de tous las droits. »

  • « les lois ne sévissent pas contre ceux qui maltraitent leurs femmes »

  • « L’idée d’assimiler les femmes aux Noirs pourra paraître étrange ; mais si cette comparaison est singulière, elle n’est au moins pas dénuée de justesse. »

  • « Il est donc injuste et inepte de rechercher en elles une infériorité qui prend sa source dans leur inertie ; c’est juger sur l’effet, quand il faudrait remonter à la cause. »

  • « la raison ne pouvant étayer une opinion qui la blesse… »

  • « Liberté et égalité civiles, voilà ce que je réclame pour elles »

 Un texte à faire connaître.

De Geneviève Fraisse, voir, entres autres : La fabrique du féminisme. Textes et entretiens ( Le passager clandestin 2012 La surdité commune à l’égard du féminisme est comme une « ritournelle »

et sa préface à l’ouvrage de Carole Pateman : Le contrat sexuel ( Editions La Découverte / Institut Émilie du Châtelet (IEC) 2010 Le contrat sexuel est une dimension refoulée de la théorie du contrat

Fanny Raoul : Opinion d’une femme sur les femmes

Présentation de Geneviève Fraisse, suivi d’un texte de Marie Desplechin

Le passager clandestin, Le Pré Saint-Gervais 2011, 69 pages, 7 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

4 réflexions sur « Comme une parole donnée à l’espace commun »

  1. Chère Fanny exhumée des limbes de l’oubli…Parcours d’un amazone solitaire et humaniste, prônant essentiellement en faveur de l’accès de chacun au bien commun. Une grande dame qui mérite sa place au Panthéon du féminisme.

    1. Bonjour, Je ne sais si vous lirez ce message, mais je cherche à vous joindre, Madame Christelle Brunet, par rapport à votre mémoire sur Fanny Raoul. Je suis la comédienne qui vous avais déjà contactée fin 2012 sur facebook, puisque je montais « Opinion d’une Femme sur les Femmes ». Je reprends ce spectacle, et aimerais beaucoup prendre contacte avec vous, qui êtes la seule à avoir fait des recherches sur cette Femme de génie, ce qui est tout à votre honneur.
      Vous m’aviez donné à l’époque votre mail et téléphone, mais ils ne sont plus d’actualité.
      Pardon d’avoir tant tardé à reprendre contacte avec vous…
      Vous pouvez me contacter sur facebook :  » Typhaine Dee  » ou par mail.
      Vous remerciant,
      Bien féministement à vous,
      Typhaine D

  2. Un grand merci pour ce blog et surtout pour la mise en lumière de la formidable pensée de cette Fanny Raoul !!! Le Genre est un champ d’étude me préoccupant en terme de formation continue dans les entreprises, Cadrer une approche historico-philosophique permettant une distance nécessaire à l’évolution des mentalités semble d’actualité.
    Cordialement, Thierry

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