Olympe de Gouges et la symbolique féministe, entretien avec Geneviève Fraisse

En 2007 et en 2009 vous vous êtes prononcée en faveur de l’entrée d’Olympe de Gouges et de Solitude au Panthéon
Oui, la demande de panthéonisation d’Olympe de Gouges a déjà une histoire. L’historienne Catherine Marand-Fouquet ouvre la voie, notamment en organisant une manifestation en 1993 devant le Panthéon, pour commémorer la mort d’Olympe de Gouges, guillotinée le 3 novembre 1793 (1).

Au lendemain du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, c’était une suite logique, logique du point de vue révolutionnaire autant que dans une perspective de réparation historique. Ainsi, la question des « grandes femmes » à côté des « grands hommes » était moins une question paritaire (combien de femmes manquantes ?) qu’une question de héros et d’héroïnes. C’est là où l’on voit qu’entre l’initiative de 1993 (que j’ai relayée en tant que déléguée interministérielle aux droits des femmes en 1998) et celle d’aujourd’hui, la signification n’est pas univoque. Le féminisme est aussi lié aux couleurs des moments historiques et cela en fait tout l’intérêt politique justement. Mais aussi, il y a continuité : Olympe de Gouges est bien à la place des fondateurs et fondatrices d’un espace politique démocratique. Et quelle que soit la critique adressée aujourd’hui à la  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« droitdelhommisme »), le texte d’Olympe de Gouges qui lui fait face, La Déclaration des droits de la femme et de la citoyennne, la lecture publique de ce texte produit toujours un effet subversif. En décalage, en miroir, cette Déclaration ne fait pas l’effet d’un doublon, d’une copie, mais plutôt d’une provocation renouvelée.

Pourquoi est-ce important que des femmes soient panthéonisées ? L’égalité économique et la parité politique ne sont-elles pas plus cruciales que la parité symbolique ?  Vouloir que des femmes soient au Panthéon ne serait-ce pas une expression de « femmonationalisme » réactionnaire  entérinant le préjugé majoritaire de la binarité des  sexes ?
Des critiques s’élèvent, en effet, pour dénoncer un mauvais féminisme, la charge nationaliste d’une part, la perpétuation de la dualité sexuelle d’autre part.

Aujourd’hui, il semblerait important de dénoncer un féminisme complice, complice de la domination néolibérale, complice de la reproduction sexuée du monde.

Face à cela, je propose quelques remarques :
Le féminisme a toujours tort, depuis 200 ans. Il n’arrive jamais au bon moment, il fait le jeu des puissances en place, ou verse dans la futilité politique. Cela s’appelle le contretemps : au XIXe siècle on temporise les droits avec l’argument de la nécessaire éducation des femmes, ou on retoque l’impatience des femmes révolutionnaires en leur expliquant qu’elles ne sont qu’une « contradiction secondaire » au renversement du capitalisme. Jamais au bon moment, jamais au bon endroit : on réprimande donc ces actrices de l’histoire qui se trompent de combat. Que les féministes fassent fausse route est un lieu commun de la politique
  (2).

Admettons, en revanche que nous reconnaissions l’empirisme du mouvement féministe, stratégie qui a peut-être quelque raison de faire feu de tout bois dans les pratiques d’émancipation. Dans la mesure où les mécanismes de la domination masculine, tels les morceaux d’un puzzle éclaté, se montrent sous différents visages, on peut comprendre que la résistance se fasse dans le désordre des priorités. Tel ou tel combat peut servir de catalyseur à la résistance, les contextes politiques en décident parfois (l’avortement en 1970, la parité en 1990…).

Cependant, on doit s’interroger plus avant :

Soit des tendances et des volontés féministes s’affrontent : d’un côté autour de l’inclusion égalitaire des sexes dans tout espace de la société, y compris dans les lieux symboliques comme le Panthéon, de l’autre autour de l’idée que la dualité des sexes est soluble dans un multiple de genres qui ne craindrait pas de retourner au neutre.

Soit critiquer la revendication de places pour les femmes au Panthéon laisse penser qu’il existe un féminisme « pur », pur de toutes compromissions avec, non pas tel ou tel parti politique, non, pur de toute compromission avec le réel. À la différence de toute autre question politique, le féminisme est discuté comme une affaire hors de toute réalité des rapports de force ou des stratégies en cours. Le féminisme devrait-il rester au niveau moral (au pire), ontologique (au mieux) ?

En conséquence, une double question surgit de ces critiques : s’agit-il d’une utopie, révolutionnaire, et en ce cas le féminisme de la dissolution sexuée (dit aussi « post-féminisme ») signe le réveil de pensées radicales subversives dans une époque qui a abandonné toute révolution ; ou se retrouve-t-on face à une pensée qui ne fait pas histoire, qui s’affranchit de la pratique de l’histoire, relayant ainsi ce qui est l’obstacle le plus puissant opposé à toute émancipation féministe : les sexes (ou genre) ne font pas histoire, sont hors du temps  (3).

Or il s’agit bien de « faire histoire ». Laissons de côté les controverses, pour l’obtention réelle des places en partage égal entre les sexes, ou contre les imaginaires dit clichés ou stéréotypes sexués. Il faut parler du symbolique. La question de l’entrée de femmes au Panthéon a à voir avec le symbolique. C’est une évidence.

Cette évidence peut être mise en relation avec deux événements culturels d’actualité, l’un artistique avec l’exposition Les Papesses à Avignon, l’autre intellectuel avec le prochain « Rendez-vous de l’Histoire de Blois ».

D’un côté, l’exposition de cinq importantes artistes sous le titre « Papesses » en référence autant au Palais des papes d’Avignon qu’à la légende de la papesse Jeanne. De Louise Bourgeois à Camille Claudel, en passant par Kiki Smith, Jana Sterback et Berlinde de Bruyckere, on remonte le temps pour nous indiquer la « provenance » de l’affirmation des femmes artistes.

De l’autre côté, la rencontre annuelle emblématique des historiens, consacrée, cette année, au thème de la guerre (centenaire de 1914 oblige…) révèle sa résistance à tirer les conséquences théoriques de l’ « histoire des femmes » initiée à la fin du XXe siècle à l’intérieur de la discipline elle-même. La question sexe/genre est quasiment inexistante (« la guerre a-t-elle un genre » fait l’objet d’une unique table ronde perdue dans l’agenda), avec quelques à-côtés à l’ancienne (grâce à quelques conférencières et à la grande témoin). Exit donc l’idée que guerre et sexuation du monde n’est pas une question périphérique. Bataille (momentanément) perdue pour les historiennes ?

D’un côté donc, les arts jouent magnifiquement du signifiant pape/papesse consacrant de grandes artistes femmes du XIXeet du XXe siècle, de l’autre les historiens tentent d’ignorer encore l’enjeu sexué de l’Histoire humaine. Un pas en avant du côté des femmes artistes, un pas en arrière chez les historiens. Au milieu, cette mobilisation pour l’entrée des femmes au Panthéon. Un combat parmi d’autres ; et ainsi se fait l’histoire.

Propos recueillis par Sylvia Duverger
http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/09/14/olympe-de-gouges-et-la-symbolique-feministe-entretien-avec-g.html

 

En complément :
Un article de Geneviève : http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/09/14/olympe-de-gouges-et-la-subversion-dans-l-histoire-492895.html

et deux vidéos d’un entretien fait par Graciela Barrault avec Geneviève :
http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/09/18/olympe-de-gouges-est-une-auteure-par-genevieve-fraisse-50221.html
et http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/09/18/la-declaration-des-droits-de-la-femme-et-de-la-citoyenne-com.html

(1) Sur la vie et l’œuvre d’Olympe de Gouges, signalons les  travaux de l’historien Olivier Blanc, qui est le premier à avoir systématiquement consulté, pour son Olympe de Gouges parue en 1981 chez Syros, les archives publiques et privées. Olivier Blanc n’a pas cessé de travailler sur  Olympe de Gouges ; en 2003, il a fait paraître Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle (éditions René Viénet, 2003) ; voir également Benoîte Groult, Ainsi soit Olympe, Grasset, 2013 ; Benoîte Groult a publié la version complète de La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1986.
(2) Voir G. Fraisse, « Les contretemps de l’émancipation des femmes » in À côté du genre, Lormont, Le Bord de l’eau, 2010, pp. 394-403.
(3) Voir G. Fraisse, « Sur l’historicité de la différence des sexes » in La Fabrique du féminisme, Le passager clandestin, 2012, p. 70 sq.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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