Zaman hujan au (le « temps de la pluie de cendres »)

9782707191083En premier lieu, je souligne la forme d’écriture choisie. Un quadruple voyage. Dans des œuvres littéraires et picturales, comme illustration des vues et des sensations ; dans des contrées à travers le monde pour décrire cette « année sans été » et ses effets socio-économiques ; dans le temps pour contextualiser l’événement et permettre des comparaisons ; enfin, dans la construction de la science climatologique. Comme un « chemin de traverse », un roman noir avec un coupable « naturel » et des « complices » sociaux d’un changement climatique de 2 degrés durant quelques années.

Dans son introduction, « Une météo à la Frankenstein », Gillen D’Arcy Wood présente la « plus grande éruption du millénaire », les premières spéculations météorologiques éparses et décousues, l’importance de la latitude dans l’expansion des effets, des observations de ciel comme « au coucher du soleil une teinte rougeâtre rayée de croisements rouges et bleus », l’hypothèse d’un lien géophysique entre volcanisme et climat…

« Ce livre tente de relever un incroyable et formidable défi : reconstituer les événements cataclysmiques mondiaux dont les témoins historiques ignoraient les causes ». Le Tambora fut, sauf pour les populations locales, invisible et impensable, le lien entre cause et conséquences insaisissable, le changement climatique aussi difficile à percevoir qu’à imaginer.

Le Tambora, une caldeira1 béante de 6 km de diamètre, des aérosols stratosphériques et leurs parcours, des changements soudains et radicaux des températures et des régimes de précipitations et leurs effets sur les communautés humaines (dont les récoltes agricoles, les famines, les épidémies…)

« C’est le premier livre à traiter l’événement non pas comme un désastre naturel affectant une seule année, 1816, mais comme une période de changement climatique de trois ans, dont les conséquences souterraines seront présentes tout au long du XIXe siècle. » Une histoire d’interdépendance entre « systèmes naturels » et êtres humains, une histoire d’une crise climatique.

Avril 1815, ile de Sumbawa, Tambora, des colonnes de feu, un ouragan volcanique, des jours sans soleil, « En 1831, soit seize ans après l’éruption, le nord-est de Sumbawa ressemblait toujours à une zone de guerre, comme si la catastrophe venait d’avoir lieu ». Un désastre naturel et des changements à l’échelle mondiale. Comme le choisit Gillen D’Arcy Wood, un « récit épique bien au-delà des souvenirs glacés d’un été appartenant au passé ».

L’auteur parle de « petit âge glaciaire (volcanique) », de l’imaginaire du volcanisme au XIXe siècle, des études des dépôts de sulfate dans les glaces polaires, de « prendre la mesure du Tambora », de stratosphère et d’océans…

Gillen D’Arcy Wood mêle descriptions et actuelles élaborations scientifiques, perceptions écrites (romancées ou poétiques) de certain-e-s, traductions imaginatives dans une œuvre comme Frankenstein, expressions picturales des ciels contemplés dans les années 1810…

Genève, les Alpes, Russie, partie trans-appalachienne des USA (comme nous dirions maintenant), Grande-Bretagne, Ecosse, l’« enchainement ininterrompu de conditions extrêmes », les famines, les migrations d’européen-ne-s vers l’Amérique du nord…

Les relevés d’hier et les modèles informatiques d’aujourd’hui renseignent sur les baisses de température, les pluies diluviennes. Entre données et réflexions scientifiques, l’auteur souligne le changement des idées et les aléas de la construction de la climatologie, « Un bouleversement climatique catastrophique a provoqué un changement dans les idées à l’échelle du monde autant qu’un traumatisme global ».

Des écrits permettent de retracer des événements dans certaines régions du monde.

La « mort bleue au Bengale », le choléra (une « maladie sociale ») et les chemins des épidémies (en « coïncidence avec le réseau commercial mondial »), l’année sans mousson.

Le Yunnan, des années sans été, des températures inférieures à 3 degrés aux moyennes saisonnières, riz et rizières, la famine, les fragilités des écosystèmes « industrialisés », la gestion étatique des greniers, les connections historiques avec l’opium et sa culture, les transformations de l’économie agricole.

Le pole nord, une mère polaire sans glace, des conceptions développées des causes et quelques idées météorologiques, la circulation des eaux, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC), les eaux et les vents.

Les Alpes, « tsunami de glace », les évolutions des glaciers, l’exemple de Val de Bagnes et du glacier Giétro en 1818, transports de blocs rocheux et moraines, la « logique de la glaciation », les très anciens phénomènes et leur puissance, la possibilité d’une science du changement climatique.

L’autre famine irlandaise, le climat très humide et venteux de 1816, la « terrible année 1917 », la monoculture de la pomme de terre, les poux et le typhus, les ruptures alimentaires, la terrible destruction des cultures, la « désagrégation sociale de de la Grande Famine », le mildiou de la pomme de terre, le désastre des années 1840, « l’importante diaspora irlandaise entretient le souvenir du scandale de ce quasi-génocide » et l’oubli de que fut la colonisation anglaise dans ce pays, « l’indifférence toute particulière du gouvernement vis-à-vis du sort des Irlandais pauvres ».

De l’Indonésie à l’Inde, de la Chine aux Alpes, des cercles de l’Arctique aux villages d’Irlande… et en Amérique du Nord, l’année-où-il-a-gelé-à-en-mourir, la neige en juin, la destruction des cultures vivrières et fruitières dans les Etats atlantiques, du sud du Maine aux Caroline, l’effondrement du cycle de floraison, les controverses sur le climat, la première dépression « américaine » de 1819-1922, les migrations et la colonisation au delà des Appalaches…

Contre les simplification et les pensées locales, Gillen D’Arcy Wood souligne « une relation causale complexe relie des événements géographiques et climatiques apparemment disparates tout autour du globe », les effets sur plusieurs décennie d’une crise écologique de l’ampleur de celle du Tambora, les souffrances humaines, les bouleversements induits… Que dire alors des possibles de « l’urgence climatique de longue durée que nous connaîtrons au cours de l’Anthropocène » et donc de l’urgence à engager immédiatement la transition énergétique…

Gillen D’Arcy Wood : L’année sans été

Tambora, 1816 – Le volcan qui a changé le cours de l’histoire

Traduit de l’anglais par Philippe Pignarre

La Découverte, Paris 2016, 304 pages, 22 euros

Didier Epsztajn

1 Une caldeira, ou caldera, est une vaste dépression circulaire ou elliptique, généralement d’ordre kilométrique, souvent à fond plat, située au cœur de certains grands édifices volcaniques et résultant d’une éruption qui vide la chambre magmatique sous-jacente. Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Caldeira

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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