Les fresques d’Eckmühl, un document ethnographique ?

Les Hommes ont toujours peint les murs de leurs maisons. Souvent à l’intérieur, parfois à l’extérieur. Ils représentaient le plus souvent des scènes de leur vie quotidienne, des moments particuliers de leur activité auxquels ils donnaient des significations différentes. On peut faire l’hypothèse que les peintures rupestres avaient des fonctions magiques. Les superbes fresques des maisons patriciennes de Pompéi et d’Herculanum avaient d’autres fonctions : elles reproduisaient les portraits des « êtres chers », famille et ancêtres, des « bons moments », dirions-nous aujourd’hui, des scènes des activités domestiques. Bref, on n’a pas toujours et partout peint les mêmes choses pour les mêmes raisons. Pourtant, malgré les différences, les fresques sont pour nous, de précieuses sources iconiques sur ceux qui les ont peints.

Les fresques d’Eckmühl ne sont pas des chefs d’œuvres, disons-le d’emblée. Elles ont été peintes par un collectif de peintres amateurs de la région en 1997. Il s’agissait de fêter le centenaire du phare d’Eckmühl. Les couleurs ont « passé » (j’aime cette expression « les couleurs passent », le temps qui passe altère et fane les couleurs qui s’affadissent, deviennent pastel ne gardant que quelques pigments témoignant de leur brillance) et sont aujourd’hui fortement dégradées. Pour célébrer le centenaire du phare, les peintres amateurs ont peint des scènes appartenant au passé non précisément du phare et de la pointe d’Eckmühl, mais du pays bigouden. Des images issues, du moins certaines, de leur mémoire, mais aussi d’autres images (peintures, photographies, gravures, etc.), de récits (mise en récit des histoires familiales, littérature etc.) et de leur imaginaire du passé breton.

Les situer dans l’espace est déterminant pour en cerner la portée. Elles sont peintes sur le long mur de clôture du phare d’Eckmühl, exposées au vent qui souffle à cet endroit si fort et aux embruns. Sur une pointe rocheuse du Finistère sud, entre Le Guilvinec et Saint-Guénolé, hauts lieux de la pêche côtière, dans la commune de Penmarc’h, dans ce pays  si cher au cœur de Pierre-Jakez-Elias1. Si le bourg est dans les terres, de petits ports ont lié depuis toujours la vie des hommes à la mer (pourtant si dangereuse avec sa côte semée de « roches », lieu de plus d’une centaine de naufrages) et la terre.

La peinture représente les « très riches heures » du pays bigouden. Les peintres ont choisi de représenter les activités des ports : la construction des bateaux de pêche, la pêche, les conserveries. A la pêche s’ajoute le travail des champs. Pour enrichir la terre sableuse, les marins qui souvent cultivaient un lopin de terre ramassaient le goémon. Les travaux sont célébrés et également le quotidien des jours : la boulangerie et ses gros pains, le café principal lieu de rencontre des hommes (la patronne est une femme certes,  mais les femmes, il est vrai,  ne fréquentaient pas ces lieux de perdition « réservés » aux hommes !). Poids de la religion et des traditions dans cette Bretagne très catholique, attachée au respect des « bonnes mœurs » (le recteur de la paroisse veillait sur ses ouailles). Les fêtes et la danse sont également représentées. Les sonneurs  avec bombarde et biniou faisaient danser dans les villages. Les danseurs portent leurs habits traditionnels : les gilets noirs richement brodés des hommes, les caracos des femmes et leurs coiffes. Rappelons que jusque dans les années cinquante, les femmes quelles que soient leurs conditions ne sortaient pas « en cheveux » mais toutes avaient la tête couverte d’un fichu ou d’un chapeau. Ici, toutes les femmes (sauf une jeune enfant) portent la coiffe bigoudène, une coiffe en dentelle, qui était la coiffe la plus haute de toutes les coiffes bretonnes.

La maladresse de l’exécution de ces fresques, leur modestie m’émeuvent. Des hommes et des femmes à la fin du XXème siècle, peintres amateurs, pour célébrer un moment fort de la vie locale ont représenté des scènes « dignes » de porter témoignage d’un monde disparu2.

 

 Richard Tassart

1 « Le cheval d’orgueil », Pierre-Jakez Hélias, 1975, Terre humaine.

2 Je remercie chaleureusement Mme Nathalie Houssais, responsable pôle développement/ressources, office de tourisme de Penmarc’h, qui a eu l’extrême gentillesse de bien vouloir corriger mes erreurs initiales et apporter de l’eau à mon moulin.

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1 « Le cheval d’orgueil », Pierre-Jakez Hélias, 1975, Terre humaine.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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