[54] Solidarité avec la résistance des ukrainien·nes. Retrait immédiat et sans condition des troupes russes [54] 

  • Convoi syndical en Ukraine
  • Face à la « mobilisation partielle » déclarée par Poutine : quatre témoignages
  • Sur les attaques russes contre des centrales électriques ukrainiennes
  • Ales Bialiatski, le Centre ukrainien pour les libertés civiles et Memorial Prix Nobel de la paix 
  • Hanna Perekhoda : La longue lutte pour l’existence de l’ukrainien
  • Retour en Ukraine
  • Entretien avec Vladislav Starodubtsev (Mouvement social ukrainien)
  • Les bombardements russes contre les populations civiles en Ukraine sont des crimes de guerre
  • Plate-forme SD Ukraine : Déclaration sur les frappes de missiles russes
  • Liens avec d’autres textes

Convoi syndical en Ukraine

Le 2ème convoi du Réseau syndical international de solidarité et de luttes en solidarité avec l’Ukraine s’est rendu dans la ville industrielle de Kryvyi Rih, dans le centre de l’Ukraine à 60km du Dniepr, à l’invitation des syndicats indépendants de la ville et en particulier du syndicat des mineurs.

L’Union syndicale Solidaires était présente, participant ainsi à sa troisième action de solidarité sur place depuis le début de la guerre. 

Notre contribution ainsi que celle de nos camarades de la CSP Conlutas (Brésil), de IP (Pologne), ADL Cobas (Italie), Cobas (Etat espagnol), Émancipation (France) et des TUC Liverpool (Angleterre) a permis d’apporter une aide matérielle à la défense contre l’agression russe et de soutenir la résistance populaire ukrainienne. 

Dans les discussions organisées avec les travailleurs et travailleuses, nous avons pu constater l’engagement très fort des syndicats dans la défense de leur population, notamment par la présence de nombreux syndicalistes au front, l’aide qu’ils et elles apportent aux soldats impliqués dans la protection de la ville. 

Ils et elles ont largement décrit les conditions de travail et de rémunération de plus en plus dégradées pendant la guerre, du fait de celle-ci mais aussi des employeurs et du gouvernement Zelensky qui remet en cause le droit du travail et les droits sociaux. Ils et elles ont redit que le soutien syndical international est important. 

Nous savons que nous avons contribué à une aide appréciée et nous avons apporté de la solidarité syndicale internationale en chair et en os. Si nous avons le sentiment de leur avoir apporté un soutien nécessaire (mais jamais suffisant !), nous rentrons plus fort.es de ces rencontres, plus décidé.es à porter le combat des syndicalistes d’Ukraine et à continuer à rester à leurs côtés. Nous y retournerons nécessairement… en souhaitant que ce soit en temps de paix.

https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/internationales/convoi-syndical-en-ukraine/

*********

Face à la « mobilisation partielle » déclarée par Poutine :
quatre témoignages

Le mercredi 21 septembre, Vladimir Poutine déclare dans une allocution télévisée : « J’estime nécessaire de soutenir [sic] la proposition du ministère de la Défense et de l’état-major général de mobilisation partielle en Fédération de Russie pour soutenir notre patrie, notre souveraineté et son intégrité territoriale, et pour assurer la sécurité de notre peuple et du peuple des territoires libérés. » Le vendredi 30, Poutine préside le rattachement à la Russie des quatre territoires ukrainiens – Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia – suite à des référendums qui échappent à tout qualificatif. Les médias ont insisté sur l’exode de quelque 250 000 personnes en direction de la Turquie, de la Finlande, de la Géorgie, de la Moldavie, etc. Les conséquences de cet exode – qui se cumule avec la mobilisation dite partielle – en termes de perte d’une main-d’œuvre qualifiée et d’impact sur le fonctionnement de l’économie ont été soulignées.

Le site russe Posle («Après» en russe) est animé par des auteurs qui condamnent une guerre « qui a déclenché une catastrophe humanitaire, provoqué des destructions colossales et entraîné le massacre de civils en Ukraine » et « qui a provoqué une vague de répression et de censure en Russie ». Les animateurs de ce site mettent l’accent sur le fait qu’il est impossible de « séparer cette guerre de l’immense inégalité sociale et de l’impuissance de la majorité des travailleurs ». Ils mettent en relief « une idéologie impérialiste qui s’efforce de maintenir le statu quo intact en nourrissant un discours militariste, xénophobe et de bigoterie ».

Suite à la déclaration de « mobilisation partielle », le site Posle a donné la parole à des citoyens et citoyennes russes qui témoignent de leur cheminement particulier de rupture avec le discours et la politique du Kremlin. Il y a là une «documentation» qui donne corps à des décisions d’exode ou de refus de conscription, sous une forme ou une autre. (Réd. A l’Encontre)

Xenia, profession médicale, 30 ans
Je travaille dans le domaine médical. Je n’ai appris l’histoire qu’à l’école, et je lis surtout de la littérature professionnelle. J’avais donc toujours été relativement apolitique et je me contentais de tout observer sans m’impliquer, mais je pense maintenant que c’est ma grande erreur. Lorsque, le 24 février, il a été annoncé que la Russie avait lancé une « opération militaire spéciale », j’ai été choquée, mais j’ai essayé de contrôler mes émotions et alors de réfléchir. Ils ont appelé cela une « opération militaire spéciale », mais il était clair qu’il y aurait des victimes civiles. Les dirigeants du pays ont assumé la responsabilité de ce crime au nom de certains objectifs, mais de quels objectifs ? Je n’ai pas pu trouver de réponse.

J’ai été encore plus dégoûtée lorsque la propagande a tenté d’expliquer pourquoi la Russie avait déclenché la guerre. D’abord, on a parlé de « dénazification », puis de « laboratoires d’armes biologiques » [élément de propagande mise en avant par le représentant de la Russie au Conseil de sécurité, en mars 2022], puis de « protection de la population du Donbass ». Maintenant ils proclament la « protection de frontières extérieures » [suite à l’annexion des quatre « provinces » ukrainiennes: Donetsk, Lougansk, Kherson, Zaaporijia] comme une idée liée à la « défense nationale ». Ce remaniement du discours propagandiste m’a horrifiée, et j’ai compris qu’ils essayaient de me tromper. Certaines de mes connaissances ont fait le chemin inverse. Au début, ils étaient contre la guerre, mais ils ont progressivement commencé à l’accepter sous l’influence de la propagande. Cette différence m’a surprise.

Je crois que la guerre est comme n’importe quel autre crime : on peut se scandaliser, on peut se défendre, mais une fois qu’on a utilisé la force physique, c’est un délit. Peu importe ce qu’ils disent sur le danger de l’OTAN à nos frontières, il n’y a pas eu d’attaque contre la Russie. L’excuse selon laquelle la Russie a effectué une « attaque d’avertissement » ne me convainc pas. Ils disent que nous protégeons notre patrie, mais ce sont en fait les Ukrainiens qui protègent leur patrie.

Je suis une conscrite mais je ne veux pas être impliquée dans la guerre. Je suis une femme, un médecin, dont l’éligibilité est réduite. Certaines femmes de ma spécialité sont maintenant enrôlées, mais ce choix semble aléatoire. Je ne comprends pas les critères de cette décision. Je ne sais donc pas si et quand la convocation de mobilisation me parviendra. Je ne quitterai pas le pays et mon lieu de travail, mais je ne comprends pas vraiment pourquoi j’ai pris cette décision. Peut-être que je me sens responsable de tout ce qui s’est passé en Russie au cours de ma vie. Je prévois de saboter la mobilisation autant que possible. Je n’envisage pas d’aller aux rassemblements [contre la mobilisation] car je ne pense pas qu’ils fonctionnent: les gens ont peur, et moi aussi j’ai peur. Je déciderai de ce que je ferai si je dois signer une citation à comparaître. Je ne comprends pas comment on peut simplement aller sur le front et tuer. Mais cela est hors de question puisque je ne serai pas mobilisée comme soldat. Ma profession implique d’aider les gens, quels que soient le camp pour lequel ils choisissent de se battre et leur point de vue. Ce dilemme moral est plus compliqué.

J’espère que la « mobilisation partielle » échouera et que les Russes refuseront de commettre des crimes et renonceront. J’ai de la peine pour les gars non entraînés qui seront jetés sur les lignes de front, quelles que soient leurs opinions. J’espère que, malgré une haine justifiée, les officiers ukrainiens ne traiteront pas durement les captifs. Et les autorités russes seront tenues responsables de leurs crimes.

Je me considère comme une patriote, et, pour reprendre les termes des autorités russes, mes « attaches » personnelles sont la religion et mes racines. Mes fêtes préférées sont Noël et Pâques. J’ai été surprise que l’Eglise orthodoxe soutienne la guerre. Le « Jour de la Victoire » [1945] et le souvenir de la Grande Guerre patriotique ont toujours été très importants pour moi. Pourtant, je réalise jusqu’où mon point de vue était erroné. J’idéalisais les actes héroïques alors que j’aurais dû les considérer comme une tragédie, une période sombre de notre histoire. Je pense que la guerre actuelle a commencé à cause des ambitions politiques d’une poignée de personnes et qu’aucun de ces desseins n’est bénéfique pour mon pays. La propagande pour justifier ces crimes a corrompu tout ce qui m’est cher. Il ne me reste plus rien.

Dimitry, avocat, 32 ans
J’ai eu des sentiments négatifs à l’égard de la guerre dès le début et j’ai compris qu’elle finirait par entraîner une mobilisation. Je n’ai pas participé aux manifestations, mais j’ai parlé avec mes collègues, mes parents et mes connaissances. Je n’ai caché ma position à personne. C’était difficile de parler avec la vieille génération, mais maintenant, même eux remarquent le décalage entre les reportages télévisés et la réalité.

Je n’ai pas servi dans l’armée, mais j’ai suivi une formation militaire parallèlement à mon diplôme. Je suis lieutenant de réserve, je suis donc soumis au service militaire. Dès le 21 septembre, je suis arrivé à la conclusion que la mobilisation pourrait me toucher. Lorsque les médias ont annoncé que le président et le ministre de la Défense allaient s’adresser à la nation, je ne me suis pas fait d’illusions quant à leurs propos rassurants. J’ai trouvé et réservé un billet pour la Turquie, et dès que j’ai entendu le mot « mobilisation », j’ai cliqué sur le bouton et payé. J’ai dépensé très peu pour le billet et je l’ai surtout payé avec les miles aériens que j’avais accumulés. Il est difficile de croire à cette histoire car aujourd’hui, les billets coûtent une fortune, s’ils sont disponibles. Mes amis admettent également qu’ils doivent partir, mais actuellement, c’est beaucoup plus difficile.

Partir n’a pas été facile. J’ai dû sacrifier beaucoup de choses. J’ai une maison, une femme, un bébé et un travail qui exige ma présence en Russie. Mais quand j’ai pris cette décision, une seule pensée me trottait dans la tête : « Tu dois rester en vie. » Ma femme m’a soutenu et m’a encouragé à partir. Je ne sais pas combien de temps je serai dans l’incapacité de voir ma famille.

Je suis avocat, mais je ne crois pas que l’on puisse se défendre contre la mobilisation avec des outils juridiques. En Russie, tout ce qui a trait aux questions politiques évolue en dehors de la loi. Bien sûr, les autorités tentent de créer l’illusion de la légitimité. Mais cela fait longtemps que notre Etat n’est plus régi par l’Etat de droit.

J’ai beaucoup échangé avec mes amis et collègues sur la mobilisation et la situation en général. Nous avons convenu que rien de bon n’en sortirait. Les autorités russes se sont mises elles-mêmes dans une situation très compliquée, et la seule issue pour elles est d’essayer de gagner cette guerre d’une manière ou d’une autre. Mais même si elles y parviennent, je ne pense pas que la Russie sera un endroit décent où vivre.

L’annonce de la mobilisation a dégrisé de nombreuses personnes qui soutenaient la guerre, y compris mon cercle de connaissances. La peur pour les proches est devenue l’émotion première dans une telle situation. Mes parents ont été soulagés lorsqu’ils ont appris que j’avais quitté le pays.

La mobilisation et les appels à faire la guerre n’ont rien à voir avec le patriotisme. Il n’y a aucune idée nationale derrière cela. Personne n’a besoin de cette guerre. Le patriotisme consiste à travailler pour le bien-être et la liberté du peuple dans son pays. Je vois que beaucoup de gens bien sont obligés de quitter la Russie. J’espère qu’ils pourront revenir quand la situation changera et travailler pour le bien du pays, même si cette idée semble utopique pour le moment. […]

Leonid, professionnel de l’informatique, 31 ans
Je suis contre la guerre, depuis le début. Mais je n’ai pas activement défendu mes idées. Je n’ai pas participé à des rassemblements ou écrit des messages sur les réseaux sociaux. Je pouvais toujours expliquer à mes amis et à mes proches mon point de vue, mais celui-ci était humaniste, plutôt que politique. Je suis convaincu que le conflit militaire en tant que tel est un crime contre l’humanité.

Les justifications de cette guerre, comme la protection des frontières [entre autres après les annexions], ne me semblent pas convaincantes. Dans les discussions politiques et historiques plus approfondies, il est difficile de ne pas être d’accord avec certains arguments : l’OTAN, les Etats-Unis, leurs invasions de différents pays. Mais c’est nous qui avons envahi un Etat souverain, manipulé les faits et violé le traité de 1994 en vertu duquel ses frontières ont été fixées et confirmées. En substance, nous commettons un crime.

J’ai servi dans l’armée, j’ai ma carte d’identité militaire. Je pourrais être appelé dans la première vague de mobilisation. Je n’ai pas encore reçu de convocation, mais je suis bien conscient qu’elle peut arriver à tout moment. J’ai quitté le pays et je n’ai pas l’intention de revenir de sitôt. La première chose que je vais essayer de faire est d’obtenir un statut légal de résidence et de louer un appartement.

Je regrette de ne pas être parti plus tôt, car il était facile de comprendre où les choses allaient: nous étions en train de perdre sur le front militaire, nous devions résoudre nos problèmes d’une manière ou d’une autre, et nous n’allions pas changer nos objectifs… Cinq minutes après que Poutine a annoncé la mobilisation, j’étais déjà en train de réserver un billet d’avion. Après cela, j’ai passé la journée dans un vide d’information. On avait l’impression que les frontières pouvaient être fermées à tout moment. Traverser la frontière semblait également risqué, car j’aurais pu y recevoir une citation à être mobilisé. Aujourd’hui, des avocats et des militants des droits de l’homme tentent d’expliquer les procédures aux gens, mais dans les premières heures, c’était le chaos total. Je suis parti avec un seul sac à dos. C’était la nuit la plus difficile de ma vie.

Ce n’est que maintenant que je commence à penser clairement et à regarder les choses sans paniquer. Personne ne comprend ce qui se passe : les gens peuvent être empêchés de partir à tout moment. Il faut se rendre compte que nous vivons dans un Etat arbitraire, ce qui est la pire des choses. Même si vous faites tout selon la loi, cela ne veut rien dire.

Je ne pense pas que les autorités aient un plan clair. La Russie ne veut pas résoudre le conflit de manière pacifique et dans de tels termes. Pas plus que l’Ukraine et l’Occident, qui la soutient. Par conséquent, la situation va encore évoluer. La quantité de ressources qu’il faudra aux autorités russes, pour continuer à agir selon leurs intérêts, dépend de la réaction de l’Ukraine et de l’Occident. Nous ne pouvons rien prévoir de tout cela. Je suis sûr qu’il ne faut pas supposer que les autorités ont besoin de cette mobilisation dite partielle pour ce moment particulier, et que la situation ne va pas se détériorer.

Je pense qu’il n’y a rien de patriotique à participer à cette guerre. Je comprends le patriotisme comme l’amour de votre patrie, de votre pays. C’est quand on lui souhaite un avenir prometteur, quand on veut y vivre et y élever ses enfants. Si vous pensez comme les autorités, alors partir en guerre peut être une action patriotique pour vous. Si votre conception du patriotisme est similaire à la mienne, alors, au contraire, partir en guerre, c’est agir contre sa patrie.

Svetlana, architecte d’intérieur, 57 ans
J’ai une attitude très hostile à l’égard de la guerre en Ukraine. J’ai toujours exprimé ma position ouvertement. Je suis allée aux rassemblements anti-guerre au printemps. Je pense que l’Ukraine est un Etat indépendant et que rien ne peut justifier une agression contre elle. Depuis le début de la guerre, je n’ai pas renoncé à des conversations explicites; au contraire, je pense qu’il est essentiel de les poursuivre. Par exemple, je me suis rendue au Conseil des députés local. En mars, sept des dix membres ont signé un appel soutenant les actions du président. Je leur ai demandé : « Qui, parmi les députés, se portera volontaire pour la guerre ? » Et quand ils m’ont répondu qu’aucun d’entre eux ne le ferait, j’en ai parlé dans toutes les échanges entre voisins du quartier.

Je venais d’une famille de militaires; ma mère travaillait dans une usine d’explosif, et mon père dans la construction militaire. J’ai vécu dans des villes militaires. Mon frère était aussi ingénieur dans l’armée. Après cela, il ne pouvait plus travailler en tant que civil. J’ai été témoin de la tragédie de cet homme. Après tant d’années à obéir aux ordres, il ne pouvait plus assumer la responsabilité de ses propres actions. Je suis contre le nouveau contexte contraignant de militarisation dans lequel nous entrons maintenant, car il sera difficile de s’en extirper. Il sera très difficile pour ces hommes militarisés de revenir à une vie normale, où ils devront prendre des initiatives et des responsabilités. Nous allons encore perdre une génération entière.

L’annonce de la mobilisation a directement affecté ma famille. J’ai trois enfants. Mon fils cadet a servi dans l’armée dans le corps d’armement des missiles. Le premier matin suivant l’annonce de Poutine, quelqu’un a sonné à notre porte et m’a dit qu’il avait apporté des papiers de convocation militaire pour lui. Je n’ai pas ouvert la porte. Mon fils est absent de la maison pour l’instant, mais il vit à l’intérieur du pays. Ma fille aînée revenait de Géorgie avec son mari. Ils ont appris la mobilisation alors qu’ils étaient à dix kilomètres de la frontière russe. Ils ont alors fait demi-tour et sont allés à Tbilissi. Mon plus jeune fils a 17 ans et demi; dans six mois, il sera astreint au service militaire, ce qui m’inquiète beaucoup. J’ai élevé mes enfants de manière à ce qu’ils comprennent que l’on ne peut pas simplement tuer des gens. Nous avons toujours pensé que la protection de nos frontières était nécessaire, mais qu’attaquer d’autres pays était inacceptable.

Je suis allée à une manifestation avec une parente, qui est aussi une mère. Nous avons applaudi et crié « Non à la guerre ». Cependant, je sais que des rassemblements pacifiques ont lieu depuis une décennie. Toutefois, désormais, ils sont désormais inefficaces. Je ne sais pas comment influencer les autorités, sauf en m’exprimant sur les médias sociaux et en faisant connaître ma position aux autres.

Depuis l’annonce de la mobilisation, je n’ai pas remarqué que les gens changeaient d’avis sur la guerre. Ceux qui se tiennent sous la douche de la propagande télévisée continuent à camper sur leurs positions. Je parlais à une voisine, et elle m’a dit que deux de ses garçons ont reçu des convocations de l’armée. Ils se sont rendus au bureau d’enregistrement militaire sans essayer d’éviter la conscription. Pour être honnête, je ne vois pas de progrès dans leur esprit. Oui, j’ai lu que les gens regardent moins la télévision, mais comment diable les gens peuvent-ils écouter ce discours agressif en permanence, je ne le sais pas.

Lorsque Mstislav Rostropovitch [1] était en exil et qu’on lui demandait quels étaient ses sentiments envers sa patrie, il répondait : « Je n’ai pas encore payé les couvertures. » Il faisait allusion aux couvertures dont il était couvert dans le wagon de train pendant la guerre, lorsqu’il était enfant, et qui l’ont empêché de mourir de froid. Je crois que le patriotisme est le besoin de rendre à ses concitoyens qui vous font du bien. Etre patriote, c’est rendre service aux personnes qui m’ont beaucoup donné, parmi lesquelles les personnes âgées, et à la communauté professionnelle. Je ne vois certainement pas le patriotisme comme une intervention militaire dans les Etats voisins. Les objectifs de cette guerre sont pour moi incompréhensibles. Ce que les autorités appellent maintenant de leurs vœux est criminel.

[1] Mstislav Rostropovitch, musicien de renommée mondiale, a quitté l’URSS en 1974 et a été déchu en 1978 de sa nationalité par Brejnev. Un portrait symbolique le représente au pied du mur de Berlin en novembre 1989. Il sera réhabilité par Gorbatchev en janvier 1990. (Réd. A l’Encontre)

Témoignages publiés sur le site Posle, les 28 et 29 septembre 2022 ; traduction de l’anglais par la rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/europe/russie/russie-face-a-la-mobilisation-partielle-declaree-par-poutine-quatre-temoignages.html

*********

Sur les attaques russes contre des centrales électriques ukrainiennes

Mémorial France publie la déclaration d’Oleg Orlov et Sergueï Davidis, co-présidents du Centre de défense des droits Memorial sur les attaques russes contre des centrales électriques ukrainiennes.

« Le 11 septembre 2022, des missiles russes ont touché plusieurs grandes centrales thermiques dans différentes régions d’Ukraine.
Dmitry Kissilev, l’un des principaux propagandistes du Kremlin, sur la chaîne de télévision d’État Rossiya-1 a appelé désigné ces frappes, qui « éteignent les lumières, coupent l’approvisionnement en eau, coupent les communications et arrêtent les trains », comme une réponse à la contre-offensive des forces armées ukrainiennes. « Et il semble que ce n’est que le début … », a-t-il promis.
Répondre à une défaite militaire par des frappes délibérées sur infrastructures civiles de première nécessité, sans lesquelles la vie dans les villes et les villages est impossible, relève de la logique de terroristes. »
Nous sommes des citoyens russes. Nous avons honte des actions qui sont prises au nom de notre pays. »
Oleg Orlov
Sergueï Davidis
Co-présidents du Centre de défense des droits Memorial
https://memorial-france.org/sur-les-attaques-russes-contre-des-centrales-electriques-ukrainiennes/

*********

Ales Bialiatski, le Centre ukrainien pour les libertés civiles et Memorial Prix Nobel de la paix 

Le prix Nobel de la paix a été attribué aujourd’hui au militant des droits humains biélorusse Ales Bialiatski, au Centre ukrainien pour les libertés civiles et à Memorial. Nous sommes reconnaissants au comité Nobel pour ce prix qui nous honore.
L’idée et la mission de Memorial résident dans la défense des droits de l’homme, la connaissance des pages sombres de l’histoire, l’aide aux victimes de la répression et la lutte contre la violence d’État aujourd’hui. Memorial est un réseau, de femmes et d’hommes, qui forment un mouvement. Nous travaillons en Russie, en Ukraine et dans d’autres pays et poursuivons la tâche engagée par Andrei Sakharov et Arséni Roginski il y a plus de trente ans.
En ce moment, comme toutes les organisations de la société civile en Russie, Memorial est soumis à une forte pression. Mais la mémoire et la liberté ne peuvent être interdites. Nous poursuivons donc notre travail et continuerons à le faire en toutes circonstances.
Nos pensées vont à Ales Bialiatski et aux autres prisonniers politiques dans les prisons de Russie et du Belarus, ainsi qu’à nos collègues ukrainiens qui travaillent dans des situations de guerre.
Cette récompense intervient à un moment où la Russie mène une guerre d’invasion contre l’Ukraine et où les droits et libertés en Russie même sont violés à chaque instant. Il est plus important que jamais de se rappeler la thèse formulée il y a des décennies par Andrei Sakharov : la paix, le progrès, les droits de l’homme sont trois objectifs indissociables. On ne peut pas réaliser l’un d’entre eux en négligeant les autres. Un État qui supprime les droits de l’homme sur son territoire est inévitablement une menace pour la paix.

https://memorial-france.org/ales-bialiatski-le-centre-ukrainien-pour-les-libertes-civiles-et-memorial-prix-nobel-de-la-paix/

Le prix Nobel de la paix 2022
The Nobel Peace Prize 2022
https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2022/press-release/

*********

La longue lutte pour l’existence de l’ukrainien

La question des langues occupe une place importante dans les commentaires sur le conflit qui fait actuellement rage en Ukraine, comme on sait. Pour la traiter, il fallait davantage qu’une page de notre dernier dossier sur les langues, et, compte tenu de l’actualité, il nous paraissait en outre important que cette analyse soit immédiatement disponible en ligne. Vous pourrez donc lire ci-dessous un article de Hanna Perekhoda sur le sujet, qui vient compléter notre dossier sur les langues.

*-*

Le 21 février 2022, Vladimir Poutine prononce un long discours dont le but est de justifier l’invasion de l’Ukraine, lancée seulement trois jours plus tard. D’après le président russe, l’État ukrainien est une invention illégitime et l’identité distincte des Ukrainien·ne·s n’est rien d’autre que le produit d’une manipulation étrangère. Les Russes, les Ukrainien·ne·s et les Biélorusses constituent pour lui une seule et même nation, tandis que la politique promouvant la langue et la culture ukrainiennes ne serait qu’une preuve du « génocide » à l’égard des russophones vivant sur le territoire ukrainien et justifierait de ce fait l’invasion du pays. La question de la langue semble donc jouer un rôle important dans le déclenchement de l’invasion russe et dans le conflit entre les deux pays qui l’a précédée. Afin de comprendre la guerre que Poutine mène contre l’Ukraine et son peuple, il faut porter un regard attentif sur la place que l’Ukraine, son État, sa langue et sa culture occupent dans l’imaginaire impérial et national des Russes.

L’impérialisme tsariste
Après la chute de l’État médiéval de la Rus de Kiev, démantelé par l’invasion mongole au XIIIe siècle, une grande partie des terres qui constituent l’Ukraine actuelle reviennent à la Pologne-Lituanie, et ce n’est qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles qu’elles passent sous contrôle russe. C’est donc l’intégration de ces nouveaux territoires qui a donné naissance à l’idée d’une nation russe unissant les trois peuples, une idée maintenant ressuscitée par Vladimir Poutine. À l’époque, l’objectif de ce projet était de se doter d’un groupe hégémonique qui permettrait d’exercer plus facilement la domination sur les peuples non orthodoxes et non slaves de l’empire. Le contrôle de l’Ukraine était donc une pierre angulaire dans le projet de l’Empire russe mais aussi et surtout dans le projet de la Nation russe. L’affirmation d’une identité ukrainienne distincte était de ce fait perçue par les élites tsaristes comme une menace existentielle pour leur État.

En 1863, la publication et l’enseignement en langue ukrainienne sont totalement interdits. Cette politique a conduit à une situation, probablement unique dans l’histoire européenne, de baisse du taux d’alphabétisation de la population entre le milieu du XVIIIe siècle et la fin du XIXe. L’inégalité dans l’accès à l’éducation est l’un des facteurs de reproduction des inégalités sociales. Au XIXe siècle, la société ukrainienne est donc marquée par une opposition entre une campagne « arriérée » et des villes russifiées, qui servent en même temps de centres de la domination impériale.

Dans ces conditions, comment la langue ukrainienne a-t-elle pu survivre et se développer malgré tout ? En effet, les infrastructures nécessaires à l’émergence d’une identité nationale commune, telles que le développement des villes et des communications, une scolarisation généralisée, ou le développement d’une administration centralisée efficace, restent largement sous-développées. Les autorités tsaristes, disposant des ressources presque illimitées de leur vaste empire, sont peu enclines à investir dans le projet coûteux qui aurait consisté à véritablement russifier l’Ukraine, en l’intégrant au développement de la nation russe. Plutôt que de se lancer dans cette politique, elles recourent à la répression brute contre la langue ukrainienne. Il est pourtant déjà trop tard: à cette époque, les poètes et les écrivain·e·s ukrainien·ne·s, qui sont fasciné·e·s par le romantisme et pour qui la défense de leur langue maternelle constitue un marqueur politique important, conceptualisent déjà leur ethnie comme une nation. En somme, la prédation des élites tsaristes, le sous-développement étatique ainsi qu’une répression tardive et incohérente ont empêché l’assimilation des Ukrainien·ne·s à la Russie. De manière générale, la volonté des élites politiques de préserver leur empire multiethnique tout en construisant en même temps un État-nation slave est l’une des raisons de la fragilité inhérente de l’État russe. La résistance des Ukrainien·ne·s contre ces projets est perçue comme la pire des trahisons. 

Imposition du russe et soviétisme
En 1917, l’empire éclate. L’éveil national et de classe prend rapidement son essor. Les paysan·ne·s ukrainien·ne·s revendiquent non seulement leur droit à la langue, mais elles et ils exigent aussi que leur subjectivité, celle d’actrices·eurs politiques à part entière, soit reconnue. L’arrivée sur la scène politique de cette masse «obscure» énerve les classes urbaines, y compris les socialistes qui se conçoivent comme les représentant·e·s des intérêts de la classe ouvrière des régions industrielles du Sud et de l’Est ukrainien. Comme l’explique un des membres du parti, pour eux, « l’Ukraine en tant que telle n’existe pas, car elle n’existe pas pour un ouvrier de la ville ». Un autre écrit que la « tragédie » réside dans le fait que les bolcheviks tentent de gagner une influence sur la paysannerie « à l’aide de la classe ouvrière, russe ou russifiée, qui méprise la moindre trace de la langue et de la culture ukrainiennes ». La détermination avec laquelle un grand nombre d’Ukrainien·ne·s ont lutté pour leur souveraineté les armes à la main convainc cependant les bolcheviks que des dispositions spéciales doivent être prises pour s’assurer le contrôle de cette population. En 1923, Moscou introduit donc une politique visant à promouvoir les langues non russes. Avec Staline, le retour en force des politiques assimilatrices s’accompagne d’une violence étatique qui prend des formes extrêmes, allant jusqu’aux pratiques génocidaires. Ces dernières ont d’ailleurs aussi frappé l’Ukraine, avec la famine de 1932-33, sciemment planifiée par Staline (un événement appelé Holodomor en Ukraine). La division coloniale du travail entre la ville et la campagne se reproduit et se renforce, garantissant aux citoyen·ne·s soviétiques russes et russifié·e·s des positions sociales privilégiées pour l’accès aux revenus, aux qualifications, au prestige et au pouvoir dans les républiques périphériques. Après l’époque stalinienne, on assiste à la promotion d’une identité soviétique qui se confond totalement avec la russité. Bien qu’aucune loi ne l’interdise, parler l’ukrainien en dehors du contexte privé est alors perçu comme une expression d’hostilité envers le système. Parler le russe est au contraire un moyen de manifester sa loyauté vis-à-vis de l’ordre existant et son respect de la hiérarchie entre les « peuples-frères ». Le russe devient alors une langue dominante dans tous les domaines de vie publique: économie, administration, culture, presse, enseignement. Ainsi, de plus en plus d’Ukrainien·ne·s abandonnent leur langue, qui devient un marqueur d’infériorité culturelle entravant la mobilité sociale.

La modernisation et l’urbanisation soviétiques sont accompagnées par le renforcement de la culture impériale dominante, qui perpétue des inégalités structurelles significatives entre les russophones et les locutrices·eurs ukrainien·ne·s. L’élite post-soviétique n’a ni la volonté ni les moyens nécessaires pour corriger ces déficiences structurelles, de sorte que leurs politiques opportunistes visent en grande partie la préservation du statu quo. La loi qui donne à l’ukrainien le statut de langue officielle a été adoptée sous le régime soviétique en 1989 et elle est restée en vigueur jusqu’en 2012. Après 1991, l’avènement du capitalisme et la faiblesse de l’État ne jouent pas en faveur de la langue ukrainienne. Souffrant de son image d’infériorité, privée de toute aide de la part de l’État, méconnue à l’étranger, la production médiatique, culturelle et artistique de l’Ukraine ne peut pas faire concurrence avec le marché russe en pleine expansion. De surcroît, à partir de 2004, les différents clans d’oligarques en concurrence pour le pouvoir alimentent artificiellement le clivage socio-linguistique afin de pouvoir mobiliser leurs électorats respectifs autour des questions identitaires.

Un enjeu très actuel
En 2012, les forces politiques pro-russes passent une loi qui était censée assurer la protection des langues minoritaires, mais leur campagne tourne en réalité uniquement autour de la « défense du russe ». Lors de la destitution du président Ianoukovitch en 2014, le parlement tente d’abroger cette loi. Bien que cette décision n’ait finalement jamais été ratifiée, la Russie saisit cette occasion pour s’inquiéter de la discrimination des Russes par la « junte fasciste » en Ukraine, argument qui a servi pour justifier l’ingérence russe en Crimée et dans le Donbass afin, selon Moscou, de « sauver les compatriotes ».

En 2018, le parlement adopte la loi qui rend obligatoire l’utilisation de l’ukrainien par les fonctionnaires d’État ainsi que dans la sphère publique. L’État ukrainien joue donc actuellement un rôle majeur dans la construction d’une identité commune aux habitant·e·s du pays. Ce peut paraître surprenant vu d’Europe occidentale, dans des pays où ce processus s’est déroulé il y a plus d’un siècle. La situation de l’Ukraine, ayant obtenu son indépendance il y a seulement trente ans et restant sous la domination politique et culturelle russe jusqu’en 2014, ne peut pas être comparée à celle de nations appuyées sur un État propre depuis le XIXe siècle au moins.

Un futur linguistique à inventer
Certains individus font le choix conscient de commencer à parler en ukrainien afin de prendre leurs distances avec l’État poutinien, qui revendique le monopole absolu sur la langue et la culture russes, en considérant que l’utilisation de la langue russe et l’appartenance à son « espace civilisationnel » sont une seule et même chose. En effet, depuis le début des années 2000, la Russie s’est lancée dans la promotion de la conception du « monde russe » en s’appuyant sur les russophones des pays voisins, qui se voyaient alors accorder une mission particulière. Celle-ci consistait dans une loyauté absolue envers l’État russe, ce qui supposait un appui inconditionnel à toutes les décisions du Kremlin. Si, dans les années 2000, le « monde russe » était surtout un outil de soft power et d’influence internationale, il devient à partir de 2014 le moteur de l’irrédentisme russe, dont l’objectif est d’effacer l’Ukraine de la carte du monde. Se présentant comme le défenseur de la langue et de la culture russes, Vladimir Poutine nie rien moins que le droit des Ukrainien·ne·s à l’existence, tenant fréquemment des propos qui peuvent être qualifiés d’incitation au génocide.

Face à l’invasion russe et au traitement inhumain que subissent les civil·e·s de la part de l’armée d’occupation, les habitant·e·s du pays se sentent désormais avant tout ukrainien·ne·s, y compris dans les régions du pays où le russe reste la langue dominante. Dans ces conditions peu favorables, certain·e·s Ukrainien·ne·s qui sont engagés dans la résistance à l’occupant continuent néanmoins de revendiquer l’utilisation du russe, défiant ainsi le privilège exclusif de Poutine d’imposer son pouvoir sur cette langue parlée par des millions de gens qui ne se reconnaissent pas dans son projet politique. Utiliser la langue impériale en l’investissant d’un contenu décolonial pourrait devenir une solution pour une société ukrainienne bilingue, bien qu’elle ne soit pas facile à défendre aujourd’hui, au moment où les Ukrainien·ne·s luttent pour leur existence physique.

Cet article est complémentaire à notre dossier sur les langues publié dans Pages de gauche n°185 (automne 2022).

Hanna Perekhoda (chercheuse à l’Université de Lausanne)

https://comite-ukraine.ch/la-longue-lutte-pour-lexistence-de-lukrainien/
https://pagesdegauche.ch/la-longue-lutte-pour-lexistence-de-lukrainien/

*********

Retour en Ukraine

Kyiv avait été, rappelons-le, notre invitée en 2017. C’était dans le sillage de l’exaltation et de l’espoir qu’avait suscités la révolution du Maïdan. Malgré le point névralgique d’oppositions et de conflits qui affectait la région du Donbass, chacun, chacune avait comme les manches retroussées et s’enthousiasmait devant cette Ukraine émergeante.

Depuis février Serhiy Jadan n’écrit plus. Pas le temps. Le temps est à tout de suite, du matin au soir, jour après jour, et tout de suite il faut soutenir l’aide humanitaire et l’armée ukrainienne. Andreï Kourkov, lui, se sert de sa plume comme d’une arme, multipliant les témoignages dans les médias étrangers. Boris Khersonsky, le grand poète russophone d’Odessa, écrit dorénavant, par protestation, ses poèmes en ukrainien. Les musiciens donnent partout des concerts dont les recettes sont reversées à des associations venant en aide à l’Ukraine. Igor Gusev a abandonné les toiles de grand format et les œuvres au long cours : il travaille dans l’immédiateté, dans l’urgence, en réaction au temps qu’il fait, maintenant, en Ukraine. Tous sont engagés dans l’effort de guerre et de résistance ; un effort qui passe aussi par le simple fait d’écrire quelques lignes, de jouer un air, de chanter, au nez et à la barbe de la guerre.

C’est en leur soutien et en celui de toutes ces voix qui font l’art, la musique, le cinéma, la littérature et les idées que nous nous retrouverons du 23 au 28 novembre prochains autour d’Odessa.

Odessa en quelques dates
Fondée en 1704 par l’impératrice Catherine II, administrée par le duc de Richelieu entre 1803-1814, Odessa, avec ses activités portuaires, industrielles et commerciales compte au 19e siècle parmi les villes les plus importantes de l’empire russe et est aujourd’hui la troisième ville d’Ukraine. Alexandre Pouchkine, dans son exil de 1823-24, lui reconnait un caractère européen (on y parle français, on peut y lire les journaux étrangers). Son architecture, avec ses influences françaises et italiennes, est davantage d’esprit méditerranéen que russe. Ville nouvelle, cosmopolite et dynamique, elle se distingue, dès son origine, avec sa situation de ville portuaire sur la mer Noire ouverte à l’étranger, par son esprit libre et frondeur.

Mais Odessa « Eldorado » n’échappera pas au sort que connaîtront les villes et pays voisins au cours du XXe siècle. En 1905, elle connait un premier pogrom et devient un foyer d’agitations révolutionnaires, évoquées par Sergeï Eisenstein dans son film, Le Cuirassé Potemkine (1925). Le triomphe du communisme, après la Première Guerre, la ramène dans le giron de la Russie. En 1920, elle est prise par l’Armée rouge et en 1922 définitivement rattachée à l’URSS. Les années 1932-33, demeurées dans la mémoire ukrainienne sous le nom de Holobomor, sont celles de la grande famine provoquée par la collectivisation forcée des paysans et par la réquisition de l’essentiel de leurs récoltes, qui fit des millions de morts. Auxquels s’ajouteront les morts causées par les purges politiques de 1937-39 et celles des exactions nazies entre 1941 et 1944.

En 1991, Odessa est intégrée à l’Ukraine indépendante. Si le décor est le même que la ville florissante du 19e, les Odessites éprouvent un sentiment de déclassement, de rupture avec l’Europe et se sentent déchirés entre plusieurs appartenances. 

Aujourd’hui, la ville balnéaire a perdu ses airs de vacances. Les remparts et les obstacles antichars lui donnent une apparence de forteresse sur la mer Noire. La population fait front commun.

https://blogs.mediapart.fr/festival-un-week-end-l-est/blog/091022/retour-en-ukraine?userid=cca98460-c257-4bff-93d6-d272d8e4bf88

*********

Entretien avec Vladislav Starodubtsev (Mouvement social ukrainien)

Le 17 septembre dernier s’est tenue à Kiev la conférence annuelle de l’ONG Mouvement Social (Sotsialnyi Rukh). L’événement a réuni une centaine de participants issus de toute l’Ukraine. À cette occasion, la GDS avait envoyé son salut fraternel aux participants. Depuis, Vladislav Starodubtsev, historien, militant de l’organisation socialiste ukrainienne, par ailleurs membre honoraire du parti polonais Razem, a bien voulu répondre à nos questions.

Démocratie & Socialisme : Qu’est-ce que le Sotsialnyi Rukh ? Quelles sont ses origines et ses objectifs politiques ?
Sotsialnyi Rukh est une organisation démocratique de la gauche anticapitaliste qui a pour l’ambition de créer un grand parti de gauche en Ukraine. Elle est largement issue des forces de la gauche radicale mobilisées dans la révolution du Maïdan. Elle est héritière de l’ancienne organisation trotskyste « Opposition de gauche » (à ne pas confondre avec le mouvement communiste connu sous le même nom), qui a ensuite évolué pour devenir une organisation davantage plurielle, et qui a finalement pris le nom de Sotsialnyi Rukh.

Aujourd’hui, Sotsialnyi Rukh est la plus grande organisation de gauche en Ukraine. Elle travaille en étroite collaboration avec des éléments progressistes de la société civile, en particulier les syndicats, organise des événements, des campagnes, apporte de l’aide humanitaire et participe à la guerre contre l’impérialisme russe.

Nous avons organisé une campagne massive, avec le parti polonais Razem, pour l’annulation la dette extérieure de l’Ukraine, ce qui a conduit à un gel de la dette. Nous prévoyons toujours de poursuivre la campagne pour l’annulation complète de la dette. Néanmoins, son simple gel constitue déjà un énorme succès. Nous sommes particulièrement reconnaissants aux progressistes du Parti démocrate, tels que Jesús García, d’avoir fait adopter à la Chambre des représentants des États-Unis un projet de loi visant à suspendre le paiement de la dette internationale de l’Ukraine.

Nous nous sommes également engagés dans un important travail juridique afin d’assurer la protection des droits des travailleurs pendant la guerre, ce qui a aidé beaucoup de gens à se défendre contre les licenciements, à se faire verser leur salaire, etc.

D&S : Vous venez de tenir une conférence de votre mouvement à la mi-septembre. Quelles en ont été les principales décisions ?
La conférence a adopté une résolution soulignant nos principes. D’abord – et c’est le plus important –, le document fixe comme priorité la plus urgente la lutte pour la victoire complète de l’Ukraine dans la guerre russo-ukrainienne, puis il décrit notre vision en tant qu’organisation qui s’efforce de mettre en œuvre une politique de gauche anticapitaliste, propose une vision des réformes sociales nécessaires et affirme la nécessité d’une ukrainisation et de politiques nationales progressistes en Ukraine.

La nouvelle Rada (organe de direction collective) a été élue, composée de trois femmes et de quatre hommes. On pourrait qualifier cette Rada de direction plus professionnelle et moins politique que la précédente, ce qui n’est d’ailleurs ni une bonne ni une mauvaise chose. De nouvelles personnes, qui n’ont jamais occupé de tels postes de direction, ont été élues, et elles mettent déjà en œuvre de nouvelles méthodes de travail et d’organisation à Sotsialnyi Rukh.

D&S : Vous intervenez notamment sur le plan social. À quelles difficultés les travailleurs ukrainiens sont-ils confrontés et quel rôle jouez-vous dans la résistance aux actions des capitalistes ukrainiens ?
Les salariés font face à de très nombreuses difficultés selon moi. Le gouvernement et le parti au pouvoir essaient d’utiliser le conflit en cours comme prétexte pour concrétiser la vision néolibérale la plus dure possible. La guerre a commencé par des réductions d’impôts pour les entreprises et des attaques contre les droits des travailleurs, l’adoption d’une loi temporaire, qui limite considérablement la possibilité pour les travailleurs de défendre légalement leurs droits, et un moratoire sur les inspections du travail en temps de guerre, ce qui a créé de nombreux obstacles pour assurer des conditions de travail sûres et dignes, ainsi que pour traduire l’employeur en justice si tel n’était pas le cas.

Ensuite, une autre loi temporaire a été adoptée sur la réglementation du travail, la loi n° 5371, qui va de fait à l’encontre du principe du tripartisme et minimise le rôle de l’État dans la réglementation des relations de travail. Parallèlement, la loi n° 5161 a été adoptée, qui a introduit des contrats de zéro heure, une forme de travail très précaire, qui nie le droit des travailleurs à se voir attribuer un emploi, tout en les liant à un relations de travail, et donc de subordination à leur employeur. Dans de tels contrats, une personne peut gagner moins que le salaire minimum, si ce dernier ne lui fournit pas de travail. Quant à la loi n° 7251, elle décharge les employeurs de la responsabilité de verser les salaires des personnes parties à l’armée.

Pour s’assurer la « coopération » du plus grand syndicat d’Ukraine, le FPU, le gouvernement met en avant son projet de « nationalisation néolibérale » – comprenez la nationalisation des propriétés des syndicats. De telles lois de nationalisation constituent de véritable épées de Damoclès suspendues au-dessus de la fédération syndicale. Maintenant, les gouvernants préparent une nouvelle attaque contre les travailleurs en proposant un nouveau Code du travail.

La pression sociale s’est également accrue, parallèlement à une « optimisation » massive des entreprises d’État, de l’appareil bureaucratique, des commissions de réglementation, des inspections et des fonds. Toutes ces actions ont été suivies d’une campagne de privatisation de masse. De sérieuses coupes ont été faites pour s’assurer que le budget peut gérer d’autres allégements fiscaux pour les riches.

Avec le début de la guerre, une nouvelle réforme fiscale a été proposée, qui prévoit essentiellement des réductions d’impôts pour les grandes entreprises. Quant à l’appareil de réglementation, il a été pratiquement réduit de moitié. Désormais, une petite majorité du parti au pouvoir tente de pousser le ministère de l’Économie à adopter sa règle des « trois 10 » : taux uniforme de 10% pour l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui se situent tous deux actuellement à hauteur de 18% (hors allègements temporaires liés au contexte de guerre), mais aussi pour la TVA, dont le taux est aujourd’hui de 20%. Même le ministre néolibéral de l’Économie essaie de lutter contre une telle réforme, car il comprend la folie d’une telle proposition, surtout en temps de guerre.

D&S : Quelles sont vos relations avec les syndicats et autres organisations de la gauche ukrainienne ?
Nous travaillons en étroite collaboration avec la FPU et la KVPU, les plus grandes fédérations syndicales d’Ukraine. Je pense toutefois que nous pourrions établir de meilleures relations avec le KVPU en vue de mieux coordonner les grandes campagnes contre les attaques antisociales du gouvernement, mais, malgré ce bémol, force est de constater que nous coopérons de façon satisfaisante. Outre les deux grandes fédérations, nous travaillons directement avec les syndicats indépendants et avec les organisations syndicales de base.

Quant à la gauche ukrainienne, elle est incroyablement unie, surtout dans le cadre la guerre qui se déroule en ce moment. Nous coopérons fortement avec les Collectifs de solidarité, une organisation anarchiste principalement orientée vers l’aide humanitaire aux militaires de gauche dans l’armée et aux habitants des villes proches de la ligne de front. Nous coopérons aussi avec un certain nombre d’organisations féministes, ainsi qu’avec d’autres groupes de gauche beaucoup plus petits, comme la Plate-forme social-démocrate ou le groupe de réflexion Cedos.

Au début du mois dernier, nous avons organisé un camp-école de gauche, où différentes personnes de différents horizons de gauche et plusieurs organisations ont animé des conférences, des discussions, des ateliers, etc., travaillant ensemble pour construire une gauche diverse et cependant unie.

D&S : Pouvez-vous nous éclairer sur l’investissement de vos militants dans la lutte contre l’agression russe ?
Nous avons concrètement un groupe de travail, entièrement dédié à l’humanitaire. Ils organisent l’aide aux personnes dans le besoin et aux forces militaires (principalement des syndicalistes et la gauche, mais pas exclusivement). Dès le début de la guerre, des milliers et des milliers d’euros ont été dépensés pour cela, et nous sommes fiers de nos efforts pour défendre le pays et son peuple contre l’impérialisme russe.

Nous avons quelques uns de nos membres dans l’armée, tout comme nos amis de différentes organisations socialistes, anarchistes ou syndicales qui participent en première ligne. Nous les aidons avec tout ce que nous pouvons.

D&S : Comment appréciez-vous l’évolution de la situation en Ukraine par rapport à la guerre d’agression menée par l’impérialisme russe ?
Sur le plan économique, notre gouvernement a fait du très mauvais travail. En prenant la décision de ne pas adopter une économie de guerre, de ne pas renforcer les industries d’armement, de ne pas mettre en œuvre des garanties sociales et une politique keynésienne, il poursuit le pire néolibéralisme possible, radical même selon les normes britanniques ou européennes.

Sur le plan militaire, les succès de l’armée ukrainienne ont suscité beaucoup d’émotions et d’espoirs. Bien que je ne sois pas un expert des questions militaires et qu’en conséquence, je ne souhaite pas commenter les opérations en cours, l’armée ukrainienne et le peuple ukrainien ont montré que cette guerre pouvait être gagnée.

Avec la mobilisation en Russie, des temps plus difficiles approchent. Dans ce contexte, la gauche internationale doit renforcer ses campagnes pour que soient envoyées à l’Ukraine des armes modernes et lourdes, pour que l’État russe soit sanctionné et isolé, y compris par l’embargo sur le gaz et le pétrole, et pour que l’Ukraine soit aidée économiquement, en spécifiant qu’une telle aide devrait être accordée sur des bases sociales, aux communautés les plus vulnérables et les plus invisibles d’abord, et non aux grandes entreprises.

Gauche démocratique et sociale (GDS) / Vladislav Starodubtsev
http://www.gds-ds.org/entretien-avec-vladislav-starodubtsev-mouvement-social-ukrainien/
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article64259

*********

Les bombardements russes contre les populations civiles en Ukraine
sont des crimes de guerre

Le comité de solidarité Suisse-Ukraine suit la situation dans les villes ukrainiennes qui sont actuellement bombardées. La communauté internationale doit condamner avec la plus grande fermeté ces bombardements. 
Plus que jamais: les troupes russes doivent se retirer de l’intégralité du territoire ukrainien, les criminel·le·s de guerre doivent être traduit·e·s devant des tribunaux, et Poutine doit être éjecté du pouvoir !
https://comite-ukraine.ch

*********

Plate-forme SD Ukraine : Déclaration sur les frappes de missiles russes

La Russie a attaqué l’Ukraine avec 83 missiles et 17 drones kamikazes dans toute l’Ukraine aujourd’hui. 45 missiles ont été interceptés, et 9 drones kamikazes fournis par l’Iran ont été détruits par les forces de défense aérienne.
Kiev, Lviv, Ternopil, Ivano-Frankivsk, Khmelnytskyi, Zaporizhzhia, Zhytomyr, Kropyvnytskyi, Kremenchuk, Sumy, Kharkiv et Dnipro ont été touchés par des bombardements. Selon les données préliminaires, 11 personnes sont mortes et 64 ont été blessées.

En outre, cette attaque a visé les infrastructures civiles. Ainsi, de nombreuses villes se sont retrouvées sans énergie, sans eau et sans connexion. De plus, en raison de ce fait, l’Ukraine a décidé de mettre fin à l’exportation d’énergie vers l’Europe, afin d’aider nos citoyens. C’est également l’objectif de Poutine. Il tente de détruire notre capacité à exporter de l’énergie, nécessaire aux citoyens des États membres de l’UE.

Face à la défaite militaire, le Kremlin utilise tous les outils pour intimider les Ukrainiens et l’ensemble du monde civilisé. Les Russes ne mènent pas cette guerre sur le champ de bataille, ils la mènent contre des civils innocents et vulnérables.

En tant qu’organisation qui promeut les principes de la démocratie sociale en Ukraine, nous lançons un appel à nos partenaires en leur demandant de rester solidaires des citoyens ukrainiens face à la Russie de Poutine. Il est grand temps de prendre des mesures concrètes pour soutenir notre pays en lui fournissant les armes nécessaires, y compris une assistance financière et humanitaire. Il est important de communiquer avec les citoyens de l’UE pour faire comprendre à tous que la Russie est à blâmer pour les crises émergentes en Europe.

Nous soulignons que les catégories les plus vulnérables de la société ukrainienne sont les plus touchées par une guerre brutale et non provoquée. Et nous devons aider, en premier lieu, les femmes, les enfants, les personnes temporairement déplacées qui se retrouvent sans toit et sans possibilité de nourrir leur famille.

Votre soutien est crucial pour nous en ce moment !

https://ukrainesolidaritycampaign.org/2022/10/11/sd-platform-ukraine-statement-on-russian-missile-strikes/

Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

*********

9994F796-6829-446F-8E72-F46C92CEF03F

*********

Liens avec d’autres textes

Vladimir Poutine débordé par l’extrême droite russe ?
https://theconversation.com/vladimir-poutine-deborde-par-lextreme-droite-russe-191137?
« J’ai entendu Artiom être torturé » : un poète russe opposé à la guerre en Ukraine accuse des policiers de l’avoir violé lors de son arrestation, ses proches témoignent
L’arrestation d’Artiom Kamardine a fait grand bruit en Russie, en raison de l’intensité des violences commises par les forces de l’ordre. Sa petite amie et son colocataire témoignent pour franceinfo.
https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/ils-l-ont-traite-de-nazi-et-ont-menace-de-le-tuer-un-poete-russe-oppose-a-la-guerre-en-ukraine-passe-a-tabac-lors-de-son-arrestation_5389645.html
Russie-Ukraine : déportations d’enfants, vers un rythme « industriel »
https://www.leshumanites-media.com/post/russie-ukraine-déportations-d-enfants-vers-un-rythme-industriel?
Le rappeur russe Ivan Petunin annonce son suicide pour ne pas être mobilisé en Ukraine
https://www.liberation.fr/international/europe/le-rappeur-russe-ivan-petunin-annonce-son-suicide-pour-ne-pas-etre-mobilise-en-ukraine-20221003_UVJB25VB4RF6ZKC3SAV73MG6SU/
Guerre en Ukraine : le chiffre de 700 000 hommes ayant fui la Russie depuis le début de la mobilisation partielle est-il crédible ?
https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-le-chiffre-de-700-000-hommes-ayant-fui-la-russie-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-partielle-est-il-credible_5399410.html
Sergueï Sourovikine, un « général Armageddon » pour renverser le cours de la guerre en Ukraine
https://www.courrierinternational.com/article/portrait-serguei-sourovikine-le-general-armageddon-pour-renverser-le-cours-de-la-guerre-en-ukraine

*********

Tous les textes précédemment publiés 
et les liens sont maintenant regroupés sur la page :
https://entreleslignesentrelesmots.blog/retrait-immediat-et-sans-condition-des-troupes-russes-solidarite-avec-la-resistance-des-ukrainien·nes/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture