« 20 ans après l’invasion américaine, l’Irak est confronté, entre autres, à des crises climatiques et hydriques en cascade »

Le 20 mars 2003, l’administration de George W. Bush (président de 2001 à 2009, vice-président Dick Cheney) déploie l’armée des Etats-Unis sur le sol irakien [1]. Aujourd’hui, Loulouwa Al-Rachid, analyste auprès de l’International Crisis Group et chercheuse au Centre Carnegie Moyen-Orient, souligne, dans un entretien donné au quotidien Le Monde le 17 mars 2023, que l’invasion fut « justifiée à l’époque par des mensonges sur la présence d’armes de destruction massive et par l’implication de Saddam Hussein dans les attentats du 11 Septembre, et présentée au reste du monde comme une mission de démocratisation au Proche-Orient, elle constitue, en fait, l’acmé de l’arrogance américaine et une attaque impérialiste infligée à un pays par un autre ».

Adel Bakawan [2], directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (CFRI), lors d’une émission le 20 mars sur France Culture («Culture Monde» animée par Julie Gacon), signale qu’« en 2003, les Américains ont mis en place un système politique basé sur les trois principales composantes de la société irakienne que sont les chiites, les sunnites et les kurdes. On cristallise alors le découpage communautaire du pays. Aujourd’hui il est complètement impossible de parler de nation ou de société irakienne tellement les divisions sont profondes [Adel Bakawan les caractérise comme relevant de conflits « ethnico-confessionnels]. Les différentes composantes communautaires elles-mêmes sont profondément fracturées en leur sein et n’ont plus aujourd’hui de discours communs. »

Myriam Benraad [3], politologue, spécialiste du Moyen-Orient, professeure associée en relations internationale, met en relief qu’« en 2003, après plus d’une décennie d’embargo, la guerre civile était déjà présente sous forme de ferments dans la société irakienne. Loin de pacifier le pays, l’invasion américaine va le brutaliser. En 2006, le nombre de violences intercommunautaires explose. Les Américains ne sont absolument plus tolérés, l’administration irakienne négocie leur départ. Lorsque Barack Obama annonce le retour des GI, il prend simplement acte de cet échec. »

Lorsque l’administration Obama décide de retirer les troupes américaines, en 2011, il explique pourtant que les Américains laissent derrière eux « un Etat souverain, stable, autosuffisant, avec un gouvernement représentatif qui a été élu par son peuple ». Or, dès 2014, Daech (Etat islamique) occupe une partie importante du pays. Après sa défaite, le pays tombe dans une crise d’ensemble. Des secteurs importants de la jeunesse, en 2019, se mobilisent contre le gouvernement et les diverses milices, dont certaines ont des liens directs avec l’Iran. Cette révolte est réprimée. Les aspirations de larges secteurs de la population sont battues en brèche.

L’article de Mike Ludwig, traduit ci-dessous, offre une description de la crise climatique et hydrique qui ravage le pays. Un autre « résultat » de la guerre contre « l’Axe du mal », telle que présentée par Bush. (Rédaction A l’Encontre)

*-*

Plus de vingt ans après l’invasion et l’occupation de l’Irak par une coalition dirigée par les Etats-Unis, le pays est confronté à des crises environnementales en cascade. Il a récemment été déclaré cinquième pays le plus vulnérable au dérèglement climatique (ONU, 11 août 2022, « Migration, Environment, and Climate Change in Irak »). En proie à l’instabilité et à la corruption, alimentées par les divisions religieuses et les diverses milices qui se disputent l’influence et les ressources, le gouvernement irakien est faible et incapable de relever ces défis sans aide internationale, selon les Nations unies.

L’Irak est également un endroit dangereux pour les écologistes. Ainsi, Jassim Al-Asadi, spécialiste des marais emblématiques de l’Irak, a été enlevé par des hommes armés alors qu’il se rendait à Bagdad le 3 février 2023, puis relâché dans sa famille deux semaines plus tard. Le groupe armé a laissé un autre passager sur l’autoroute pendant l’enlèvement, ce qui laisse penser qu’Al-Asadi était spécifiquement visé. Bien que les auteurs et leurs motifs fassent toujours l’objet d’une enquête, ses collègues soupçonnent que l’enlèvement est lié au travail d’Al-Asadi sur l’une des ressources les plus précieuses de l’Irak : non pas le pétrole, mais l’eau.

Cofondateur de Nature Iraq et expert environnemental de premier plan, Jassim Al-Asadi est un ardent défenseur des marais du sud de l’Irak et des tribus arabes qui y vivent depuis des générations. Bien que le paysage et le débit d’eau aient évolué au fil des millénaires, on pense que les anciennes cités-Etats mésopotamiennes situées le long du Tigre et de l’Euphrate sont liées à ces marais. Aujourd’hui, les habitants du sud de l’Irak dépendent toujours des deux célèbres fleuves – et des voies d’eau marécageuses qu’ils alimentent – pour le transport et l’agriculture, mais l’eau est de plus en plus polluée et se tarit.

Ce « berceau de la civilisation » est ce qu’Al-Asadi nomme affectueusement le « jardin d’Eden ». Mais les écosystèmes des marais s’effondrent. Asséchés par le gouvernement de Saddam Hussein au début des années 1990 pour punir les Arabes des marais rebelles qui se cachaient dans les roseaux, certains marais ont commencé à reprendre vie en 2006, après la chute d’Hussein et le retour des habitants pour démanteler les digues à l’aide de pioches et avec l’aide de la communauté internationale. Aujourd’hui, les marais disparaissent à nouveau sous les pressions cumulées des vagues de chaleur et de la sécheresse alimentées par le changement climatique, ainsi que de la concurrence féroce pour l’eau entre l’Irak et ses puissants voisins situés en amont, la Turquie et l’Iran.

« L’eau est un bien si précieux, en particulier dans les régions où elle est si rare, et où [la rareté] semble s’aggraver en raison des perturbations climatiques et de la captation accrue en amont », a déclaré Steve Lonergan, professeur émérite à l’Université de Victoria (Canada), qui travaille en étroite collaboration avec Jassim Al-Asadi.

Les observateurs affirment que la crise climatique et environnementale en Irak est visible bien au-delà du sud-est fertile, où les lacs et les marais régulent les températures régionales et préviennent les tempêtes de sable et de poussière dans une partie du monde par ailleurs aride. Les niveaux d’eau du Tigre et de l’Euphrate, autrefois imposants, ont atteint des seuils historiquement bas. Or, elle constitue les principales sources d’eau douce de l’Irak. Selon Oxfam, la pénurie d’eau est particulièrement dévastatrice pour les petits agriculteurs (Oxfam, 31 mars 2022, « Unfarmed Now, Unihabited When? Agriculture and climate change in Iraq »).

Les fréquentes tempêtes de sable et de poussière alimentées par la désertification et l’expansion urbaine malmènent les villes irakiennes déjà aux prises avec l’héritage toxique de la guerre [entre autres les effets de l’utilisation de munitions à uranium appauvri: multiplication de cancers frappant les enfants – réd.]. La chaleur extrême, les précipitations imprévisibles, les inondations et la sécheresse ont eu des conséquences économiques dévastatrices pour la population irakienne (« Iraq stands up for the environment at COP 27, UN climate change conference », ONU, 6 novembre 2022)

Après des années d’occupation, de guerre civile et de lutte contre Daech, les gouvernements irakiens successifs soutenus par les Etats-Unis ont été incapables de répondre aux besoins fondamentaux des citoyens et citoyennes, en particulier des pauvres, dont certains ont été contraints de camper dans des décharges surchargées pour gagner maigrement leur vie en triant les déchets. Les déchets sont régulièrement brûlés en Irak, ce qui aggrave la pollution de l’air due à la poussière, à la production de pétrole, à la circulation (camions) et aux centrales électriques (fonctionnant au pétrole).

Chercheur de longue date sur les coûts sociaux du changement climatique et ancien directeur de programme environnemental aux Nations unies, Steve Lonergan s’est rendu fréquemment en Iraq depuis le milieu des années 2000 afin d’étudier et de faire revivre les marais. Il a fini par se lier d’amitié avec Jassim Al-Asadi et est le coauteur de leur livre à paraître en automne 2023 (American University in Cairo Press), The Ghosts of Iraq’s Marshes: A History of Conflict, Tragedy, and Restoration (Les fantômes des marais irakiens : une histoire de conflit, de tragédie et de réaménagement).

« Si l’on considère tous les aspects de l’environnement en Irak, qu’il s’agisse des eaux usées, de l’eau potable ou de la poussière, les problèmes sont énormes; je n’ai jamais cessé d’être étonné par le chaos qui règne au sein du gouvernement », a déclaré Steve Lonergan.

Le 1er octobre 2019, des milliers de personnes se sont rassemblées pour des sit-in et des manifestations sur la place Tahrir de Bagdad afin de protester contre un gouvernement irakien en proie au sectarisme et à l’intervention iranienne. En colère contre les coupures de courant et le taux de chômage élevé, les manifestant·e·s ont réclamé des droits fondamentaux et des services publics, ainsi que la fin de la corruption et du népotisme endémiques dans le système politique.

La police irakienne et les milices iraniennes ont répondu par une violence intense et des tirs à balles réelles qui ont fait de nombreux morts et blessés parmi les manifestant·e·s. Des manifestations de masse se sont répandues dans tout le pays dans le cadre de ce que l’on appelle aujourd’hui la Grande Révolution d’Octobre ; ces manifestations ont demandé la fin du système politique mis en place pendant l’occupation états-unienne et ont inspiré une nouvelle génération d’activistes irakiens.

Des manifestations plus modestes, menées par des jeunes, ont éclaté en août 2022 dans la région du marais d’Al-Hawizeh, qui fait partie des marais du sud du pays. Les manifestant·e·s réclamaient l’accès aux ressources en eau et la fin de la crise humanitaire provoquée par la disparition des marais. L’armée et la police irakiennes ont réagi violemment, bloquant l’accès à la zone et procédant à des arrestations massives, selon le groupe d’activistes irakiens Workers Against Sectarianism (Travailleurs contre le sectarisme).

Depuis des années, l’Irak accuse la Turquie et l’Iran voisins d’être responsables de ses problèmes d’eau, et ce à juste titre. La Turquie exploite un réseau de barrages et de réservoirs géants qui contrôlent la quantité d’eau qui s’écoule du Tigre et de l’Euphrate vers les zones agricoles irakiennes et, finalement, vers les marais. L’Iran contrôle également l’eau qui s’écoule vers l’Irak et, entre 2007 et 2009, les Iraniens ont construit une digue près de la frontière avec l’Irak. Ils ont commencé à assécher les marais du nord à des fins d’exploration pétrolière, ce qui a provoqué des tempêtes de poussière et de sable sur les villes iraniennes voisines, selon Steve Lonergan.

En février, le niveau des eaux du Tigre et de l’Euphrate aurait baissé de 30%, ce qui a donné lieu à une nouvelle série d’accusations mutuelles dans la région. La Turquie accuse l’Irak de gaspiller l’eau avec des infrastructures délabrées. Steve Lonergan affirme que la coopération entre les deux pays s’est réduite à peau de chagrin au fil des ans. « Mes collègues me disent qu’il y a très peu de dialogue entre l’Iran et l’Irak aujourd’hui, ainsi qu’entre l’Irak et la Turquie au sujet de l’eau. En raison des intérêts en amont, qu’il s’agisse de la Turquie ou du secteur agricole iranien, ces pays ne veulent pas voir l’eau s’écouler dans les marais. Ils considèrent que c’est un gaspillage d’eau. »

L’Iraq s’efforce de faire face aux conséquences du changement climatique avec le soutien de la communauté internationale. Lors d’une récente conférence sur le climat à Bassorah, le Premier ministre irakien Mohammed Chia al-Soudani [en fonction depuis le 27 octobre 2022] a déclaré que le changement climatique avait affecté plus de 7 millions d’Irakiens et a annoncé un vaste plan national de lutte contre la désertification et de protection de la diversité biologique.

Le plan climatique irakien prévoit la plantation de 5 millions de palmiers et d’arbres dans l’espoir d’améliorer la rétention d’eau, de prévenir les tempêtes de sable et de poussière, d’économiser de l’énergie et de fournir de l’ombre aux habitants. Le pays espère également utiliser les énergies renouvelables pour répondre à un tiers des besoins énergétiques de l’Irak d’ici à 2030, selon des rapports.

De retour dans les marais, Jassim Al-Asadi et d’autres militants testent la capacité des marais à épurer les eaux usées composées d’effluents organiques comme source potentielle d’eau pour les maintenir en vie. Selon Steve Lonergan, il ne faut pas manger les poissons – Al-Asadi a dit en plaisantant qu’ils étaient « pré-assaisonnés » – mais c’est mieux que rien. Les cycles de sécheresse actuels n’augurent rien de bon pour l’avenir des marais et de leurs habitants.

Selon Steve Lonergan, ce sont probablement les contacts internationaux d’Al-Asadi et son plaidoyer en faveur des marais qui ont fait de lui une cible pour l’enlèvement. Le gouvernement irakien est connu pour sa corruption, et de nombreux pays et industries se disputent l’accès à l’eau. « La corruption est un problème qui touche tous les aspects de la vie et qui affecte certainement les marais. Jassim se bat contre ce problème, ce qui fait de lui une cible visible. Il est fermement ancré là – honnêtement, il aime les marais, c’est sa vie. »

Jassim Al-Asadi a été libéré sain et sauf deux semaines après l’enlèvement et a peu parlé en public, hormis sur son compte Facebook personnel, où il documente avec défi son retour dans les marais irakiens. «Ils ont suffisamment torturé mon corps, mais ils n’ont pas pu soumettre ma volonté et humilier mon âme. Je suis retourné à mon environnement, à l’affection de mes petits-enfants et la communauté du clergé et à leur gentillesse», a écrit Jassim Al-Asadi dans un message traduit en français le 27 février.

–––
[1] Pour rappel, voici la liste des principaux stratèges qui ont organisé cette invasion aux effets proprement criminels et les journalistes qui ont «validé» l’opération: outre Bush et Dick Cheney, on peut citer Donald Rumsfelf, Colin Powell, John Bolton, Condoleezza Rice, Joe Biden, David Frum, David Brooks, Jeffrey Goldberg, Judith Miller. Une revue de leurs carrières postérieures à 2003 a été établie par .
[2] Adel Bakawan est l’auteur de 
L’Irak, un siècle de faillite paru aux éditions Tallandier en 2021.
[3] Myriam Benraad est à l’origine de 
L’Irak par-delà toutes les guerres, idées reçues sur un État en transition réédité aux éditions du Cavalier bleu en 2023.

Mike Ludwig
Article publié sur le site Truthout, le 20 mars 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/divers/irak-20-ans-apres-linvasion-americaine-lirak-est-confronte-entre-autres-a-des-crises-climatiques-et-hydriques-en-cascade.html

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L’invasion de l’Irak n’était pas une « erreur ». C’était un crime.

Au lendemain du 20e anniversaire du début de la guerre en Irak, un crime calculé, prémédité et perpétré à grande échelle, nous reproduisions la traduction de cet article de Ben Burgis d’abord publié dans Jacobin.

C’est aujourd’hui le 20e anniversaire de l’invasion de l’Irak. Nous ne devrions jamais oublier et ne jamais pardonner aux architectes de cette guerre diabolique.

Il y a vingt ans aujourd’hui, les troupes terrestres américaines et alliées envahissaient l’Irak. La campagne de bombardements « choc et effroi » avait commencé la veille.

Ce qui s’est passé le 20 mars 2003 n’est pas une « erreur ». Ce n’était pas bien intentionné ni « imprudent ». Il s’agissait d’un crime calculé, prémédité et perpétré à grande échelle.Des milliers d’Américains et des centaines de milliers d’Irakiens sont morts dans une guerre fondée sur des mensonges manifestement absurdes.

Le bilan humain 
Lorsque le président George W. Bush a ordonné l’invasion, j’avais passé des mois à participer à des manifestations contre la guerre et à assister à des réunions d’organisation dans des sous-sols d’église. Le 15 février 2003, le Greater Lansing Network Against theWar in Irak a rassemblé quatre mille personnes dans les rues de ma ville natale, défilant depuis le bâtiment des syndicats de l’université d’État du Michigan (MSU) jusqu’aux marches du capitole de l’État à Lansing. Ce n’était qu’une petite partie des plus grandes manifestations coordonnées de l’histoire de l’humanité. Entre six et dix millions de personnes se sont rassemblées dans six cents villes du monde entier pour dire « non » aux planificateurs de la guerre.

Ceux-ci n’ont pas écouté. Et dans les mois et les années qui ont suivi, plus de quatre mille Américains sont rentrés chez eux dans des cercueils recouverts de drapeaux. L’un de ces cercueils contenait le corps d’un jeune avec qui j’étais au lycée. Il avait 17 ans lorsqu’il s’est engagé dans l’armée. Quatre ans de trop pour aller dans l’un des bars bondés d’étudiants de la MSU les vendredis et samedis soir à East Lansing. Huit ans de trop pour louer une voiture. Et un an trop jeune pour pouvoir voter pour l’un des politiciens qui ont décidé de gâcher sa vie dans une « guerre de choix » cruelle et stupide.

Nous avions des amis en commun, mais lui et moi ne nous fréquentions pas, et je n’ai donc aucune idée des raisons qui l’ont poussé à s’engager. Mais j’imagine que les recruteurs lui ont raconté les choses habituelles sur l’existence de l’armée américaine pour « défendre la liberté ». Au lieu de cela, il est mort à l’autre bout du monde en imposant une occupation amèrement ressentie par la grande majorité des Irakiens.

Les conséquences pour les Irakiens ordinaires sont bien moindres que les pertes de la « Coalition ». Selon une estimation publiée ce mois-ci par l’Institut Watson de l’Université Brown, depuis l’invasion, entre 550 000 et 580 000 personnes sont mortes en Irak, puis en Syrie lorsque le chaos s’y est propagé, et « plusieurs fois plus de personnes sont peut-être mortes de causes indirectes telles que des maladies évitables ». En outre, plus de sept millions de personnes ont fui les deux pays et huit autres millions sont devenus des « réfugiés internes ».

David Frum réécrit l’histoire 
Dans un discours prononcé l’année précédant l’invasion, Bush a qualifié l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord d’« axe du mal ». L’idée que l’Irak de Saddam Hussein et la République islamique d’Iran, qui se sont livré une guerre longue et sanglante dans les années 1980, faisaient partie d’un « axe » était déjà bizarre avant même d’y ajouter la Corée du Nord – mais c’était l’apogée de la ferveur chauvine de l’Amérique après le 11 septembre, et la rhétorique de Bush n’avait pas besoin d’être logique pour qu’une grande partie du pays acquiesce à ses propos.

L’auteur de ce discours, David Frum, aurait pu s’éclipser de la vie publique, honteux, après que les conséquences catastrophiques des guerres de Bush au Moyen-Orient soient devenues évidentes – s’il était capable de honte. Au lieu de cela, il est l’auteur d’un article publié la semaine dernière dans The Atlantic sous le titre renversant de « The Iraq War Reconsidered » (la guerre d’Irak reconsidérée).

Dans cet ouvrage, Frum admet que la guerre s’est mal passée et reconnaît qu’elle a peut- être été pragmatiquement « imprudente » – même s’il insiste sur le fait que les États-Unis n’ont pas agi par « agression non provoquée », soutient qu’il aurait peut-être été pire de laisser Hussein au pouvoir et s’insurge contre toute comparaison entre l’Irak et l’invasionde l’Ukraine par la Russie. Surtout, il semble regretter que la débâcle en Irak ait refroidi l’enthousiasme du public pour de nouvelles guerres ailleurs :

« La conviction que l’Amérique pouvait être une force du bien dans le monde s’est malheureusement et injustement estompée. Les souvenirs de l’Irak sont devenus une ressource puissante pour les extrémistes et les autoritaires qui voulaient écarter les démocraties et laisser le monde aux autocrates. »

Frum affirme que l’invasion de l’Irak n’était pas une « agression non provoquée » parce que la première guerre du Golfe en 1990-91 était « clairement légitime » étant donné l’invasion du Koweït par l’Irak, et que l’Irak n’avait pas respecté les conditions du cessez-le-feu.

Mais si Frum prenait cet argument au sérieux, il devrait également soutenir que si une autre puissance avait bombardé des villes américaines après, par exemple, l’invasion américaine de la Grenade ou l’invasion américaine du Panama, cela aurait été « clairement légitime » – et toute violation par les États-Unis du cessez-le-feu subséquent aurait été un motif pour le bombardement en grappe, l’invasion et l’occupation à long terme de l’ensemble du pays.

David Frum pense-t-il vraiment cela ? Est-ce que quelqu’un pense cela ?

Une guerre basée sur des mensonges absurdes
À l’époque, Bush et ses acolytes n’ont pas dit : « Nous allons envahir l’Irak parce qu’il y a eu des violations du cessez-le-feu lors de la guerre qui s’est terminée il y a douze ans, et c’est toute la justification dont nous avons besoin ». Ils savaient que personne n’aurait accepté une telle justification. Au lieu de cela, ils ont affirmé que (a) Saddam Hussein possédait des « armes de destruction massive » et (b) que le dictateur irakien, qui avait longtemps brutalement réprimé les islamistes locaux, allait magiquement décider de partager ces « ADM » avec ses ennemis mortels d’Al-Qaïda. Les responsables de l’administration Bush ont fait valoir que cette possibilité théorique de voir les ADM tomber entre les mains d’Al-Qaïda était trop terrifiante pour que l’on attende de véritables preuves.Le « pistolet fumant », a tristement déclaré le vice-président Dick Cheney, pourrait être un « champignon atomique » au-dessus d’une ville américaine.

Tout cela est absurde au même titre que l’affirmation de Vladimir Poutine selon laquelle il a envahi l’Ukraine pour « démilitariser et dénazifier » ce pays. Même s’il y avait eu des raisons de croire (a) l’absurdité de (b) l’aurait rendu non pertinent.

David Frum affirme avoir été choqué par l’absence d’armes de destruction massive en Irak. Il est vrai qu’une grande partie des déclarations de l’administration Bush sur les ADM se sont révélées par la suite fondées sur des déformations délibérées. Mais même à l’époque, les preuves présentées au public étaient minces comme du papier.

Je me souviens d’une discussion à ce sujet avec le professeur de mon cours de sciences politiques en 2002. Le professeur – un démocrate assez libéral – nous a dit que l’Irak possédait des armes chimiques et biologiques et qu’il travaillait au moins sur des armes nucléaires. Lorsque je lui ai demandé comment il pouvait savoir cela, il s’est référé aux nombreuses déclarations confiantes du président. Toutes ces affirmations étaient certainement basées sur les informations que Bush recevait des agences de renseignement.

Je n’y ai pas cru. S’il existait des preuves irréfutables, pourquoi ne les partageaient-ils pas – comme, par exemple, l’administration de John F. Kennedy a montré au monde entier les images de surveillance des sites de missiles soviétiques à Cuba en 1962 ?

Ce qui s’en rapproche le plus, c’est le secrétaire d’État Colin Powell qui brandit une fiole d’anthrax aux Nations unies en faisant des affirmations farfelues sur la menace irakienne

J’ai suivi le discours de Powell avec un groupe d’étudiants antiguerre de mon université, et je me souviens qu’à un moment donné, il a fait part de communications irakiennes interceptées qui faisaient vaguement référence à des « camions », et Powell a affirmé, comme si c’était la seule interprétation possible, que les camions en question étaient des laboratoires mobiles d’armes chimiques. J’étais stupéfait de voir que quelqu’un, où que ce soit, prenait ce genre de choses au sérieux.

Ne jamais oublier
Ce scepticisme ne me rendait pas unique. Je le répète : nous étions six à dix millions à participer aux manifestations contre la guerre en février. Le mouvement antiguerre mondial avait tout à fait raison – et aucun de ceux qui étaient du mauvais côté en 2003 ne devrait être autorisé à l’oublier. Ni les goules sans vergogne comme David Frum, ni les politiciens des deux partis qui ont voté pour la guerre parce qu’ils avaient peur de paraître faibles, ni tous les experts centristes si habiles qui ont couvert l’administration Bush sur leurs blogsou dans les articles d’opinion du New York Times.

Aucune de ces personnes ne commettait une erreur innocente. Ils s’associaient à des conspirateurs qui planifiaient ouvertement la destruction d’une société à l’autre bout du monde – en tuant des centaines de milliers de personnes au minimum – dans le cadre d’une guerre fondée sur des absurdités à peine cohérentes. Une guerre qui était très bonne pour les actionnaires de Halliburton, Raytheon et Lockheed Martin et mauvaise pour presque tous les autres.

Il ne s’agit pas d’une situation de « vivre et apprendre ».

L’invasion de l’Irak n’a pas été une « erreur ».
C’était un crime.
Et c’est impardonnable

Ben Burgis
https://alter.quebec/linvasion-de-lirak-netait-pas-une-erreur-cetait-un-crime/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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