À compter du 25 novembre, les Québécoises travaillent gratuitement – et certaines femmes le font depuis quelques semaines déjà

(Etude de l’Iris)

Ce 25 novembre, les Québécoises commencent une période d’un peu plus d’un mois de travail « gratuit ». En effet, les données de l’Enquête sur la population active (EPA) du Canada montrent qu’en 2022, une disparité salariale persiste entre les hommes et les femmes du Québec puisque le salaire horaire moyen de ces dernières s’élevait à 29,29$ alors que celui de leurs homologues masculins était de 32,54$. Les Québécoises ont donc l’an dernier gagné 90% du salaire des Québécois, ce qui nous amène à cette fatidique date du 25 novembre qui, pour cette année, marque symboliquement le jour à partir duquel les femmes travaillent gratuitement. Malgré son pouvoir d’évocation, cette date ne révèle qu’une partie de l’iniquité salariale qui a cours au Québec puisque pour plusieurs femmes et personnes immigrantes et racisées, la date à partir de laquelle elles se retrouvent en « déficit salarial » est en fait depuis longtemps passée.

Complexifier la façon de comprendre l’écart salarial
En effet, certains indicateurs tels que le statut migratoire de la personne ainsi que des marqueurs de classe tel que le niveau d’éducation permettent de complexifier notre analyse des données sur la rémunération horaire en termes de genre. Une étude sur les discriminations raciales à l’emploi réalisée en 2021 par l’Observatoire des inégalités raciales au Québec (OIRQ) nous révèle que les personnes immigrantes – soit les personnes nées hors du Canada ou dont l’un des parents est né hors du Canada – gagnent nettement moins à l’heure que les personnes natives du Canada.

Concrètement, cela veut dire qu’en 2020 le salaire horaire moyen des hommes immigrants québécois était de 25,65$, soit 86,45% du salaire horaire moyen de leurs homologues masculins natifs du pays (29,67 $). Il est intéressant de noter que malgré la différence de rémunération entre hommes et femmes, les hommes immigrants québécois avaient tout de même en 2020 une rémunération horaire inférieure de 3,42% par rapport aux femmes nées au Québec qui elles, gagnaient en moyenne 27,11 $ de l’heure. Toutefois, les grandes perdantes demeurent les femmes immigrantes québécoises qui d’année en année continuent d’être les personnes les moins bien rémunérées de la province avec un salaire horaire de 23,43 $. Ces dernières gagnaient 91% du salaire horaire des hommes immigrants, 86% de celui des femmes nées au Québec et seulement 79% du salaire horaire des hommes natifs du Québec. Cela signifie qu’en 2020, les femmes immigrantes ont commencé à travailler gratuitement… le 16 octobre !

En cette journée symbolique, il est donc important de prendre en considération le vécu des femmes immigrantes (qui sont en grande majorité des femmes racisées) et se rappeler que lorsque nous soulignons cette injustice vécue par les femmes, il importe de mettre de l’avant celles qui subissent plusieurs formes injustice et qui sont donc le plus affectées sur le plan matériel par l’écart salarial.

Un autre facteur important pour expliquer les iniquités salariales est le niveau de scolarité. Les données de l’EPA indiquent que moins le niveau d’éducation est haut, plus l’écart salarial entre les hommes et les femmes est grand. Ainsi, en 2022, les femmes sans diplôme d’études secondaires (DES) ont un taux de rémunération horaire inférieur de 20,4% aux hommes ne possédant pas de DES, alors que lorsqu’on compare des personnes détenant un diplôme universitaire, le déficit salarial des femmes tombe à 12,4%. Ces résultats offrent une lueur d’espoir pour l’iniquité salariale puisque nous savons qu’au Québec, les femmes et les personnes immigrantes ont tendance à être surreprésentées parmi les diplômés du Québec. Mais, puisque le niveau d’éducation est un indicateur de classe important, il nous indique aussi que l’effet combiné du genre et de la classe sociale affecte fortement et négativement l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes.

L’apport de l’intersectionnalité
On le voit bien, ce type d’analyse dite intersectionnelle, théorisée par la juriste américaine Kimberly Crenshaw, permet d’examiner les enjeux sociaux en tenant compte des multiples facteurs d’oppression qui, dépendamment des identités des personnes, interagissent pour créer différentes réalités vécues. Appliquer ce prisme d’analyse à la question de l’iniquité salariale apporte de l’eau au moulin de la longue lutte féministe pour une rémunération égale, tout en s’assurant de ne négliger aucune femme. Ce 25 novembre est donc l’occasion de réitérer que malgré les acquis des dernières années, l’équité salariale ne sera atteinte que lorsque les groupes de femmes les plus vulnérables seront elles aussi compensées à leur juste valeur.

Geneviève Vande Wiele Nobert, 28 novembre 2023
https://www.pressegauche.org/A-compter-du-25-novembre-les-Quebecoises-travaillent-gratuitement-et-certaines

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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