Une guerre contre le peuple palestinien (et autres textes)

  • Israël/TPO : les experts de l’ONU consternés par les violations des droits humains signalées contre les femmes et les jeunes filles palestiniennes
  • Lettre ouverte aux gouvernements israélien et américain et autres sur l’instrumentalisation de la question du viol
  • B’Tselem : L’établissement d’une « zone de sécurité » à Gaza est un crime de guerre
  • Thalisma Begum : Motaz Azaiza, photojournaliste : « Il ne s’agit pas d’une guerre contre le Hamas. Il s’agit d’une guerre contre le peuple palestinien »
  • En Cisjordanie, la guerre contre les Palestiniens
    Entretien avec Samiha Hurraini, militante palestinienne des collines à sud d’Hébron
  • James Robins : Le mouvement des colons, des ministres-colons et leurs terrifiants plans d’après-guerre pour Gaza
  • Soutien aux universitaires et chercheur·es – Pour la fin des massacres en Palestine

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RDV à 17h30, samedi 24 février 2024
Place Edmond Michelet (Beaubourg)

Le 26 février, cela fera un mois que la Cour Internationale de Justice a ordonné à Israël d’assurer la protection des civils à Gaza, de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et donc de lever le blocus de la bande de Gaza.

Depuis la situation n’a fait qu’empirer : bombardement, déplacement forcé, Rafah menacée, famine, manque d’eau, impossibilité d’apporter des soins. Le seuil monstrueux des 30 000 victimes a été atteint !

Force est de constater que la mobilisation de milliers de personnes à travers le monde n’est pas encore parvenue à contraindre les gouvernements et les instances internationales à prendre les sanctions diplomatiques, économiques et politiques suffisamment fortes pour interdire au gouvernement criminel de Netanyahou de poursuivre le massacre. Un génocide rendu possible par l’impunité que les grandes puissances offrent à Israël depuis des décennies. En toute logique, de crimes de guerre en crimes contre l’humanité, Israël a glissé sans en être jamais empêché vers le crime de génocide !

C’est la raison pour laquelle, encore une fois dans le cadre unitaire du Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et israéliens, l’AFPS appelle à constituer un nouveau rassemblement le plus massif possible pour une veillée solidaire des habitants de Gaza et de tout le peuple palestinien.

C’est l’humanité toute entière qu’Israël assassine en ce moment, un génocide ça ne se regarde pas, ça s’arrête !

RDV à 17h30, samedi 24 février 2024 Place Edmond Michelet (Beaubourg).
Le Bureau national de l’AFPS

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Israël/TPO : les experts de l’ONU consternés
par les violations des droits humains signalées contre les femmes et les jeunes filles palestiniennes

GENÈVE (19 février 2024) – Des experts de l’ONU* ont exprimé aujourd’hui leur inquiétude face aux allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains dont les femmes et les filles palestiniennes continuent d’être soumises dans la bande de Gaza et en Cisjordanie

Selon les informations reçues, des femmes et des filles palestiniennes auraient été arbitrairement exécutées à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants. « Nous sommes choqués par les informations faisant état de ciblage délibéré et d’exécutions extrajudiciaires de femmes et d’enfants palestiniens dans les endroits où ils cherchaient refuge ou alors qu’ils fuyaient. Certains d’entre eux auraient tenu des morceaux de tissu blanc lorsqu’ils ont été tués par l’armée israélienne ou des forces affiliées », ont indiqué les experts.

Les experts ont exprimé leur vive préoccupation face à la détention arbitraire de centaines de femmes et de filles palestiniennes, notamment des défenseurs des droits humains, des journalistes et des travailleurs humanitaires, à Gaza et en Cisjordanie depuis le 7 octobre. Beaucoup auraient été soumises à des traitements inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments, et rouées de coups. À au moins une occasion, des femmes palestiniennes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage, sous la pluie et dans le froid, sans nourriture.

« Nous sommes particulièrement affligés par les informations selon lesquelles des femmes et des filles palestiniennes en détention ont également été soumises à de multiples formes d’agressions sexuelles, telles que le fait d’être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l’armée israélienne. Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées tandis que d’autres auraient été menacées de viol et de violences sexuelles », ont indiqué les experts. Ils ont également noté que des photos de femmes détenues dans des circonstances dégradantes auraient également été prises par l’armée israélienne et mises en ligne.

Les experts se sont dits préoccupés par le fait qu’un nombre indéterminé de femmes et d’enfants palestiniens, notamment des filles, auraient disparu après un contact avec l’armée israélienne à Gaza. « Il existe des rapports inquiétants faisant état d’au moins une petite fille transférée de force par l’armée israélienne en Israël, et d’enfants séparés de leurs parents, dont on ignore où ils se trouvent », ont-ils déclaré.

« Nous rappelons au gouvernement israélien son obligation de respecter le droit à la vie, à la sécurité, à la santé et à la dignité des femmes et des filles palestiniennes et de garantir que personne ne soit soumis à la violence, à la torture, aux mauvais traitements ou aux traitements dégradants, y compris sexuels. violence », ont déclaré les experts.

Ils ont appelé à une enquête indépendante, impartiale, rapide, approfondie et efficace sur ces allégations et à ce qu’Israël coopère à ces enquêtes.

« Pris ensemble, ces actes présumés pourraient constituer de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international, et constituer des crimes graves au regard du droit pénal international qui pourraient faire l’objet de poursuites en vertu du Statut de Rome », ont déclaré les experts. « Les responsables de ces crimes apparents doivent être tenus responsables et les victimes et leurs familles ont droit à une réparation complète et à la justice », ont-ils ajouté.

* Les experts : Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences ; Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 ; Dorothy Estrada Tanck (présidente), Claudia Flores, Ivana Krstić, Haina Lu et Laura Nyirinkindi, Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles .

Les experts font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Procédures spéciales, le plus grand corps d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations Unies, est le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de surveillance du Conseil. Les titulaires de mandat des procédures spéciales sont des experts indépendants en matière de droits de l’homme nommés par le Conseil des droits de l’homme pour traiter soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent sur une base bénévole ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.

https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/02/israelopt-un-experts-appalled-reported-human-rights-violations-against
Transmis par MG

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Lettre ouverte aux gouvernements israélien et américain et autres sur l’instrumentalisation de la question du viol

Trop souvent, dans le brouillard de la guerre, la brutalité des agressions sexuelles et des viols disparaît aux yeux du public, et les féministes se battent depuis des décennies pour que ces abus soient révélés au grand jour. Cependant, le fait que les accusations d’agression sexuelle aient également été utilisées comme un outil de guerre – et comme une arme (souvent mortelle) du racisme et du colonialisme – complique cette question.

Dans la guerre qu’il mène actuellement contre la population de Gaza, le gouvernement israélien a choisi d’instrumentaliser la question des violences sexuelles à des fins politiques. La déclaration ci-dessous sera transmise aux représentant·es du gouvernement israélien qui ont monté une croisade publique en manipulant cette question pour légitimer – et détourner l’attention de leur campagne de nettoyage ethnique, pour déshumaniser les Palestiniens et pour vilipender celles et ceux qui critiquent leurs actions. Elle sera également envoyée aux fonctionnaires américains, aux personnalités publiques et à d’autres qui, intentionnellement ou non, ont rejoint la mêlée en diabolisant une série d’organisations et d’individu·es féministes. Dans certains cas, ces attaques ont pris la forme de campagnes orchestrées visant à supprimer le financement de travaux essentiels. Elles ont également alimenté le harcèlement et le « doxin » de membres du personnel ou du conseil d’administration qui, de manière répréhensible, ont inclus des menaces de viol et de mort.

La déclaration a été initiée par des féministes juives antisionistes basées aux États-Unis, qui estiment que nous avons la responsabilité particulière de nous exprimer en faveur des droits des Palestinien·nes et contre le génocide actuel. Depuis, elle a recueilli le soutien de nombreuses personnes aux États-Unis et dans monde entier. Nombre des signataires travaillent ou font des recherches sur la question des violences sexuelles depuis des décennies. Beaucoup ont soutenu directement des survivantes et/ou sont elles-mêmes des survivantes. Collectivement, nous avons l’habitude de garder à l’esprit des réalités compliquées, ce que nous considérons comme une pratique nécessaire dans un monde complexe et injuste.

Les signataires de cette déclaration sont solidaires à la fois dans la condamnation de tous les cas de crimes de guerre – y compris les violences sexuelles – et dans la défense de celles et ceux qui sont attaqués pour avoir contesté l’assaut meurtrier d’Israël contre les Palestinien·nes.

Face à ces tentatives d’intimidation ou de discrédit, nous refusons d’être réduites au silence.

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Lettre ouverte aux gouvernements israélien et américain ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui militent contre le viol

Nous, soussignées, répondons à l’offensive coordonnée honteuse menée actuellement contre les organisations féministes, les organisations de défense des femmes, les organisations juives antisionistes et d’autres organisations, agences et individu·es, nous accusant de « ne pas condamner » les agressions sexuelles systématiques signalées contre des femmes et des enfants israéliens lors de l’attaque brutale du 7 octobre menée par le Hamas. Nous répudions les tentatives du gouvernement israélien et de ses apologistes de délégitimer notre travail, de défaire le financement des organisations féministes et de justice sociale, et de saper nos demandes pour qu’Israël cesse son massacre génocidaire des Palestinien·nes.

Que nous nous identifiions comme féministes, comme juives, comme antisionistes, comme tout cela à la fois, ou comme alliées, et où que nous soyons dans le monde, nous proclamons que nous pouvons détenir simultanément de nombreuses vérités dans nos têtes et dans nos cœurs ; c’est ce que nous faisons à chaque minute de chaque jour. Nous condamnons le viol et toutes les formes d’agression sexuelle contre toute personne, quel que soit son sexe ou son âge, qu’ils soient perpétrés par le Hamas, les Forces de défense israéliennes (FDI) ou toute autre personne. Nous condamnons également les bombardements de civil·es, les blocus meurtriers de nourriture, d’eau et de carburant, l’utilisation d’armes chimiques illégales, les assassinats ciblés de journalistes et de travailleurs et de travailleuses humanitaires, la destruction de maisons, d’hôpitaux, d’écoles, de lieux de culte, d’infrastructures et de familles entières, l’anéantissement de la culture, les enlèvements et les prises d’otages, ainsi que tous les crimes de guerre commis par l’une ou l’autre des parties.

Pour celles d’entre nous qui sont juives, nous embrassons notre identité juive et son histoire de lutte contre l’injustice et nous condamnons également les actions de l’État créé en notre nom, qui est né dans le massacre et l’expulsion de masse, qui a maintenu une occupation étouffante, raciste et déshumanisante pendant 75 ans, et qui commet actuellement des meurtres de masse de civils tous les jours en toute impunité.

Nous condamnons le viol 
– comme nous condamnons tout crime de guerre.

Les agressions sexuelles sont dévastatrices. Qu’elles soient perpétrées par des acteurs étatiques ou non étatiques, par des étrangers, des connaissances, des amis ou des membres de la famille, par des enseignants, des entraîneurs, des superviseurs, des collègues ou des personnalités religieuses de toute confession, par des policiers, des gardiens de prison, des soldats ou des combattants de la guérilla, nous connaissons très bien les traumatismes et les bouleversements qu’elles laissent en héritage. Et nous les condamnons de la même manière dans tous les cas.

Nous croyons les survivantes et nous croyons les rapports qui résultent d’enquêtes menées par des féministes et des expert·es en droits des etres humains qui n’ont d’autre objectif que de documenter et de transmettre clairement et précisément la gravité de la violence fondée sur le genre. Les agressions sexuelles sont omniprésentes, voire banales. Elles suscitent rarement l’indignation que leur incidence, leur impact et leur énormité méritent. En outre, l’histoire regorge d’exemples d’accusations de viol utilisées par les parties prenantes à un conflit armé pour rendre l’« ennemi » plus monstrueux – et donc méritant des formes toujours plus dépravées de violence militarisée. Cette tactique est aussi ancienne que la guerre elle-même. Il y a donc de nombreuses raisons de se méfier de l’indignation sélective – ou des protestations d’innocence – des gouvernements ou des milices, ou de leurs organes de propagande respectifs, lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles. Il est urgent de sensibiliser le public à la manière dont cette indignation est mobilisée en période de conflit et/ou pour légitimer des programmes racistes. Il est tout aussi nécessaire de sensibiliser l’opinion publique aux moments où l’indignation est manifestement absente, par exemple lorsque des membres de ces mêmes gouvernements ou milices sont accusés d’abus sexuels dans leurs propres rangs.

La campagne actuelle d’Israël visant à discréditer les féministes – en particulier les féministes de couleur, les féministes arabes et les féministes juives antisionistes – et les autres personnes qui critiquent son offensive meurtrière contre les Palestinien·nes est insultante et malhonnête, mais elle n’est pas nouvelle. Nous le voyons pour ce qu’il est : une tentative cynique de susciter la fureur du public et de détourner l’attention du génocide qu’il perpétue. Et bien trop de personnalités publiques et d’élu·es se sont laissés aller à participer à ce déferlement d’accusations à notre encontre.

Alors, soyons claires une fois de plus : nous condamnons le viol. Nous condamnons le génocide. Et nous condamnons également la manipulation opportuniste de la question des agressions sexuelles par ceux qui commettent eux-mêmes des crimes de guerre – ou par qui que ce soit d’autre.

Nous soutenons l’enquête lancée par les membres hautement qualifié·es de la Commission d’enquête de l’ONU sur l’ensemble des crimes de guerre commis lors de l’attaque du Hamas du 7 octobre et de l’assaut ultérieur de l’État israélien sur Gaza – un effort auquel Israël a jusqu’à présent refusé de participer. Nous soutenons également des enquêtes supplémentaires sur ces allégations d’agressions sexuelles menées par des autorités féministes et des droits des êtres humains impartiales ayant une expertise et une sensibilité avérées en matière de violence sexuelle, ainsi que la mise à disposition d’une gamme complète de services pour toutes les survivantes par des personnes explicitement formées au traitement des traumatismes sexuels. En outre, nous demandons instamment que des enquêtes soient menées sur les atrocités commises par le personnel militaire israélien et les acteurs non étatiques – y compris les groupes d’autodéfense des colons – dans l’ensemble d’Israël et des territoires occupés.

Enfin, nous continuons à faire entendre notre voix dans le cadre de l’appel mondial en faveur d’un cessez-le-feu permanent à Gaza, de la libération de tous les otages et prisonniers politiques, de l’arrêt de l’aide militaire américaine à Israël et de la fin de l’apartheid israélien.

Vous trouverez ci-dessous la liste des premiers signataires de cette déclaration.

Veuillez cliquer ici si vous souhaitez ajouter votre nom ; la liste sera mise à jour régulièrement.
Nous vous encourageons à partager cet effort et à inviter d’autres personnes à signe 

https://stopmanipulatingsexualassault.org
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Texte signalé par MHL

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L’établissement d’une « zone de sécurité » à Gaza
est un crime de guerre

Au cours du tout premier mois de la guerre à Gaza, début novembre 2023, Israël a commencé à travailler sur une zone tampon à l’intérieur de la bande de Gaza. Selon les médias, cette zone aura une largeur d’environ un kilomètre, s’étendra sur toute la frontière avec Israël, soit environ 60 kilomètres, et comportera des postes militaires, des routes goudronnées et des dispositifs de surveillance. La zone sera interdite aux Palestinien·nes, même à ceux qui y vivaient ou y cultivaient des champs avant la guerre.

Pour créer la zone tampon, Israël détruit actuellement presque tout ce qui se trouve dans la zone qu’il a désignée, y compris les bâtiments résidentiels, les structures publiques telles que les écoles, les cliniques médicales et les mosquées, les champs, les bosquets et les serres. Un soldat participant à ces travaux les a décrits comme « aplatissant tout ». Les témoignages des réservistes confirment que les démolitions sont effectuées pour ouvrir la voie à une zone de sécurité plutôt qu’en réponse à des informations de renseignement ou à des découvertes sur le terrain. Seuls les bâtiments appartenant à l’UNRWA ou offerts par l’Union européenne, tels que les réservoirs d’eau et les installations de traitement des eaux usées, restent debout.

Les images satellites publiées par les médias révèlent les immenses dégâts causés par les militaires, notamment la démolition de quartiers résidentiels entiers et de bâtiments publics à des centaines de mètres de la frontière, ainsi que la destruction de vastes terres agricoles dans d’autres régions. Selon une étude réalisée par Adi Ben Nun, du département de géographie de l’université hébraïque, l’armée israélienne a démoli, au 17 janvier 2024, 1 072 des 2 824 structures situées à un kilomètre ou moins de la frontière, dont la plupart étaient des habitations. Bin Nun indique que la zone la plus densément peuplée est située près de Khan Yunis, où, dans un rayon d’un kilomètre de la frontière, 704 des 1 048 bâtiments, soit près de 70%, ont été démolis. Corey Scher, de la City University of New York, et Jamon Van Den Hoek, de l’Oregon State University, estiment qu’au moins 1 329 bâtiments ont été détruits dans cette zone.

La destruction de Beit Hanoun en est un bon exemple. Les images satellites montrent un quartier entier en ruine, comprenant plus de 150 bâtiments résidentiels, des écoles et deux hôpitaux. Les terres agricoles environnantes ont également été détruites. Un autre exemple de cette politique est la ville de Khuza’a, qui se trouve en face du kibboutz israélien de Nir Oz et dont les habitations sont les plus proches de la frontière. Les militaires ont démoli toute la ville, y compris les bâtiments résidentiels et les mosquées, ainsi que les terres agricoles et les serres environnantes.

Israël n’a pas officiellement admis son intention de créer une « zone de sécurité » le long de la frontière. Le porte-parole de l’armée israélienne et d’autres sources officielles ont affirmé à plusieurs reprises que cette démolition massive était une réponse aux actions du Hamas et que toutes les maisons, routes et terres agricoles touchées étaient des « infrastructures terroristes ». Par exemple, en réponse à un article sur la zone tampon prévue, le porte-parole de Tsahal a déclaré que le Hamas

« a illégalement implanté des équipements militaires dans des zones civiles densément peuplées… Les FDI identifient et détruisent les infrastructures terroristes situées, entre autres, dans les structures de ces zones. Dans certains cas, des quartiers entiers de la bande de Gaza sont devenus des complexes de combat utilisés pour des embuscades, des centres de commandement et de contrôle, des dépôts d’armes, des tunnels de combat, des postes d’observation, des positions de tir, des maisons piégées et des engins explosifs de bord de route ».

Cependant, d’autres déclarations officielles précisent qu’Israël considère la création d’une zone tampon comme essentielle pour la défense civile. Selon une déclaration de l’armée, elle « fait partie des actions impératives nécessaires à la mise en œuvre d’un plan de défense qui améliorera la sécurité dans le sud d’Israël ». Le porte-parole de l’IDF a expliqué que l’armée démolissait des bâtiments à Gaza dans le cadre de l’effort de création d’une zone tampon.

Cependant, cela ne peut pas justifier la démolition généralisée à l’intérieur de Gaza et la création d’une « zone de sécurité ». Les démolitions effectuées par Israël à cette fin sont illégales et constituent un crime de guerre : il s’agit d’une mesure préventive destinée à contrecarrer une menace future, et les démolitions à cette fin sont absolument interdites.

Le droit international humanitaire, qui détermine ce que les parties aux hostilités peuvent – et surtout ne peuvent pas – faire, n’autorise que le ciblage d’objets militaires. Pour être considéré comme une cible légitime, un objet doit répondre à deux critères : il doit apporter une contribution effective à l’action militaire et sa destruction doit procurer un avantage militaire clair à la partie attaquante. Pour cela, il faut examiner l’utilisation réelle des bâtiments et des zones démolis, et non leur utilisation future potentielle.

La destruction de biens privés n’est autorisée que dans des cas très exceptionnels. Elle est explicitement interdite, entre autres, comme moyen de dissuasion, d’intimidation ou de représailles à l’encontre de la population civile, ou pour causer délibérément des dommages prolongés ou permanents. En outre, l’ampleur des destructions effectuées par Israël viole un principe fondamental du droit humanitaire international, la proportionnalité, qui interdit les actions causant un préjudice excessif aux personnes ne participant pas aux hostilités et à leurs biens, par rapport à l’avantage militaire attendu de l’action.

La création d’une « zone de sécurité » à l’intérieur de la bande de Gaza n’est pas une idée nouvelle pour Israël. Même avant la guerre, l’armée a restreint l’accès des Palestinien·nes à des zones situées à quelque 300 mètres de la clôture du périmètre, les considérant comme des « zones interdites », bien qu’Israël n’ait jamais officiellement annoncé cette politique ni précisé aux Palestinien·nes où l’accès était précisément restreint. L’interdiction a néanmoins été appliquée par l’armée au moyen de règlements de tir à balles ouvertes qui autorisaient à tirer sur les Palestinien·nes présent·es dans ces zones, même s’elles et s’ils ne représentaient aucune menace. De septembre 2005, date à laquelle Israël a mis en œuvre le « plan de désengagement », au 6 octobre 2023 (sans compter les périodes de combat), au moins 88 Palestinien·nes n’ayant pas participé aux hostilités ont été tués dans ces zones. L’armée a également fait respecter l’interdiction en pulvérisant des herbicides sur les cultures situées à proximité de la clôture.

La politique d’Israël a profondément modifié la zone située le long de la frontière. Avant l’interdiction, les habitants·e y cultivaient des arbres fruitiers et y faisaient paître des moutons et du bétail. Après l’interdiction, les agriculteurs et les agricultrices se sont tourné·es vers des cultures qui nécessitent moins de soins et dont l’armée ne peut pas dire qu’elles obstruent son champ de vision, comme le blé, l’orge, les haricots et les légumes.

La création d’une « zone de sécurité » dans la bande de Gaza modifiera radicalement la région, avec des conséquences à long terme. Elle réduira le territoire de Gaza, qui est déjà l’une des zones les plus surpeuplées au monde. Des milliers de résident·es ne pourront pas rentrer chez elles/eux, des communautés seront détruites et des vies entières, construites au fil des ans, seront ruinées. Les dégâts considérables causés aux terres agricoles affecteront également la capacité de production alimentaire à Gaza, ce qui nuira aux moyens de subsistance des agriculteurs et à l’alimentation future des habitant·es de Gaza.

Nazih Abu Rabi’, 50 ans et père de sept enfants, vivait à environ un kilomètre de la frontière. Lorsque la guerre a commencé, il a fui sa maison et se trouve actuellement à Deir al-Balah. Fin janvier, un parent lui a dit que l’armée avait détruit sa maison et son oliveraie, ainsi qu’une vingtaine d’habitations situées à proximité. Ce qu’il a dit à Khaled ‘Azayzeh, chercheur de B’Tselem sur le terrain, illustre l’impact de la politique israélienne :

Je n’ai pas été surpris lorsque mon neveu me l’a annoncé, mais j’ai ressenti une profonde tristesse parce que j’ai perdu tous mes biens après des années d’efforts. J’avais mis tout ce que je gagnais dans la construction de la maison, qui a été démolie en quelques secondes. Je prévoyais de construire un autre étage pour l’un de mes fils et de bâtir une autre maison sur mon terrain. Je suis très inquiète, car je ne sais pas si nous pourrons retourner sur notre terrain et y construire à nouveau. Je suis née et j’ai grandi sur cette terre, ainsi que mon père et mon grand-père avant moi. Je n’ai pas d’autre maison.

https://www.btselem.org/gaza_strip/20240221_establishing_so_called_security_zone_in_gaza_is_a_war_crime
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Motaz Azaiza, photojournaliste :
« Il ne s’agit pas d’une guerre contre le Hamas.
Il s’agit d’une guerre contre le peuple palestinien »

Motaz Azaiza aurait dû être mort à l’heure qu’il est. La mort rôde dans les rues de Deir al-Balah, une ville située au bord de la Méditerranée, au centre de Gaza, où il a grandi, bien avant l’assaut israélien sur Gaza. Il l’a déjà frôlée par le passé : adolescent, il a été touché par un tireur d’élite israélien.

Lorsqu’Israël a lancé son offensive à Gaza après les attaques du Hamas du 7 octobre, Motaz Azaiza a pris son appareil photo et s’est rendu sur la ligne de front. Malgré son gilet de presse clairement identifié, il a évité de justesse, en décembre, d’être à nouveau touché par les forces israéliennes. Israël nie viser les journalistes mais, selon un groupe d’experts des Nations unies, plus de 122 journalistes et professionnels des médias ont été tués à Gaza jusqu’à présent : il s’agit du conflit le plus meurtrier pour les membres de la presse dans l’histoire récente.

« Israël n’autorise pas les journalistes internationaux à entrer dans la bande de Gaza et tue ceux qui font des reportages de l’intérieur », explique Motaz Azaiza. « Il s’agit d’une tentative délibérée d’occulter le récit palestinien et d’effacer la vérité ». Motaz Azaiza a passé 107 jours à documenter le conflit, au cours duquel 15 membres de sa propre famille, dont sa tante et ses cousins, ont été tués.

« Je me suis précipité pour faire un reportage sur un attentat à la bombe à proximité, avant de me rendre compte que la maison de ma tante avait été prise pour cible », raconte-t-il. « J’ai trouvé leurs corps démembrés éparpillés dans les rues et j’ai passé une journée à collecter les parties de leur corps. La force de l’explosion en avait anéanti d’autres, ne laissant aucune trace de leurs restes – des êtres humains entiers réduits à néant. »

Il ne compte plus le nombre d’amis qu’il a perdus.

Dans les jours qui ont précédé son évacuation à Doha, il raconte que des drones israéliens ont survolé sa maison et qu’il a commencé à recevoir des menaces de mort de la part d’inconnus. Les bombes étaient de plus en plus proches et de plus en plus fortes. Je restais éveillé dans mon lit en pensant : « D’un moment à l’autre, je serai le prochain », raconte-t-il.

Motaz Azaiza a survécu et, par un après-midi ensoleillé à Doha, le jeune homme de 25 ans regarde par la fenêtre la ligne d’horizon futuriste de la capitale brillante du Qatar, nichée le long de la côte du Golfe; un contraste saisissant avec la destruction qu’il a laissée derrière lui. « C’est étrange d’être ici », dit Azaiza. « Rien ne semble plus réel. »

Motaz Azaiza est né et a grandi à Deir al-Balah, une ville située au bord de la Méditerranée, au centre de Gaza. « Son nom signifie le monastère des dattes, en référence aux palmiers dattiers qui y poussaient en abondance », explique Motaz Azaiza, qui a étudié la traduction anglaise à l’université Al-Azhar [fondée en 1991] – qu’Israël a récemment bombardée.

Bien que Motaz Azaiza ait vécu de nombreuses offensives israéliennes, celle-ci a été de loin la pire. « Nous n’avons jamais rien vécu de tel », déclare-t-il. Grâce à son objectif, le reste du monde a pu assister à la dévastation de Gaza, souvent sous la forme de vidéos brutes et non filtrées de personnes tuées ou blessées. Ses images non retouchées ont gagné en popularité et il compte aujourd’hui plus de 18,5 millions de followers sur les réseaux sociaux.

« Je ne suis pas une célébrité et je ne voudrais jamais l’être. Avant cela, j’étais une personne très discrète », explique Motaz Azaiza, qui est désormais reconnu dans les rues de Doha et est régulièrement sollicité pour des selfies. Mais il se sent également protégé par le grand nombre de personnes qui le suivent. Lorsqu’il couvrait la guerre, il y avait des jours où il ne pouvait pas poster et où il retombait sur des hashtags viraux lancés par ses partisans qui exigeaient de savoir où il se trouvait. « Ils se sentent maintenant comme une famille », dit Motaz Azaiza.

Selon le ministère de la Santé de Gaza, plus de 28 000 Palestiniens ont été tués par Israël depuis octobre, la plupart étant des femmes et des enfants, tandis que 85% des 2,3 millions d’habitants de la bande assiégée ont été déplacés.

Comme de nombreux Palestiniens, Motaz Azaiza qualifie l’offensive israélienne à Gaza de génocide, une accusation qu’Israël nie. Dans une décision provisoire rendue le mois dernier, la Cour internationale de justice des Nations unies a ordonné à Israël de veiller à ce que ses forces ne commettent pas d’actes de génocide contre les Palestiniens de Gaza.

« Les gens ne font plus confiance aux grands médias », explique Motaz Azaiza. « Les journaux qui font des reportages à distance – même depuis Jérusalem – sont tellement éloignés de la réalité. Les médias sociaux ont permis aux gens de voir un génocide se dérouler en temps réel. »

L’année dernière, GQ Middle East (Dubaï) a présenté Motaz Azaiza comme l’homme de l’année 2023 en reconnaissance de son courage et de sa résilience. L’une de ses photos, montrant une jeune Palestinienne piégée sous les décombres après une attaque israélienne, a également été classée parmi les 10 meilleures photos de 2023 par Time.

Mais ce n’est pas pour ses photos de guerre que Motaz Azaiza veut être connu. « J’aimerais que les gens me connaissent pour mon art », dit-il. Avant la guerre, Motaz Azaiza réalisait des portraits de Palestiniens ordinaires faisant des choses quotidiennes : un vendeur de fruits au marché, un pique-nique sur la plage, des enfants se poursuivant les uns les autres dans une rue pavée. « Je voulais capturer la beauté de mon peuple », explique-t-il.

Motaz Azaiza a été évacué de Gaza le mois dernier, avec ses parents et ses frères et sœurs. La famille s’est rendue à l’aéroport égyptien d’El Arish, à 30 miles de la frontière de Gaza, et a été transportée à Doha à bord d’un avion militaire – c’était la première fois qu’ils prenaient l’avion. Mais l’excitation n’était pas au rendez-vous. « Nous sommes partis le cœur brisé », dit-il.

La culpabilité de quitter Gaza a fait des ravages chez Motaz Azaiza, qui ne cesse de penser à ceux qu’il a laissés derrière lui. « La nuit, je rêve que je suis encore là-bas. Je ferme les yeux et je suis hanté par les visages des enfants innocents enterrés sous les décombres. » Pendant la journée, des tâches routinières telles que faire des courses ou se promener sont interrompues par des flash-back soudains des horreurs dont il a été témoin. « Les fantômes de Gaza me suivent partout où je vais », dit-il.

Un incident particulier l’empêche de dormir. Un matin, pendant la guerre, Motaz Azaiza est sorti de chez lui avec son appareil photo, prêt à photographier les conséquences d’une frappe aérienne israélienne la veille. « Soudain, j’ai trébuché sur quelque chose et je suis tombé », raconte-t-il.

En essayant de se relever, il s’est rendu compte qu’il était tombé sur le cadavre d’un voisin âgé, en partie caché par des décombres. « Je n’ai pas pu contenir mes émotions », raconte-t-il. « J’ai commencé à hurler dans la rue. Je connaissais cet homme depuis mon enfance. C’était la personne la plus gentille et la plus douce que l’on puisse rencontrer. »

Le déroulé de l’appareil photo de Motaz Azaiza est rempli d’images déchirantes, les unes après les autres, dont certaines qu’il ne peut se résoudre à partager publiquement; une photo montre le corps carbonisé et sans vie d’un bébé palestinien à qui il manque les deux yeux. Une autre photo montre des agents de santé triant des restes humains dans des sacs en plastique. « Mon cerveau n’a toujours pas assimilé correctement certaines des choses que j’ai vues », déclare-t-il.

Motaz Azaiza n’a guère d’espoir qu’Israël mette fin à son offensive dans un avenir proche ou que la Cour internationale de justice impose une pause aux combats. « Nous parlons de la plus haute juridiction de l’ONU et elle n’a même pas été en mesure d’obliger Israël à suspendre ses frappes aériennes ou à appeler à un cessez-le-feu permanent. Au cours des 75 dernières années, personne n’a été en mesure d’obliger Israël à rendre compte de ses crimes. Israël est encouragé par le soutien de pays tels que le Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui lui permettent d’agir en toute impunité. » En tant que journaliste, Motaz Azaiza est particulièrement indigné par la couverture du conflit par les médias occidentaux, qui, selon lui, fait preuve d’un parti pris évident.

Depuis son arrivée à Doha, Motaz Azaiza a rencontré des ministres, des diplomates et des représentants des médias. Il a fait part de son expérience directe de la guerre et a demandé un cessez-le-feu immédiat. Azaiza ne prévoit pas de s’installer au Qatar à long terme et espère un jour retourner à Gaza pour aider à la reconstruction de sa ville. « D’ici là, je continuerai à m’élever contre l’occupation et le génocide commis contre mon peuple », déclare-t-il.

« Pour être clair, il ne s’agit pas d’une guerre contre le Hamas », précise Motaz Azaiza. « Il s’agit et il s’est toujours agi d’une guerre contre le peuple palestinien. Le plan d’Israël est de nous enterrer ou de nous repousser, comme nous venons de le voir avec le bombardement de Rafah. Nous n’avons littéralement nulle part où aller. »

Motaz Azaiza exhorte le monde à ne pas détourner le regard. « En tant qu’êtres humains, nous avons tous la responsabilité de témoigner de ce qui se passe à Gaza. J’ai fait de mon mieux pour montrer au monde notre réalité, maintenant le monde doit montrer où il en est. Ce sont les gens ordinaires, hommes et femmes, qui ont le pouvoir de sauver ce qui reste de la Palestine. Notre appel est simple: nous voulons simplement vivre. »

Thalisma Begum
Article publié sur le site du Guardian le 16 février 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre)
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/motaz-azaiza-photojournaliste-il-ne-sagit-pas-dune-guerre-contre-le-hamas-il-sagit-dune-guerre-contre-le-peuple-palestinien.html

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En Cisjordanie, la guerre contre les Palestiniens

Entretien avec Samiha Hurraini, militante palestinienne des collines à sud d’Hébron

Samiha Hurraini, 24 ans, se décrit comme une jeune femme militante du village d’At-Tuwani, dans la région de Masafer Yatta, située dans les collines à sud d’Hébron. Titulaire d’une licence en littérature anglaise de l’Université d’Hébron, elle est la fondatrice de Mothers of Sumud, une organisation locale dont le but principal est d’autonomiser et de renforcer le rôle des femmes dans la communauté.

Le village de Samiha Hurraini, 24 ans, se décrit comme une jeune femme militante du village d’At-Tuwani, dans la région de Ma, situé sur les collines à l’entrée de la région désertique du Naqab/Negev, a joué un rôle important dans la résistance populaire palestinienne, étant l’un des principaux points de coordination des zones rurales de Cisjordanie. Avec le soutien de militant·es italien·nes, israélien·nes et juif·ives de la diaspora, présent·es dans le village depuis la seconde Intifada, les habitant·es palestinien·nes ont jusqu’à maintenant réussi à protéger leurs terres face à la violence des colons et aux stratégies de dépossession de l’État d’Israël. Depuis de nombreuses années, iels garantissent également l’accès à l’éducation aux enfants des hameaux les plus reculés de la région en les escortant quotidiennement jusqu’à l’école d’At-Tuwani. Au téléphone depuis son village natal, Samiha livre un récit de sumud (« résilience »), le cœur tourné vers Gaza.

Caterina Bandini : Quelle est la situation à At-Tuwani et à Masafer Yatta depuis le 7 octobre ?
Samiha Hurraini : À At-Tuwani et dans les autres villages aux alentours, la situation était déjà critique, mais après le 7 octobre elle a empiré, les gens subissant la violence des soldats et des colons qui tirent plus facilement. Ici, les bergers ont besoin de sortir tous les matins et tous les après-midis pour faire paître leurs moutons, mais cela devient impossible à cause des colons qui leur tirent dessus. C’est ce qui est arrivé à mon cousin Zakaria : un colon armé lui a tiré dessus en pleine journée au milieu du village, ce qui montre à quel point ils ont le pouvoir nécessaire et toute la protection pour tuer les Palestiniens de sang-froid et s’en aller. Personne ne les jugera.

Il est devenu impossible pour les enfants d’aller à l’école, pour les étudiants à l’université ou pour les femmes, de travailler la terre. Ils ont fermé les routes, il n’y en a qu’une seule qui est ouverte mais elle est en très mauvais état et beaucoup de gens n’arrivent même pas à atteindre l’hôpital ou les supermarchés. Le 7 octobre a déclenché une nouvelle guerre en Cisjordanie, en particulier à Masafer Yatta. Notre maison a été perquisitionnée à plusieurs reprises et ils ont tiré sur mon père devant chez nous.

Les colons s’habillent comme des soldats, mais nous savons que ce sont des colons : nous connaissons leurs visages parce que nous les confrontons sur nos terres tous les jours. En tant qu’activistes, on est pris pour cible, c’est l’occasion pour les colons de nous attaquer, nous et nos maisons, d’attaquer nos proches juste pour nous effrayer et faire en sorte qu’il soit dangereux pour nous de vivre ici. Le couvre-feu qui a été instauré contre nous nous empêche d’aller à Yatta, la ville la plus proche, pour répondre à nos besoins. La situation s’est aggravée avec le temps, lorsque l’armée a bloqué toutes les routes.

Donc l’école est fermée ?
Les enseignants venant de Yatta, l’école d’At-Tuwani ne fonctionne plus depuis le 7 octobre. Ils ont commencé à donner des cours en ligne, mais il est parfois difficile pour les gens d’ici d’avoir Internet ou une bonne connexion pour suivre les séances. Le directeur de l’école a été arrêté le premier jour après le début de la guerre. L’armée a pris l’habitude d’arrêter les voitures sur la route qui nous relie à Al-Birkeh, le village qui se trouve entre ici et Yatta. L’armée gère ces checkpoints, mais parfois les colons, qui sont toujours habillés en soldats, se joignent à eux. C’est l’occasion pour eux d’être plus actifs et d’attaquer plus de gens. Puisque les soldats et les colons bloquent les voitures et ne permettent à personne de passer, les enseignants ont décidé de s’arrêter au checkpoint et de venir à pied, ce qu’ils ont fait. Mais à leur retour, leurs voitures avaient été détruites par les colons. Les quelques fois où on a pu rouvrir l’école, les enfants des autres villages ne sont pas venus, par peur d’être arrêtés ou attaqués par des colons.

Qu’en est-il de la clinique d’At-Tuwani ?
Même avant le 7 octobre, la clinique ne fonctionnait qu’une fois par semaine et depuis le début de la guerre, elle ne fonctionne plus. Aujourd’hui, les médecins essaient de venir, mais à cause de la fermeture des routes les gens doivent marcher longtemps pour arriver ici. Il est devenu impossible d’accéder aux services de santé dans la région. Les gens doivent conduire sur la bypass road 317 [une route partiellement interdite aux Palestinien·nes], qui est pleine de colons et leur fait peur. En plus, l’armée confisque souvent les voitures et les colons de [l’avant-poste de] Havat Ma’on ou de [la colonie de] Carmel jettent des pierres sur les voitures palestiniennes [à plaque blanche et verte] qui passent.

Ton cousin Zakaria, comment va-t-il depuis l’attaque dont il a été victime le 13 octobre 2023 ?
Zakaria a passé quatre mois à l’hôpital. Il en est sorti il y a deux semaines, mais il est toujours en mauvais état. Il a l’air si faible : il pesait environ 87kg et n’en pèse plus que 58. Quand le colon lui a tiré dessus, la route menant à la ville était fermée. Il a reçu une balle dans l’estomac, il saignait, et il a quand même attendu pendant deux heures au checkpoint. Pour les soldats, c’était bien qu’il meure. Il a finalement réussi à atteindre l’hôpital de Yatta, qui ne dispose pas de beaucoup de services, et il y a passé environ deux semaines, dans des conditions terribles. Il avait besoin de sang 24 heures sur 24 et ils ne pouvaient pas le déplacer, de peur qu’il ne meure pendant le voyage. Au bout de deux semaines, ils l’ont emmené à l’hôpital d’Hébron, où il y a de meilleurs services, et il y est resté quatre mois. Il était seul, il ne pouvait même pas sortir pour voir des gens.

D’un point de vue plus personnel, comment ta vie a-t-elle changé depuis le 7 octobre ?
Wallah, il est très difficile pour nous de faire face à tout ce qui se passe en ce moment, parce que depuis quatre mois notre vie est comme gelée de tous les côtés. On ne peut même plus se déplacer, on ne peut même plus aller en ville, tout est devenu très difficile. Je m’inquiète tout le temps pour ma famille, pour les habitants du village, j’ai peur qu’ils se fassent tirer dessus et qu’ils soient tués. Par exemple, l’autre jour les soldats étaient en train de détruire au bulldozer un mur de pierre sur les terres de ma famille et j’ai eu très peur pour mon père et mon frère qui ont couru pour s’opposer à la démolition. Nous vivons dans la peur 24 heures sur 24.

Il est devenu si difficile pour nous d’imaginer où nous pouvons aller, à quoi ressemblera le futur. Mes frères et sœurs ne vont plus à l’école. Il n’y a pas de travail ! Ils ont révoqué tous les visas d’entrée pour les hommes qui travaillaient en Israël. Les gens n’ont pas de travail, pas d’argent, ils ne savent pas quoi faire de leur vie. C’est une période très difficile pour tout le monde, mais je sais que ce n’est pas aussi grave qu’à Gaza. Ce qui arrive à notre peuple, à nos frères, c’est trop. Les gens commencent à être trop fatigués par le silence du monde. J’ai beaucoup d’amis à Gaza et ils me disent à quel point c’est difficile pour eux. Ils n’ont pas de nourriture, pas d’eau, pas de vêtements, pas de maison. Nous pouvons prier pour eux, pour que quelqu’un les protège de tous ces morts, 25 000 en quatre mois ! Cela pourrait aussi arriver ici. C’est tellement difficile d’être ici et de ne rien pouvoir faire pour les aider. Nous avons honte, nous restons assis et nous ne pouvons rien faire.

Y a-t-il des gens qui sont partis ?
À At-Tuwani non, al-hamdu lillah. On fait face aux colons et aux soldats tous les jours, mais les gens sont forts. Nous nous rassemblons, nous avons commencé à nous relayer pendant la nuit : il y a des personnes qui restent éveillées tandis que d’autres dorment pour protéger au moins nos maisons des raids. À Masafer Yatta, trois familles sont parties parce qu’elles vivaient dans des grottes. Elles ont quitté leurs grottes et leurs villages parce qu’il n’y avait personne pour rester avec elles et qu’il y avait des raids de colons fous prêts à tuer. Les colons leur ont dit très clairement : « Si vous ne partez pas, nous brûlerons les grottes avec vous à l’intérieur ». Les gens ont senti que c’était trop dangereux, pour eux et pour leurs enfants, et ils sont partis. Ils sont allés à Yatta, la seule option c’est Yatta.

Y a-t-il des actions que vous pouvez mener pour faire face à la violence des colons et de l’armée ?
Wallah, ça fait peur. Si tu sors de chez toi pour aller dans ton jardin, ils peuvent te tirer dessus. Nous avons essayé une fois parce qu’ils ont rasé un jardin où nous faisions des activités. Mais dès qu’on s’est approché du jardin, ils ont commencé à tirer. Les colons ont planté des drapeaux israéliens partout sur nos terres, sur les terres de ma famille. Sur [la colline de] Khelly, où nous avons créé ce jardin, si près de la tombe de ma grand-mère, ils ont planté dix drapeaux après avoir rasé le jardin au bulldozer. Ils ont tout détruit : les arbres, les pierres, le puits d’eau, tout.

Qu’en est-il du collectif que tu as fondé, Mothers of Sumud ?
Le jardin de Mothers of Sumud était une idée pour soutenir les femmes et pour honorer la mémoire de ma grand-mère quand elle est décédée. Pour tout le monde ici, c’est une icône de la résistance non violente : elle s’est battue toute sa vie pour protéger cette terre. J’ai donc décidé de faire quelque chose pour ce jardin, d’en faire un endroit agréable où les femmes pourraient passer du temps. Aussi parce qu’ici il n’y a pas de parc ou d’endroit où les femmes peuvent se retrouver et se détendre. J’ai donc eu l’idée d’un jardin où nous pourrions planter beaucoup d’arbres. Bien sûr, l’objectif principal est de protéger la terre et de trouver un endroit où les femmes et les enfants puissent s’amuser. Nous avons commencé il y a trois ans, lorsque ma grand-mère était encore en vie, mais elle nous a quittés en cours de route et je lui ai en quelque sorte promis de continuer à faire ce que nous avions commencé ensemble. L’armée est venue et a détruit au bulldozer tout ce à quoi nous travaillions depuis trois ans.

Vous avez toujours moyen de vous rencontrer, avec les autres femmes du village et des villages autour ?
Oui, nous poursuivons les rencontres. J’ai lancé un autre projet de soutien psychologique pour elles car, depuis le 7 octobre, la situation des femmes est devenue très difficile, avec leurs maris et leurs enfants 24 heures sur 24 à la maison, sans aucune chance de trouver du travail. Elles n’ont même pas quitté la région depuis le 7 octobre : on parle de quatre mois passés à la maison et dans l’enceinte du village. J’ai lancé ce nouveau projet en faisant venir une psychologue pour faire quelques séances collectives, pour aider autant que je le peux. La psychologue avait l’habitude de venir en transports, ce qui signifie qu’elle s’arrêtait à Hébron, puis marchait un peu pour trouver un service jusqu’à Yatta, puis jusqu’à Al-Birkeh, pour enfin traverser la bypass road à pied. Un long voyage, mais al-hamdu lillah elle a réussi. Parfois elle a passé la nuit ici parce que la route était fermée et qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle. Les femmes qui ont participé aux rencontres étaient tellement heureuses que quelqu’un leur demande « Comment allez-vous ? Comment vous sentez-vous ? Comment passez-vous le temps ? Comment vont vos enfants ? », parce que tout le monde est occupé avec la guerre et personne ne s’occupe des femmes et des enfants, qui souffrent de cette situation.

Les militant·es israélien·nes et internationaux·ales sont-iels toujours présent·es dans la région ?
Des militants italiens sont revenus récemment, ils habitent dans le village. Depuis le 7 octobre, des Israéliens et des militants américains sont également venus documenter ce qui se passe. Les Israéliens et les internationaux sont les seuls à pouvoir se déplacer librement et ils ont également été violemment attaqués par des colons et des soldats qui leur demandaient pourquoi ils soutenaient les Palestiniens. Ils les détestent parce qu’ils s’opposent à l’occupation, ils leur ont tiré dessus, ils les ont arrêtés, ils les ont battus, comme cela a été le cas dans d’autres villages aussi.

Le 7 octobre n’a rien changé à notre relation. Même s’il y a un peu moins de gens qui viennent maintenant, c’est toujours une bonne chose qu’il y ait une présence internationale pour documenter la situation. La pression exercée sur les Palestiniens est moins forte lorsque des internationaux sont présents. Aujourd’hui, les colons se moquent de savoir qui tu es, quelle est ta nationalité ou ton passeport : ils s’en fichent, ils attaquent tout le monde. Mais au moins les Palestiniens peuvent sentir qu’il y a quelqu’un à leurs côtés, qu’ils ne sont pas complètement seuls comme à Gaza. Certaines personnes viennent dormir ici et documenter ce que font les colons. C’est important de montrer au monde ce qui se passe. Pour ça, la présence israélienne et internationale est très importante.

Qu’est-ce que devraient faire, d’après toi, les mouvements de solidarité internationale, notamment ici en Occident ?
Il faut faire pression autant que possible sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils ne restent pas silencieux et qu’ils prennent des mesures pour arrêter ce qui se passe. Nous remercions tous ceux qui sont solidaires de la Palestine et qui organisent plein de manifestations. Nous les voyons. Je reçois beaucoup de messages de solidarité de partout dans le monde. Il ne faut pas s’arrêter pour accentuer la pression et influencer les décisions des gouvernements.

Propos recueillis par Caterina Bandini
https://www.yaani.fr/post/en-cisjordanie-la-guerre-contre-les-palestiniens
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69843

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Le mouvement des colons, des ministres-colons et
leurs terrifiants plans d’après-guerre pour Gaza

Pour le mouvement des colons israéliens, l’incursion sanglante du Hamas du 7 octobre a représenté une véritable opportunité. Deux mois à peine après que les Forces de défense israéliennes (FDI) ont envahi la bande de Gaza, le noyau dur du mouvement des colons s’est réuni dans une salle de la ville portuaire d’Ashdod. Ces colons ne portaient pas de ruban jaune, couleur de la solidarité avec les otages. Ils ne s’adonnaient pas à des prières pour le retour des otages. Ils portaient la couleur orange et priaient pour une restauration différente: la reconquête de Gaza, l’expansion de la Grande Terre d’Israël et la dépossession d’un peuple entier.

La réunion d’Ashdod, le 22 novembre, préfigurait l’orgie de provocations qui s’est manifestée au Centre international des congrès de Jérusalem le 28 janvier [voir note 1 de l’article publié sur ce site le 29 janvier] : une parade pour un front ravivé qui réunit le groupe Nachala de la matriarche des colons Daniella Weiss [dont le but est d’établir « de nouvelles communautés en Judée et Samarie »], la lie de l’ancien terrorisme clandestin, sous la forme du militant condamné (mais gracié) Uzi Sharbag [membre de la Résistance juive qui planifiait dans les années 1980 la destruction du Dôme du rocher], les Likoudniks traditionnels et les partis semi-fascistes de Force (pouvoir) juive [Itamar Ben-Gvir] et du Sionisme religieux [Bezalel Smotrich]. Les T-shirts criards, les autocollants, les sautillements jubilatoires sont tous le reflet d’une attitude enhardie : la population de Gaza ne doit pas être traitée comme un peuple – avec le strict minimum fonctionnel de droits – mais comme un obstacle à piétiner grossièrement! Si leurs motivations immédiates peuvent être la soif de sang ou la gratuité des terrains et de la construction, leur objectif politique est de pérenniser leur ascension et leur pouvoir. « C’est notre dernière chance de reconstruire et d’étendre la terre d’Israël », a prévenu le ministre [du Tourisme] du Likoud, Haim Katz. La détermination politique s’aligne sur des possibilités réelles. Et l’air est chargé de la pestilence de la planification d’après-guerre. Dans tout cela, les Palestiniens n’existent pas.

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En voici un exemple. Le 10 janvier, Yinon Magal – qui a appartenu au même parti de droite dure que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, et qui a fantasmé à l’antenne sur la possibilité de tuer à la mitraillette ses collègues journalistes « comme le faisait Rocky » (il voulait dire Rambo) – a diffusé une proposition et une pétition censées avoir été compilées par les habitants de l’Enveloppe de Gaza [zones peuplées du district sud d’Israël voisinant sur 7 km la bande de Gaza], le périmètre protecteur des villes que le Hamas a percé le 7 octobre. Selon ce projet, le territoire palestinien serait réduit à deux minuscules districts séparés autour de Khan Younès et Deir Al Balah, le reste de la bande étant entouré d’une zone militaire d’un kilomètre de largeur, les districts les plus au nord étant consacrés à un parc industriel et à une promenade en bord de mer. Des promenades sur la plage pour les Juifs, des ghettos pour les autres. Le fait que la pétition qui accompagne le projet ait à peine recueilli 3000 signatures n’a pas d’importance. Ses auteurs agissent pour plaire à Dieu, pas à l’électorat.

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Le ministre des Affaires étrangères, Israël Katz, a quant à lui utilisé son temps précieux devant les plus hauts diplomates européens (Euronews, 22 janvier 2024) non pas pour approuver un règlement politique durable, mais pour présenter un bricolage digne d’un Etat du Golfe : une île artificielle draguée sur la côte gazaouie pour servir de « plaque tournante commerciale ». Katz ne s’est pas soucié d’expliquer l’utilité d’un port offshore pour un peuple sans foyer, pas plus qu’il n’a semblé comprendre qu’il ne lui appartenait pas de développer le littoral. (Les apparatchiks de l’Union européenne qui ont dû assister à cette présentation vidéo étaient « perplexes », ce qui signifie en langage diplomatique « extrêmement énervés »).

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Il reste environ deux millions de Palestiniens à Gaza. Leur existence devient chaque jour plus tragique et plus désespérée, mais ils sont encore assez nombreux pour retarder sérieusement le retour des colons. Il y a des plans pour cela aussi. Les Services de renseignement, qui donnent des conseils non contraignants au gouvernement israélien, ont suggéré dans un document d’orientation (cinq jours seulement après l’offensive du Hamas) que toute la population soit expulsée vers une « zone désertique » dans le Sinaï (+972 Magazine, 30 octobre 2023). Des efforts de propagande parallèles permettraient de faire comprendre « qu’il n’y a aucun espoir de retour ». L’Institut Misgav (Misgav Institute for National Security and Zionist Strategy), un groupe de réflexion de droite lié au Likoud, a publié une proposition similaire pour le « transfert » forcé de toute la population. Apparemment, le petit groupe messianiste Build Israel a réussi à présenter son propre document à des élus américains (Israel Hayom, 29 novembre 2023) – dont Joe Wilson, allié de l’AIPAC-American Israel Public Affairs Committee et membre républicain du Congrès de Caroline du Sud – suggérant que l’aide étrangère à des pays comme l’Irak et la Turquie soit conditionnée à l’acceptation de milliers de réfugiés palestiniens. Dans une déclaration accompagnant ce plan, les conspirateurs ont déclaré qu’il s’agirait là des « voies correctes, morales et humaines pour la réinstallation de la population de Gaza ».

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En tout état de cause, il est acquis que moins de Palestiniens – sans compter ceux qui ont déjà été tués – vivront dans leur patrie une fois que les Israéliens en auront fini avec eux! Appeler cela « moral et humain » ou une « migration volontaire » respire l’autodéfense préventive contre les entraves du droit international. Mais on peut faire confiance aux colons et à leurs alliés pour dire ce que d’autres n’oseraient pas. Lors de la conférence de Jérusalem du 28 janvier, le ministre israélien des Communications, Shlomo Karhi, a décrit exactement et clairement ce qu’ils entendent par là : « Volontaire », a expliqué Karhi, est « un état que vous imposez [à quelqu’un] jusqu’à ce qu’il donne son consentement ».

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Si Benyamin Netanyahou avait proposé des plans concrets pour l’avenir de Gaza, il y aurait moins de place pour les plans d’anéantissement sauvages des autres. Il ne l’a pas fait. Il ne fait aucun doute que lorsque le gouvernement dévoilera sa proposition, celle-ci contiendra la cruauté si ouvertement affichée ailleurs, simplement enveloppée dans le langage rassurant de l’apaisement et de la raison. C’est dans cette brèche que le mouvement des colons opère. « Netanyahou nous a laissé une ouverture », a déclaré Daniella Weiss le 28 janvier. « Il encourage cette pression. » Et c’est de Weiss et de son proche collègue Yossi Dagan, le maître de la Cisjordanie, que vient la véritable menace. Lorsqu’ils publient leurs cartes, avec des épingles soigneusement placées sur Gaza City, Khan Younès et Rafah, leur intention est étayée par des décennies d’expérience en tant que bras paramilitaire non officiel du projet israélien de construction de la nation.

Dans l’une des rares déclarations claires du gouvernement sur ses intentions d’après-guerre, le ministre de la Défense Yoav Gallant, fraîchement blâmé par la Cour internationale de justice [pour sa déclaration qualifiant les Gazaouis d’« animaux »], a déclaré qu’Israël ne réoccuperait pas la bande de Gaza. Il a également insisté sur la « liberté d’opération militaire », un régime de sécurité très semblable à celui de la Cisjordanie, qui rend la vie infernale aux Palestiniens et enhardit les colons qui les remplacent. L’expulsion des Palestiniens de leurs maisons et de leurs fermes en Judée et en Samarie commence généralement par la désignation d’un territoire comme « terre de prospection », « terre d’Etat », « zone militaire fermée » ou « zone de ti r», catégories approuvées par les tribunaux et appliquées par l’armée. Dans un sens morbide, ce processus typiquement « faux-légal » a déjà été réalisé à Gaza par des bombes aveugles et de la dynamite, sans qu’aucun ordre ou mandat ne soit nécessaire.

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Toute région tampon ou ligne de défense entourant dans l’après-guerre la bande de Gaza est précisément la zone convoitée par les colons comme incubateur d’une nouvelle phase de reconquête, ré-appliquant leurs méthodes et leur formation exercées dans les environs de Jénine et d’Hébron, cette fois sur une terre pulvérisée et déracinée, vidée de sa population. Là, ils peuvent installer leurs avant-postes et leurs blockhaus, qui seront suivis par des enclaves fortifiées, et créer un fait accompli: un réseau de « banlieues » et de villes de garnison dotées d’infrastructures essentielles telles que des autoroutes, des stations d’épuration et des lignes électriques que la police et l’armée n’ont pas d’autre choix que de défendre. L’ancien chef du Mossad, Tamir Pardo, a déclaré : « Des conneries », en réaction au sous-titre de la conférence du 28 janvier : « La colonisation apporte la sécurité ». « Ils ne nous défendent pas, a-t-il ajouté, c’est à nous de les défendre. » Ce qui est précisément le but recherché.

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L’armée israélienne est un filet de sécurité. Equipés de fusils fournis par l’Etat, les colons ne vivent que pour l’occasion de provoquer des affrontements qui sont le prétexte pour s’emparer d’encore plus de terres, et de faire couler encore plus de sang.« La violence continue et systématique exercée par les colons », a déclaré l’ONG israélienne B’Tselem, fait partie de la politique officielle d’Israël. Elle conduit à la prise de contrôle massive des terres agricoles et des pâturages palestiniens. Il est tout à fait approprié à notre époque néolibérale – et c’est une inversion ironique de l’économie des start-up technologiques israéliennes – que l’avant-garde de la brutalité de l’Etat soit « externalisée », comme le dit l’universitaire Tareq Baconi, « auprès de ses pionniers coloniaux » (The New York Review, 3 mars 2023, « Enforcing Apartheid in the West Bank »). Une telle méthode « n’est pas une rupture du monopole de l’Etat sur la violence; c’est la délégation de cette violence à des exécutants à la frontière» . Les colons se sont autoproclamés sentinelles des zones frontalières, à la fois guetteurs et avant-garde de l’Etat, alors même qu’ils se rebellent, avec une arrogance toute divine, contre le pays qu’ils espèrent étendre.

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L’aile politique des colons est beaucoup plus visible et puissante qu’elle ne l’était en 2005, lorsque des troupes ont été envoyées pour nettoyer des colonies comme le Gush Katif dans le cadre du « désengagement » de Gaza du gouvernement Sharon. A la Knesset, les personnages habituels comme Bezalel Smotrich et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir sont aidés par plusieurs Likoudniks de la fraction dominante dans leur tentative d’amender la loi passée sur le désengagement pour permettre la libre circulation des Israéliens dans la bande de Gaza. Ben-Gvir, quant à lui, est tout aussi content de tirer avec une arme de poing sur des manifestants que de menacer de retirer son parti du Pouvoir juif du gouvernement d’urgence et de faire s’effondrer la coalition de Netanyahou. Ces types ne sont pas des dissidents, mais les porte-parole d’une idéologie cultivée dans les colonies, qui aujourd’hui ferment la boucle pour s’imposer dans le courant dominant. Etaient présents à la conférence du 28 janvier près de la moitié de la coalition gouvernementale et cinq ministres en exercice.

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Néanmoins, on nous répète de ne pas prêter attention à ces maniaques et à ces fous. Ce ne sont que des charlatans, ces colons, bruyants mais sans importance; ne vous inquiétez pas et écoutez les adultes dans la salle. « Israël n’est pas sur le point de reconstruire des colonies dans la bande de Gaza », a déclaré le journaliste israélien Anshel Pfeffer, chef de file de l’école libérale et laïque [journaliste à Haaretz et membre de l’Institut Montaigne] ; les sondages ne les soutiennent pas, de toute façon – comme si les sondages d’opinion (ou la démocratie) importaient à ceux qui veulent hâter l’aube du jour du Jugement dernier. Pendant ce temps, les responsables des Etats-Unis affirment être très « troublés » par les menaces des colons et sont « sans ambiguïté » dans leur opposition, ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas si troublés que cela. L’administration Biden a envisagé de sanctionner Ben-Gvir et Smotrich [en fait quelques sanctions contre certains colons criminels, sans effets effectifs]. Ce faisant, elle a donné un coup de pied dans la fourmilière des colons.

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Il n’est guère réconfortant de savoir que chacune de ces déclarations fanfaronnes faites par un ministre-colon finira sur la feuille d’accusation de La Haye, preuve de la violation par Israël de l’ordonnance provisoire de la CIJ de ne pas inciter au génocide. Les colons continuent d’agir comme si le droit international et national était aussi pertinent à leurs yeux que les vies palestiniennes. Dans leur guerre sur deux fronts contre la laïcité de l’Etat israélien et contre la nation palestinienne, ils complotent pour une « fin rapide », comme l’a dit Bezalel Smotrich dans son « Plan décisif » de détraqué, publié en 2017 : un aboutissement pour la phase de « gestion du conflit » qui a vu Netanyahou empêcher les efforts d’autodétermination pendant des décennies au prix de l’instabilité, et une fermeture complète sur la possibilité d’un règlement juste. Smotrich exige « la souveraineté totale d’Israël ». « Toute solution doit être basée sur la suppression de l’ambition de réaliser l’espoir national arabe entre le Jourdain et la Méditerranée ». Parler de  «solutions » impliquant l’éradication ou le déplacement d’un peuple rappelle les plus mauvais souvenirs historiques, et il est presque de mauvais goût de mettre le mot « final » devant ce terme. Mais lorsque Smotrich et les colons disent qu’ils veulent que cet état de fait soit « irréversible », il est difficile de penser à autre chose.

James Robins
James Robins est un historien. Ses écrits ont été publiés dans The New Republic, Vulture et The Times Literary Supplement.
Article publié sur le site 
The New Republic, le 19 février 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/palestine/le-mouvement-des-colons-des-ministres-colons-et-leurs-terrifiants-plans-dapres-guerre-pour-gaza.html

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Soutien aux universitaires et chercheur·es –
Pour la fin des massacres en Palestine

Nous, enseignant·es, chercheur·es et étudiant·es de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, assistons avec effroi à des massacres incessants de populations civiles depuis octobre dernier : 1140 morts (dont 36 enfants) en Israël lors des terribles attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas, et à ce jour et à ce jour près de 30 000 à Gaza (dont 70% d’enfants et de femmes), plus de 70 000 blessés et 1,9 millions de personnes forcées de se déplacer (soit 85% de la population de la bande de Gaza). En Cisjordanie occupée, on dénombre 393 personnes tuées (dont 100 enfants)  et un harcèlement permanent de la population par les colons et l’armée israélienne. 

Nous sommes face à une spirale de la violence sans précédent et que rien ne semble arrêter. La ville de Gaza et les autres noyaux urbains sont en cours de destruction : logements, réseaux de distribution d’eau, hôpitaux, écoles, universités, lieux de culte, etc. Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU et selon RSF, qui a porté plainte à la CPI pour le massacre et le ciblage des journalistes à Gaza, des dizaines de journalistes auraient été tués. Les risques de famine et d’épidémie se multiplient et l’aide peine à arriver. La catastrophe humanitaire est en cours et doit être stoppée.

Dans un tel contexte de douleur et de souffrance, nous exprimons notre solidarité avec les étudiant·es, personnels administratifs, universitaires et chercheur·es qui sont touché·es de près ou de loin par le conflit israélo-palestinien.

Nous tenons à rappeler notre attachement aux libertés académiques, au Moyen-Orient et en France, loin des discours partisans et essentialistes.

Nous exprimons ainsi notre solidarité avec les étudiant·es, personnels et enseignant·es des universités palestiniennes affectées par ce conflit, qu’il s’agisse de la destruction des universités à Gaza ou de la multiplication des barrages empêchant leur libre fonctionnement en Cisjordanie occupée. Nous apportons aussi notre soutien aux universitaires et étudiant·es israélien·nes anticolonialistes qui sont menacé·es de sanctions disciplinaires, incluant licenciement ou exclusion, et les campagnes d’intimidation des étudiant·es d’origine palestinienne.

En France, nous soutenons les chercheur·es et universitaires qui travaillent sur la région afin que tou·tes puissent s’exprimer librement, sans contrainte administrative et politique qui vienne les intimider. Nous réaffirmons notre attachement à la liberté d’expression scientifique, à l’analyse critique et aux débats contradictoires, sources de tout savoir.

Nous condamnons tout acte ou propos raciste, antisémite ou islamophobe, et dénonçons également toute instrumentalisation de ces termes à des fins partisanes de manière à empêcher toute analyse critique et scientifique de la guerre en cours et du conflit israélo-palestinien en général.

Nous joignons notre voix aux appels aux cessez-le-feu immédiat, exigeons la libération des otages israéliens et des « détenus administratifs » palestiniens sans inculpation ni procès, dont nombre d’enfants, et réclamons que la voie militaire mortifère laisse place à une solution politique dans le respect du droit international.

Voir les premier·es signataires : 
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/220224/soutien-aux-universitaires-et-chercheur-es-pour-la-fin-des-massacre

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BANDE DE GAZA. La Cour juge que la Bande de Gaza connaît une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle
Par une décision du 12 février 2024, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) accorde l’asile à un ressortissant originaire de la Bande de Gaza en raison de la situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle y sévissant.

http://www.cnda.fr/La-CNDA/Actualites/BANDE-DE-GAZA.-La-Cour-juge-que-la-Bande-de-Gaza-connait-une-situation-de-violence-aveugle-d-intensite-exceptionnelle
Thomas Vescovi : Existe-t-il un camp de la paix en Israël ?
Alors que l’armée israélienne multiplie les crimes dans les Territoires palestiniens, rares sont les voix en Israël prêtes à appeler à un cessez-le-feu. Au traumatisme évident du 7 octobre 2023, s’ajoutent les contradictions qui traversaient déjà pendant les « années Oslo » le camp de la paix israélien et qui n’ont pas disparu. Une partie de la gauche préférant encore s’exonérer de toute responsabilité dans la situation actuelle.
https://www.yaani.fr/post/existe-t-il-un-camp-de-la-paix-en-israël
Face à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, la Belgique propose de ne plus acheter de produits des colonies
https://www.rtbf.be/article/face-a-loccupation-israelienne-des-territoires-palestiniens-la-belgique-propose-de-ne-plus-acheter-de-produits-des-colonies-11332405

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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