Célébration du 8 mars à Istanbul : des milliers de femmes défient le pouvoir turc

Manifestation féministe à Istanbul : les femmes turques revendiquent avec détermination leurs droits et s’opposent vigoureusement à l’orientation conservatrice adoptée par Erdogan.

En cette soirée du 8 mars 2024, quelques milliers de femmes bravent la pluie et les collines d’Istanbul pour se rassembler aux portes de la place Taksim, lieu historique de protestation politique, scrupuleusement gardée par les forces de l’ordre. Les stations de métro desservant la place sont fermées depuis 14 heures.

« Je suis ici pour défendre les droits des femmes, depuis quelques années cet événement est important . Les femmes se rassemblent sans la présence des hommes pour discuter de leurs droits. En Turquie, chaque jour des femmes connaissent une fin tragique, la question de la violence contre les femmes est cruciale. »

Après quelques minutes d’attente, des groupes de femmes parviennent à se frayer un chemin à travers les ruelles de Taksim, entre des policiers effectuant des fouilles de sacs et interrogeant les manifestantes. Elles finissent par se retrouver rue Siraselviler et forment un cortège enthousiaste, prêt à faire valoir ses droits.

« Avec Erdogan, nous sommes en danger »
« L’akp promeut un islam radical, je suis musulmane mais Erdogan se montre parfois plus extrême que l’Arabie saoudite. Avec lui nous sommes en danger », m’affirme une étudiante de 21 ans.

Point de vue partagé par cette médecin généraliste de 65 ans, militante féministe de la première heure, elle explique : « Je pense qu’en Turquie nous sommes confrontés au fascisme islamique. Ils [le pouvoir] sont sous la pression de leurs propres électeurs et tentent de remodeler le mode de vie de la Turquie selon un modèle islamique. Ils se sont retirés de la Convention d’Istanbul et poussent de plus en plus les femmes à retourner à des rôles traditionnels au sein du foyer, plutôt que de les encourager à participer à la vie sociale. »

La convention d’Istanbul, un traité international adopté par la Turquie en 2011 visait à protéger les femmes et les individus LGBT contre toute forme de violence. L’AKP a jugé que cette convention menaçait les valeurs traditionnelles de la famille turque. Fahrettin Altun, le chef de la communication du palais présidentiel, avait alors affirmé que ce texte de loi tentait de « normaliser l’homosexualité (…) » incompatible avec les valeurs sociales et familiales de la Turquie, le gouvernement d’Erdogan avait annoncé le retrait de la Turquie de la convention d’Istanbul en mars 2021.

Mais ce soir la foule est dense et enjouée, les visages sont presque exclusivement ceux de femmes, pour la plupart très jeunes. Leurs corps s’animent au rythme des tambours, des youyous, et des slogans qui résonnent en turc ou en kurde : « La rébellion contre tout ! La liberté contre tout ! » Certains, plus graves, préviennent : « Nous ne nous suicidons pas, nous ne nous taisons pas, nous n’avons pas peur ».

« Je suis fière qu’on me qualifie de terroriste, cela signifie que je les terrorise. »
Les manifestantes sont déterminées à défendre leurs droits qui ne cessent d’être remis en question par un gouvernement qui courtise toujours plus activement les partis les plus conservateurs et nationalistes de la société. Après la convention d’Istanbul, c’est la loi n°6284, également connue sous le nom de « Loi sur la protection des membres de la famille contre la violence » qui est remise en cause.

« Les manifestations sont criminalisées, c’est la manière la plus facile d’étouffer tout mouvement, pas seulement les féministes » déclare la militante.

« Il a peur des femmes, car nous avons un pouvoir considérable. Il y a actuellement beaucoup de policiers que nous n’avions pas vus lors du tremblement de terre. » déplore une jeune femme qui vient tout juste de rentrer dans la vie active. C’est aussi l’avis de l’une des rares présences masculines sur place : « En Turquie, la plupart des hommes ont peur d’aller manifester, ça n’est pas le cas des féministes et cela inquiète le gouvernement ».

En moins de deux heures, nous croisons deux femmes ayants eut des problèmes judiciaires, l’une est journaliste, elle a passé un an en prison ; la seconde vient juste de finir ses études, elle confie : « J’ai des problèmes avec le gouvernement. J’ai été devant le tribunal, je ne peux pas participer à des manifestations ni m’engager dans des activités considérées comme illégales. Je dois conserver un casier judiciaire propre pendant cinq ans, sinon je risque une peine de prison de huit mois. » Ces intimidations la préoccupent, mais ne l’empêchent pas de revendiquer haut et fort des droits pour les femmes. Elle ajoute : « Ils disent que je suis terroriste et j’en suis fière (…) car cela signifie que je les terrorise. »

Pareillement, la journaliste de 54 ans parait résolue à lutter, elle n’a pas peur d’aller manifester « J’ai déjà passé un an en prison pour mon implication dans une autre organisation de jeunesse, donc je suis habituée. Il y a beaucoup de jeunes femmes ici, et elles sont très fortes. »

Dans un pays où les mouvements contestataires se terminent souvent dans le sang, c’est avec admiration pour certains et perplexité pour d’autres que les passants observent le cortège qui se met en marche. Au-dessus de cette foule compacte parsemée de violet, symbole du combat féministe, flottent des drapeaux arc-en-ciel, tandis que des pancartes pailletées sont brandies. Sur l’une d’entre elle on peut lire : « Tu devrais avoir peur car cette foule brûle les hommes et les palais. »

Au même moment, la première dame de Turquie, Emine Erdogan, déclarait au « Sommet du travail des femmes dans l’agriculture » où le gouvernement l’avait mandatée en s’adressant à son auditoire féminin : « D’une part, vous maternez notre nation en nourrissant votre patrie, et d’autre part, vous protégez les droits de nos enfants à naître. » Une autre façon de célébrer le 8 mars…

La foule s’est dispersée à Cihangir presque sans heurts aux alentours de 22 heures. Les forces de l’ordre ont continué à patrouiller pendant plusieurs heures et ont escorté les femmes quittant la manifestation, empêchant ainsi la formation de nouveaux cortèges.

Elsa Galland 
https://blogs.mediapart.fr/elsagn999/blog/090324/celebration-du-8-mars-istanbul-des-milliers-de-femmes-defient-le-pouvoir-turc

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8 MARS EN TURQUIE. Les femmes mobilisées pour leurs droits

TURQUIE / KURDISTAN – Les femmes de toute la Turquie se sont mobilisées pour revendiquer leurs droits à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, avec des manifestations d’Istanbul jusqu’aux régions kurdes. Les femmes ont également bravé les tentatives d’interdiction des marches nocturnes féministes qui ont de nouveau été attaquées par la police turque.

Les femmes du monde entier sont descendues dans la rue vendredi pour revendiquer leurs droits à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes La Turquie, depuis les villes kurdes jusqu’à ses régions occidentales, n’a pas fait exception, avec d’importantes manifestations dans tout le pays.

Certains rassemblements ont été marqués par les tentatives du gouvernement turc de les réprimer, qui se sont heurtées à une forte résistance de la part des femmes.

À Istanbul, les étudiantes de l’Université d’Istanbul se sont rassemblées sur le campus avant de marcher vers la place Beyazıt, scandant en faveur des droits des femmes. Cependant, leur manifestation pacifique s’est heurtée à l’opposition des forces de l’ordre turques, qui ont d’abord tenté d’interdire la marche, puis ont eu recours à la force pour disperser les participantes, ce qui a entraîné l’arrestation violente de nombreuses étudiantes.

À la veille de la Journée internationale de la femme, des femmes se sont rassemblées dans la ville méridionale de Mersin pour pleurer la mort de Merve Bayar, qui a été mortellement agressée par son ex-mari, un policier. Les participantes, qui portaient solennellement le cercueil de Bayar, se sont engagées à demander justice pour sa mort, notamment Perihan Koca, députée de Mersin du parti Égalité des peuples et démocratie (DEM Parti).

Dans la capitale Ankara, un groupe de solidarité formé pour soutenir le candidat co-maire du parti DEM pour la municipalité métropolitaine d’Ankara, la femme politique emprisonnée Gültan Kışanak, a envoyé un message ferme de soutien à toutes les femmes et a réaffirmé l’engagement inébranlable de Kışanak envers la cause.

Les régions à majorité kurde de Turquie ont également connu une large participation aux célébrations du 8 mars, avec des rassemblements et des festivals dans 15 villes attirant de grandes foules. Avant ces rassemblements, les femmes se sont rassemblées lors de festivals dans de nombreux centres pour honorer collectivement l’occasion.

À Diyarbakır (Amed), l’esprit de la Journée internationale de la femme a profondément résonné, le coprésident du parti DEM, Tülay Hatimoğulları, ayant déclaré : « Nous, les femmes, défendrons la vie à Istanbul et à Amed ».

Des villes kurdes telles que Mardin (Merdin), Van (Wan), Kars (Qers), Hakkari (Colemerg), Şırnak (Şirnex) et Şanlıurfa (Riha) ont été témoins de grands rassemblements au cours desquels les intervenantes ont souligné la nécessité de lutter contre la violence à l’égard des femmes et la lutte en cours pour les droits, les libertés et la vie des femmes, soulignant le rôle central du 8 mars dans ces efforts.

Les femmes ont également bravé les tentatives d’interdiction des marches nocturnes féministes qui ont de nouveau été attaquées par la police turque.

https://kurdistan-au-feminin.fr/2024/03/08/8-mars-en-turquie-les-femmes-mobilisees-pour-leurs-droits/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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