Du coté du jazz (mars 2024)

Mémoires vivantes : Adrien Varachaud
On ne peut pas dire que le saxophoniste Adrien Varachaud encombre les bacs des disquaires – ceux qui restent -, un album en leader sorti en 2009 aurait dû faire sensation. « Strange Horn », titre mystérieux de même que le Unity Quintet réuni par ses soins. Une musique centrée sur l’unité des mémoires du jazz. Le second marquera l’année 2024 – Bonne Année ! – au titre peut-être prémonitoire « Time to see the light », temps de voir la lumière. L’invité d’honneur, vocaliste pour cette fois, Archie Shepp, exprime de nouveau la réunion des jazz. Au soprano, Adrien trace, avec son quartet de stars – Kirk Lightsey, au piano, Darryl Hall, à la contrebasse et Don Moye, batterie et percussions – un chemin lumineux. Les braises ne demandent qu’à être rallumées… Les bibliothèques transportées par ces musiciens ne demandent qu’à être consultées pour faire miroiter d’autres trésors, d’autres compréhensions, d’autres ouvertures. Une musique classique qui prend ses origines dans la souffrance, l’angoisse et le bonheur de créer ensemble une musique née pour renverser toutes les montagnes qui séparent les êtres humains.

Adrien joue et se joue de toutes ces références pour construire une route vers la réalisation de ses (nos) rêves, d’une musique universelle. Mis à part Archie Shepp, dépositaire de la majeure partie de l’histoire, de la mémoire du jazz, Don Moye représente l’Art Ensemble of Chicago – leur venue à Paris fut un grand événement dans cet après mai 1968 – et au-delà l’AACM, réunion qui se voulait association pour ouvrir de nouveaux horizons, qui existe toujours, Kirk Lightsey a participé à une multitude de groupes comme Darry Hall pour offrir une synthèse d’une musique qui arrive à se renouveler.

Ne le ratez pas. Ne ratez pas cet album sinon – même si vous ne le saurez jamais, vous le regretteriez.
Adrien Varachaud Quartet : Time to See the Light, Jazz Family/Socadisc


Voyage dans les standards en compagnie d’un trio
Jim Snidero, saxophoniste alto – un instrument qui fut du cirque en son jeune âge -, s’est décidé à former un trio sans piano. C’est rare pour un altiste et c’est une première pour Snidero. Sonny Rollins, Joe Henderson et d’autres ténors nous y avaient habitué, mais pas les altistes. Pour cette première tentative, il s’est appuyé sur les standards, ces épaves de la culture américaine et mondiale qu’il faut, comme Sisyphe avec son rocher, reconstruire à chaque fois.

« For all we know » – pour tout ce que nous connaissons – est le titre qu’il fallait. Se promener dans ces compositions connues – surtout par le jazz – permet tous les écarts, toutes les transgressions pour mieux rendre compte de leur éternité. L’alliage tradition et modernité que permet l’improvisation sans la limite du piano, et la sonorité reposée de l’alto sans l’expressionnisme parkérien ou coltranien, comme un Albert Ayler qui aurait trouve une paix précaire dans un monde dépassé par sa propre violence. Le choix même des thèmes exprime la résistance face aux explosions qui sont notre lot quotidien. Les trois compères – Peter Washington, basse, Joe Farnsworth, batterie – se passent le témoin, lancent des idées pour construire un univers spécifique. La reprise de « Naïma », une des grandes compositions de Coltrane, signe une réussite d’un trio promis à un bel avenir.
Jim Snidero trio : For all we know, Savant Records distribué par Socadisc.


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La batterie comme le miroir d’une vie
Alain Gerber, romancier et, surtout, passionné de jazz, une musique qui l’a fait écrire encore et encore pour rêver les biographies, pour faire naître de chaque rencontre de disques la poésie nécessaire. Critique de jazz il fut et demeure pour alimenter les découvertes de musiciennes, musiciens jamais dépassé.e.s qui, toujours, nous rattrapent.

Il est aussi batteur toujours amateurs, toujours en apprentissage. « Deux petits bouts de boisé », sous titrée pour approfondir le mystère « Une autobiographie de la batterie de jazz » tient le pari de dessiner le parcours de l’auteur tout en parlant apparemment de la rencontre difficile avec cet instrument créé par le jazz et pour le jazz qui ne se laisse pas dompter facilement et qui demande l’éternité pour réaliser le tour de force de l’autonomie des quatre membres.

Alain Gerber dénombre les baguettes différentes qu’il a achetées quelque fois sans les utiliser, reprenant des baguettes dépassées par on ne sait quelle évolution technologie, le choix de la caisse claire, des toms tout en évoquant les batteurs de notre temps, ces maîtres des horloges capable de triturer les durées pour transformer notre environnement.

Un art subtil de la digression pour réalise une autobiographie qui n’en est pas une tout en l’étant tellement pour en dire beaucoup sur l’homme et sa manière d’écrire.

Il fallait bien pour parler de soi, parler d’une chose que l’on croit inanimée mais, comme disait le poète, qui a une âme pour se situer, pour en tirer quelques éléments clés d’une vie en l’illustrant par le parcours de quelques grands batteurs. Il ne faut pas s’y tromper, Alain Gerbert ne fait pas ici l’histoire ni de la batterie ni des batteurs mais de la lutte à mener pour arriver à créer son propre monde.

Je ne sais s’il y arrive vraiment. La tentative, elle, emporte l’adhésion. Et le jazz en sort grand vainqueur toute catégorie confondue.
Alain Gerber : Deux petits bouts de bois, Frémeaux et associés.

Nicolas Béniès

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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