Une punition collective, un terrible traumatisme… (et autres textes)

  • Prendre les travailleurs.euses essentiel.le.s et les infrastructures civiles de Gaza pour cibles est une attaque contre nous tous.tes.
  • AFPS : Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale : mettre fin au génocide et à l’apartheid israélien
  • Orly Noy : Faculté des sciences répressives de l’Université hébraïque
  • Israël : contre la décision de suspendre la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian
  • Appel des travailleurs et travailleuses palestiniennes à l’occasion de la journée de la terre : lutter pour notre liberté. Lutter pour notre terre.
  • B’tselem : Déc. 2023 : Israël poursuit sa politique meurtrière de tirs à balles ouvertes en Cisjordanie, tuant 62 Palestiniens, dont plus de la moitié n’ont mis personne en danger.
  • Samer Badawi : « L’humanitarisme de salon » : le problème du corridor d’aide maritime de Gaza
  • Iman Husain : Gaza. « Une punition collective qui inflige un terrible traumatisme sur les femmes enceintes et l’avenir de leurs enfants »
  • Le gouvernement israélien déclare que 8 000 dunams de la vallée du Jourdain sont des terres domaniales
  • Amira Hass : La bande de Gaza a été détruite. En tant que juive de gauche née en Israël, j’éprouve un profond sentiment de chagrin et de défaite

Prendre les travailleurs.euses essentiel.le.s et les infrastructures civiles de Gaza pour cibles est une attaque contre nous tous.tes.

12 mars, 2024. Alors que la guerre à Gaza se poursuit, les fédérations syndicales internationales mettent en lumière la crise à laquelle les travailleurs et travailleuses sont confrontés dans tous les secteurs économiques. Par le biais d’une série d’essais et d’articles sur nos sites web, nous souhaitons exposer l’impact dévastateur du conflit sur les moyens de subsistance, la sécurité et le bien-être des travailleurs et travailleuses, tout en soulignant la nécessité urgente d’un cessez-le-feu. Dans la mesure du possible, nous donnerons des informations sur la manière dont vous pouvez agir pour aider ces travailleurs et travailleuses à Gaza.

Dans toute la bande de Gaza, les agents des services publics sont confrontés à des scènes de dévastation inimaginables : 392 établissements scolaires détruits, 132 puits d’eau hors d’usage, 24 hôpitaux mis hors service et les 11 restants ne fonctionnant que partiellement. L’ensemble du réseau énergétique reste hors d’usage en raison des restrictions d’importation de carburant et des coupures de lignes extérieures. Le manque d’électricité a contraint les usines de dessalement et de traitement de l’eau à fermer, les eaux usées s’écoulant ouvertement dans les rues. Le manque d’installations de lavage oblige de nombreuses femmes à prendre la pilule pour retarder leurs menstruations.

Pourtant, au milieu des décombres et des ruines, ils.elles ne renoncent pas. Les travailleurs.euses du secteur de l’eau se démènent pour éviter la déshydratation après la destruction des canalisations et des nappes aquifères. Les médecins et les infirmières sauvent des vies tout en craignant pour la leur. Les travailleurs.euses humanitaires sont confronté.e.s à l’impossible tâche de nourrir et de loger une population déplacée de la taille de la ville de Barcelone, dans une « zone de sécurité » de quelques kilomètres carrés.

Gaza est désormais l’endroit le plus dangereux au monde pour exercer la médecine, avec plus de 340 professionnel.le.s de la santé décédé.e.s. Plus de 150 membres du personnel des Nations unies ont été tués, ce qui représente le plus grand nombre de morts dans un conflit en 78 ans d’histoire de l’organisation. Comme le dit Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : « Dans quel monde vivons-nous lorsque les populations n’ont pas accès à la nourriture et à l’eau, lorsque les travailleurs.euses de la santé risquent d’être bombardé.e.s alors qu’ils.elles effectuent leur travail de sauvetage ? ».

Les pertes civiles ont été aggravées par des attaques contre des lieux tels que des associations juridiques, des universités, des sièges de syndicats, des télécommunications, des routes, des tours d’habitation et même des bâtiments de l’ONU. Une source des services de renseignement israéliens aurait déclaré que la motivation première de ces attaques était de causer des « dommages à la société civile ». Une autre source déclare : « Rien n’arrive par hasard. Lorsqu’une fillette de trois ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé qu’il n’était pas grave qu’elle soit tuée – que c’était un prix qui valait la peine d’être payé pour atteindre [une autre] cible. »

Il n’est pas nécessaire de répéter que les attaques contre les civils et les infrastructures non militaires sont illégales au regard du droit international des droits humains. Tous les gouvernements et acteurs ont l’obligation, en vertu des Conventions de Genève, de protéger les civils, en particulier celles et ceux qui fournissent des services vitaux dans les zones de conflit. Rendre les droits humains facultatifs ou dépendant du contexte envoie un message dangereux, met en danger les travailleurs.euses des services publics et porte atteinte aux droits de chacun.e d’entre nous.

Lors de notre 31ème Congrès mondial, qui s’est tenu à Genève du 14 au 18 octobre 2023, l’Internationale des Services Publics (ISP) a condamné les attaques terroristes du 7 octobre menées par le Hamas, qui ont fait plus d’un millier de morts, et a demandé la libération de tous les otages. Nous avons également noté que la réaction d’Israël de punir collectivement l’ensemble de la population de Gaza pour les actions du Hamas n’était pas justifié et nous avons appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la fin du blocus illégal.

« La situation est catastrophique et ne fait qu’empirer »

« En janvier, la Cour internationale de Justice a estimé qu’il était plausiblequ’un génocide se produise à et a ordonné à Israël de prendre des mesures. Pourtant, de hauts fonctionnaires occidentaux déplorent qu’il n’y ait eu que peu ou pas d’améliorations, l’un d’entre eux ayant déclaré, selon The Guardian, que « la situation est catastrophique et ne fait qu’empirer » Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation déclare qu’« Israël détruit les infrastructures civiles, le système alimentaire, cible les travailleurs.euses humanitaires et permet un tel degré de malnutrition et de faim ».

Les témoignages de nos collègues à reflètent cette évaluation. En décembre, l’ISP a fait entendre la voix d’Ilias Al-Jalda, Vice-Président du Syndicat général des travailleurs.euses de la santé de Gaza, lors d’une réunion d’urgence de l’OMS, afin de garantir que les travailleurs.euses de la santé soient entendu.e.s dans ce débat au plus haut niveau. À l’époque, il ne pouvait pas quitter et se réfugiait avec sa famille et sa mère âgée dans une église sous les bombardements. Il a décrit aux dirigeants mondiaux comment « la bande de est devenue un lieu où sont régulièrement violés les droits humains ».

Actuellement, 90% des enfants et des femmes enceintes de sont confronté.e.s à de graves pénuries de nourriture et d’eau. Les professionnel.le.s de la santé signalent que des enfants meurent de déshydratation, de malnutrition et de maladie, et que des centaines de milliers d’autres sont menacés. Le Dr Salama Abu Zaiter nous raconte : « Même avant la guerre, notre syndicat militait en faveur de la construction d’un hôpital à Rafah, qui faisait cruellement défaut. Aujourd’hui, 1,5 million de personnes s’y trouvent, dont de nombreux enfants souffrant de blessures graves et de maladies que nous sommes tout simplement incapables de traiter. »

Pourtant, 16 pays qui financent l’UNRWA, la principale agence d’aide des Nations unies à Gaza, ont suspendu leurs paiements à la suite d’allégations israéliennes selon lesquelles 12 personnes parmi les 30 000 employé.e.s de l’organisation avaient des liens avec l’attentat du 7 octobre. Ces personnes ont été immédiatement licenciées et, bien qu’Israël doive encore fournir à l’ONU des preuves à l’appui de ces allégations, des enquêtes sont en cours.

De nombreux travailleurs.euses des services publics vous le diront, c’est une tactique courante de la droite réactionnaire que de dénoncer les services publics lorsque des personnes qui y travaillent commettent, ou sont supposées avoir commis, un crime. Il s’agit d’une tactique de manipulation utilisée de manière répétée à des fins politiques par ceux qui veulent saper la fourniture de services publics vitaux et réduire leur financement. Ce n’est pas acceptable dans nos propres pays, et ce n’est pas acceptable à Gaza.

Le Council of Global Unions a clairement déclaré : « La population de Gaza et nos membres dépendent de l’aide vitale apportée par l’UNRWA ». L’UNRWA coordonne 98,5% de tous les travailleurs.euses humanitaires de l’ONU à Gaza. Sa fermeture serait catastrophique pour les cinq millions de réfugié.e.s qu’il soutient en Palestine, au Liban, en Jordanie et en Syrie, et risquerait d’alimenter une crise régionale. En Australie, le Conseil australien des syndicats a appelé le gouvernement travailliste à rétablir d’urgence le financement de l’UNRWA. L’Union européenne a déjà rétabli ses contributions à l’UNRWA, et d’autres pays doivent faire de même.

En temps de guerre, les travailleurs.euses essentiel.le.s et les services publics sont souvent tout ce qui sépare la vie de la mort. Ce conflit démontre la catastrophe humanitaire causée par leur destruction. Notre mouvement syndical mondial n’acceptera jamais que le meurtre de civils, le bombardement d’infrastructures vitales ou le ciblage de nos camarades soient considérés comme des méthodes de guerre valables – ni à Gaza, ni ailleurs.

Nous autres syndicats pouvons agir et :

  1. Plaider pour la fin des restrictions sur les fournitures d’aide afin de rétablir les services essentiels et de répondre aux besoins des civils à Gaza pour restaurer la dignité et les droits humains :

  2. Appeler à l’importation sans entrave de médicaments, de vaccins et d’équipements médicaux vitaux pour faire face à la crise des soins de santé.

  3. Exiger l’accès aux soins dans des centres médicaux en dehors de et la libre circulation des patients, notamment par l’ouverture du point de passage de Rafah, 

  4. Faire pression sur notre gouvernement pour qu’il finance la fourniture de services publics afin d’atténuer la crise humanitaire, y compris le financement de l’UNRWA.

Vous pouvez faire un don au Fonds de solidarité de l’ISP pour Gaza afin de fournir une assistance humanitaire et un soutien aux travailleurs.euses des services publics.

https://www.industriall-union.org/fr/prendre-les-travailleurseuses-essentielles-et-les-infrastructures-civiles-de-gaza-pour-cibles-est

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Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale : mettre fin au génocide et à l’apartheid israélien

Un génocide est en cours à Gaza, Israël a entrepris d’effacer un peuple, le peuple palestinien contre lequel il a mis en place, et maintenu, au fil des décennies un régime institutionnalisé d’oppression et de domination raciale constituant – selon l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale – un crime d’apartheid.

Les crimes d’apartheid et de génocide sont les formes les plus violentes de discriminations raciales.

Le génocide s’inscrit dans la continuité du régime d’apartheid, qui a fait des Palestiniens des sous ou des non-citoyens et les a déshumanisés pour mieux les opprimer et les déposséder.

Pour instaurer et maintenir ce régime de domination sur le peuple palestinien, Israël a promulgué depuis 1948 toute une série de lois : lois sur la citoyenneté et l’entrée sur le territoire, lois sur le droit à la terre, à la propriété et à l’autodétermination, et en juillet 2018 la loi sur l’État nation du peuple juif.

Toutes ces lois instituent des discriminations raciales entre Palestiniens et Israéliens de « nationalité juive » : sur l’ensemble du territoire contrôlé par Israël, de la Méditerranée au Jourdain, ils n’ont pas les mêmes droits.

Ce régime d’apartheid fonctionne par la division géographique et politique du peuple palestinien en catégories juridiques distinctes créées par Israël : les Palestiniens citoyens d’Israël, ceux de Jérusalem, les Palestiniens vivant dans le territoire occupé, les réfugiés et les exilés.

Israël a consolidé et maintenu ce régime d’apartheid avec des restrictions imposées à la liberté de mouvement, de résidence et d’accès à certaines zones du territoire palestinien, avec le refus du regroupement familial pour les Palestiniens, avec la création d’un environnement coercitif pour les contrôler et les réprimer. Démolitions illégales de maisons, expulsions et déplacements forcés de populations ont complété les pratiques destinées à s’emparer des terres et des biens des Palestiniens.

Les discours de haine et d’incitation à la haine raciale ont créé un environnement qui a ouvert la voie au génocide. Aujourd’hui le génocide en cours ajoute une page d’une barbarie sans nom à l’oppression des Palestiniens et la dépossession de leur terre et de leurs biens.

Les Palestiniens de Gaza ont vécu pendant plus de 16 ans sous un blocus inhumain. Enfermés, invisibilisés et déshumanisés, privés des droits élémentaires par le régime d’apartheid israélien, ils sont maintenant victimes d’un génocide en cours. Mourir sous les bombes ou de famine et de défaut de soins, voilà la seule incertitude qui leur est laissée. Et c’est à la fois par la volonté génocidaire d’Israël et par la complicité active ou passive de la communauté internationale que cette atrocité est possible !

Le crime de génocide, tout comme celui d’apartheid n’a été rendu possible en effet que par l’impunité dont jouit Israël. En cette Journée internationale pour l’élimination des discriminations raciales, l’AFPS tient à rappeler que la communauté internationale a pour obligation de tout faire pour empêcher les crimes d’apartheid et de génocide. Faute de quoi les États et leurs dirigeants pourront être tenus pour complices de ces crimes.

Cela doit se traduire par des actes immédiats : les mots doivent se traduire en actes, MAINTENANT. Des sanctions contre Israël doivent être prises MAINTENANT à commencer par un embargo militaire mais aussi des sanctions économiques et diplomatiques et la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne.

Les citoyens eux, ont pris leurs responsabilités depuis longtemps en participant à la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions. C’est notre réponse à l’apartheid et au génocide.

Au génocide et à l’apartheid, nous opposons l’égalité des droits afin que le peuple palestinien puisse faire valoir enfin son droit à l’autodétermination.

Le Bureau National de l’AFPS, le 21 mars 2024
https://www.france-palestine.org/Journee-internationale-pour-l-elimination-de-la-discrimination-raciale-mettre

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Faculté des sciences répressives de l’Université hébraïque

« Une université qui promeut la diversité et l’inclusion est une université qui favorise l’égalité ». Tels sont les termes utilisés par l’Université hébraïque de Jérusalem, l’une des meilleures institutions académiques du pays, pour décrire ses prétendues valeurs et sa vision. Mais l’université semble n’avoir eu aucun mal à jeter ces valeurs par la fenêtre la semaine dernière lorsqu’elle a décidé de suspendre le professeur Nadera Shalhoub-Kevorkian, éminente juriste et citoyenne palestinienne d’Israël.

Cette décision scandaleuse, prise sans respect des procédures, est intervenue peu après un épisode du podcast de Shalhoub-Kevorkian sur Makdisi Street, dans lequel elle exposait ses critiques à l’égard du sionisme, de l’assaut d’Israël sur Gaza et du bilan douteux de l’État en ce qui concerne les allégations relatives aux événements de la guerre. Mais l’universitaire a été sous le radar de l’université pendant des mois (et même des années), notamment après avoir signé une pétition à la fin du mois d’octobre demandant un cessez-le-feu à Gaza et décrivant la guerre comme un « génocide ». L’université a écrit que Mme Shalhoub-Kevorkian devrait « trouver un autre foyer académique qui corresponde à ses positions ».

La suspension vide certainement de leur sens certains des cours « éclairés » proposés par l’université. En effet, que peut enseigner à ses étudiants une université qui suspend un membre du corps professoral sans audience dans un cours intitulé « La Cour suprême dans un État démocratique » ? Qu’est-ce qu’une institution académique, qui s’aligne sur les sentiments les plus extrêmes et les plus faucons de la société, peut leur enseigner sur « la liberté, la citoyenneté et le genre » ? Que peut nous apprendre sur « les droits des êtres humains, le féminisme et le changement social » une institution qui réduit au silence et intimide grossièrement la voix critique d’une femme, d’une conférencière et d’une membre d’une minorité persécutée ?

Dans une déclaration présentant sa vision de l’institution universitaire il y a plusieurs années, le président de l’université, le professeur Asher Cohen – qui, avec le recteur, le professeur Tamir Sheafer, a autorisé la suspension de Shalhoub-Kevorkian – a affirmé que l’université avait « mené un processus d’inclusion des populations qui composent la société israélienne. Nous croyons en un campus diversifié, pluraliste et égalitaire, où des publics d’origines différentes apprennent à se connaître et sont initiés à la valeur de la coexistence ». Ce sont des mots riches venant d’un homme qui semble incapable d’entendre des voix politiques critiques qui diffèrent des siennes.

Dans la même déclaration, M. Cohen s’enorgueillit de la responsabilité profonde de l’université « l’égard de la société israélienne, et en particulier de Jérusalem ». C’est cette même Jérusalem où la moitié de la ville est sous occupation, et où plus de 350 000 Palestinien·nes sont opprimé·es chaque jour, leurs maisons démolies, et leurs enfants arbitrairement tirés du lit et arrêtés en pleine nuit – sans qu’aucun des chefs de la tour d’ivoire de Cohen ne prononce un mot à leur sujet.

Il y a beaucoup à dire sur les quartiers palestiniens de Silwan et de Sheikh Jarrah, tous deux situés à quelques centaines de mètres du campus du Mont Scopus, alors qu’ils sont confrontés à la prise de contrôle de leurs terres et de leurs biens par des colons soutenus par l’État. Mais il est particulièrement frappant de constater que l’université hébraïque n’a jamais jugé bon de protester contre la violente oppression qui s’exerce dans le village d’Issawiya, dont les maisons sont clairement visibles depuis les fenêtres des bâtiments du campus, à quelques mètres de là. Se pourrait-il que dans les soirées que Cohen passe dans son bureau, il n’entende pas les bruits des tirs de la police israélienne, qui sont depuis longtemps la bande sonore du village, juste sous sa fenêtre ?

Si seulement le grand péché de l’Université hébraïque (et c’est un grand péché en effet) était l’oubli. La suspension de Shalhoub-Kevorkian s’ajoute à une longue liste de persécutions politiques et d’endoctrinement militariste promus par l’institution au fil des ans.

Après tout, c’est la même université qui, en janvier 2019, s’est pliée à une campagne d’incitation ignoble menée par un groupe d’étudiants de droite contre le Dr Carola Hilfrich, prétendant à tort qu’elle avait réprimandé un étudiant qui s’était présenté sur le campus en uniforme de l’armée. Au lieu de la défendre contre ces fausses accusations, l’université a publié une lettre d’excuses honteuse pour cet « incident ». C’est cette même université qui, quelques mois plus tard, a choisi de transformer le campus en un petit camp militaire en organisant des cours pour l’unité de renseignement de l’armée israélienne – l’une des nombreuses collaborations profitables avec l’armée – malgré les protestations des étudiants et des enseignants.

C’est la même université qui, à maintes reprises, a harcelé et réduit au silence des associations d’étudiant·es palestinien·nes tout en accordant des crédits académiques à des étudiant·es qui font du bénévolat pour le groupe d’extrême droite Im Tirtzu. Et c’est la même université qui, au cours des cinq derniers mois, n’a rien dit de la façon dont Israël détruit systématiquement les écoles et les établissements d’enseignement supérieur de Gaza, trahissant honteusement non seulement leurs collègues assiégé·es, bombardé·es et affamé·es à Gaza, mais aussi les principes de l’académie elle-même.

Dans une lettre adressée à la députée Sharren Haskel pour expliquer leur décision, le président Cohen et le recteur Sheafer ont accusé Mme Shalhoub-Kevorkian de s’être exprimée d’une manière « honteuse, antisioniste et incitative » depuis le début de la guerre, et l’ont tournée en dérision pour avoir qualifié de génocide la politique d’Israël dans la bande de Gaza. Mais elle n’est pas la seule à agir de la sorte. Non seulement le peuple palestinien et des centaines de millions de personnes dans le monde considèrent la calamité à Gaza comme un génocide, mais la Cour internationale de justice, le plus haut tribunal du monde, a elle-même pris cette lourde accusation au sérieux et a décidé qu’elle ne pouvait pas être rejetée d’emblée.

C’est comme si Cohen et Sheafer étaient non seulement surpris d’apprendre que Shalhoub-Kevorkian est palestinienne, mais qu’elle est aussi – Dieu nous en préserve – antisioniste. Si le sionisme était une condition préalable à l’admission à l’université, ses dirigeant·es auraient dû être obligés d’en informer chaque professeur·e et chaque étudiant·e avant qu’elles et ils ne franchissent les portes de l’établissement. On peut affirmer sans risque de se tromper que l’une des principales raisons pour lesquelles iles ne le font pas, outre les restrictions légales, est que l’université hébraïque bénéficie de la présence de Palestinien·nes afin de se présenter au monde universitaire international comme un modèle de pluralisme, de libéralisme et d’inclusion. Pendant ce temps, elle peut continuer à persécuter ces Palestinien·nes chez elles et chez eux, loin des yeux du monde.

Cet acte honteux se répercute déjà bruyamment dans les universités et les médias du monde entier, jetant sur l’université hébraïque l’opprobre qu’elle mérite. En attendant, le seul cours que je peux trouver dans le module de l’université et qui semble approprié pour qu’elle enseigne aux étudiants est celui proposé par le département des sciences politiques – Machiavel, le philosophe du pouvoir tyrannique.

Orly Noy, 21 mars 2024, +972 magazine
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Israël : contre la décision de suspendre
la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian

Plus de 600 universitaires du monde entier se mobilisent en soutien à la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian, suspendue par l’Université hébraïque de Jérusalem suite à des propos jugés critiques sur l’État d’Israël. « La persécution de la professeure Shalhoub-Kevorkian pour cette interview est une preuve supplémentaire que les établissements d’enseignement supérieur israéliens sont devenus un outil entre les mains du gouvernement israélien d’extrême droite, qui cherche à faire taire toute critique ».

Nous, universitaires, chercheur.se.s, enseignant.e.s affilié.e.s à des institutions académiques du monde entier, sommes préoccupés et stupéfaits par la décision de l’Université hébraïque de Jérusalem (UHJ) de suspendre la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian de ses fonctions d’enseignement suite à son interview pour le podcast « Makdisi Street ». 

Cette décision est une atteinte flagrante à la liberté académique qui nécessite de remettre en cause toute collaboration avec l’UHJ.

Dans la lettre envoyée à un membre de la Knesset israélienne, les professeurs Asher Cohen et Tamir Sheafer, président et recteur de l’UHJ respectivement déclarent que l’UHJ est « une institution israélienne, publique et sioniste », clarifiant ainsi que la UHJ donne la priorité au conformisme politique sur la liberté académique. 

Cette lettre et une publication supplémentaire de l’université constituent une reconnaissance du fait que l’adhésion aux valeurs sionistes et à un ensemble d’opinions et de positions est une condition préalable pour travailler et mener des recherches à l’UHJ. 

Quant aux autres allégations formulées à l’encontre de la professeure Shalhoub-Kevorkian, elles reprennent de faux arguments avancés par des associations fascistes et diffusés par les médias israéliens. Rien dans l’interview de la professeure Shalhoub-Kevorkian ne peut être interprété comme une incitation, une menace ou un soutien au terrorisme ou au racisme. Elle ne nie pas non plus l’attaque du Hamas contre le sud d’Israël le 7 octobre. Cette interview présente une critique d’Israël.

La persécution de la professeure Shalhoub-Kevorkian pour cette interview est une preuve supplémentaire que les établissements d’enseignement supérieur israéliens sont devenus un outil entre les mains du gouvernement israélien d’extrême droite, qui cherche à faire taire toute critique d’Israël et cible les dissidents politiques, en particulier les Palestiniens.

Par conséquent, à moins que l’UHJ ne revienne sur sa décision, nous, soussignés, déclarons que nous ne collaborerons plus avec elle à l’avenir.

Nous ne pouvons pas soutenir – par le biais de recherches collaboratives, de conférences et de visites de recherche – une université qui persécute les membres du corps enseignant qui ne s’alignent pas sur le gouvernement israélien. Nous ne souhaitons pas non plus que notre travail soit compromis par des collaborations avec une université qui déclare suivre une ligne politique et la fait primer sur la liberté académique.

Il est également essentiel de noter que la lettre des Profs. Cohen et Sheafer a été envoyée à un moment où la campagne militaire israélienne sur Gaza – que la CIJ a jugé plausible d’assimiler à un génocide – a coûté la vie à plus de 30 000 Palestiniens, selon les registres des hôpitaux, la majorité d’entre eux étant des femmes et des enfants.

La lettre exprime l’indignation de la professeure Shalhoub-Kevorkian qui considère l’attaque de l’armée israélienne contre Gaza comme un génocide.

Pourtant, à ce jour, nous n’avons entendu aucune critique de la part de UHJ concernant le refus d’Israël d’autoriser l’entrée de l’aide humanitaire et la privation de nourriture des Palestiniens vivant à Gaza. L’université n’a pas non plus fait entendre sa voix lorsqu’Israël a démoli des universités et pris pour cible des universitaires palestiniens.

Les déclarations déshumanisantes et dangereuses des hommes politiques israéliens ont également été accueillies par le silence. L’écart entre le silence de l’UHJ sur les crimes commis par Israël, d’une part, et son attaque virulente contre les membres de la faculté qui critiquent Israël ne peut que nous faire douter de son intégrité en tant qu’institution de recherche.

En conclusion, tant que l’UHJ ne reviendra pas sur sa décision de suspendre la professeure Shalhoub-Kevorkian et ne déclarera pas son engagement en faveur de la liberté académique et de la recherche indépendante, nous refuseront de collaborer de quelque manière que ce soit avec cette université. 

Pour signer la tribune, c’est ici

Texte en anglais et liste de signataires…
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/220324/israel-contre-la-decision-de-suspendre-la-professeure-nadera-shalhoub-kevorkian

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Appel des travailleurs et travailleuses palestiniennes à l’occasion de la journée de la terre : lutter pour notre liberté.
Lutter pour notre terre.

Le 7 mars, l’armée israélienne a bombardé le siège de la Fédération générale palestinienne des syndicats (PGFTU) dans la ville de Gaza. Le siège de la PGFTU abritait des services essentiels, notamment un jardin d’enfants accueillant 380 enfants et une boulangerie desservant de nombreuses familles. C’est la troisième fois que ce siège subit de telles destructions, les précédentes ayant eu lieu lors du bombardement israélien de Gaza en 2014.

Outre le bâtiment principal, trois sections de la PGFTU situées dans le quartier d’Al-Rimal et dans la rue Yarmouk ont également été détruites. Cet assaut a visé plus que des bâtiments – il a frappé les moyens de subsistance et les droits mêmes des travailleurs palestiniens. Pourtant, les travailleurs et travailleuses palestiniennes restent inébranlables, nous persévérerons dans notre lutte pour la justice et la dignité.

Alors que nous nous préparons à célébrer la Journée de la terre palestinienne le 30 mars, et l’anniversaire de la Grande Marche du retour de 2018, nous continuons à exhorter les syndicats et les travailleurs/travailleuses du monde entier à se tenir à nos côtés. Nous demandons à toutes les personnes de conscience de mettre fin à la complicité avec les crimes d’Israël, en commençant par un arrêt immédiat du commerce des armes.

Les commémorations de la Journée de la Terre et de la Grande Marche du Retour revêtent toutes deux une signification profonde pour notre peuple, car elles rappellent notre lutte constante pour la justice et la réalisation de nos droits inaliénables. Face au génocide israélien et aux tentatives de nettoyage ethnique de Gaza, il est impératif de réaffirmer la centralité du droit au retour pour toustes les Palestinien·nes. La majorité des Palestinien·nes, y compris ceux de Gaza, sont des réfugié·es dont le droit au retour dans leur foyer d’origine reste au cœur de la lutte palestinienne.

Alors que nous nous préparons à observer ces commémorations, nous sommes confrontés à la situation pénible qui règne à Gaza. Les bombardements incessants d’Israël et ses tactiques délibérées de famine révèlent la nature génocidaire de son agression, mais infligent également les conséquences les plus dures aux travailleurs et aux travailleuses. L’évacuation forcée des Palestinien·nes de la région nord de Gaza, ainsi que les attaques aveugles contre les évacués et les infrastructures vitales, constituent une tentative évidente de nettoyage ethnique, dans le prolongement de la Nakba de 1948.

Nous prenons note des déclarations et des actions du mouvement syndical mondial en réponse à l’appel initial des syndicats palestiniens en octobre, et nous saluons tous ceux qui ont soutenu le peuple de Palestine. Ces gestes de solidarité, tant en paroles qu’en actes, s’inscrivent dans la grande tradition de l’internationalisme syndical. Cependant, il faut aller plus loin : à l’occasion de la Journée de la Terre, nous demandons instamment une intensification des actions visant à mettre fin au génocide. Il est impératif de cibler non seulement la vente et le financement d’armes à Israël, mais aussi le transport de ces armes et d’autres matériels essentiels utilisés par l’armée israélienne pour mettre en œuvre son siège brutal et illégal.

Nous appelons les travailleurs et les travailleuses et les syndicats du monde entier à se mobiliser pour la Journée de la Terre 2024 :

Refuser de participer à la production et au transport d’armes à destination ou en provenance d’Israël. En perturbant la logistique des opérations militaires d’Israël, nous pouvons l’empêcher de perpétrer de nouvelles violences contre notre peuple.

Faire face à la complicité des gouvernements dans la perpétuation de l’agression israélienne. Il s’agit notamment de contester la délivrance de licences pour les ventes d’armes, de protester auprès des ministères de la défense et des affaires étrangères. Les gouvernements doivent être tenus responsables de leur rôle dans la facilitation du génocide israélien.

Intensifier toutes les actions syndicales efficaces – adopter des motions, agir sur votre lieu de travail, organiser des sessions d’éducation et construire des réseaux.

Malgré l’horreur du génocide israélien et de ses crimes quotidiens contre les Palestinien·nes, nous ne pouvons pas désespérer ou détourner notre attention. Au contraire, pour marquer ce jour historique pour le peuple de Palestine dans notre lutte pour la libération, renouvelons notre engagement à rester unis en tant que travailleurs contre l’injustice.

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Workers in Palestine a produit de nombreuses ressources pour soutenir la mobilisation syndicale, notamment :

Une fiche d’orientation pour les syndicalistes sur la construction de la solidarité avec la Palestine.

Un guide du militant sur les leçons Organiser avec les syndicats pour construire des actions de solidarité.

Disrupting ZIM : un guide pour la recherche et la planification d’actions stratégiques

Une fiche d’information sur Qui arme Israël ? et Qui fournit à Israël de nouvelles armes pour soutenir le bombardement de Gaza ?

Contactez-nous pour transmettre les nouvelles de votre syndicat et coordonner vos actions : workersinpalestine@proton.me

https://www.workersinpalestine.org/news/palestinian-workers-call-on-land-day
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Déc. 2023 :
Israël poursuit sa politique meurtrière de tirs à balles ouvertes
en Cisjordanie, tuant 62 Palestiniens,
dont plus de la moitié n’ont mis personne en danger

Depuis le début de la guerre de Gaza, Israël a mis en œuvre une politique meurtrière de tirs à découvert en Cisjordanie. Au cours des trois dernières semaines d’octobre 2023, les soldats et la police israéliens ont tué 115 Palestiniens, dont 79 ne mettaient personne en danger ; en novembre, les soldats et la police ont tué 116 Palestiniens, dont 48 ne mettaient personne en danger.

En décembre, les soldats et la police ont tué 62 Palestiniens en Cisjordanie, dont 17 mineurs. Parmi les personnes tuées, 36 ne mettaient personne en danger : 11 ont été abattus alors qu’ils jetaient des pierres ou brûlaient des pneus pendant les affrontements, 18 ont été abattus alors qu’ils assistaient aux affrontements sans y prendre part (9 d’entre eux par un bombardement aérien), et 6 ont été tués dans d’autres circonstances. En ce qui concerne un autre Palestinien, B’Tselem n’a pas pu déterminer s’il avait été tué par des soldats ou des colons.

Dix-huit autres Palestiniens ont été tués alors qu’ils participaient à des échanges de tirs avec les forces israéliennes ou qu’ils lançaient des engins explosifs et des cocktails Molotov, dont dix par un bombardement aérien, et un autre Palestinien a été tué alors qu’il était armé.

Sept autres Palestiniens ont été tués alors qu’ils attaquaient les forces israéliennes ou des civils en faisant exploser des voitures ou en les poignardant, ou qu’ils étaient soupçonnés de le faire, y compris un Palestinien qui, selon l’armée, a poignardé un soldat lorsque les troupes sont entrées dans sa maison.

Les conclusions de B’Tselem concernant plusieurs incidents au cours desquels des Palestiniens ont été tués en décembre 2023 :

Des soldats font sauter cinq portes dans le bâtiment d’une famille palestinienne, tuant un membre, 5.12.23
Des soldats exécutent deux Palestiniens dans le camp de réfugiés d’al-Far’ah, 8.12.23
Des soldats israéliens tuent d’une balle dans la tête un Palestinien de 25 ans qui traversait la barrière de séparation pour se rendre à son travail, 16.12.23
L’armée israélienne frappe des Palestiniens qui regardent les affrontements à distance lors de deux incidents distincts dans le camp de réfugiés de Nur Shams, tuant 16 personnes, dont 6 mineurs, 19.10.23, 27.12.23
Les forces israéliennes tirent sur des Palestiniens qui regardent les affrontements dans le centre de Ramallah, tuant une personne.

21 mars 2024

https://www.btselem.org/firearms_202312_december
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« L’humanitarisme de salon » :
le problème du corridor d’aide maritime de Gaza

Bien que l’aide soit désespérément nécessaire, les experts mettent en garde contre le fait que le plan dirigé par les États-Unis ne tient pas compte de la cause fondamentale de la famine dans la bande de Gaza : le contrôle total d’Israël sur la bande de Gaza.

Lorsque Huwaida Arraf a participé à l’organisation du premier voyage maritime « Free Gaza » au départ de Chypre en 2008, elle savait que cet effort était essentiellement symbolique. Cela faisait deux ans qu’Israël avait commencé à imposer des restrictions qui allaient finalement se transformer en un siège quasi total de la bande de Gaza, interdisant tout trafic maritime entrant et interdisant la pêche au-delà d’un maximum de six miles nautiques. Le blocus a sévèrement limité une source essentielle de nourriture et de moyens de subsistance pour de nombreux résidents palestiniens, mais l’objectif du voyage Free Gaza – qui ne transportait qu’une seule boîte d’appareils auditifs pour une organisation caritative travaillant avec des enfants sourds – n’était pas d’apporter de l’aide.

« Nous avions deux bateaux de pêche qui nous ont à peine permis de traverser la Méditerranée », explique Arraf, avocat et militant des droits de l’homme, à +972. « Le véritable objectif était d’affronter et de contester le blocus illégal d’Israël. »

Aujourd’hui, cinq mois après le début de la guerre dévastatrice d’Israël contre Gaza, M. Arraf travaille avec la Coalition de la flottille de la liberté pour organiser un nouveau voyage. La nouvelle flottille, qui n’a pas encore annoncé de date de départ, transportera certainement de l’aide, mais sa mission à long terme, a expliqué M. Arraf, consiste à « remettre en question les politiques de contrôle ».

Ces politiques, selon les critiques, sont au cœur d’un nouveau « corridor maritime » pour Gaza, comprenant un port offshore, annoncé par les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni. Bien que ce projet soit présenté comme un moyen d’acheminer rapidement l’aide humanitaire dans la bande de Gaza assiégée, il laisse essentiellement les Palestiniens de Gaza à la merci des mêmes gouvernements qui soutiennent et encouragent l’assaut d’Israël contre l’enclave.

Elle révèle également l’impuissance des bailleurs de fonds d’Israël. Après tout, le bain de sang qu’ils continuent de financer ne se mesure pas seulement en corps palestiniens mutilés et en paysages ravagés, mais aussi par une campagne de famine délibérée qui se déroule sous leur surveillance – une campagne qui, de l’aveu même des responsables américains, ne peut être annulée par des mesures palliatives. Dans le même temps, alors que des centaines de milliers de Palestiniens sont aux prises avec la faim, le corridor maritime proposé pourrait être leur seule chance de survie à court terme.

« Les enfants qui sont déjà morts de faim à Gaza avaient survécu à d’innombrables bombardements et déplacements avant de mourir dans l’angoisse », a déclaré Yara M. Asi, professeur adjoint de santé mondiale à l’université de Floride centrale et auteur de « How War Kills » (Comment la guerre tue). « Personne ne veut voir un autre enfant mourir de faim. »

En même temps, Mme Asi prévient que le niveau de désespoir à Gaza signifie que les Palestiniens devront faire des choix déchirants pour déterminer qui recevra l’aide en premier. « Comment établir un ordre de priorité entre les mères âgées, les enfants et les adultes en bonne santé ? » a-t-elle déclaré à +972. « C’est un choix impossible pour les familles. »

C’est aussi un choix qui a été « annoncé depuis des mois », ajoute Asi. En décembre, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) a averti que l’insuffisance de l’aide mettait 40% de la population de Gaza « en danger de famine ». Trois mois plus tard, le Programme alimentaire mondial estime que l’ensemble de la population de Gaza, soit 2,2 millions de personnes, se trouve « en situation de crise » ou à un niveau pire d’insécurité alimentaire aiguë.

Malgré l’urgence, des sources impliquées dans la planification du corridor maritime, qui ont requis l’anonymat, ont déclaré à +972 que des détails clés de son exécution restent en suspens – y compris, de manière cruciale, la manière dont l’aide sera distribuée une fois qu’elle sera arrivée dans la bande de Gaza. En particulier, le manque de coordination avec l’UNRWA, qui a été la cible d’une campagne de diffamation et de financement menée par Israël au cours des deux derniers mois, est presque sûr d’entraver l’effort international, ce qui soulève de sérieuses questions quant à son intention.

Distraction flagrante
Une grande partie de l’incertitude entourant le corridor maritime tourne autour de la dernière partie de ce qu’une source a appelé une « approche en trois phases ».

La première phase est menée par l’organisation caritative espagnole Open Arms et son partenaire World Central Kitchen (WCK), qui gère des dizaines de sites de préparation de nourriture à Gaza. Vendredi, un navire lié à Open Arms est arrivé de Chypre au large de la côte de Gaza, transportant quelque 200 tonnes de dons alimentaires sécurisés par l’organisation caritative et WCK.

Au cours des deuxième et troisième phases, l’armée américaine construirait une jetée au large de la côte de Gaza et superviserait le transfert d’une quantité d’aide suffisante pour préparer deux millions de repas par jour, selon la Maison-Blanche. Mais même si les expéditions maritimes devaient arriver à terre comme prévu, le Pentagone estime qu’il faudra deux mois pour les acheminer – une attente trop longue pour la population affamée de Gaza, avertissent les experts de l’aide humanitaire. On estime que 300 000 personnes sont confrontées à une famine imminente dans le nord de Gaza et, selon les Nations Unies, la faim a atteint des « niveaux catastrophiques » dans l’ensemble de la bande.

Entre-temps, les organisations humanitaires critiquent déjà le plan maritime qui ne s’attaque pas à la cause fondamentale de la crise de la faim à Gaza. Médecins sans frontières (MSF) a averti que les projets américains concernant la jetée constituaient une « distraction flagrante » face au refus persistant d’Israël de faciliter l’acheminement de l’aide dans l’enclave, en particulier dans le cadre d’un assaut qui a déjà tuéplus de 31 000 personnes.

Des critiques similaires ont été formulées à l’encontre des largages de vivres effectués par les États-Unis, qui ne fournissent qu’une petite partie de l’aide nécessaire au nord de Gaza et qui, en tout état de cause, ne peuvent garantir une distribution sûre. Le 8 mars, par exemple, cinq personnes ont été tuées et dix autres blessées par la chute de colis d’aide humanitaire lorsque les parachutes auxquels ils étaient attachés ne se sont pas ouverts.

Selon les Nations Unies, au cours des cinq derniers mois, les livraisons d’aide à Gaza ont été bloquées à un maximum de 150 camions par jour en moyenne, soit plus de trois fois le nombre de camions qui entraient chaque jour avant le 7 octobre. Les pénuries alimentaires croissantes ont eu pour conséquence que le flux de camions est devenu une fraction de plus en plus petite de ce qui est nécessaire – un fait reconnu par nulle autre que Samantha Power, directrice de l’Agence américaine pour le développement international (USAID). Même lorsque l’aide alimentaire parvient à atteindre les zones les plus durement touchées, les forces israéliennes ouvrent parfois le feu sur les affamés, comme ce fut le cas lors du « massacre de la farine » du 29 février, au cours duquel au moins 110 Palestiniens ont été tués.

Saper l’UNRWA
Cette spirale de l’urgence est étroitement liée aux efforts agressifs déployés pour affaiblir l’UNRWA, une agence depuis longtemps prise pour cible par les responsables israéliens. Selon l’ancien porte-parole de l’UNRWA, Chris Gunness, le convoi qui a conduit au massacre de la farine « a été réalisé par des mercenaires, des chauffeurs de camion coordonnés par les autorités israéliennes », qui ont cherché à contourner l’agence des Nations Unies. Selon lui, ces chauffeurs ne connaissaient pas la région ni la logistique de l’acheminement de l’aide dans la bande de Gaza.

La tentative désastreuse du 29 février, selon Gunness, a montré que l’UNRWA est « la seule organisation ayant l’expérience, le personnel et l’infrastructure nécessaires pour distribuer l’aide en toute sécurité » dans l’enclave – en particulier dans les quantités annoncées par le président Joe Biden la semaine dernière.

« Il est impensable de reconstituer une nouvelle organisation d’aide comme l’UNRWA pour superviser la distribution de nourriture à cette échelle », a déclaré M. Gunness à +972. « C’est de l’humanitarisme de salon, de la part de personnes qui ne sont jamais allées à Gaza ou qui ne comprennent pas les complexités de l’acheminement de l’aide dans cette situation hautement volatile. »

Reconnaissant le rôle vital de l’UNRWA, le Canada, l’Union européenne, la Suède et l’Australie ont récemment repris le financement de l’agence après l’avoir brièvement suspendu à la suite d’allégations israéliennes non vérifiées selon lesquelles une douzaine des 13 000 employés de l’UNRWA basés à Gaza étaient impliqués dans l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre le sud d’Israël. Malgré une évaluation des services de renseignement exprimant une « faible confiance » dans les affirmations d’Israël, les États-Unis n’ont pas encore rétabli leur financement, ce qui obscurcit encore les projets de l’administration Biden concernant les expéditions d’aide par voie maritime.

Et bien que les experts s’accordent à dire que l’UNRWA est la seule organisation disposant des entrepôts, des véhicules et du personnel nécessaires pour stocker et livrer en toute sécurité des denrées alimentaires à cette échelle, Juliette Touma, directrice de la communication de l’UNRWA, a déclaré à +972 que l’agence « n’est pas impliquée et n’a pas été approchée » au sujet de cet effort. Pendant ce temps, les attaques israéliennes, qui ont jusqu’à présent détruit ou endommagé 157 installations de l’UNRWA à Gaza et coûté la vie à 165 membres du personnel de l’agence, se poursuivent sans relâche.

Des Palestiniens reçoivent des sacs de farine au centre de distribution de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), le 23 novembre 2023. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Malgré les projets de corridor maritime, la situation humanitaire à Gaza continue de se détériorer rapidement. L’UNRWA a annoncé cette semaine qu’en moyenne, seuls 168 camions d’aide étaient entrés chaque jour ce mois-ci. Le 11 mars, le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a déclaré dans une publication sur X que les restrictions israéliennes sur les produits dits « à double usage » s’étaient renforcées, les « produits vitaux » tels que les anesthésiques, les ventilateurs et les médicaments contre le cancer étant interdits d’entrée. Le 2 mars, une enquête de CNN a révélé que l’armée israélienne avait interdit l’accès à des camions entiers d’aide essentielle si l’un de ces articles interdits se trouvait à bord.

Et avec une telle impunité, pourquoi ne le feraient-ils pas ? Les responsables israéliens continuent d’affirmer qu’« il n’y a pas de pénurie alimentaire à Gaza », même si la majorité des Israéliens souhaitent qu’il y en ait une : un récent sondage réalisé par la chaîne israélienne Channel 12 a révélé que 72% des Israéliens étaient favorables à la poursuite de la suspension de l’aide alors que le Hamas et d’autres groupes détenaient toujours des otages à Gaza. Le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, a ordonné aux entrepreneurs du port d’Ashdod de ne pas livrer à l’UNRWA les cargaisons de farine dont elle a tant besoin. Un jour plus tard, la Knesset a adopté un projet de loi interdisant à l’agence d’opérer sur le « territoire souverain » d’Israël.

« Les Palestiniens ne veulent pas vivre que de l’aide humanitaire »
Il est difficile d’imaginer une tragédie plus emblématique de l’échec de la politique des États-Unis au cours des cinq derniers mois que la proposition de corridor maritime. Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, s’est à maintes reprises opposé aux demandes timides de la Maison Blanche pour qu’il mette un frein à ce que M. Biden a qualifié avec désinvolture de massacre d’innocents « à outrance ». La protection des enfants palestiniens – dont plus de 13 000 ont péri à ce jour – n’a manifestement jamais figuré parmi les priorités de l’administration américaine ; cela aurait signifié l’annulation d’une partie au moins de la centaine de ventes de matériel militaire approuvées par Washington depuis le 7 octobre. Se prémunir contre la famine ne semble pas moins être une réflexion après coup.

« Les Palestiniens de Gaza ont souffert de l’insécurité alimentaire bien avant le 7 octobre », a déclaré M. Asi. « Mais cette fois-ci, le traumatisme est différent. Les Palestiniens savent très bien que le fait de mourir de faim ou non est une décision prise selon les caprices de puissances qui échappent totalement à leur contrôle. »

Alors pourquoi un pays qui a l’intention d’affamer les Palestiniens de Gaza fait-il soudain volte-face lorsque l’aide alimentaire arrive par bateau et non par camion ? À entendre les responsables israéliens, le corridor maritime a pour but d’obtenir une « légitimité internationale » afin de poursuivre la guerre contre Gaza, dont Israël continue d’affirmer qu’elle vise à mettre le Hamas en déroute.

Cela pourrait expliquer pourquoi les autorités israéliennes ont mis en place des installations d’inspection dans la ville portuaire chypriote de Larnaca, et pourquoi le porte-parole militaire israélien Daniel Hagari a annoncé un « afflux d’aide » à Gaza. Mais ces points de discussion n’ont aucun sens tant qu’Israël continue de bloquer l’accès par voie terrestre, en particulier au nord de Gaza.

« Cette initiative maritime n’enlève rien à l’obligation d’Israël, en tant que puissance occupante, d’ouvrir totalement les points de passage terrestres et de permettre un accès humanitaire sans entrave », a averti M. Gunness, qui a souligné que la Cour internationale de justice avait réaffirmé ces obligations contraignantes dans ses mesures provisoires du 26 janvier. Et rien de tout cela ne sera possible, a-t-il ajouté, sans un « cessez-le-feu stable et crédible ».

Cependant, même avec un cessez-le-feu, le corridor maritime tant vanté par les États-Unis souffre d’un problème structurel, enraciné dans le long siège israélien de Gaza. Dov Weisglass, ancien conseiller principal du Premier ministre de l’époque, Ehud Olmert, a décrit de manière infâme le blocus comme une « mise au régime » des Palestiniens. Le fait que les politiques qui en ont découlé, accompagnées de de calculs caloriques pour chaque Palestinien, aient été mises en place il y a près de vingt ans devrait être une raison suffisante pour douter des intentions d’Israël aujourd’hui.

« Il est absurde que l’aide humanitaire soit coordonnée avec l’entité qui a publiquement annoncé son intention d’affamer les Palestiniens de Gaza », a déclaré M. Arraf. « En fin de compte, les Palestiniens ne veulent pas vivre de l’aide. Ils veulent, ont besoin et méritent la liberté ».

Samer Badawi, le 16 mars 2024
Samer Badawia rejoint +972 en 2014 et a couvert l’opération Bordure protectrice pour le magazine depuis Gaza et la Cisjordanie pendant l’été et l’automne de cette année-là. Il écrit sur la politique américaine dans la région, sur l’activisme israélo-palestinien et sur le lien entre le mouvement pour les droits des Palestiniens et d’autres luttes de libération. Ses reportages et ses analyses ont été cités par le Washington Post, repris par Al Jazeera, la BBC et d’autres médias grand public, et ont été qualifiés d’« incontournables » par Arad Nir de la chaîne israélienne Channel 2. Il était auparavant correspondant à Washington pour Middle East International.
Source : 
+972
Traduction ED pour l’Agence Média Palestine
https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/03/19/lhumanitarisme-de-salon-le-probleme-du-corridor-daide-maritime-de-gaza/

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Gaza. « Une punition collective qui inflige un terrible traumatisme sur les femmes enceintes et l’avenir de leurs enfants »

Diana Siam, une jeune femme de 22 ans de la ville de Gaza, s’est souvenue pour la première fois qu’elle n’avait pas eu ses règles en novembre. Elle a d’abord mis cela sur le compte de la vie sous les bombardements israéliens et de la nécessité de trouver sans cesse un nouvel endroit où vivre. Mais elle a finalement dû se rendre à l’évidence : alors qu’elle s’efforçait de s’occuper de son fils de 16 mois, elle allait avoir un autre bébé.

Diana Siam est actuellement réfugiée dans une petite maison surpeuplée avec 20 autres personnes à Rafah, une ville du sud de Gaza, région qui compte plus de 1,5 million de Palestiniens déplacés. Elle n’a pas d’intimité, dit-elle, ni le soutien de sa mère, qui vit dans une autre zone totalement inaccessible en raison des bombardements incessants. Alors que la famine commence à s’installer, Siam et son mari ne survivent qu’avec des boîtes de conserve. Même s’ils trouvent des produits frais, ils sont si chers que le couple ne peut pas se permettre de les acheter. Siam raconte que son bébé pleure désormais « la plupart du temps » à cause de la faim, alors que son lait maternel se tarit.

« Je me suis sentie très en colère parce que ce n’est pas le bon moment pour être enceinte », dit Siam. « Et j’ai déjà un bébé. Il sera très difficile de s’occuper de deux enfants dans cette situation. »

Lors de sa première grossesse, Siam a reçu les soins prénataux que toute personne enceinte est en droit d’attendre. Mais aujourd’hui, le système de santé de Gaza est à bout de souffle, ce qui rend l’accès aux soins de santé reproductive essentiels quasiment impossible. L’hôpital Al-Helal Al-Emirati (Rafah) est le seul hôpital doté de services de maternité et d’obstétrique qui restent opérationnels dans le sud et le centre de la bande de Gaza. (Dans le nord de Gaza, aucun hôpital n’est fonctionnel dans ce domaine.)

Selon le ministère de la Santé de Gaza, près de 60 000 femmes palestiniennes enceintes souffrent de malnutrition et de déshydratation. Pendant ce temps, Israël continue de refuser arbitrairement l’entrée effective de camions remplis de fournitures essentielles, notamment des anesthésiques, des kits de maternité, des systèmes de filtration de l’eau et des bouteilles d’oxygène.

« C’est la situation la plus difficile à laquelle j’ai été confrontée », déclare Siam. « D’habitude, je fais des analyses de sang et je vois le bébé à l’échographie. Mais aujourd’hui, tout est devenu impossible dans ma vie. »

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Les femmes et les enfants subissent de plein fouet les conséquences de la guerre. Sur les plus de 30 000 Palestiniens tués depuis le 7 octobre, 13 000 sont des enfants et 9000 des femmes (Reuters, 8 mars 2024).

Quelque 32 000 Palestiniens et Palestiniennes ont été tués depuis le 7 octobre, sur les 74 000 blessés, environ 13 000 sont des enfants et 9000 des femmes. Selon l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour la Palestine (UNRWA), on estime à 37 le nombre de mères tuées chaque jour par Israël.

Si l’impact durable des opérations militaires génocidaires israéliennes est difficile à appréhender, la catastrophe qu’elle provoque aujourd’hui en matière de santé génésique [santé sexuelle et reproductive] n’est que trop réelle. Le bombardement et le blocus de Gaza ont créé un paysage d’enfer dans lequel les grossesses, les naissances et la parentalité sans risque sont devenues totalement irréalisables. L’Afrique du Sud a fait valoir dans son réquisitoire contre Israël devant la Cour pénale internationale que la restriction des naissances est en soi une tactique génocidaire.

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L’ampleur de la crise exige une réponse de la part de tous les habitant·e·s de la planète. Mais la complicité inégalée de l’administration Biden dans cette crise signifie que les institutions états-unienne – en particulier les organisations de défense de la justice reproductive – ont une obligation particulière de s’exprimer. L’inconsistance permanente des organisations qui prétendent se préoccuper des droits reproductifs – face à un outrage aussi violent – risque de laisser une tache durable sur l’héritage du mouvement pour la justice reproductive.

« Si une mère meurt en laissant ses enfants, ces derniers ne s’en sortiront pas bien, tant sur le plan économique que sur celui de la santé », déclare la Dresse Deborah Harrington, obstétricienne consultante et spécialiste de la médecine fœtale et maternelle. « C’est ce qui ressort de toutes les études. Il s’agit non seulement d’un traumatisme terrible, mais aussi d’un impact sur ces enfants pour le reste de leur vie. »

Deborah Harrington s’est rendue à Gaza avec Medical Aid for Palestinians fin décembre 2023. Elle a travaillé deux semaines à l’hôpital Al-Aqsa (dans le centre de Gaza), où elle a été choquée de voir le nombre de femmes et d’enfants blessés qui remplissaient les salles surpeuplées. Les hôpitaux sont débordés par le nombre de femmes enceintes qui arrivent pour se faire soigner, dit-elle, et des milliers d’autres ont besoin de soins médicaux mais ne peuvent y accéder.

Le trajet à travers les zones entourant les hôpitaux est périlleux. La plupart des femmes accouchent à la tombée de la nuit, lorsque les bombardements s’intensifient. Même si elles sont assez courageuses pour s’aventurer hors de leurs abris, les femmes ont du mal à trouver des moyens de transport. Il n’y a pas d’ambulance pour apporter de l’aide ou presque pas de moyen d’en appeler une, étant donné la destruction par Israël de l’infrastructure de télécommunications de Gaza.

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Mais même dans ces circonstances, les bébés n’attendent pas. Faute de temps et d’autres options, les femmes sont contraintes d’accoucher dans la rue et dans des abris de fortune. Certaines ont recours à l’accouchement à l’intérieur des voitures pour conserver un semblant d’intimité et de dignité, explique la Dresse Deborah Harrington. Et la situation n’est guère meilleure même si les femmes parviennent à se rendre à l’hôpital. La surpopulation est cauchemardesque et les femmes affluent dans les couloirs, accouchant parfois dans des lits déjà imprégnés du sang des accouchements précédents.

« Les hôpitaux étaient déjà débordés », explique la Dresse Amber Alayyan, responsable des activités médicales de Médecins sans frontières (MSF). « S’ils étaient déjà surchargés, ils explosent aujourd’hui. »

Les difficultés se poursuivent après la naissance. Les nouveau-nés sont entassés dans des couveuses, car les besoins sont largement supérieurs à l’offre. L’accès au lait maternisé est limité et les mères qui ne peuvent se procurer de l’eau potable mélangent le lait maternisé en poudre avec du soda et des boissons énergisantes, explique Hiba Tibi, directrice de CARE International pour la Cisjordanie et la bande de Gaza. Le risque d’infection pour les mères et les bébés monte en flèche.

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Compte tenu des difficultés sans précédent auxquelles s’affrontent les femmes et les enfants palestiniens, il est indéniable qu’il s’agit d’une « crise de la justice reproductive ».

Les principes de l’autonomie corporelle sont au cœur du champ de la justice reproductive. Ils comprennent le droit de contrôler son corps, d’être maître de son avenir et de décider d’avoir ou non des enfants. Mais sans accès aux ressources nécessaires pour satisfaire ne serait-ce que les besoins minimaux de la vie, y compris les soins de santé essentiels, le choix n’existe pas pour les femmes de Gaza. La notion de liberté de reproduction n’existe tout simplement pas.

« Ce qui se passe actuellement à Gaza est une punition collective », déclare la Dresse Roa Qato, gynécologue-obstétricienne membre du groupe Healthcare Workers for Palestine. « Cela affecte particulièrement la population vulnérable des femmes, car notre santé a des besoins particuliers. »

Si l’ampleur de la crise actuelle est sans précédent, il est important de reconnaître que le blocus israélien de la bande de Gaza, qui dure depuis près de deux décennies, a préparé le terrain. Depuis qu’Israël a imposé son siège en 2007, les habitants de Gaza n’ont pas de réelle liberté de mouvement, ce qui affecte tous les aspects de la vie, y compris la santé. Les patients qui ont besoin de soins médicaux spécialisés non disponibles dans la bande de Gaza – y compris de la radiothérapie pour le traitement du cancer – doivent faire des pieds et des mains pour obtenir l’autorisation des autorités israéliennes de quitter la bande de Gaza et de recevoir un traitement. Des centaines d’entre eux sont morts dans l’attente de cette autorisation. Par ailleurs, les médecins et autres professionnels de la santé de Gaza qui espéraient quitter temporairement la bande de Gaza pour suivre une formation médicale complémentaire ont souvent essuyé un refus.

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Il y a quelques années, plus de la moitié des femmes enceintes de Cisjordanie et de Gaza étaient anémiques, un taux qui ne peut qu’augmenter étant donné qu’actuellement, plus de 90% des femmes enceintes et allaitantes de Gaza sont confrontées à une grave détresse alimentaire. Selon CARE International, le taux de fausses couches chez les femmes a grimpé en flèche de 300%. L’accès aux médicaments couramment utilisés en obstétrique pour traiter ces problèmes – par exemple, la progestérone, une hormone qui aide les femmes à maintenir leur grossesse, et l’ergométrine, qui est administrée pour arrêter les saignements excessifs lors des accouchements et des avortements – n’a pas été assuré à Gaza pendant des années. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible de s’en procurer.

« Si une femme fait une hémorragie pendant l’accouchement et qu’elle est déjà anémique, elle n’a pas de réserves », explique la Dresse Deborah Harrington. « Et si vous n’avez pas les médicaments vitaux pour arrêter cette hémorragie, vous ne pouvez pas arrêter le saignement. » Elle ajoute que, pour cette raison, davantage d’hystérectomies d’urgence, au cours desquelles les médecins doivent retirer entièrement l’utérus pour sauver la vie de la patiente, sont pratiquées dans les circonstances les plus désastreuses.

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Il est difficile d’imaginer comment les organisations médicales et de justice reproductive aux Etats-Unis ont pu être aussi passives dans le contexte de ces horreurs inimaginables. Les principes auxquels ces organisations prétendent tenir tant, notamment l’accès aux soins de santé génésique de base et aux ressources nécessaires pour jouir d’une véritable autonomie corporelle, sont systématiquement détruits à Gaza, mais leurs voix se font discrètes. Planned Parenthood (ONG de planning familial fondé en 1916 aux Etats-Unis), notre soi-disant champion du droit de choisir, a regardé en silence la situation après avoir publié une banale déclaration. Même les organisations qui mettent l’accent sur l’intersectionnalité dans le cadre de la justice reproductive, comme SisterSong, viennent tout juste d’appeler à un cessez-le-feu après que les membres du conseil d’administration ont démissionné en signe de protestation. Le American College of Obstetricians and Gynecologists, qui a récemment été critiqué pour avoir fait des dons politiques à des candidats qui restreignent l’accès à l’avortement, a refusé de répondre aux préoccupations de nombreux médecins qui l’ont exhorté à s’exprimer.

« Les organisations de ce pays doivent être à l’avant-garde de la défense de la justice en matière de soins de santé, en particulier dans la situation actuelle à Gaza », déclare la Dresse Roa Qato. « Nous ne sommes pas de simples spectateurs. Nos impôts financent et soutiennent activement cette situation [aide militaire au gouvernement Netanyahou et à l’armée], au lieu de financer des soins de santé universels ou des centres d’accouchement sûrs ici aux Etats-Unis. C’est pourquoi cela concerne chaque Américain. »

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En mettant cette question à l’ordre du jour, en exhortant les responsables politiques à soutenir un cessez-le-feu immédiat et permanent et en reconnaissant le fait que la lutte pour les droits génésiques aux Etats-Unis est inextricablement liée à la lutte des femmes palestiniennes, peut-être que ces puissantes organisations, qui ont accès à des ressources importantes, qui disposent d’une large audience et d’une capacité de faire pression sur les responsables politiques au nom de la justice génésique, pourraient apporter un soutien réel et concret. La simple vérité est qu’au lieu de cela, elles ont abandonné les femmes palestiniennes et les femmes enceintes.

« Nous devrions avoir honte de tolérer que des femmes souffrent ainsi », déclare la Dresse Deborah Harrington. « Un cessez-le-feu complet et durable est la seule solution. L’acheminement de l’aide humanitaire, des fournitures médicales et des équipes, ainsi que le rétablissement du fonctionnement des hôpitaux, sont tout simplement impossibles sans un cessez-le-feu. »

Avec un cessez-le-feu, des centaines de camions d’aide bloqués par les restrictions israéliennes pourraient entrer dans la bande de Gaza. Les zones entourant les hôpitaux qui dispensent des soins de maternité ne seraient plus sous la menace quasi constante des bombardements, des tirs d’obus et des fusillades, comme c’est le cas actuellement. Des équipes de professionnels de la santé pourraient contribuer à rétablir l’accès aux soins médicaux essentiels, qui sont de plus en plus rares.

Mais sans aucune intervention dans la crise actuelle, les femmes enceintes de Gaza, comme Diana Siam, doivent faire face à un avenir incertain pour elles-mêmes et leurs bébés.

Diana Siam souhaite savoir si son bébé est un garçon ou une fille et prie pour que son enfant soit en bonne santé. « J’espère que la situation changera bientôt et que la guerre s’arrêtera pour que nous puissions reprendre notre vie quotidienne, vivre comme nous le souhaitons », dit-elle.

Iman Husain
Iman Husain est journaliste, écrivaine, travaillant entre autres pour l’hebdomadaire états-unien The Nation.
Article publié par l’hebdomadaire The Nation, le 21 mars 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/gaza-une-punition-collective-qui-inflige-un-terrible-traumatisme-sur-les-femmes-enceintes-et-lavenir-de-leurs-enfants.html

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Le gouvernement israélien déclare que 8 000 dunams de la vallée du Jourdain sont des terres domaniales

Le ministre de la Défense, Bezalel Smotrich, a annoncé que 8 000 dunams ont été déclarés terres d’État dans le nord de la vallée du Jourdain, près de la colonie de Yafit. Cette déclaration complète celle de 2 640 dunams faite le 29 février 2024 entre les colonies de Ma’ale Adumim et Keidar. La taille de la zone désignée pour la déclaration est la plus grande depuis les accords d’Oslo, et l’année 2024 marque un pic dans l’étendue des déclarations de terres domaniales.

La déclaration de terres domaniales est l’une des principales méthodes utilisées par l’État d’Israël pour affirmer son contrôle sur les terres des territoires occupés. Les terres déclarées comme terres d’État ne sont plus considérées comme des propriétés privées par les Palestiniens aux yeux d’Israël, et il leur est interdit de les utiliser. En outre, l’État loue les terres domaniales exclusivement aux Israéliens.

Tout au long des années 1980, Israël a déclaré des centaines de milliers de dounams comme terres domaniales. En 1992, le gouvernement Rabin a décidé de mettre fin aux déclarations de terres domaniales dans les territoires occupés, mais le premier gouvernement Netanyahou a repris cette méthode en 1998. Depuis lors, des déclarations ont été faites périodiquement, pour un total de près de 40 000 dunams.

La déclaration n’a pas encore été publiée dans les registres officiels et nous ne disposons pas d’informations précises sur sa localisation. Cependant, selon l’estimation de La Paix Maintenant, la zone se situe autour de la colonie de Yafit au nord, à l’ouest et peut-être au sud. En 1999, environ 3 000 dunams de terres domaniales ont été déclarés au nord de Yafit.

La Paix Maintenant : « Netanyahou et Smotrich sont déterminés à lutter contre le monde entier et contre les intérêts du peuple d’Israël au profit d’une poignée de colons qui reçoivent des milliers de dunams, comme s’il n’y avait pas de conflit politique à résoudre ou de guerre à terminer. L’annonce de cette déclaration à la veille de la visite du Secrétaire d’Etat américain est une nouvelle provocation à l’encontre du gouvernement américain ».

22.3.24
https://peacenow.org.il/en/the-israeli-government-declares-8000-dunams-in-the-jordan-valley-as-state-lands
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Merci à Isabelle A. pour avoir signalé ce texte

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La bande de Gaza a été détruite. En tant que juive de gauche née en Israël, j’éprouve un profond sentiment de chagrin et de défaite

J’écris ces lignes depuis la Cisjordanie avec un profond sentiment de chagrin et de défaite, tandis que, dès qu’il est question du peuple palestinien et des habitants de Gaza tout particulièrement, ce sont les mots discordants et violents de victoire, de génocide, d’effacement, de lutte héroïque ou de réalisation d’une tâche d’historique qui reviennent sans arrêt.

La bande de Gaza m’a envoûté, comme elle a envoûté beaucoup de ceux qui l’ont visitée et qui ont appris à connaître ses habitants. Elle faisait partie intégrante de la Palestine historique jusqu’à ce qu’elle en soit coupée après la création de l’État d’Israël et l’expulsion des Palestiniens de leur patrie en 1948-49. Il en est résulté une entité sociologique et géopolitique distincte. Sa principale caractéristique est sa forte proportion de réfugiés (environ 75% de sa population), dont les racines se trouvent dans des dizaines de villages et de villes qu’Israël a vidés et détruits.

La bande de Gaza que nous connaissions comme une entité géographique compacte de 365 kilomètres carrés était encore assez grande pour contenir la diversité des villages et des villes, des nouveaux quartiers et des anciens, du littoral et des collines, des pauvres et des riches, des réfugiés et des autochtones. Et elle était petite et surpeuplée, de sorte que ses habitant.es vivaient les uns sur les autres, de plus en plus au fur et à mesure que leur nombre augmentait, et qu’on avait l’impression que tout le monde se connaissait et qu’il était impossible d’y garder des secrets. Elle était si petite et si repliée sur elle-même liée qu’il semblait que tous ses habitant.es prenaient une part active à tous les événements politiques, sociaux et militaires qui s’y déroulaient.

Malgré la déconnexion, les destructions et le passage du temps, les réfugiés de 1948 et leurs descendant.es ont conservé leurs liens familiaux et sociaux et leur attachement affectif à leurs villages et à leurs communautés perdus. À travers la réalité partagée de l’isolement et de l’expulsion, malgré l’exiguïté de ce cadre, les habitant.es de Gaza ont développé les caractéristiques collectives d’une communauté qui n’a rien d’abstrait ni d’imaginaire : humour décalé, chaleur et hospitalité, ingéniosité, ardeur au travail et sens de la solidarité, entêtement et tendance à la suspicion, courage et ténacité, caractère insulaire et curiosité, fierté de son identité et sensibilité à vif face au mépris.

Alors que les effets du bouclage imposé par Israël en 1991 se sont aggravés au fil des ans, transformant Gaza en une vaste prison, l’esprit d’initiative et l’ingéniosité ont cédé la place à une apathie et une inaction généralisées, parallèlement à l’émergence d’une débrouillardise, d’une créativité impressionnante et d’une volonté farouche de vivre. Avec toutes ses contradictions et ses difficultés, la bande de Gaza a connu une évolution dans son cadre propre et selon ses propres critères de loyauté patriotique tout en continuant à donner une image de l’ensemble des Palestiniens et de leur cause – une sorte de microcosme palestinien – plus que n’importe où ailleurs en Palestine.

Il y a environ deux ans, j’écrivais : « Ce cadre unique est l’une des explications (mais pas la seule) de l’extraordinaire résilience de sa population et de la manière dont elle a fait face pendant des décennies à des situations extrêmes et cauchemardesques qui défient l’imagination, culminant dans des offensives militaires israéliennes meurtrières. » À l’époque, je ne pouvais pas imaginer les horreurs de la guerre actuelle, qui en est à son cinquième mois.

Les guerres sont le prolongement des politiques, et la guerre actuelle s’inscrit dans le cadre de la politique menée depuis des années par Israël pour contrecarrer tout projet national palestinien tourné vers la liberté et l’indépendance. Pourtant, il est indéniable que cette guerre de destruction a été déclenchée par l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.

Cette attaque – contre des soldat.es et des installations militaires israéliens, contre des civils dans leurs maisons et lors d’une soirée de fête et de danse dans la nature – a brisé l’orgueil démesuré d’Israélien.nes et mis en évidence sa faiblesse structurelle en tant que puissance militaire. En quoi consiste cette faiblesse ? Dans son refus et son incapacité à comprendre que la domination exercée sur le peuple palestinien, tout en niant son histoire en tant que nation indigène, ses droits en tant que peuple et sa liberté, n’est pas viable à perpétuité. La confiance inébranlable, la certitude arrogante qu’il est possible de vivre une vie bonne et heureuse tout en contrôlant, opprimant et emprisonnant plus de deux millions de Gazaouis – et en tirant profit de cette oppression et de cette exploitation – a volé en éclats le 7 octobre lorsque plusieurs centaines de militants du Hamas et un nombre inconnu de civils palestiniens ont abattu les murs de la plus grande prison du monde, même si ce fut juste pour quelques heures. Dans les annales des luttes de libération nationale, cela pourrait certainement être considéré comme une réussite.

Pourtant, mon sentiment de défaite est fort et persistant, et il est triple. Pendant des décennies, les Palestinien.es et les militant.es de gauche en Israël, moi y compris, ont averti les Israélien.nes et les États soutenant Israël que l’oppression continue et la domination impitoyable conduiraient à une explosion épouvantable, préjudiciable à toutes et tous, à des effusions de sang et à des souffrances intolérables. Mais l’attrait des privilèges matériels et des avantages qu’Israël offrait aux Juifs et juives (citoyen.nes israéliens et citoyen.nes d’autres États) qui s’installaient dans le territoire palestinien occupé s’est avéré plus fort. Il s’agit notamment de villas à des prix avantageux, de subventions et d’exonérations fiscales, d’une meilleure qualité des services d’éducation et de santé, ainsi que de terres agricoles et d’autres projets d’entreprise pouvant être obtenus gratuitement ou pour un prix symbolique. Ajoutez à cela le fait que le territoire occupé est devenu un immense laboratoire pour l’industrie de l’armement israélienne et les technologies de surveillance de pointe, deux des biens d’exportations les plus rentables de l’économie israélienne. Les carrières et les revenus de personnes de toutes les couches de la société sont étroitement liés à ces industries liées à l’occupation et à la machinerie bureaucratique nécessaire au maintien d’un régime répressif imposé à plus de cinq millions de Palestinien.nes.

Les Juives et Juifs israéliens savent que tout accord de paix passerait par l’égalité des droits pour les citoyen.nes palestiniens d’Israël, l’indemnisation ou la restitution de leurs terres et de leurs biens volés par Israël en 1948, ainsi que la répartition égale des ressources en eau entre Juifs et Arabes dans l’ensemble du pays. Ainsi, la fin de l’occupation et l’égalité des droits sont consciemment ou inconsciemment conçues comme une menace pour la vie et le bien-être de nombreux Israélien.nes. Tout cela a été renforcé par des théories et des prêches racistes messianiques. Ces théories (y compris le sexisme) se développent et se répandent pour justifier l’exploitation, les discriminations de toutes sortes et la répression, mais à un certain stade, elles acquièrent une vie propre, se propageant comme un poison à mesure qu’elles sont perçues par de plus en plus dans les générations nouvelles comme des lois irréfutables de la nature.

Nous, à gauche, lorsque nous affirmions qu’il n’y avait rien de « naturel » à imposer sa domination sur un autre peuple, nous nous appuyions sur les valeurs universelles et juives ; nous rappelions ce que l’histoire nous enseigne quant à l’échec des excès du pouvoir ; nous avons essayé d’en appeler à la raison et de faire valoir qu’il était dans l’intérêt d’Israël de mettre fin à l’occupation – en vain. J’ai moi-même écrit et dit plus d’une fois que nous pourrions atteindre un niveau de brutalité qui ne permet plus de revenir en arrière.

C’était un avertissement dont je ne pouvais imaginer qu’il deviendrait une prophétie : aussi bien planifiée et méticuleuse qu’ait été l’attaque du Hamas sur le plan militaire, elle a également libéré la rage, personnelle et collective, accumulée par des milliers de personnes et leur désir de vengeance à l’égard des Israélien.nes (y compris les citoyens étrangers travaillant en Israël et les citoyens palestiniens d’Israël). Les militants du mouvement de résistance islamique et les civils de Gaza qui les ont rejoints n’ont fait aucune distinction entre les soldat.es et les civils, les adultes, les enfants et les bébés, pour la plupart juifs, mais aussi non juifs. Les proches d’environ 1400 familles ont été blessé.es ce jour-là, tué.es ou faits prisonniers. Il existe également des preuves de violences sexuelles et de viols. Des milliers d’autres personnes ont été blessées ou ont pu s’échapper de justesse. (Le nombre de victimes du Hamas à partir du 7 octobre est estimé à un millier). On considère qu’il s’agit de la pire défaite et du pire traumatisme subis par les Israélien.nes depuis 1948.

Deux jours après le massacre, dans une grande douleur qui ne m’a pas quitté depuis, j’ai écrit : « En un seul jour, les civils israélien.nes ont enduré ce que les Palestinien.nes ont subi pendant des décennies et continuent de subir comme une routine : l’invasion militaire, la mort, les brutalités, les enfants tués, les corps jetés sur la route, le siège, la peur paralysante, la crainte pour le sort des êtres chers, leur arrestation, l’envie de se venger, l’envie d’infliger de faire mourir en masse ceux qui sont impliqués (militants) tout comme ceux qui ne le sont pas (civils), le sentiment d’infériorité, la destruction de bâtiments et les fêtes et les cérémonies gâchées , la faiblesse et l’impuissance face à une force armée toute-puissante, les humiliations cinglantes. Encore une fois : Nous vous l’avions bien dit. L’oppression et l’injustice sans fin prévisible finissent par éclater à des moments et dans des lieux inattendus. Comme la pollution, les bains de sang ne connaissent pas de frontières ».

Israël a réagi comme on pouvait s’y attendre et a immédiatement entamé une campagne de dévastation génocidaire et vengeresse qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, se poursuit. Le nombre de Palestinien.nes tués par les bombardements et les tirs d’artillerie israéliens et l’ampleur inimaginable des destructions augmentent chaque jour. À la fin du mois de janvier, l’armée israélienne avait tué plus de 26 000 Palestiniens, dont plus de 10 000 enfants. Des milliers d’autres sont portés disparus. Le nombre de combattants palestiniens tués au combat à l’intérieur de la bande de Gaza n’est pas connu, et il n’est pas certain qu’ils soient inclus dans le décompte officiel. Au moins la moitié des bâtiments de Gaza ont été détruits par les bombardements et les combats entre l’armée israélienne et les militants du Hamas. Au moins deux tiers des habitants de la bande de Gaza, soit environ 1,7 million de personnes, ont été déplacés. Des dizaines de milliers de personnes ont fui leurs maisons dans le nord et le sud du pays. Tant de vies précieuses et de souffrances auraient pu être épargnées s’ils avaient écouté. Mais ils ne l’ont pas fait.

La deuxième raison de mon sentiment de défaite est moins personnelle, mais non moins douloureuse : l’échec de la lutte populaire de masse contre l’oppression israélienne. Contrairement à la lutte armée, la révolte populaire non armée implique tout le peuple : femmes et hommes, jeunes et vieux, ouvriers, fonctionnaires et universitaires, comme lors du soulèvement de 1987-1991, de la première Intifada et des premiers jours de la seconde Intifada en 2000. Une révolte de masse qui englobe de nombreuses couches sociales sera inévitablement diversifiée et efficace grâce à la diversité de ses moyens d’action : confrontation de masse avec les forces d’occupation, désobéissance civile à la bureaucratie de l’occupation, activités culturelles, initiatives d’éducation et d’apprentissage populaires, initiatives politiques à la base, comités populaires de soutien et d’assistance mutuelle, volonté consciente de sacrifier la vie normale et de prendre des risques, et large participation à la planification et à l’élaboration d’une stratégie à long terme. Tout cela confère à la lutte un caractère démocratique par essence.

Il n’est pas difficile d’expliquer la grande dépréciation de la notion de lutte populaire parmi les Palestinien.nes : à chaque fois, cette grande entreprise collective a engrangé des récoltes endommagées, politiquement, nationalement et sur le plan personnel.

La première Intifada a débouché sur des négociations entre Israël et les Palestiniens, qui ont abouti aux accords d’Oslo. Ceux-ci étaient définis comme un accord de paix et les Palestiniens étaient convaincus qu’en 1999, ils auraient pour résultat la création d’un petit État indépendant aux côtés d’Israël. Bien qu’ils aient fait un compromis douloureux en acceptant que seulement 22% de la Palestine historique ne leur revienne, ils ont soutenu les accords pour épargner aux générations futures la douleur et les privations de la vie sous l’occupation. Cependant, dès la signature, Israël a exploités les accords pour rendre impossible la mise en place d’un tel État en construisant des colonies et en comprimant les Palestiniens dans de petites enclaves à l’intérieur de la Cisjordanie, les séparant de l’enclave de Gaza.

Les militants qui ont souscrit au principe de la lutte non armée pour s’opposer à l’expansion des colonies, ainsi que les militant.es juifs de gauche, ont été et sont soumis au harcèlement des services de sécurité israéliens, qui les intimident, procèdent à des arrestations, portent des accusations sans fondement et exercent une violence physique entraînant des blessures, voire la mort.

Les Palestinien.nes de Gaza ont commencé à protester en masse contre le siège et pour le droit au retour dans leurs villages détruits en 2018 et cela a continué pendant plus de deux ans. Il y a eu des jets de pierres, de cocktails Molotov et des ballons incendiaires qui ont brûlé des champs de l’autre côté de la frontière, mais cela n’a pas mis de vies humaines en danger. Pourtant, les soldats qui ont tiré de derrière la clôture qui marque la frontière ont tué de nombreux manifestants et en ont blessé des dizaines d’autres, entraînant des incapacités permanentes et des amputations.

Israël a présenté la campagne citoyenne visant à imposer le boycott, le désinvestissement et les sanctions ainsi que les actions juridiques internationales contre ses crimes de guerre comme étant motivées par un pur et simple antisémitisme, tout en utilisant cyniquement le génocide des Juifs de 1939-1945 pour inciter les pays occidentaux à criminaliser la campagne.

Le message politique clair de porté par ces initiatives non violentes a été rejeté par Israël, et le soulèvement non armé n’a eu que peu d’impact sur les occupants et l’occupation. Pour de nombreux Palestinien.nes, l’étape logique suivante était évidente : il fallait infliger davantage de souffrance à l’occupant jusqu’à ce qu’il comprenne. Telle a été la conclusion en 2000, lorsque l’armée israélienne a tué des manifestants non armés et imposé de sévères restrictions de mouvement à l’ensemble de la population au début de la deuxième Intifada. Les organisations palestiniennes armées, dirigées par le Hamas, ont repris leurs tactiques des années 1990 pour s’opposer aux négociations avec Israéliens : attentats suicides dans des bus, sur des marchés et dans des restaurants, qui ont tué de nombreux citoyen.nes israélien.nes. Au fil du temps, le Hamas a développé et perfectionné sa capacité à tirer des roquettes sur Israël, tout en envoyant des messages politiques et religieux contradictoires sur l’avenir du pays et des deux peuples qui y vivent.

Les attentats suicides des années 1990 et 2000 et la guerre des roquettes ont-ils réussi à stopper l’expansion des colonies israéliennes et la volonté d’Israël de parquer les Palestinien.nes dans des enclaves tout en leur volant davantage de terres, de ressources et d’espace ? Non, c’est tout le contraire. Elles ont réussi comme moyen terrifiant de vengeance, c’est vrai, mais elles n’ont pas réussi à stopper le processus de colonisation. Pourtant, l’aura de la résistance armée ne fait que briller davantage pour de nombreux Palestinien.nes et leurs partisans dans le monde.

C’est la troisième raison du sentiment de défaite qui me ronge, en tant que féministe socialiste : la pratique profondément masculiniste qui consiste à développer et à produire des armes, à les commercialiser, à engranger des profits et à les faire circuler est considérée comme un axiome et un point de départ indiscutable – que ce soit en tant que mesure de la puissance nationale, de la souveraineté et du explicite à la violence légitimée ou en tant que moyen suprême et révéré de résistance à l’oppression. Mais contrairement à ce qu’il en était au 16e ou au 19e siècle , les armes d’aujourd’hui et l’escalade dans la concurrence ont la capacité de conduire à la destruction du monde et de l’humanité dans son ensemble.

La bande de Gaza que nous connaissions a été détruite et sa communauté a été démantelée par la machine de guerre israélienne. Israël a tué et blessé un nombre incalculable de civils. Nous n’avons pas encore commencé à prendre la mesure du traumatisme. Les diplômé.es, les riches, ceux qui ont des relations à l’étranger et de l’ingéniosité quittent Gaza et continueront à le faire. La reconstruction prendra des décennies. Verrons-nous un jour un bouleversement politique et social radical qui amènerait à reconsidérer cette effroyable destruction et la stratégie de résistance armée du Hamas comme « valables » ? Il est trop tôt pour le dire.

Amira Hass, 15 février 2024
Amira Hass est la correspondante de Haaretz pour les territoires occupés. Née à Jérusalem en 1956, Amira Hass a rejoint Haaretz en 1989 et occupe son poste actuel depuis 1993. Elle a vécu trois ans à Gaza, qui a été à l’origine de son livre Drinking the Sea at Gaza (Boire la mer à Gaza), largement salué par la critique. Elle vit à Ramallah, en Cisjordanie, depuis 1997. Elle est également l’auteur de deux autres livres, qui sont
tous deux des compilations de ses articles.

Source : Hammer and hope. NO. 3. PRINTEMPS 2024 :
https://hammerandhope.org/article/amira-hass-palestine-gaza
Traduit de l’hébreu en anglais par Riva Hocherman. Traduction de l’anglais pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70236

 

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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