La gauche n’apprend pas la terrible leçon des accointances passées avec l’extrême droite!

Pourquoi republier ce texte écrit et publié en 2018 ? Mais parce que, malheureusement, il est aujourd’hui, encore plus pertinent qu’alors. Parce qu’en six ans, la dérive d’une partie de la gauche grecque, mais aussi européenne, vers l’extrême droite s’est accélérée, intensifiée et approfondie, la rapprochant toujours plus de sa mutation finale en l’exact opposé de ce qu’elle avait voulu devenir.

Exagérations ? Plutôt non si l’on se souvient que cette gauche non seulement ne semble pas indignée, et encore moins révoltée, par les violations systématiques des droits et libertés démocratiques les plus élémentaires dans les pays dont les régimes lui plaisent, voire qu’elle soutient (par exemple, la Russie, la Chine, la Syrie, l’Inde, la Hongrie, l’Iran,…), mais tend dernièrement à « théoriser » cette attitude en traitant ces droits et libertés démocratiques comme des « luxes »… occidentaux d’importance secondaire dont son cher « monde émergent multipolaire » n’a pas besoin. C’est ainsi, qu’au lieu de prôner l’élargissement des droits et libertés que le régime bourgeois est contraint de concéder sous la pression des luttes populaires et ouvrières, cette gauche prône la réduction, voire l’abolition de ces droits, tels que la liberté de parler et d’écrire son opinion, de créer et d’organiser des partis politiques, des syndicats ouvriers et des mouvements sociaux, etc. Quant à tous ceux qui se battent, souvent dans les conditions les plus difficiles et souvent au péril de leur vie, pour défendre ces droits démocratiques fondamentaux, non seulement cette gauche ne leur témoigne pas la moindre solidarité et leur tourne le dos, mais elle va même jusqu’à reproduire les ignobles calomnies par lesquelles les bourreaux salissent l’honneur des victimes !

Alors, tout en continuant à clamer haut et fort son antifascisme, cette gauche est en train d’emprunter des pans entiers du programme traditionnel des courants et organisations d’extrême droite, voire néofascistes : dédain, voire hostilité, à l’égard des mouvements féministes et LGBT ; climato-scepticisme conduisant souvent à dénoncer le changement climatique comme une « escroquerie de l’impérialisme » ; attribution de vertus anti-systémiques à des régimes autoritaires, policiers, voire dictatoriaux, idéalisés au nom d’un anti-impérialisme qui choisit de soutenir un impérialisme contre un autre, et sympathie affichée, voire soutien à peine voilé, à des dictateurs ou aspirants dictateurs comme Trump, présenté comme victime des complots de l’establishment, etc. etc. Et « bien sûr », toujours moins des références à la lutte des classes remplacée par des références toujours plus nombreuses et insistantes à la patrie, au patriotisme et à « l’Europe des nations », ce qui conduit presque inévitablement à faire l’éloge même….de la famille traditionnelle (« grecque orthodoxe » dans le cas de la gauche grecque !) et d’autres « valeurs » conservatrices, réactionnaires et patriarcales, qui sont censées être menacées par les ennemis de la nation prétendument assiégée, etc, etc.

Alors, puisqu’on a déjà fait l’expérience de ce genre d‘apprentis sorciers dans l’entre-deux-guerres et on se souvient des conséquences catastrophiques de leurs politiques, et puisque notre époque ressemble de plus en plus à cet entre-deux-guerres, nous choisissons de republier le texte suivant, même si nous le faisons sans la moindre illusion que cela puisse changer quoi que ce soit à notre avenir immédiat, qui s’annonce de plus en plus sombre, d’autant plus que l’extrême droite internationale élargit toujours plus son influence. Mais, nous le faisons sûr que personne n’a jamais perdu en tirant des erreurs du passé les enseignements nécessaires pour le présent et l’avenir…

Yorgos Mitralias

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Quand la gauche grecque n’apprend pas la leçon des jeux dangereux du passé avec l’extrême droite ! 

Point de départ et en même temps motivation du bref récit de « l’affaire Radek-Schlageter »qui suit est la situation critique créée par le comportement des dirigeants d’une partie importante de la de la gauche radicale grecque à l’égard du rassemblement d’extrême droite (contre la reconnaissance de la République de Macédoine) qui s’est déroulé à Thessalonique le 20 janvier 2018. Alors attention, car les similitudes, les coïncidences et les analogies avec la tragédie européenne de l’entre-deux-guerres sont plus qu’évidentes…

C’est le Printemps 1923 et la Ruhr, le cœur industriel de l’Allemagne, vit sous l’occupation militaire française en guise de réparation de guerre mais aussi de vengeance de la France victorieuse de la Première Boucherie mondiale, sur l’Allemagne vaincue. Comme on pouvait s’y attendre, le peuple allemand humilié, appauvri et sans emploi, résiste à l’étranger qui pille son pays et réprime à la force des baïonnettes les protestations populaires. C’est donc une vague d’émotion et d’indignation qui déferle sur l’Allemagne lorsque les autorités militaires françaises d’occupation jugent, condamnent et exécutent l’ancien combattant, dirigeant des Frei Korps d’extrême droite et nazi Albert Leo Schlageter, arrêté alors qu’il effectuait l’un de ses nombreux sabotages.

Quelques jours plus tard, à l’occasion de l’exécution de Schlageter, le dirigeant bolchevique Karl Radek prononce devant le Comité Exécutif de la III Internationale, un discours qui allait marquer l’histoire du siècle passé de manière décisive mais aussi catastrophique. Voici donc tout de suite un extrait caractéristique de ce discours, tel qu’il est reproduit dans son livre « Moscou sous Lénine » [1] par le révolutionnaire français Alfred Rosmer, présent à cette réunion en tant que cadre dirigeant de la III Internationale.

« Durant tout le discours de la camarade Clara Zetkin, j’étais obsédé par le nom de Schlageter et par son sort tragique. Le destin de ce martyr du nationalisme allemand ne doit pas être tu ni être seulement honoré d’un mot dit en passant. Il a beaucoup à nous apprendre, à nous et au peuple allemand. Nous ne sommes pas des romantiques sentimentaux qui oublient la haine devant un cadavre, ou des diplomates qui disent : devant une tombe il faut louer ou se taire. Schlageter, le vaillant soldat de la contre-révolution, mérite de nous, soldats de la révolution, un hommage sincère. Son camarade d’idées, Freks, a publié en 1920 un roman dans lequel il décrit la vie d’un officier tombé dans la lutte contre les spartakistes intitulé Le pèlerin du néant. Si ceux des fascistes allemands qui veulent loyalement servir leur peuple ne comprennent pas le sens de la destinée de Schlageter, celui-ci est bien mort en vain et ils peuvent écrire sur sa tombe « Le Pèlerin du Néant » ».

Et Rosmer se souvient et raconte ce qui s’est passé immédiatement après : « Les délégués étaient interloqués. Que signifiait cet étrange préambule ? Ce qui suivit ne l’expliquait pas ; au contraire, venait renforcer l’impression première. Poursuivant son discours, Radek évoqua une Allemagne abattue, écrasée par le vainqueur. « Seuls des fous, dit-il, pouvaient s’imaginer que l’Entente traiterait l’Allemagne autrement que l’Allemagne a traité la Russie. Schlageter est mort. Sur sa tombe, ses compagnons d’armes ont juré de continuer : contre qui ? avec qui ? ». Et Rosmer de conclure : « Seule la conclusion (de Radek) était plausible : « Nous croyons que la grande majorité des masses secouées actuellement par des sentiments nationalistes appartient non pas au camp des capitalistes mais au camp du travail. »

Quand la direction du parti met enfin un frein à la catastrophe de la « ligne Radek » et abandonne les actions communes, le mal est déjà fait, du moins en grande partie. Au lieu d’avoir été plumés, les nazis sont sortis de leur isolement et sont devenus une force politique montante presque respectable, prouvant ainsi combien clairvoyant a été non pas le communiste Karl Radek, mais plutôt le… nazi Goebbels. Pourquoi ? Mais parce que Joseph Goebbels s’était empressé d’encenser (!) le discours honteux de l’apprenti sorcier de la Troisième Internationale car il avait immédiatement compris que ses conséquences pratiques seraient désastreuses pour le KPD (le Parti communiste d’Allemagne) alors qu’il serait une véritable aubaine pour son parti nazi… [2]

Malheureusement, c’est presque une tradition du mouvement ouvrier et surtout communiste et socialiste de ne pas apprendre de ses erreurs. Et ce, non seulement à cette époque-là, mais aussi aujourd’hui, presque un siècle plus tard ! Et si dans l’Allemagne d’avant-guerre, le KPD qui appliquait aveuglement les diktats de la bureaucratie stalinienne, et qui a répété plus tard – bien qu’occasionnellement – des actions communes et ses accointances avec les nazis, pourrait profiter de la circonstance atténuante que le fascisme et le nazisme étaient un « phénomène » nouveau et jusqu’alors inconnu, que dire des apprentis sorciers de la gauche grecque d’aujourd’hui qui semblent n’avoir rien appris des expériences tragiques de l’entre-deux-guerres européen – jusqu’à présent inégalées dans leur sauvagerie et leurs conséquences catastrophiques ?

C’est ainsi que les uns, c’est-à-dire ceux du parti au pouvoir Syriza, déclarent combattre le fascisme tout en appliquant avec excès de zèle les politiques néolibérales qui le nourrissent, tandis que les autres, ceux du KKE (PC grec), se vantent de faire face à la menace nazie en suivant fidèlement l’exemple notoirement failli du parti communiste allemand et de son dirigeant d’alors, Ernst Thaelmann, rendu tristement célèbre pour sa malheureuse prédiction. « Les nazis ne resteront que six mois, puis ce sera notre tour » ! Enfin, ceux qui nous préoccupent le plus aujourd’hui, à savoir les dirigeants d’une grande partie – mais heureusement pas de la totalité – de la gauche radicale, combattent le fascisme en découvrant et en louant les « vertus » cachées – totalement inexistantes – de son public social profondément barbare et raciste   Tant les uns que les autres commettent un véritable crime ! Et s’ils continuent sur la voie sans issue qu’ils ont choisie, il est presque certain que l’avenir s’annonce sombre, malheureusement, pour les injustes mais aussi pour les justes, c’est-à-dire pour nous tous…

Ainsi, au lieu de rivaliser avec l’extrême droite – fasciste ou non – pour savoir qui est le plus « patriote », le plus authentiquement grec et le plus « combattant pour la Macédoine », il serait bien mieux, même pour eux, d’unir d’urgence leurs forces dans un front antifasciste uni. Un front antifasciste uni qui dissipera la confusion actuelle, inspirera la jeunesse, redonnera confiance aux démocrates, ressuscitera les bonnes vieilles valeurs de solidarité et d’internationalisme, et enfin passera à la contre-offensive dont nous avons si désespérément besoin.

Notes
[1] Alfred Rosmer, Moscou sous Lénine, 1923 – I : Poincaré fait occuper la Ruhr : 
https://www.marxists.org/francais/rosmer/works/msl/msl2301.htm
[2]
 Le régime nazi a donné le nom de Schlageter à des rues et à des places, à des navires et à des casernes, à des villes et à des unités militaires, tandis qu’une pièce de théâtre a été écrite à son sujet, à laquelle on attribue d’ailleurs la phrase tristement célèbre « Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». Le dénonciateur présumé de Schlageter auprès des autorités françaises a été assassiné par Rudolf Hoess, futur commandant du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, et Martin Borman, bras droit et confident d’Hitler.

Yorgos Mitralias, 26 Janvier 2018

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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