Les enfants ukrainiens victimes de Poutine

Depuis le 17 mars 2023 Vladimir Poutine est officiellement un criminel recherché par la justice internationale. À cette date, la Cour pénale internationale a délivré des mandats d’arrêt à son encontre ainsi qu’à l’encontre de Maria Alekseïevna Lvova-Belova.

Poutine est individuellement responsable au pénal des crimes susmentionnés. Il est suspecté de crimes de guerre pour la déportation d’enfants ukrainiens en Russie, et pour les transferts forcés d’autres enfants vers les territoires occupés de l’est du pays. Il y a « des motifs raisonnables de croire que Vladimir Poutine est personnellement responsable de ces crimes », ont estimé les juges dans un communiqué. Coautrice présumée de ces « crimes », la commissaire russe chargée des droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, 38 ans, est elle aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt. Ils portent sur « la déportation de centaines d’enfants retirés d’orphelinats et de foyers » en Ukraine, qui auraient ensuite été « donnés à l’adoption » en Russie, ajoute le procureur dans un communiqué.

C’est un aspect parmi les plus révoltants et les plus graves de la guerre de Poutine. Depuis le début du conflit, plus de 500 enfants ont été tués, deux fois plus ont été blessés et certains torturés. Des millions d’enfants ukrainiens ont été contraints de quitter leurs lieux de vie afin de fuir les combats et les bombardements. Un enfant ukrainien sur deux a été obligé de quitter son foyer pour fuir l’insécurité. Selon les chiffres de l’Unicef, ils sont 4,3 millions d’enfants déplacés, soit plus de la moitié de la population infantile du pays. Et 1,8 million d’entre eux ont traversé la frontière pour se réfugier dans les pays voisins.

Une autre forme de violence : la déportation vers la Russie
Plusieurs centaines de milliers enfants ukrainiens ont été transférés de force et donc déportés en Russie. Vingt mille enfants ont déjà été identifiés précisément par les autorités ukrainiennes, qui estiment qu’il y a en tout 200 000 enfants déportés. Ils viennent des régions annexées dès 2014 par la Russie dans le Donbass, ou des régions occupées par l’armée russe depuis le début de l’invasion.

Un certain nombre sont orphelins et étaient accueillis dans des orphelinats, d’autres ont été séparés temporairement de leur famille par la guerre, d’autres encore ont été envoyés par leurs parents pour des vacances, mais ne sont jamais revenus.

Kidnappés puis parfois adoptés par des familles russes, au mépris de toutes les lois en vigueur, certains ne reverront sans doute jamais leurs proches.

Nombre d’entre eux ont été séparés de leurs parents au moment de l’évacuation de leur famille vers la Russie. C’est le cas pour beaucoup d’enfants de la ville de Marioupol ou des opérations de « filtration » ont eu lieu :

Il suffisait que le parent porte un tatouage qui déplaisait aux autorités ou qu’il soit sur une des listes de personnes suspecte pour que les enfants soient séparés des parents puis évacués soit vers la République autoproclamée de Donetsk, soit directement vers la Fédération de Russie.

D’autres ont été confiés « naïvement » aux autorités russes par leurs parents. Ils devaient passer quelques semaines de vacances en Crimée ou en Russie. Depuis plus de nouvelles.

Que deviennent ces enfants en Russie ? Au mépris de toutes les conventions et lois internationales, ces enfants sont adoptés et deviennent des citoyens russes. Au cœur de ce système de russification à outrance, on trouve une proche de Vladimir Poutine, nommée Maria Lvova-Belova, qui est officiellement sa « commissaire pour la protection de l’enfance ». Elle a elle-même entamé une rafle intensive dans les établissements où étaient accueillis des enfants qui étaient soit des enfants malades, soit des enfants handicapés, soit des enfants tout simplement retirés momentanément à la garde de leur famille dans le cas de difficultés pécuniaires passagères. Seulement une centaine d’enfants ont pu retrouver leur famille en Ukraine.

Le combat contre la déportation des enfants et pour leur retour
Les institutions internationales telles que l’Unicef et la Croix-Rouge se sont montrées très timorées et n’ont pas mis en œuvre de réels efforts afin de localiser et de rapatrier ces enfants.

Ce sont des associations et des médias qui ont alerté l’opinion et révélé l’ampleur de ces déportations.

En France, l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre poursuit de nombreuses actions dans ce domaine : tribunes dans la presse, interpellation des pouvoirs publics, pétition internationale (www.change.org/p/bringbackukrainiankids), manifestations de rue… Elle a déposé le 21 décembre un dossier auprès de la Cour pénale internationale  CPI) pour lui demander d’ouvrir une enquête pour «génocide». Elle l’explique ainsi :

Les enfants ukrainiens déportés en Russie ne sont pas massacrés. Ils sont déracinés, séparés de leurs familles, leurs tuteurs ou leurs proches, forcés d’apprendre le russe et pour nombre d’entre eux proposés à l’adoption. Ce sont des pratiques génocidaires selon la convention de prévention des crimes de génocides (1948, art. 2.e) repris par le traité de Rome (1998, art. 6) qui a institué la CPI.

« Russifier » les enfants ukrainiens, une politique assumée
Le but : faire perdre à ces enfants tout lien avec leur famille et plus largement avec la culture et la nation ukrainienne. Une fois en Russie, « sous couvert de “dénazification” de l’Ukraine, on va les transférer parfois à des milliers de kilomètres, dans des camps de rééducation ». Les plus jeunes eux seront « adoptés immédiatement ». D’après l’association, il s’agit d’une « politique institutionnelle », directement supervisée par Vladimir Poutine et sa commissaire présidentielle aux droits des enfants. C’est Vladimir Poutine qui, en mai 2022, a pris un décret présidentiel pour faciliter l’adoption des enfants ukrainiens

Le sort des enfants ukrainiens, lourd de traumatismes psychiques graves, illustre le caractère criminel de la guerre déclenchée par Poutine contre l’Ukraine. Une mobilisation internationale continue doit aboutir au retour de ces enfants et au jugement de ceux et celles qui leur infligent de telles souffrances.

Les actions russes visant à intégrer la population ukrainienne à la nation russe sont de plusieurs types : déportation en Fédération de Russie, naturalisation, russification par le système éducatif et adoptions d’enfants. Ces actions concernent potentiellement 10 millions d’Ukrainiens qui vivent ou vivaient dans les régions occupées du Donbass, des oblasts de Zaporijjia et Kherson et en Crimée, soit environ 1,5 million de mineurs de moins de 15 ans.

Le système de russification globale mis en place par les autorités d’occupation implique tout l’appareil d’État russe: administration présidentielle, ministères, notamment de l’éducation, des situations d’urgences (qui comprend des forces armées), de la défense, les parlementaires de la Douma, ainsi que les membres des administrations militaro-civiles des territoires occupés et diverses organisations de jeunesse telles que la Yunarmya (armée de la jeunesse).

Déportations
Des témoignages, des rapports et des articles de presse documentent de manière substantielle les déplacements massifs et forcés d’enfants ukrainiens par les forces d’occupation russes. Ces déplacements, présentés sous différents prétextes tels que la mise à l’abri hors des zones de combat, la nécessité de soins médicaux, ou l’envoi temporaire d’enfants en « camps de vacances », sont en réalité des déportations caractérisées par l’utilisation généralisée de la désinformation, l’intimidation par les forces armées russes ou leurs supplétifs et l’absence de corridors d’évacuation vers l’Ukraine libre. Les enfants déportés appartiennent à plusieurs catégories documentées :

1) les mineurs isolés présents avant-guerre en institution. L’Unicef dénombrait 91 000 enfants dans les institutions pour mineurs isolés en Ukraine avant le 24 février 2022 ;

2) les mineurs séparés de leur famille durant les combats sont également déportés et courent le risque d’être adoptés ;

3) les enfants séparés de leurs parents en camp de filtration sont, selon des témoignages, également déportés et courent le risque d’être adoptés ;

4) les enfants des territoires occupés séparés de leurs parents sous divers prétextes : mise en sécurité, séjours en colonies de vacances ou raisons médicales, et que l’administration russe refuse de rendre aux parents ;

5) les enfants déportés avec leurs familles.

Si des transferts forcés de population ont eu lieu dès l’invasion de la Crimée et d’une partie du Donbass en 2014, les déplacements de grande ampleur d’enfants débutent dans le Donbass occupé le 18 février, soit une semaine avant le début de l’invasion de l’Ukraine du 24 février 2022 et n’ont pas cessé depuis. Les enfants ukrainiens sont une cible prioritaire des occupants russes, à titre d’exemple, les déportations dans le Donbass occupé commencent le 18 février 2022 par les 225 orphelins de l’internat n°1 de Donetsk. Les autorités russes font déjà état au 23 février de 31 000 enfants, la plupart de moins de 14 ans, arrivés du Donbass en Russie. En février 2023, les autorités russes font état de plus de 700 000 enfants ukrainiens déplacés sur le territoire de la Fédération de Russie depuis février 2022. Le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU indique que 2,9 millions d’Ukrainiens ont traversé la frontière vers la Russie ou la Biélorussie au 21 novembre 2023, soit environ 430 000 enfants de moins de 15 ans. La Fédération de Russie ne fournit pas d’information sur la situation de ces mineurs déplacés et n’en autorise pas l’évaluation indépendante. Les enfants déportés sont envoyés dans de multiples régions de la Fédération de Russie jusque dans la région extrême-orientale de Vladivostok. La Crimée fait souvent office de plaque tournante des déportations, notamment pour les mineurs isolés en raison du grand nombre de camps de vacances qui permettent de les héberger.

Les déportations ont procédé en plusieurs vagues qui concernent tout d’abord le Donbass, comme évoqué ci-dessus pour la semaine précédant le 24 février 2022. La conquête de Marioupol du 24 février au 21 mai 2022 a notamment donné lieu à des déportations d’enfants de grande ampleur puisque sur les 58 000 mineurs de moins de 14 ans qui y vivaient en 2021, la ville ne comptait plus qu’environ 10 000 enfants scolarisés à la rentrée scolaire de septembre  022. La reconquête de la région de Kharkiv par l’Ukraine a également donné lieu à des déportations de masse vers la Fédération de Russie du début à la mi-septembre 2022, les autorités russes faisant état de 22 000 personnes de cette région transférées en Russie en date du 15 septembre. La ville de Kherson et toute la rive droite du Dniepr ont, elles aussi, été vidées d’une bonne partie de leurs enfants lors des évacuations qui ont précédé sa reconquête par l’armée ukrainienne début novembre 2022. La rafle systématique des institutions pour mineurs isolés est bien documentée pour cette région. Les zones voisines du front dans la région de Zaporijjia ont également été le théâtre de déportations d’enfants à partir d’avril 2023.

Dans toutes ces régions, l’envoi d’enfants en « centres de vacances » ou en « camps de santé » a été réalisé par les autorités russes Ces enfants n’ont pas été rendus à leurs parents dans les cas où ces derniers sont restés dans les zones libérées par l’Ukraine.

Naturalisations forcées
La distribution de passeports russes a été utilisée avant 2014 en Ukraine comme vecteur de déstabilisation et prétexte d’invasion, notamment dans le Donbass et la Crimée, et largement amplifiée dans ces régions après leur occupation en 2014. Depuis l’invasion du 24 février 2022, l’Ukraine occupée est le théâtre d’une campagne planifiée de « russification par la citoyenneté », dont le caractère systématique et la cohérence ont été montrés, et dont les mesures incitatives et coercitives sont documentées. Cette campagne vise les habitants des territoires occupés, mais n’exclut pas les très nombreux Ukrainiens déplacés en Fédération de Russie, isolés en terre étrangère et fragilisés par leur condition de réfugiés. Elle cible massivement les mineurs ukrainiens isolés transférés en camps, l’octroi de la citoyenneté russe à ces derniers étant même revendiquée ouvertement par les autorités d’occupation. Cette campagne est d’essence génocidaire car la citoyenneté russe, qui s’accompagne d’un serment de fidélité à la Russie et d’une renonciation à la nationalité ukrainienne, s’impose aux mineurs et se transmet aux générations futures. Si les autorités russes semblent avoir voulu maintenir la fiction d’une adhésion enthousiaste des Ukrainiens « libérés » (selon le terme de propagande consacré) à la nation russe jusqu’aux « référendums d’annexion » de septembre 2022. L’annexion simplifie la procédure d’accès à la citoyenneté russe qui peut dès lors être octroyée de manière expéditive aux adultes et mineurs ukrainiens déplacés ou restés sur place. Le masque tombe le 27 avril 2023 avec le décret de Poutine qui ostracise les Ukrainiens réfractaires à la citoyenneté russe, déclarés « étrangers non expulsables ». C’est alors qu’est ouvertement lancée la « traque aux réfractaires », une clause du décret stipulant que ces derniers seront passibles de détention ou de déportation à partir de juillet 2024, ainsi que les nouveaux citoyens qui font usage de leur passeport ukrainien ou discréditent l’armée russe et propagent de « fausses nouvelles » à son endroit. Cette traque aux réfractaires s’appuie notamment sur la mise en place de Chatbots de délation en ligne par les autorités d’occupation, délation qui semble assortie à une récompense. Outre la perte de la nationalité ukrainienne, l’octroi de la nationalité russe a pour conséquence que les Ukrainiens des territoires occupés et ceux déplacés en Fédération de Russie sont appelés à combattre l’Ukraine dans l’armée russe, ou le seront dans le cas des mineurs, ce qui redouble l’efficacité de cette mesure d’éradication de la nation ukrainienne. En effet, un communiqué du ministère de la défense russe de mai 2023 indique que 79 800 habitants du Donbass ont été mobilisés entre le 10 novembre et le 2 décembre 2022.

Russification forcée dans les structures scolaires et périscolaires
Les mineurs ukrainiens transférés en Russie sont d’emblée confrontés à un système éducatif « aux normes russes » (selon le terme de propagande) qui depuis l’invasion de la Géorgie en 2008 a considérablement évolué pour renforcer l’endoctrinement patriotique et introduire la préparation militaire des enfants dès leur plus jeune âge. Les enfants sont fortement incités à rejoindre une organisation militaro-patriotique de jeunesse, telle que la Yunarmya (organisation sous tutelle conjointe des ministères de la défense, de l’éducation et de la culture créée en 2016 à l’initiative du ministre de la défense Sergueï Choïgou) ou le Mouvement des premiers (inspiré des pionniers soviétiques, créé en juillet 2022 et supervisé directement par Poutine). Le patriarcat orthodoxe de Russie contribue à la militarisation des enfants avec son livre militaro-patriotique Vivre, c’est servir la Patrie, vendu par l’éditeur dans la catégorie « Livres pour enfants ».

Dans les territoires occupés, les parents sont encouragés à envoyer leurs enfants à l’école, tout d’abord par des mesures incitatives telles que le versement de 10 000 roubles à l’un des deux parents de chaque enfant scolarisé, afin de remplir les écoles pour la première rentrée des classes sous occupation russe en septembre 2022. Ces mesures seront ensuite coercitives, les parents étant d’abord tenus administrativement responsables, puis pénalement responsables. Ici encore, l’incitation à la délation permet aux autorités d’occupation de traquer les réfractaires à la russification par l’éducation de leurs enfants. Une répression intense s’abat sur les Ukrainiens des territoires occupés qui résistent à la russification scolaire de leurs enfants, répression pouvant aller jusqu’à la privation des droits parentaux et au placement des enfants en institution. La russification scolaire des mineurs isolés, qui n’ont d’autre choix que d’obtempérer, est également documentée, ainsi que les brimades que subissent les enfants ukrainiens dans l’école aux « normes russes ».

Le passage aux «normes russes» des écoles des territoires occupés d’Ukraine s’est déroulé à marche forcée afin de préparer la rentrée des classes du 1er septembre 2022, ce qui témoigne à nouveau de la mobilisation de toutes les ressources de l’État russe vers l’objectif génocidaire d’éradication de l’identité ukrainienne. Les bibliothèques sont vidées des livres et manuels ukrainiens qui sont remplacés par des ouvrages russes. Les directeurs d’école sont fréquemment remplacés et les enseignants subissent un « recyclage » en Russie ou en Crimée. Les écoles sont accréditées à délivrer des diplômes « aux normes russes ». Les programmes scolaires sont modifiés, notamment afin de justifier les invasions russes de l’Ukraine, et les enseignements uniquement dis- pensés en langue russe. Le salut au drapeau russe et l’hymne russe sont de rigueur. La refonte de l’école se poursuit durant l’année 2022-2023 et le journaliste militaire Roman Saponkov déclare lors de la rentrée de septembre 2023 que les 320 000 enfants ukrainiens des territoires occupés qui « étudieront en russe dans des écoles russes » constituent « l’un des principaux succès de l’Opération militaire spéciale ».

Les organisations militaro-patriotiques de jeunesse arrivent massivement dans les territoires occupés après le « référendum » d’annexion à la Russie de septembre 2022 et participent à l’embrigadement des mineurs ukrainiens. De nombreuses classes de cadets militaires sont créées dans les territoires occupés, qui dispensent gratuitement une formation militaire aux mineurs de 3 à 18 ans pris en charge en internat.

Les occupants instaurent dans les territoires occupés la célébration des diverses fêtes patriotiques de la Russie de Poutine, la plupart héritées de l’URSS, ainsi que la vénération des symboles et des héros de cette même Russie. Les mineurs ukrainiens des territoires occupés sont submergés d’une propagande qui assimile l’Ukraine au nazisme et la « libération » des territoires d’Ukraine par la Russie à la Grande guerre patriotique.

La Russie dispose d’un arsenal de mesures « rééducatives » et punitives pour traiter le cas des mineurs ukrainiens récalcitrants, qui vont du mentorat mis en place par la Yunarmya aux camps de rééducation pour « adolescents difficiles » en Tchétchénie. La répression s’abat très tôt sur le personnel éducatif récalcitrant, comme l’attestent les « recadrages » d’écoles, surveillance de bibliothèques et de musées, remplacements, répression et tortures qui sont documentés.

L’occupation russe a brutalement plongé les mineurs ukrainiens dans un cauchemar militaro-patriotique totalitaire. Les mineurs ukrainiens sont les otages de ce système de lavage de cerveau, à la fois victimes et objets de chantage pour contraindre les parents à y soumettre leurs enfants. Comme dans le cas de la « naturalisation forcée » abordé ci-dessus, la « russification par l’éducation » n’offre donc pas d’échappatoire aux mineurs embrigadés à l’école, dans les corps de cadets ou dans des mouvements de jeunesse au militaro-patriotisme fanatique.

Adoptions
Comme souligné plus haut, les forces d’occupation portent une attention particulière aux mineurs isolés, les plus vulnérables au « lavage de cerveau » qui vise à les transformer patriotes russes. Ces mineurs isolés semblent faire l’objet d’un tri systématique et sont fréquemment déplacés pour être rassemblés dans diverses institutions de l’occupant, notamment de dans nombreux camps situés en Crimée et en Fédération de Russie qui comptent plusieurs milliers de ces mineurs. Ils proviennent 1) des institutions ukrainiennes pour mineurs isolés qui ont été ou sont sous contrôle russe, 2) des zones de combat ou des lieux de filtration où ils ont été séparés de leurs tuteurs légaux vivants ou morts, 3) du transfert de mineurs, sous prétexte de mise à l’abri des combats, de vacances ou de soins médicaux, qui n’ont pas été rendus à leurs tuteurs, 4) il est probable que d’autres mineurs rejoignent ces institutions à la suite de la déchéance des droits de leurs parents réfractaires à la russification.

L’intense russification à laquelle sont exposés ces mineurs isolés est également documentée, avec par exemple la distribution de passeports russes, une éducation patriotique conforme aux « normes éducatives russes » et une militarisation qui culmine dans les classes de cadets ouvertes aux mineurs de 3 à 18 ans. Ces mineurs isolés sont également la cible d’un programme d’adoption dirigé par Maria Lvova-Belova, commissaire présidentielle chargée des droits de l’enfant, sous la supervision directe de Poutine. L’adoption a pour conséquence de rompre les liens entre le mineur adopté et ses origines familiales et nationales et présente donc pour l’occupant russe le double avantage de supprimer l’identité ukrainienne de ces mineurs et de minimiser l’investissement de l’état dans leur « rééducation ».

Des témoignages font état de tentatives d’adoption de mineurs ayant des parents, au motif que leur famille ne se soucie pas d’eux ou ne peut venir les chercher. Lvova-Belova adoptera elle-même un adolescent de Marioupol.

Ce programme a été planifié très tôt, puisque dès le 9 mars 2022, soit moins de deux semaines après le début de l’invasion, Lvova-Belova expose à Poutine lors d’un entretien que la citoyenneté constitue un obstacle juridique qui s’oppose au placement de 1090 « orphelins » dans des familles russes « qui font déjà la queue pour s’en occuper », obstacle que Poutine s’engage à supprimer. Le lendemain, Lvova-Belova signe un protocole d’intention avec les médiatrices aux droits de l’enfant des Républiques fantoches du Donbass occupé depuis 2014. À la suite des changements opérés dans la législation de ces « Républiques du Donbass » afin que les citoyens russes soient inclus en tant que parents adoptifs potentiels des enfants de ces territoires, le programme d’adoption est lancé.

Le 22 avril 2022, Lvova-Belova se réunit avec le gouverneur de Moscou pour placer 27 enfants transférés du Donbass, qui sont aussitôt remis à 10 familles russes. « L’obstacle de la citoyenneté » sera également levé côté russe par le décret de Poutine du 30 mai 2022 qui facilite l’octroi de la nationalité russe aux mineurs isolés ukrainiens et donc leur adoption en Russie. Cet obstacle sera supprimé par l’annexion des régions occupées d’Ukraine par la Russie en septembre 2022 qui attribue automatiquement la citoyenneté russe aux mineurs isolés ukrainiens.

Ce programme d’adoption est supervisé par Lvova-Belova qui va sélectionner des mineurs isolés dans les institutions d’Ukraine occupée, les amène en transit à Moscou, et va ensuite les livrer aux parents adoptifs dans diverses régions de la Fédération de Russie. À titre d’exemple, le 16 septembre 2022, Maria Lvova-Belova amène 125 « orphelins » du Donbass à Moscou avec l’aide logistique du ministère russe de la défense. Elle précise qu’après avoir passé quelque temps dans un « centre de réhabilitation » de la capitale, ils iront rejoindre des familles d’adoptiondans treize régions du pays : Moscou, Astrakhan, Voronej, Koursk, Mourmansk, Nijni Novgorod, Omsk, Penza, Rostov, Riazan, Samara, Tcheliabinsk.

De nouveau, le 7 octobre 2022, 234 enfants arrivent à bord de trois avions militaires sur le tarmac de l’aérodrome militaire de Chkalovsky, à Moscou. Maria Lvova-Belova précise en cette occasion que « 76 enfants du Donbass se préparent déjà à partir chez des parents adoptifs dans nos régions ». D’autre part, le 15 juillet 2022, Maria Lvova-Belova accompagne 17 orphelins (ou prétendus tels) de 3 à 15 ans à Toula destinés à être pris en charge par quatre familles. De même, elle se rend le 22 juillet 2022 à Kaluga pour « livrer » 25 enfants à des familles adoptives et le 13 octobre 2022 à Novosibirsk, en Sibérie, pour « placer » 24 enfants âgés de 2 à 16 ans. Si le nombre d’enfants adoptés à ce jour n’est pas connu, Lvova-Belova elle-même déclare que le programme d’adoption des mineurs ukrainiens « isolés » a vocation à devenir « systématique ».

Conclusion
La politique menée à l’encontre des enfants ukrainiens afin de les déporter et de les russifier est planifiée et organisée au plus haut niveau de l’État russe et de son appareil présidentiel.

Elle se déploie à tous les niveaux des structures du pouvoir et utilise un vaste arsenal de méthodes répressives et déshumanisantes.

Le sauvetage de ces enfants et leur retour auprès de leurs familles sont une œuvre de longue haleine qui va de pair avec la mise à jour des mécanismes de ce projet mortifère et le jugement de ses responsables. 

Albert Herszkowicz et Beslan Bokhvaureli, membres de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre

Texte publié dans Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 28)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/23/nous-ecrivons-depuis-lespagne/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-28_compressed.pdf

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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