Réformes de l’assurance chômage : une dégradation de la condition des femmes

Les femmes luttent depuis plusieurs décennies pour obtenir leur indépendance financière grâce à l’accès à des emplois de qualité, une autonomie dans leur action politique face au patriarcat. Dans la période actuelle, d’ubérisation et de précarisation massive de l’emploi, la lutte contre les régressions au niveau de l’assurance chômage, de la protection sociale et des services publics est devenue pour elles décisive.

Les récentes réformes de l’assurance chômage (comme je l’ai montré dans mon ouvrage, Femmes, chômage et autonomie) ont ciblé particulièrement les femmes, notamment celles qui travaillent dans l’emploi précaire, discontinu, et le multi-emploi. Car les femmes représentent 60% des travailleurs précaires, et cela se conjugue souvent avec du temps partiel et des bas salaires. Dans toutes les situations de successions de contrats courts, de périodes de chômage, de formation, de congés de maternité ou de maladie, une partie des femmes se retrouve avec des ressources très faibles, voire inexistantes. Il existe des vides juridiques, des interruptions de droits lors du passage d’une situation sociale ou professionnelle à une autre…

A présent, avec la loi Plein emploi, la suppression de l’ASS, l’obligation de faire 15 heures de travail pour les bénéficiaires du RSA sous peine de sanctions, vont avoir de graves conséquences pour de nombreuses femmes – à commencer par celles qui élèvent seules des enfants. Le RSA étant attribué au foyer, celles qui vivent en couple pourraient être contraintes de faire ces 15 heures hebdomadaires, sans pour autant disposer de droits à un revenu personnel, ni de moyens de garde d’enfant(s).

Beaucoup comprennent qu’il ne leur sert à rien de courir en tout sens après des miettes d’emplois, qu’il vaut mieux se rassembler pour revendiquer de vrais emplois et des droits sociaux garantis collectivement. Pour cela, alors que les organisations syndicales et politiques de la Gauche semblent avoir démissionné face à la montée des inégalités, un système de sécurité sociale couvrant le risque du chômage et réellement solidaire apparaît indispensable, et devrait être un élément essentiel d’un programme pour construire une société d’avenir.

Dans de nombreux domaines, comme la santé, l’éducation, les services à la personne, il existe des besoins sociaux énormes, liés notamment à la montée d’activité des femmes et au vieillissement de la population. La reconnaissance de la valeur du travail domestique et sa socialisation partielle passent par la création d’un large secteur non marchand de l’économie, pour prendre en charge ces activités de reproduction sociale. Sans de véritables statuts d’emploi pour les personnes qui y travaillent, la revalorisation des métiers féminisés, « l’éthique du care » et le souci des autres resteront de vains mots.

En même temps, il ne devrait plus exister de situations qui obligent une femme à choisir entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Il est nécessaire de pouvoir passer librement d’une situation sociale à une autre, de mieux pouvoir articuler les différents temps de vie, ce qui exige notamment des congés familiaux, parentaux, et de formation correctement rémunérés. 

Ce qui est en jeu, au travers de cette question de la Sécurité sociale chômage, ce sont les rapports de force dans les entreprises comme au sein de la famille. Les salarié.es qui travaillent dans les entreprises ne doivent plus être soumis.es à des pressions incessantes, à la souffrance au travail, au stress et au chantage à l’emploi… Les femmes devraient pouvoir rechercher une configuration familiale qui leur permette un partage des tâches plus équilibré, et des rapports plus égalitaires avec le conjoint.

La question du chômage est en réalité étroitement liée aux problèmes d’organisation du travail, à la façon bureaucratique et autoritaire dont ces questions sont traitées dans les entreprises. Dé-marchandiser les activités reproductives et limiter les activités productives ou « hétéronomes » en réduisant massivement le temps de travail, tout cela est d’autant plus urgent aujourd’hui que les dernières tendent à envahir toute la vie, du fait de la dématérialisation et de l’économie numérique.  

Le partage du travail et la déségrégation des emplois entre les femmes et les hommes seront certes difficiles à obtenir ; car cela nécessite une réflexion approfondie sur ce qu’est la valeur économique et sur les raisons de la division du travail sexuée. On ne peut pas se contenter de dire aux femmes « Vous n’avez qu’à faire les mêmes formations techniques, les mêmes métiers que les hommes (ingénierie…) » Car ces activités du secteur marchand reposent sur une hyper-compétitivité et une spécialisation, sur l’adhésion inconditionnelle aux valeurs du profit et de la rentabilité ; or, ce système est destructeur et énergivore, il mène toute la société dans une impasse. 

Odile Merckling, Paris, le 27 mars 2024 
Auteure de : 
Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat, Ed Syllepse, 2023.
https://blogs.mediapart.fr/omerckling/blog/270324/reformes-de-lassurance-chomage-une-degradation-de-la-condition-des-femmes

Introduction au livre d’Odile Merckling : Femmes, chômage et autonomie
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/03/28/introduction-au-livre-dodile-merckling-femmes-chomage-et-autonomie/
Droits propres et continuité des droits dans la discontinuité de l’emploi
Note de lecture du livre d’Odile Merckling : Femmes, chômage et autonomie. Des droits sociaux pour abolir la précarité et le patriarcat
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/07/24/droits-propres-et-continuite-des-droits-dans-la-discontinuite-de-lemploi/

Les femmes du coin de la rue amltais rouge 24 avril(1)

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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