Aux Etats-Unis, derrière la bataille des salaires, transformer le secteur de la restauration

En 2014, les Etats-Unis sont devenu le pays où l’on dépense plus d’argent pour manger dehors que pour cuisiner chez soi1. Passé de 8,5 millions d’employés en 1997 à plus de 12 millions en 2015, le secteur de la restauration ne cesse de croître. C’est aussi l’un des secteurs les plus mal payés. Le salaire horaire moyen est de 10,98 $, contre 23,23 $ pour l’ensemble de la population active employée. Il regroupe à lui seul 7 des 10 métiers les moins bien payés des Etats-Unis2. Pourquoi ?

Le salaire minimum fédéral aux Etats-Unis est de 7,25 $ de l’heure. Mais le salaire minimum pour les salariés pouvant travailler avec des pourboires est plus faible : 2,13 $ (« tip minimum wage »). A l’origine, les pourboires étaient pratiqués par l’aristocratie européenne pour ses servants, ce que des voyageurs étasuniens tentèrent d’importer chez eux à la fin du XIXème siècle et qui suscita un fort mouvement d’opposition. Les pourboires se sont tout de même imposés dans la restauration et dans les wagons-restaurants. Les salariés de ces secteurs étant d’anciens esclaves, leurs patrons argumentaient qu’ils ne devraient pas avoir à les payer puisqu’ils recevaient des pourboires. Un journaliste de l’époque exprime très bien les racines racistes de ce système de pourboires : « Evidemment, les nègres acceptent les pourboires, c’est ce que l’on attend d’eux : c’est un signe de leur infériorité. (…) Je ne peux pas comprendre comme un américain natif pourrait accepter de recevoir un pourboire. Les pourboires vont de pair avec la servitude »3.

La restauration est également un désert syndical : du fait des règles complexes pour la reconnaissance de syndicats, mais aussi à cause de la politique agressive du patronat du secteur (organisé au sein de la puissante National Restaurant Association). En 2001, s’est créé le ROC United (Restaurant Opportunities Center), une organisation para-syndicale visant à organiser les travailleurs de la restauration. En une quinzaine d’années, l’organisation s’est développée et regroupe maintenant 18.000 membres et est présente dans la plupart des Etats du pays.

En son sein, les salariés de la restauration s’organisent pour défendre leurs droits, et le ROC United a déclaré la guerre au système des pourboires. L’organisation fait partie des coalitions qui luttent pour l’augmentation du salaire minimum à 15 $ de l’heure, et pour que ce salaire s’applique à toutes et tous, y compris aux salariés soumis à pourboire.

Le principal argument de la National Restaurant Association (l’association patronale, aussi appelée « the other NRA ») pour défendre son système consiste à expliquer que les salariés travaillant au pourboire gagneraient beaucoup plus que le salaire minimum, qu’ils seraient ainsi privilégiés. Pour cela, ils communiquent en utilisant l’image de serveurs blancs travaillant dans les restaurants de luxe des centre-ville. En réalité, le salariat du secteur est très féminisé et racisé. Le fait pour des femmes serveuses d’être en situation de dépendance vis-à-vis des pourboires conduit à un harcèlement sexuel systémique : il faut se plier en quatre et accepter n’importe quoi pour faire plaisir aux clients, dans les faits ce sont eux qui paient votre salaire. 7 % des américaines travaillent dans le secteur de la restauration, mais 37 % des plaintes pour harcèlement sexuel viennent du secteur de la restauration4.

Malgré cela, la lutte paie : les différentes grèves et mobilisations qui ont eu lieu ces dernières années sont parvenues à faire augmenter le salaire minimum à 15 $ en Californie et dans l’Etat de New York. Des législations similaires sont en voie d’aboutir dans d’autres Etats. Pour ce qui est du gouvernement fédéral, la majorité républicaine, hostile à l’idée même de salaire minimum, bloque pour le moment tout augmentation du salaire minimum fédéral.

Pavel Desmet

publié sur le site Terrains de luttes

http://terrainsdeluttes.ouvaton.org/?p=5996

1 United States Department of Agriculture, Economic Research Service, Food Expenditures.

2 Bureau of Labor Statistics, Occupational Employment Statistics

3 Saru Jayaraman, Forked. A New Standard for American Dining, Oxford University Press, 2016.

4 ROC United, Forward Together, The Glass Floor : Sexual Harassment in the Restaurant Industry, New York, ROC United, 2014.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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