S’interroger sur le consensus à faire du consensus le lien nécessaire de la politique

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« Longtemps rejetée par la discipline historique, la notion de genre a beaucoup évolué et son usage, toujours en mouvement, fluctue en fonction des enjeux de la recherche. En histoire, le concept sert généralement à mettre au jour les relations de pouvoirs entre les hommes et les femmes et aide à interroger la construction sociales des identités ». Dans son introduction – Qu’est-ce le genre ? Comment le penser en histoire ? – à ce recueil de textes, Michèle Riot-Sarcey aborde, entre autres, la complexité, le refus d’une « réduction à un déterminisme supposé naturel des corps des personnes, de leur sexualité comme de leur fonction sociale », les catégories et les classifications, « reconsidérer les catégories dites représentatives sous l’angle des rapports de domination qui les traversent », les bouleversements sociaux, la réalité en tension « voire conflictuelle » entre les sexes…

Une interrogation : « si les événements du passé étaient soumis à la question du genre, pourrait-on envisager de réécrire l’apprentissage de la République, d’en dessiner une autre histoire en repensant la démocratie, dans son principe comme dans sa pratique ? »

L’autrice discute de la structure hiérarchique des sociétés, de l’évolution du sens du mot genre, des imbrications de relations de pouvoir, de consubstantialité des rapports de pouvoir, de savoirs situés, d’intersectionnalité, « C’est alors qu’ont émergé des pratiques et des paroles rendues muettes sous le poids d’une histoire continue qui fut imposée par l’interprétation univoque de tous ceux qui contribuèrent à l’élaboration du sens de l’histoire ».

Elle souligne le caractère novateur de la recherche menée « sur la construction sociales des sexes et la fabrique des corps », le penser de l’impensable (Christine Planté), les résistances, les constructions des identités individuelles et collectives, les rapports conflictuels à l’autre, la nécessaire prise en compte de l’historicité. Les personnes ne peuvent jamais être réduites aux comportements assignés ou contraints, d’où les notions d’agency ou d’empowerment.

Michèle Riot-Sarcey parle aussi des spécificités des objets étudiés, d’oppositions à l’encontre des dispositifs de pouvoir, de fragmentation du mouvement de pensée..

« Dans cet ouvrage, le genre a été saisi comme concept : il questionne les rapports de pouvoir entre hommes et femmes et m’a permis de repenser l’histoire des constructions identitaires en interrogeant l’universalité des principes énoncés, en leur temps, par les différentes révolutions ».

L’autrice invite à penser autrement l’histoire, à dépasser la fragmentation de ses objets, à prendre en considération les voix d’héritières des sans noms, à provoquer plus que des entailles « dans la carapace du politique » et de l’« autorité masculine », à refuser que les théories féministes et les études de genre soient reléguées « au second plan des débats et des luttes comme des constructions alternatives », à conquérir l’espace public comme lieu d’intervention et d’expression de la démocratie…

Les différents textes sont regroupés en trois parties : « Quand le genre n’était qu’un concept », Pouvoir et politique, Genre et écriture de l’histoire.

« Ce recueil d’articles, écrits dans des conjonctures particulières et en fonction des enjeux historiographiques, théoriques et politiques du moment, peut contribuer, je l’espère, à cette réflexion critique… »

Des textes d’une lecture souvent passionnante pour interroger le pouvoir, les pouvoirs, la politique, la démocratie trop souvent réduite à la représentation, « Le seul espoir d’exercer le pouvoir contre les règles du système, c’est de le détourner, en dévoilant « l’illusion » du pouvoir fondé sur le modèle de la représentation « une et indivisible », pour imposer une représentation diversifiée des individus, tous différents les uns des autres », les rapports sociaux de sexe, le genre, « Encore que l’analyse des rapports de sexe n’est pas l’équivalente d’une réflexion sur le genre « au singulier » qui « permet de déplacer l’accent, les parties divisées, vers le principe de partition lui-même » et dont la « hiérarchie est un aspect constitutif » », le féminisme, l’historicité de tous les rapports sociaux, le principe espérance, l’écriture de l’histoire, la démocratie en devenir…

Je termine par deux citations extraites du dernier texte proposé :

  • « Fonder une démocratie suppose des mandats électifs, en rotation permanente, représentatifs d’une réalité sociale au devenir beaucoup plus égalitaire »

  • « Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quelle que soit sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré le sien » (Condorcet en 1790 cité par l’autrice.

Michèle Riot-Sarcey : Le genre en questions
Pouvoir, politique, écriture de l’histoire
Creaphis Editions, Paris 2016, 384 pages, 15 euros

Didier Epsztajn

De l’autrice :
L’urgence : construire une vraie démocratie
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/07/27/lurgence-construire-une-vraie-democratie/
Z. ou le spectre du passé
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/02/01/z-ou-le-spectre-du-passe/
De la « tricoteuse » à la « pétroleuse » ou les figures répulsives de la « femme publique »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/02/23/michele-riot-sarcey-de-la-tricoteuse-a-la-petroleuse-ou-les-figures-repulsives-de-la-femme-publique/
De la liberté
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/10/27/de-la-liberte/
Jean-Louis Laville et Michèle Riot-Sarcey : Le réveil de l’utopie
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/05/26/un-fil-renouant-avec-des-passes-enfouis-auto-organisation-et-emancipation/
Vers un monde solidaire
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/05/18/vers-un-monde-solidaire/
Introduction : De la catastrophe. L’Homme à l’oeuvre du Déluge à Fukushima
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/01/21/introduction-de-michele-riot-sarcey-de-la-catastrophe-a-louvrage-de-la-catastrophe-lhomme-a-loeuvre-du-deluge-a-fukushima/
Sous la direction de Michèle Riot-Sarcey :De la catastrophe. L’Homme à l’oeuvre du Déluge à Fukushima
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/01/30/la-part-humaine-dans-des-evenements-inouis/
Sous la direction de Claudia Moatti et Michèle Riot-Sarcey : Pourquoi se référer au passé ?
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/02/28/le-pire-present-qui-soit-est-celui-qui-abolit-toute-esperance/
Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey :1848 la révolution oubliée
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2010/08/24/la-memoire-ouvriere-fut-enfouie-sous-les-decombres-de-la-republique-tout-court/
Le procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/03/14/linsurrection-ouvre-le-devenir-social-vers-un-possible-inimaginable-jusqualors/
Leçon inaugurale, prononcée le 11 juillet à Montpellier à l’occasion des trente ans des rendez-vous de Pétrarque
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/09/05/lecon-inaugurale-prononcee-le-11-juillet-a-montpellier-a-loccasion-des-trente-ans-des-rendez-vous-de-petrarque-par-michele-riot-sarcey/
Michèle Riot-Sarcey en ouverture des XXXe Rencontres de Petrarque (vidéo)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/08/02/michele-riot-sarcey-en-ouverture-des-xxxe-rencontres-de-petrarque/
Entretien « La référence au passé est un moteur de l’histoire »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2016/07/18/la-reference-au-passe-est-le-moteur-de-lhistoire/
En Algérie, des révoltées de 1848 aux porteuses de valises
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/01/11/en-algerie-des-revoltees-de-1848-aux-porteuses-de-valises/
Avec Kamel Chabane : Billet d’humeur : À propos de l’affaire Maurice Audin
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/11/23/billet-dhumeur-a-propos-de-laffaire-maurice-audin/
« Tout s’oublie rien ne passe ». Pour que la voix des femmes, une nouvelle fois, ne soit pas rendue silencieuse !
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/02/18/tout-soublie-rien-ne-passe-pour-que-la-voix-des-femmes-une-nouvelle-fois-ne-soit-pas-rendue-silencieuse/
Violences faites aux femmes : La liberté d’importuner ? – « Mesdames, ne confondez pas les jeux de rôle de salon avec la vie réelle »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/01/18/violences-faites-aux-femmes-la-liberte-dimportuner-mesdames-ne-confondez-pas-les-jeux-de-role-de-salon-avec-la-vie-reelle/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « S’interroger sur le consensus à faire du consensus le lien nécessaire de la politique »

  1. Séminaire sur la démocratie
    Jeudi 26 janvier – 18h
    Le séminaire du jeudi 26 janvier se déroulera sur Zoom.
    Pour recevoir le lien s’inscrire directement auprès de Michèle Riot-Sarcey à m.riot-sarcey@wanadoo.fr

    « Après un temps de réflexion au sein de la Fondation Copernic, il nous a semblé plus sage de prendre du recul sur l’actualité conflictuelle de la démocratie dans l’ensemble des pays de la planète. Pour nous permettre d’aborder la question concrète de sa refondation dans tous les lieux où elle se pose – non seulement à l’échelle de la citoyenneté classique exprimée ponctuellement par le vote, dans les organisations politiques et syndicales, mais également dans tous les espaces collectifs où la carence démocratique se fait sentir – (en particulier au cœur du monde du travail), il nous apparaît utile de présenter les termes du débat depuis son origine afin que chacun s’approprie le savoir historique et théorique pour ensuite pouvoir penser ensemble la mise en œuvre d’une refondation possible.
    Les circonstances particulières m’ont mise en relation avec des amis du Québec et nous débattons de l’histoire de la démocratie avec des universitaires du Chili depuis plusieurs mois ; occasion bienvenue pour élargir notre public ordinaire. Comme les intervenants viennent aussi d’autres pays, les séances auront lieu en France à 18h le jeudi, 9h à Los Angeles,12 h au Québec et 14h à Santiago, en langue française avec traduction simultanée en espagnol.

    Voici le programme élaboré en collaboration avec le CVUH (comité de vigilance sur les usages publics de l’Histoire) et la Fondation Copernic en France. À partir de septembre 2023, nous travaillerons sur les expériences de démocratie concrète dans chacun de nos pays avec si possible les acteurs eux-mêmes, afin de réfléchir collectivement à la mise en œuvre de la démocratie, particulièrement dans les lieux d’activité de production où des transformations s’imposent pour faire face à la catastrophe écologique en cours. »

    Michèle Riot-Sarcey

    LE PROGRAMME
    Jeudi 26 janvier, Introduction par Michèle Riot-Sarcey, historienne.
    Jeudi 23 février Claudia Moatti, historienne, spécialiste de la RES Publica de la Rome antique : Castoriadis et la démocratie athénienne.
    Jeudi 30 mars, Gisèle Berkman, essayiste, spécialiste de la pensée du XVIIIe siècle : Rousseau et la démocratie.
    Jeudi 27 avril, Jaime Bassa Mercado, juriste, universitaire chilien, La constitution chilienne ou la démocratie en question.
    Jeudi 25 mai, Michèle Riot-Sarcey, Le détournement de l’idée de démocratie au XIX siècle, de Benjamin Constant à la Troisième République en France
    Jeudi 1er juin Martine Leibovici, Philosophe, Hannah Arendt et la démocratie.
    Jeudi 22 juin, Jean Michel Drevon, chercheur, syndicaliste secrétaire général de l’institut de recherche de la FSU (fédération syndicale unitaire), La démocratie au sein de l’organisation syndicale, débat France Chili, (intervenant chilien à préciser)

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